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Date : 20011002

Dossier : A-337-00

Référence neutre : 2001 CAF 279

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX L.S.M. LTÉE

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-336-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX ST-JEAN INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-338-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX LONGUEUIL INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée


Dossier : A-339-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX CÔTE-VERTU INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-340-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX ST-CONSTANT INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Audience tenue à Montréal, Québec, le 10 septembre 2001.

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le 2octobre 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :         LE JUGE DESJARDINS

        LE JUGE DÉCARY


Date : 20011002

Dossier : A-337-00

Référence neutre : 2001 CAF 279

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX L.S.M. LTÉE

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-336-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX ST-JEAN INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-338-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX LONGUEUIL INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-339-00


ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX CÔTE-VERTU INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

Dossier : A-340-00

ENTRE :

                  LES MANUFACTURIERS DE BIJOUX ST-CONSTANT INC.

       Appelante

                    et

SA MAJESTÉ LA REINE

          Intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'appels et d'appels incidents dirigés à l'encontre de décisions rendues par le juge Blais à l'effet que les appelantes n'étaient pas réputées avoir fabriqué certains bijoux en vertu des articles 23(11) et 43 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, c. E-15 (la "Loi") autres que ceux qu'elles sertissaient pour le compte de leur clientèle respective.

Les Faits

[2]                 Les faits et questions de droit soulevés dans chacun des appels et appels incidents sont identiques de sorte que les présents motifs serviront à disposer des cinq dossiers en cause.


[3]                 Les cinq appelantes opèrent un commerce de vente de bijoux sous la raison sociale "Manufacturiers de Bijoux L.S.M. Ltée". Elles font partie, avec Créations Darnel Ltée ("Darnel"), d'un groupe de compagnies contrôlées par une compagnie de portefeuille dont les actions sont détenues à part entière par Denis Perrier.

[4]                 Darnel était la seule entreprise du groupe à détenir une licence de fabricant pendant la période en cause mais elle n'avait par ailleurs aucun employé selon son livre de paye. Darnel achetait les matières premières telles que l'or et les pierres précieuses et les envoyait aux appelantes pour transformation en un produit fini. Les bijoutiers à l'emploi des appelantes montaient les bijoux, en faisaient le sertissage et les acheminaient à Darnel. Darnel en tant que grossiste expédiait le produit fini à l'une ou l'autre des appelantes qui en faisait la vente à ses clients. Darnel émettait une facture à celle des appelantes qui effectuait la vente et remettait au Ministre les taxes de vente et d'accise selon le prix inscrit à la facture.

[5]                 En plus de la vente au détail des bijoux fournis par Darnel, les appelantes effectuaient des réparations et sertissaient des bijoux pour le compte de leurs propres clients. Ce sont les mêmes bijoutiers qui étaient chargés de ces tâches.


[6]                 En février 1991, les appelantes reçurent un avis de cotisation pour la période allant du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1989. Le Ministre, se fondant sur les articles 43 et 23(11) de la Loi, était d'avis que les appelantes fabriquaient les bijoux sertis et montés à la demande de Darnel ainsi que ceux sertis et montés à la demande de leur clientèle respective. Au total une taxe de vente et d'accise de l'ordre de 506 183,35 $ fut prélevée.

[7]                 Ces dispositions se lisent comme suit :

23(11) Lorsqu'une personne a, au Canada, selon le cas:

a) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre;

b) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre et y a ajouté une courroie, un bracelet, une broche ou autre accessoire;

c) serti ou monté un ou plusieurs diamants, ou autres pierres précieuses ou fines, véritables ou imitées, en une bague, une broche ou autre article de bijouterie,

elle est réputée, pour l'application de la présente partie, avoir fabriqué ou produit la montre, l'horloge, la bague, la broche ou autre article de bijouterie au Canada.

23(11) Where a person has, in Canada,

(a) put a clock or watch movement into a clock or watch case,

b) put a clock or watch movement into a clock or watch case and added a strap, bracelet, brooch or other accessory thereto, or

(c) set or mounted one or more diamonds or other precious or semi-precious stones, real or imitation, in a ring, brooch or other article of jewellery,

he shall, for the purposes of this Part, be deemed to have manufactured or produced the watch, clock, ring, brooch or other article of jewellery in Canada.

43 Lorsqu'une personne a, au Canada, selon le cas :

a) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre;

b) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre et y a ajouté une courroie, un bracelet, une broche ou autre accessoire;

c) serti ou monté un ou plusieurs diamants ou autres pierres précieuses ou fines, véritables ou imitées, en une bague, une broche ou autre article de bijouterie,

elle est réputée, pour l'application de la présente partie, avoir fabriqué ou produit la montre, l'horloge, la bague, la broche ou autre article de bijouterie au Canada.

43 Where a person has, in Canada,

(a) put a clock or watch movement into a clock or watch case,

(b) put a clock or watch movement into a clock or watch case and added a strap, bracelet, brooch or other accessory thereto, or

(c) set or mounted one or more diamonds or other precious or semi-precious stones, real or imitation, in a ring, brooch or other article of jewellery,

he shall, for the purposes of this Part, be deemed to have manufactured or produced the watch, clock, ring, brooch or other article of jewellery in Canada.

(Mon souligné.)


[8]                 Les appelantes contestèrent les avis de cotisation alléguant qu'elles ne sertissaient pas de bijoux pour le compte de Darnel. Quant aux bijoux sertis pour le compte de leur propre clientèle, les appelantes ont reconnu devant le premier juge qu'elles en étaient les fabricantes au sens de la Loi. Elles ont cependant fait valoir que la valeur annuelle de ces transactions était pour chacune d'elles inférieure à 50 000 $, ce qui avait comme effet de les exempter de la taxe autrement exigible en tant que petits fabricants en vertu des paragraphes 54(2) et 64(2) de la Loi. Ces dispositions n'ont pas à être reproduites. Il suffit pour nos fins de souligner qu'elles ont pour effet d'exempter un petit fabriquant de la taxe de vente et de la taxe d'accise selon des conditions identiques.

[9]                 Le juge Blais en vint à la conclusion que les appelantes n'étaient pas les fabricants des bijoux confectionnés à la demande de Darnel, faisant état du fait que Darnel demeurait le maître d'oeuvre. Il a constaté que la vente par Darnel aux appelantes des bijoux ainsi fabriqués se faisait à un prix raisonnable et que les taxes étaient dûment payées. Le juge Blais a aussi souligné le fait que les bijoutiers effectuaient ce travail dans leurs moments libres et savaient que le produit fini était destiné à Darnel. Il a précisé que dans le cadre de cette activité particulière, les bijoutiers agissaient exceptionnellement sous le contrôle direct de M. Perrier ou son adjointe, qui représentaient Darnel. Selon le premier juge, c'est en tant qu'employés de Darnel que les bijoutiers vaquaient à cette fonction.

[10]            Par ailleurs, le juge Blais en vint à la conclusion que les appelantes étaient les fabricants des bijoux sertis ou montés pour le compte de leurs propres clients et qu'elles devaient verser les taxes exigibles à ce titre. Toutefois, il a déterminé que la valeur annuelle de ces transactions était inférieure à 50 000 $ et que les appelantes étaient donc exemptes de la taxe de vente en vertu du paragraphe 54(2) de la Loi.


[11]            Quant à la taxe d'accise exigible sur ces ventes, le premier juge a conclu que les appelantes en étaient redevables selon le calcul réduit prévu à la circulaire administrative         ET-101.

[12]            Le juge Blais a donc ordonné l'annulation des cotisations en ce qui a trait aux bijoux montés et sertis à la demande de Darnel. Il a par ailleurs réduit les cotisations portant sur les bijoux montés et sertis par les appelantes pour le compte de leur clientèle respective en annulant la taxe de vente reliée à cette activité et en réduisant la taxe d'accise de moitié. Suite à ce jugement, seule une taxe de 7 066,73 $ demeurait impayée.

Position des parties

[13]            Au soutien de leurs appels, les appelantes font valoir que le premier juge n'avait pas à s'en remettre à la circulaire administrative ET-101 aux fins du calcul de la taxe d'accise puisqu'en tant que "petit fabricant" elles étaient exemptées non seulement de la taxe de vente mais aussi de la taxe d'accise. Selon les appelantes, le premier juge aurait simplement omis de prendre note du paragraphe 64(2) de la Loi dans le cadre de sa décision et elles ne sont redevables d'aucune taxe.


[14]            La Couronne, dans le cadre des appels incidents, prétend que le juge Blais s'est mal instruit en droit lorsqu'il a conclu que les bijoux montés et sertis à la demande de Darnel n'étaient pas réputés être fabriqués par les appelantes. Selon la Couronne, le juge Blais, après avoir constaté que ce travail était effectué par les bijoutiers à l'emploi des appelantes, ne pouvait refuser d'appliquer les articles 43 et 23(11) de la Loi au seul motif que Darnel demeurait le "maître d'oeuvre".

Analyse et décision

[15]            Les appels doivent quant à eux être accueillis. En effet, le juge Blais, après avoir conclu que les appelantes étaient exemptes de la taxe de vente au motif qu'elles rencontraient les exigences du paragraphe 54(2) de la Loi, se devait de conclure que les appelantes étaient aussi exemptes de la taxe d'accise en vertu du paragraphe 64(2) puisque cette exemption opère selon les mêmes conditions. Le juge Blais a évidemment omis d'en prendre note.

[16]            Par contre je suis d'avis que les appels incidents doivent être rejetés. Tout d'abord, l'avocat de la Couronne affirme au paragraphe 36 de son mémoire que le fabricant réputé d'un bijou au sens des articles 43 et 23(11) est celui qui a physiquement procédé à en faire le sertissage ou le montage. Tel n'est pas l'effet de la Loi. Si on devait appliquer ce raisonnement aux faits ici en cause, ce sont les bijoutiers eux-mêmes qui seraient réputés fabricants.


[17]            À cet égard, l'avocat de la Couronne a reconnu au cours de l'audition que l'effet des articles 43 et 23(11) de la Loi est de réputer toute personne, soit-elle physique ou morale, fabricante des bijoux qu'elle monte ou qu'elle sertit et qu'une société doit donc être réputée fabricante dans la mesure où elle monte ou sertit des bijoux par l'entremise de ses employés. Il a prétendu que le juge Blais, après avoir reconnu que les bijoux en question étaient sertis et montés par les bijoutiers à l'emploi de l'appelante, se devait de donner effet aux articles 43 et 23(11) de la Loi.

[18]            Une lecture attentive des motifs révèle que le juge Blais a conclu que c'est comme employés de Darnel que les bijoutiers sertissaient des bijoux à la demande de cette dernière. Le premier juge a fondé cette conclusion sur le fait que les bijoutiers étaient conscients du fait qu'ils exerçaient leurs fonctions auprès de plus d'un employeur à l'intérieur du groupe de compagnies contrôlées par M. Perrier et qu'ils agissaient sous le contrôle direct de Darnel et non pas des appelantes lorsqu'ils sertissaient des bijoux à sa demande (paragraphe 88 des motifs).

[19]            En arrivant à cette conclusion, le premier juge a évidemment accepté le témoignage de M. Perrier quant à l'organisation et au mode d'opération des compagnies qu'il contrôlait. Selon M. Perrier le recours par Darnel au service des bijoutiers pendant leurs moments libres servait à rentabiliser l'entreprise et les frais reliés à la main-d'oeuvre des bijoutiers étaient adéquatement compensés par les frais assumés par Darnel en ce qui a trait aux moules et aux matières premières qu'elle fournissait aux appelantes (paragraphe 81 des motifs).


[20]            L'avocat de l'intimée prétend que le fait que le salaire des bijoutiers était payé par les appelantes écarte la possibilité que les bijoutiers puissent avoir été à l'emploi de Darnel. Je ne partage pas cet avis. La provenance du salaire d'un employé qui oeuvre à l'intérieur d'un groupe de sociétés liées ne délimite pas nécessairement le lien d'emploi. Ce lien doit s'analyser à la lumière de tous les facteurs pertinents. Ici, la preuve permettait au premier juge de conclure que les bijoutiers étaient au service de plus d'un employeur et ce n'est pas le rôle de notre Cour de s'ingérer dans les conclusions de fait tirées par le premier juge.

[21]            J'accueillerais les appels avec dépens et rejetterais les appels incidents avec dépens devant cette Cour et devant la Section de première instance, je confirmerais en partie le jugement de première instance et j'annulerais dans leur totalité les cotisations émises à l'encontre des appelantes.

                 "Marc Noël"                   

j.c.a.

"Je souscris à ces motifs.

Alice Desjardins j.c.a."

"Je suis d'accord.

Robert Décary j.c.a."

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