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Date: 20001103


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL         


     Dossier: A-760-98

ENTRE:      SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     FRANÇOIS LANGLOIS,

     intimée.

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     Dossier: A-761-98

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     FRANÇOIS LANGLOIS,

     intimé.




     Audience tenue à Québec (Québec) le jeudi, 19 octobre 2000


     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi, 3 novembre 2000




MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE NOËL





Date: 20001103


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


     Dossier: A-760-98

ENTRE:      SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     FRANÇOIS LANGLOIS,

     intimée.

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     Dossier: A-761-98

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     FRANÇOIS LANGLOIS,

     intimé.


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LÉTOURNEAU



Le juge Garon (maintenant Juge en chef) de la Cour canadienne de l'impôt s'est-il mépris lorsqu'il a conclu que l'intimé avait droit, en vertu de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), à un crédit d'impôt pour des dons de bienfaisance? A-t-il erré dans la détermination de la juste valeur marchande des biens donnés aux fins du calcul de la déduction permise par la Loi?

Ce sont là les deux questions qui nous furent soumises, la première par voie d'appel de Sa Majesté la Reine et l'autre au moyen d'un appel incident de l'intimé. Les deux appels et appels incidents dans ces dossiers ont été entendus en même temps que les appels et appels incidents dans les dossiers Duguay (A-756-98 et A-757-98) et Côté (A-758-98 et A-759-98). Ils ont été plaidés sur la base d'un certain nombre de questions communes à tous, en gardant à l'esprit certaines différences d'ordre factuel.

Les faits


M. Langlois fait partie d'un groupe de plusieurs personnes qui ont transigé avec M. Marc Levert, fondateur et actionnaire principal de la Galerie des Maîtres Anciens Inc. sise à Québec. M. Levert vendait à ses clients, généralement à 25% du prix de l'évaluation, des oeuvres d'art (des tableaux) que ceux-ci cédaient à des organismes de bienfaisance identifiés et choisis par M. Levert. C'était M. Levert qui s'occupait de trouver et de choisir les organismes bénéficiaires à qui il remettait les dons. À cette fin, il agissait comme mandataire des donateurs. C'était aussi lui qui évaluait les biens cédés et fournissait les reçus nécessaires à l'obtention du crédit d'impôt. En outre, M. Levert agissait également comme mandataire des organismes bénéficiaires. En cette capacité, il recevait les dons destinés à ces derniers et il les revendait immédiatement pour ne remettre aux organismes qu'une infime partie des produits de la vente, soit de 4% à 10% de ces derniers.


Par jugement du 28 février 1994 de la Cour supérieure de Québec, chambre criminelle, M. Levert a été trouvé coupable d'avoir détruit des documents pour les années d'imposition 1984, 1991 et 1992. Le 17 mars 1995, la Cour du Québec, chambre pénale, le trouvait aussi coupable d'avoir éludé des impôts pour les années d'imposition 1984 à 1988. Ce jugement fut confirmé par la Cour supérieure le 11 janvier 1996. Enfin, le 7 avril 1997, M. Levert a plaidé coupable, en rapport avec les présents dossiers, à des accusations d'avoir conspiré en vue d'éluder des impôts et d'avoir permis que des impôts au montant de 110 000,00$ soient éludés par des contribuables pour les années d'imposition 1986 à 1988. Il a été condamné à une peine de dix mois d'emprisonnement. Il fut également soumis à une ordonnance de probation d'une durée de deux ans lui interdisant d'agir directement ou indirectement à titre d'évaluateur, promoteur, agent ou consultant relativement à des donations d'oeuvres d'art à des organismes sans but lucratif.


M. Langlois a demandé pour les années d'imposition 1990 et 1991 un crédit d'impôt pour dons de bienfaisance. Il avait été alerté par ses collègues de la Sûreté du Québec à la possibilité d'obtenir un avantage fiscal en procédant à des dons charitables. C'est dans ce contexte qu'il fit la connaissance de M. Marc Levert de la Galerie des Maître Anciens.


Le don effectué en 1990 consistait en un certain nombre de tableaux dont la valeur fut estimée à 10 150$. Le coût d'acquisition de ces tableaux s'élevait, cette année-là, à 30% du montant de l'évaluation non datée signée par Marc Levert.


Pour 1991, M. Langlois a cédé la part, évaluée à 10 000$, qu'il détenait dans un cartable contenant une centaine de dessins. Il faisait alors partie d'un groupe appelé l'Association d'aide aux organismes de charité. Ce groupe, composé essentiellement de policiers de la Sûreté du Québec, avait acheté de Marc Levert le cartable de dessins. M. Langlois avait déboursé 2 500$ pour sa part du cartable, soit 25% de l'évaluation qui lui fut fournie encore une fois par M. Levert. Aucun contrat d'achat n'a été signé par le groupe et, quoique dûment requis de le faire par subpoena duces tecum, aucune facture n'a été produite par le groupe pour attester de l'achat.

L'intimé avait-il droit au crédit d'impôt pour don de bienfaisance?


Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a appliqué aux transactions visées les principes du Code civil du Bas-Canada qui, à l'époque, gouvernaient les libéralités, notamment les articles 755 et 776. Il a conclu que les conditions essentielles à l'existence d'une donation, soit l'intention libérale, la remise du bien et l'acceptation par le donataire, étaient remplies. Appliquant l'arrêt The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031 de notre Cour, il a statué que l'obtention d'un avantage fiscal, même si c'était là la motivation principale de l'intimé en l'espèce, n'effaçait pas l'intention libérale du donateur. Il fut aussi d'avis que l'obtention d'un reçu de la part de l'organisme bénéficiaire ne pouvait être considérée comme une contrepartie éliminant le caractère gratuit et libéral de la transaction.


Enfin, l'objet même des dons lui est apparu suffisamment déterminé et il était satisfait que les biens donnés sont devenus la propriété des organismes de bienfaisance qui ont émis les reçus pour fins d'impôt.


À mon avis, le juge s'est bien instruit quant aux principes juridiques applicables en l'espèce. De même, je n'ai pas été convaincu qu'il a erré dans l'application de ces principes aux faits qui lui ont été soumis. En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.

Le juge a-t-il erré dans la détermination de la juste valeur marchande des objets donnés?


Par voie d'appel incident, l'intimé a prétendu que le juge, en procédant à la détermination de la juste valeur marchande des biens, a mis trop d'emphase sur les prix de ces biens à l'encan et qu'il a systématiquement écarté leur prix de vente au détail dans les galeries d'art. Il lui reproche également d'avoir ignoré les indicateurs objectifs sur lesquels M. Levert s'était fondé pour établir le montant de l'évaluation.


Le procureur de l'intimé a suggéré que nous procédions à une nouvelle évaluation de principe de la juste valeur marchande fondée sur une moyenne entre le montant de l'évaluation apparaissant au reçu, celui représentant la valeur de biens semblables lors d'une vente à l'encan et celui payé par des acheteurs lors d'une vente au détail en galerie.


Je ne crois pas que la base de calcul suggérée par le procureur de l'intimé soit appropriée en l'espèce et qu'il y ait lieu de procéder autrement que ne l'a fait le juge de première instance: nombre de tableaux n'avaient pas de marché en galerie, les circonstances entourant les transactions étaient, par tout standard d'appréciation, pour le moins étranges et particulières, pour ne pas dire suspectes, et les prix étaient systématiquement gonflés. Ces éléments ne laissent aucune ouverture à une norme ou à un principe d'application générale de la nature de celui proposé par l'intimé.


Le juge se devait alors d'apprécier la juste valeur marchande des biens qui sont l'objet du litige en fonction de leur individualité et de leur spécificité propres. On entend par "juste valeur marchande" celle obtenue dans un marché normal, c'est-à-dire un marché qui n'est pas perturbé par des facteurs économiques particuliers et où des vendeurs désireux mais non anxieux de vendre transigent avec des acheteurs désireux et capables d'acheter: Attorney General of Alberta v. Royal Trust Co. [1945] S.C.R. 267, à la page 288. Pour ce faire, il s'est tantôt fondé sur le témoignage d'experts, tantôt sur le fait que le bien lui-même n'a même pas pu atteindre à l'encan un prix de réserve nettement inférieur au montant de l'évaluation soumis, tantôt sur des prix actuellement payés à l'encan pour des oeuvres qui n'avaient d'autres marchés que celui de la vente aux enchères, tantôt sur les prix actuellement payés pour des oeuvres comparables du même artiste tant au niveau de leurs dimensions que des sujets traités et de la période couverte, tantôt sur le prix de vente ou de rachat des biens qui ont aussitôt été revendus aux enchères par le donataire. Le juge a tenu compte du marché pertinent où s'exerçait le jeu de l'offre et de la demande et où l'oeuvre pouvait être vendue ou, de fait, avait été revendue d'une manière contemporaine: on ne saurait le lui reprocher.


Ainsi, par exemple en l'espèce, l'intimé avait donné en 1990 un tableau de Fielding Downes pour lequel la juste valeur marchande réclamée était de 3 750$. Se fondant sur le témoignage de trois experts (Messieurs Gagnon, Harvey et Rinfret) ainsi que sur le prix de ventes actuelles et contemporaines d'oeuvres comparables du même artiste où les prix variaient entre 90$ et 467$, le juge a fixé la juste valeur marchande à 400$. Il a aussi tenu compte du témoignage de M. Rinfret selon lequel on trouve très peu de ces oeuvres en galerie et les prix n'avaient pratiquement pas changé entre 1985 et 1995 (dossier A-761-98, vol. IV, page 1040, paragraphes 11 et 14).


Pour ce qui est des dessins cédés en 1991, le juge a ramené leur juste valeur marchande à 2 500$. Il s'agissait de dessins venant aussi de l'artiste Fielding Downes. Je ne saurais dire que, dans les circonstances et compte tenu de la preuve qu'il avait devant lui, le juge a attribué aux biens donnés une valeur qui ne correspond pas à leur juste valeur marchande.


Le juge a également été sensible aux limites fixées par les experts quant aux indicateurs retenus par M. Levert pour ses évaluations. À titre d'exemple, selon les témoignages de M. Harvey, M. Gagnon et M. Rinfret, les prix apparaissant aux Guide Vallée, sur lequel s'était fortement appuyé M. Levert pour faire ses évaluations, ne représentent pas les prix de ventes réelles, mais plutôt des prix affichés pour fins de publicité des artistes qui y sont mentionnés. Ces prix sont fixés au pouce carré, en fonction de la grandeur du tableau, et ne tiennent pas compte de facteurs importants qui influent sur la juste valeur marchande, tels la période où le tableau a été peint, le sujet traité ainsi que la qualité du tableau (voir dossier Côté, A-759-98, vol. VIII, à la page 1968, vol. XI, aux pages 2610-11, 2848-57, 2867-69 et vol. X, aux pages 2508-16).


Le juge avait la tâche délicate et fort difficile de déterminer la juste valeur marchande des biens donnés qui ont été acquis et revendus par M. Levert sur le marché des enchères et pour lesquels l'intimé n'a fourni aucune facture de vente au détail en galerie. Il l'a fait consciencieusement pour chacun des biens en se référant à la preuve qui lui a été soumise. Je ne vois aucune erreur dans son approche qui justifierait notre intervention. Admettre la méthode d'évaluation proposée par l'intimé équivaudrait à procéder dans l'abstrait et à faire fi de la preuve au dossier ainsi que de l'analyse que le juge en a faite. Je rejetterais l'appel incident.


Pour les raisons exprimées, je rejetterais, avec dépens, l'appel et l'appel incident.



     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.


"Je suis d'accord

     Robert Décary j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël j.c.a."

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