Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20050228

Dossier : A-137-04

Référence : 2005 CAF 77

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                                                          FRANÇOIS BOUCHER

                                                                                                                                                 Intimé

                                      Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 février 2005.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 février 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20050228

Dossier : A-137-04

Référence : 2005 CAF 77

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                                                          FRANÇOIS BOUCHER

                                                                                                                                                 Intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Saisi d'une demande de contrôle judiciaire, le juge de la Cour fédérale avait-il raison de casser la décision, rendue le 15 mai 2003, par le Commissaire du Service correctionnel du Canada (SCC) ? Par cette décision, le Commissaire haussait la cote de sécurité de l'intimé et ce dernier se voyait transféré du pénitencier à sécurité moyenne La Macaza au pénitencier à sécurité maximale Port Cartier.


[2]                En outre, cet appel met en cause le caractère théorique de l'exercice puisque la cote de sécurité de l'intimé a été, depuis la décision dont il est fait appel, révisée à la baisse. En conséquence, l'intimé est retourné dans un pénitencier à sécurité moyenne, soit celui de Cowansville. Je disposerai donc brièvement de cette question préliminaire.

L'appel est-il devenu théorique ou sans objet ?

[3]                Les deux parties en appel s'entendent pour dire que l'appel n'est pas devenu sans objet du fait que l'intimé a intenté, le 3 décembre 2004, des poursuites en dommages-intérêts contre le SCC suite à son placement en isolement préventif, à l'élévation de sa cote de sécurité et à son transfert à Port Cartier. Le mérite de ces poursuites dépend en partie de l'illégalité ou du caractère arbitraire de la décision prise par le SCC. Or, c'est précisément cette question qui fut tranchée en faveur de l'intimé par le juge de la Cour fédérale et qui fait maintenant l'objet du présent appel.

[4]                A l'audience, les membres de la formation ont indiqué aux parties que, dans les circonstances, l'appel servait une fin valable tant pour les parties que pour l'administration de la justice eu égard aux poursuites en dommages-intérêts. Ceci m'amène à considérer le mérite de l'appel, mais non sans au préalable avoir résumé les faits pertinents au litige.


Faits et procédure

[5]                L'intimé sert une sentence d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré avec possibilité de libération conditionnelle après 18 ans. Il fut aussi condamné à une peine d'emprisonnement de 14 ans pour un autre homicide. L'intimé a commencé à purger cette dernière peine en 1993. Les deux délits furent perpétrés en 1977.

[6]                L'intimé a, à ce jour, expié plus de 27 ans de sa sentence pour meurtre. Il est admissible à une libération conditionnelle depuis neuf ans. Il est âgé de 49 ans. Il fut transféré à l'établissement à sécurité moyenne La Macaza une première fois en 1995 pour, par la suite, être retourné en sécurité maximale à Port Cartier. De là, il fut à nouveau amené à La Macaza le 6 octobre 2000. Les faits suivants ont donné naissance à son placement en isolement préventif le 4 décembre 2002, à son transfèrement d'urgence au centre régional de réception le 10 décembre 2002, à l'augmentation de sa cote de sécurité et à l'avis de transfèrement à Port Cartier le 12 décembre 2002, à l'avis de transfèrement au centre régional de réception le 18 décembre 2002 et enfin à son transfert à Port Cartier le 27 du même mois.


[7]                Les autorités du SCC ont reçu une information en provenance de l'établissement Leclerc, d'une source de fiabilité inconnue, que l'intimé aurait comploté pour assassiner un employé de La Macaza au moment de sa libération, commettre un vol à main armée et s'enfuir en Afrique. Les informations reçues furent jugées suffisamment sérieuses pour que la Sûreté du Québec en soit saisie.

[8]                Évidemment, ces informations ont également déclenché une enquête par le personnel de la sécurité préventive au pénitencier La Macaza. La cellule de l'intimé fut fouillée de même que son ordinateur. À cet égard, l'intimé a collaboré en donnant aux enquêteurs le code d'accès à son ordinateur.

[9]                La fouille a révélé l'existence de lettres écrites à diverses personnes dont certaines sont reliées au milieu criminalisé. La correspondance rejoignait des personnes aux États-Unis, en Finlande, en Allemagne et en Afrique. Alors que la source d'informations indiquait que l'intimé possédait de faux papiers et avait fait des démarches pour se procurer une arme, la fouille n'a pas permis de confirmer ces deux allégations.


[10]            L'intimé fut confronté le 4 décembre 2002 avec ces informations par deux policiers de la Sûreté du Québec. Il n'est pas contesté que cette rencontre, dont il n'existe pas de compte rendu de son contenu, a duré au moins deux heures. Furent mis à profit pour l'évaluation globale de la situation, l'évaluation des progrès de l'intimé par rapport à son suivi de plan correctionnel, et les mesures à prendre, s'il en fallait, l'expérience et l'expertise du personnel de gestion des détenus, de l'équipe de gestion de cas, des agents de sécurité préventive, des psychologues et de l'agent de libération conditionnelle. La recommandation de hausser la cote de sécurité et de procéder à un transfèrement vers un établissement à sécurité maximale fut unanime : voir Dossier d'appel, pages 272 à 282, Évaluation en vue d'une décision. Ce rapport d'évaluation exprime une crainte d'évasion accentuée par la nature des informations obtenues et le fait qu'elles ont été révélées à l'intimé.

[11]            L'intimé a logé un grief à l'encontre de la décision de hausser sa cote de sécurité et de procéder à son transfèrement involontaire. La décision du troisième et dernier palier de révision des griefs fut rendue le 15 mai 2003 : le grief fut rejeté et les mesures correctrices demandées par l'intimé refusées. Cette dernière décision administrative fut contestée en Cour fédérale avec succès. Elle fut donc cassée au terme d'une décision rendue le 26 février 2004. C'est de cette décision de la Cour fédérale dont le Procureur général du Canada fait appel.

Les motifs d'appel invoqués par le Procureur général du Canada

[12]            Essentiellement, l'appelant reproche au juge de la Cour fédérale deux erreurs. Premièrement, le juge n'a pas identifié la nature des questions dont il était saisi et, en conséquence, il est impossible de savoir quelle norme de contrôle il a appliqué à l'analyse et à la détermination de ces questions. Deuxièmement, le juge a erré en se livrant à une analyse de l'opportunité de la décision et en substituant son opinion à celle des autorités carcérales alors que son rôle en matière de contrôle judiciaire se limitait à vérifier la légalité de la décision administrative rendue.


Le défaut d'identifier la nature des questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13]            Au paragraphe 17 de sa décision, le juge a fait état de l'expertise que possède le Commissaire en matière de règlement de griefs et de la nécessité d'une retenue considérable à l'égard des décisions qu'il prend sur des questions relatives à la gestion pénitentiaire. Il a ensuite endossé les conclusions suivantes prises par son collègue, le juge Lemieux, dans les affaires Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no. 495, au paragraphe 44, et Ennis c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no. 633, au paragraphe 19 :

Pour conclure sur ce point, je suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l'article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l'application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondé de la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant. La norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux pures questions de fait.

[14]            Cet extrait ne fait que reprendre l'énoncé des trois normes applicables en la matière. En l'espèce, je crois que la prétention de l'appelant est bien fondée et que le juge a omis de donner une qualification juridique (question de droit, question de fait ou question mixte de fait et de droit) aux deux questions qu'impliquait la décision du Commissaire. Il s'agit là d'une erreur de droit car cette omission produit, au plan juridique, le même effet qu'une décision erronée sur ces questions. Je reviendrai plus loin sur la conséquence juridique qui en découle.


[15]            La première question en litige devant le juge avait trait à la majoration de la cote de sécurité de laquelle découlait le transfèrement involontaire. Les articles 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, 29 octobre 1992 spécifient les facteurs à prendre en considération pour l'établissement d'une cote de sécurité et la gradation de cette cote :



            Cote de sécurité

17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

a) la gravité de l'infraction commise par le détenu;

b) toute accusation en instance contre lui;

c) son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s'ils sont disponibles;

e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

f) sa propension à la violence;

g) son implication continue dans des activités criminelles.

18. Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

       Security Classification

17. The Service shall take the following factors into consideration in determining the security classification to be assigned to an inmate pursuant to section 30 of the Act:

(a) the seriousness of the offence committed by the inmate;

(b) any outstanding charges against the inmate;

(c) the inmate's performance and behaviour while under sentence;

(d) the inmate's social, criminal and, where available, young-offender history;

(e) any physical or mental illness or disorder suffered by the inmate;

(f) the inmate's potential for violent behaviour; and

(g) the inmate's continued involvement in criminal activities.

18. For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.


[16]            Le paragraphe 18a) du Règlement relatif à la cote de sécurité maximale réfère au risque élevé d'évasion, à la menace pour la sécurité du public et à la nécessité d'un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier. Il s'agit essentiellement de questions de fait à être déterminées par les autorités carcérales. Leur détermination, comme on a pu le voir dans le présent dossier, fait appel à l'expérience et à l'expertise de professionnels en matière de sécurité et d'évaluation du comportement. En révision judiciaire, la norme de contrôle applicable à la détermination faite de ces questions de fait est celle du manifestement déraisonnable, c'est-à-dire, selon les propos du juge Iacobucci dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, que la décision doit être « clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison » . Il s'agit d'une décision « à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » : ibidem.

[17]            Le deuxième problème auquel faisait face le juge avait trait à la communication de renseignements au détenu qui fait l'objet d'un transfèrement involontaire. Plus souvent qu'autrement, la décision portant sur la communication des informations recueillies implique une analyse des dispositions législatives autorisant et requérant la divulgation des éléments pertinents ainsi que l'application de ces dispositions aux faits de l'espèce. Il s'agit d'une question mixte de faits et de droit. De cela, les parties en conviennent, de sorte qu'il n'y a pas de désaccord quant à la norme de contrôle applicable: la décision doit être simplement déraisonnable.

[18]            Au soutien de ses prétentions et en illustration de cette norme, le procureur de l'appelant a invoqué l'arrêt de la Cour fédérale dans l'affaire Ross c. Établissement de Bowden, [2003] A.C.F. no. 470 où la Cour cite avec approbation, au paragraphe 10, l'extrait suivant du juge Addy dans Cline c. Reynett, T-894-81, 18 mars 1981, C.F. 1ère instance :

Un détenu n'a pas le « droit » d'être incarcéré dans une prison plutôt que dans une autre et la décision de le transférer d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale ou vice versa est fondamentalement et essentiellement une décision administrative dans laquelle les tribunaux ne doivent pas s'immiscer sauf preuve non équivoque et manifeste que la décision fut prise arbitrairement, de mauvaise foi ou d'une manière capricieuse, qu'elle est fort injuste et cause un préjudice sérieux au détenu.

                                                                                                                                          (je souligne)


[19]            Avec respect, je crois qu'il faut se distancier de cet extrait. La décision date de 1981. Depuis, la Charte canadienne des droits et libertés a consacré le droit d'un détenu à une plus grande équité procédurale en matière de transfèrement involontaire. Ce dernier a droit à suffisamment d'informations pour pouvoir participer d'une manière significative à la procédure de transfèrement et s'y opposer.

[20]            En outre, et il s'agit là à mon humble avis d'une considération primordiale, la norme de contrôle des décisions administratives a évolué et s'est centrée autour d'une analyse pragmatique et fonctionnelle. L'extrait cité recèle un cumul et une confusion d'éléments que ne requiert pas la norme de raisonnabilité simpliciter. Ainsi, par exemple, pour qu'une décision soit simplement déraisonnable, il n'est pas nécessaire que la décision soit prise arbitrairement ou de mauvaise foi. La norme n'exige pas que la décision soit fort injuste ou qu'il en résulte un préjudice sérieux. Bref, il vaut mieux s'en tenir, comme je vais le faire, à la norme maintenant usuelle et usitée.

La norme applicable en appel d'une décision rendue en matière de contrôle judiciaire


[21]            L'arrêt Davies c. Attorney General of Canada et al., 2005 FCA 41, rendu le 28 janvier 2005 par le juge en chef Richard, de notre Cour, rappelle qu'en matière d'appel d'une décision d'un juge siégeant en révision judiciaire, les principes dégagés dans l'affaire Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 s'appliquent : la norme de la décision correcte sert d'étalon de mesure aux décisions impliquant des questions de droit alors que les décisions portant sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit doivent être évaluées en fonction de l'existence ou non d'une erreur manifeste et dominante. Toutefois, la norme de la décision correcte s'applique lorsque, dans le cadre de l'analyse d'une question mixte de fait et de droit, il est possible d'en extirper la question de droit pour la traiter isolément et de conclure qu'une erreur de droit a été commise : voir Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] 4 CF 865 (C.A.F.); Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., [2003] 1 CF 49 (C.A.F.).

[22]            Au paragraphe 8 de cette décision, le juge en chef précise que le choix de la bonne norme de contrôle est une question de droit. En conséquence, notre Cour d'appel doit déterminer si le juge dont la décision est frappée d'appel a choisi et appliqué la bonne norme. En cas de réponse négative, la Cour d'appel doit corriger l'erreur, substituer à la norme erronée celle qui est appropriée et l'appliquer aux faits de l'instance.

[23]            Je crois que la même conséquence juridique s'ensuit et la même démarche s'applique lorsque le juge saisi d'un contrôle judiciaire a omis d'identifier la norme qui a servi à la révision de la décision administrative, sauf, évidemment, si l'analyse de la décision permet de combler le silence de son auteur et d'être satisfait que la bonne norme a été appliquée. Malheureusement, ce n'est pas le cas en l'espèce. En conséquence, il y a lieu de réviser les deux questions qui étaient en litige devant le juge à partir des normes de contrôle qui leur sont applicables.


Application aux questions en litige de la norme de contrôle retenue

a)         la majoration de la cote de sécurité de l'appelant et son transfèrement involontaire

[24]            Les allégations faites contre l'appelant étaient graves et furent prises aux sérieux par les autorités carcérales. Tel que déjà mentionné, tout l'appareil s'est mis en branle pour en apprécier le fondement et le mérite ainsi que pour évaluer les risques d'évasion et de matérialisation des allégations. Le rapport approfondi d'évaluation globale que l'on retrouve au dossier d'appel, pages 96 à 107, conclut à des facteurs de risques élevés d'évasion ainsi que des facteurs de risques élevés pour la sécurité du public. Aux pages 104, 105 et 106, les signataires du rapport écrivent :

L'ajout des dernières informations vient appuyer l'évaluation du risque pour la sécurité du public faite antérieurement et est en lien avec les éléments associés au cycle d'offense. La nature même de la criminalité du sujet nous oblige à considérer ce risque plus que jamais élevé.

Le détenu a des antécédents criminels violents et n'a accompli aucun progrès ou que des progrès insuffisants en vue d'éliminer les facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent.

[...]

Les nouvelles informations représentent une aggravation de la situation du délinquant. Boucher a misé longtemps sur son conformiste apparent pour obtenir un élargissement progressif. Il s'est par contre refusé tout travail introspectif qui aurait pu avoir une incidence sur ses facteurs de risque. Ne pouvant rien offrir d'autre que ce qu'il conçoit comme suffisant, nous le voyons maintenant recourir à des moyens criminels pour arriver à ses fins. Or les nouvelles informations de complot de meurtre contre un employé de La Macaza et les projets de liberté illégale ne peuvent être pris à la légère. Le délinquant manifeste depuis plusieurs années un sentiment d'injuste profond à l'égard du SCC et des intervenants responsables de la gestion de sa sentence. Ce sentiment ne va qu'en s'accroissant au fil des années. Les interventions n'ont permis aucune ouverture sur sa dynamique criminelle. Et les écrits de Boucher saisis dans sa cellule témoignent malheureusement d'une très forte adhérence aux valeurs criminelles, d'une volonté profonde de préserver sa personnalité et d'une haine manifeste pour les intervenants qui sont perçus comme une entrave à sa liberté. Les contacts qu'il entretient avec des individus associés au milieu criminalisé pourrait lui fournir des moyens pour mener à terme des projets tels que ceux soupçonnés. Compte tenu de tous ces éléments, nous devons conclure à un risque de récidive et de dangerosité élevé en ce moment. Nous incluons également dans ce risque des possibilités d'évasion à partir d'un établissement médium.


[25]            Comme le révèle ce rapport à la page 98, les autorités carcérales ont exprimé de vives inquiétudes face à la réaction négative et imprégnée de violence que l'appelant eut après avoir été confronté avec les allégations qui pouvaient entraîner son retour dans un pénitencier à sécurité maximale.

[26]            Enfin, je reproduis un extrait de l'évaluation psychologique que l'on retrouve à la page 104 de ce rapport :

Participation aux programmes :

Le sujet a participé à un suivi psychologique. Cependant, les résultats ne se sont pas avérés concluants. En effet, le sujet a obtenu des progrès superficiels, de l'avis du psychologue. Les nouveaux éléments semblent indiquer que le sujet est toujours dans ses patterns puisqu'il utilise toujours des moyens illicites pour parvenir à ses fins. Le but présent étant d'être libre et de ne pas avoir peur de représailles des policiers.

Maladie ou trouble mental :

Selon la dernière évaluation psychologique, le sujet aurait un trouble de personnalité mixte, soit des traits antisociaux et des traits narcissiques. Cependant, aucune maladie ou trouble mental n'a été diagnostiqué.

[27]            Avec respect, compte tenu de cette preuve, je ne peux conclure que la décision du SCC d'élever la cote de sécurité de l'appelant était manifestement déraisonnable.

b)         la communication de renseignements à l'appelant lors de son transfèrement involontaire


[28]            Il s'agit, en rapport avec cette question, de déterminer si le SCC a communiqué à l'appelant suffisamment d'informations pour lui permettre de participer d'une manière significative au processus devant décider de l'opportunité d'opérer son transfèrement et de s'y opposer. À cet égard, je crois qu'il est opportun de rappeler les distinctions faites par le juge Marceau dans l'affaire Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.F.), reprises récemment par notre collègue, le juge Pelletier, dans Blass c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 220, [2002] A.C.F. no. 810.

[29]            Dans l'affaire Gallant, le juge Marceau écrit aux pages 342 et 343 :

Il me semble que pour apprécier les conséquences pratiques du principe audi alteram partem il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur les détenus en milieu carcéral, qu'elles soient rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de révocation de libération conditionnelle ou par les comités de discipline à la suite d'infractions pénales pouvant entraîner différentes peines, jusqu'à la ségrégation, ou par les autorités carcérales approuvant, comme en l'espèce, le transfèrement des détenus d'un établissement à un autre pour des motifs d'ordre administratif et de sécurité. Ces décisions sont non seulement différentes en ce qui a trait aux droits, privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut entraîner différentes normes en matière de garanties procédurales, mais également, et c'est encore plus important, quant à leurs objectifs et à leur raison d'être, ce qui ne peut qu'influer sur le genre de renseignements que le détenu doit connaître afin que sa participation au processus décisionnel ait une portée réelle. Dans le cas d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, les règles d'équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l'infraction. Il n'en est pas de même dans le cas d'une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l'établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n'y a pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. En effet, dans le premier cas, ce qu'il faut vérifier est la commission même de l'infraction et la personne visée devrait avoir la possibilité d'établir son innocence; dans le second cas, c'est uniquement le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée, et la participation de la personne visée doit être rendue pleinement significative pour cela, mais rien de plus. En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de savoir si les renseignements reçus des six sources différentes représentaient des préoccupations assez importantes pour justifier son transfèrement.


[30]            Tel qu'il appert de cette décision, il s'agit de déterminer si l'appelant a reçu une information qui lui permet une participation pleinement significative au processus décisionnel relatif au transfèrement. L'article 27 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, L.C. 1992, ch. 20 crée l'obligation de communication des renseignements :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l'organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d'un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s'il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d'une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue dune enquête licite.

Que s'est-il passé dans les faits et quelles sont les informations qui furent communiquées à l'appelant?


[31]            Même si nous n'avons pas le contenu exact de la discussion de deux heures que les policiers de la Sûreté du Québec ont eue avec l'appelant, il n'est pas mis en doute qu'il fut mis au courant des allégations faites à son égard, soit l'intention de commettre un meurtre sur un employé de La Macaza, la réalisation de cette intention avec l'aide de complices, les circonstances de temps où l'acte serait commis, i.e. à l'occasion d'un relâchement des conditions de détention, l'intention de commettre un vol qualifié et de s'enfuir par la suite en Afrique. Il fut également informé des résultats de la fouille de sa cellule et de la découverte de son carnet d'adresses. De même, les autorités lui indiquèrent la découverte des lettres sur son ordinateur témoignant, selon elles, de son adhérence à des valeurs criminelles et adressées à des personnes du milieu criminel.

[32]            En outre, l'appelant a reçu :

a)         le rapport du 4 décembre 2002 relatif à son placement en isolement préventif, lequel réfère aux allégations contre l'appelant et à la rencontre de deux heures avec la Sûreté du Québec;

b)         le rapport approfondi et détaillé d'évaluation globale en vue d'une décision, daté du 12 décembre 2002, auquel j'ai fait référence plus tôt dans les présents motifs;

c)         l'avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité, daté du 12 décembre 2002 qui réitère les mêmes informations;

d)         le suivi de son plan correctionnel en vue d'une décision, daté du 17 décembre 2002 qui traite, entre autres, de l'incident du 4 décembre, de la rencontre avec la Sûreté du Québec et des faits allégués contre lui;

e)         l'avis de décision d'un transfèrement non sollicité du 18 décembre 2002 qui reprend encore une fois l'historique des faits et des rencontres; et


f)          l'avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité en date du 18 décembre 2002.

[33]            Il est vrai que les rapports du 11 et du 18 décembre 2002 sur les renseignements de sécurité, qui ont été édités pour des raisons de sécurité, n'ont été transmis à l'appelant qu'en août 2003. Mais pour l'essentiel, ces rapports recoupent au plan de l'information celle qui fut communiquée à l'appelant. La question n'est pas de savoir si l'appelant devait recevoir tous les rapports existants, mais bien s'il a reçu tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la prise de la décision administrative d'un transfèrement afin de lui permettre de faire des observations. Avec respect, je crois que cette obligation a été qualitativement et quantitativement satisfaite, et au plan factuel et au plan légal.

[34]            Il m'apparaît à la lecture de la décision du juge qu'il s'est livré à une analyse au mérite des décisions du SCC quant à la communication des renseignements et quant à la majoration de la cote de sécurité pour ensuite leur substituer la sienne. Son rôle consistait à vérifier la légalité de ces décisions, c'est-à-dire à vérifier leur conformité avec les prescriptions de la Loi, et non à contrôler l'opportunité de ces décisions.

[35]            Enfin, je crois que le juge s'est mépris lorsqu'il a conclu que la majoration de la cote de sécurité et le transfèrement involontaire résultaient d'incidents survenus plus de vingt ans auparavant. Aux paragraphes 24 et 25 de sa décision, il écrit :


On ne doit pas déroger aux résultats obtenus à l'échelle de réévaluation de la cote de sécurité, à moins que l'agent estime qu'il y a lieu de le faire. Une justification détaillée doit être consignée dans l'évaluation en vue d'une décision, conformément à l'article 18 du Règlement, en s'assurant que l'analyse tient compte des catégories suivantes : adaptation à l'établissement, risque d'évasion et risque pour la sécurité du public.

Or, dans le présent cas, les autorités carcérales n'ont pas respecté cette instruction permanente. Pour augmenter la cote de sécurité, elles font référence à des incidents de violence survenus en 1981, 1983 et 1984, qui remontent à plus de vingt ans. Le demandeur n'a jamais été accusé d'incidents violents ni d'infractions disciplinaires majeures depuis. Avant les faits récents de 2002, il s'est toujours mérité une cote faible ou médium pour l'adaptation à l'établissement, le risque d'évasion et le risque pour la sécurité du public. Plus encore, les autorités ont dû déroger à la réévaluation pour que le demandeur puisse être catégorisé comme un risque élevé et être transféré à un établissement à sécurité maximum. Il est déraisonnable de prendre des incidents survenus plus de vingt ans auparavant pour justifier une augmentation de la cote de sécurité et, de surcroît, déroger à l'échelle de réévaluation pour faire aboutir le demandeur à une institution à sécurité maximum.

                                                                                                                                          (je souligne)

[36]            Avec respect, la décision de réévaluer la cote de sécurité et de la modifier à la hausse fut dictée par les allégations en décembre 2002 de complot, de meurtre projeté d'un membre du personnel et d'évasion ou de liberté illégale. Il n'était pas déraisonnable dans les circonstances de procéder à une réévaluation.

[37]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision du juge de la Cour fédérale. Procédant à rendre la décision qu'il aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord

J. Richard j.c. »

« Je suis d'accord

M. Nadon j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                        A-137-04

Appel d'une décision de l'Honorable juge Harrington datée du 26 février 2004 dans le dossier T-914-03.

INTITULÉ :                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

FRANÇOIS BOUCHER          

LIEU DE L'AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 8 février 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                     le 28 février 2005

COMPARUTIONS :

Me Sébastien Gagné

POUR L'APPELANT

Me Diane Magas

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Sims, Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANT

Magas Law Office

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉ


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