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Date : 20050519

Dossier : A-339-04

Référence : 2005 CAF 185

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                      DIANE BAKER, BRONWEN LAPOINTE, MICHAEL STONE ET

TOWN PROPERTIES LTD.

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                          Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 12 mai 2005

                                        Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 19 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20050519

Dossier : A-339-04

Référence : 2005 CAF 185

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                      DIANE BAKER, BRONWEN LAPOINTE, MICHAEL STONE ET

TOWN PROPERTIES LTD.

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Le présent appel est formé contre quatre décisions par lesquelles le juge O'Connor de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté l'appel de Town Properties Ltd. pour le motif que celle-ci n'avait pas droit à la déduction accordée aux petites entreprises en application du paragraphe 125(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) et l'appel des appelants, personnes physiques, pour le motif que ceux-ci n'avaient pas droit à la déduction pour gains en capital majorée, prévue à l'article 110.6 de la même loi.


Contexte

[2]                Le litige porte en l'espèce sur la question de savoir si les activités de Town Properties Ltd. (Town Properties) relèvent de la définition d' « entreprise de placement déterminée » . Ce dernier concept est défini au paragraphe 248(1) par référence au sens que lui donne le paragraphe 125(7) comme suit :

"entreprise de placement déterminée" Entreprise [...] dont le but principal est de tirer un revenu de biens, notamment [...] des loyers [...]. Toutefois, [...] l'entreprise [...] n'est pas une entreprise de placement déterminée si, selon le cas:

a) la société emploie dans l'entreprise plus de cinq employés à plein temps tout au long de l'année;

"specified investment business" carried on by a corporation in a taxation year means a business ... the principal purpose of which is to derive income (including ... rents ...) from property but ... does not include a business carried on by the corporation in the year where

(a) the corporation employs in the business throughout the year more than 5 full-time employees, ...

[3]                Si Town Properties n'avait pas au moins cinq employés à plein temps, elle est alors une « entreprise de placement déterminée » au sens de la définition ci-dessus, et non une « entreprise activement exploitée » . Par suite, elle n'est pas une « petite entreprise » et ses actions ne sont pas des « actions admissibles de petite entreprise » au sens du paragraphe 110.6(1) de la loi. Ainsi donc, Town Properties n'était pas une « entreprise activement exploitée » et les appelants, personnes physiques, qui en étaient les actionnaires à l'époque considérée n'avaient pas droit à la déduction pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1), à l'aliénation de leurs actions.


[4]                L'appel devant la Cour canadienne de l'impôt reposait sur un exposé conjoint des faits, dont il suffit, pour notre propos, de donner un bref sommaire.

[5]                Town Properties est une société qui tire son revenu locatif d'un immeuble à bureaux située en la ville de Victoria (Colombie-Britannique). Pendant toute la période considérée, elle employait au moins six personnes à titre de concierges pour assurer les services de nettoyage pour les locataires. Ces personnes travaillaient de 18 h à 22 h du lundi au vendredi, pour un total de 20 heures par semaine.

[6]                Les appelants présumaient que ces concierges avaient qualité d'employés à plein temps de Town Properties. C'est sur cette base que celle-ci revendiquait la déduction accordée aux petites entreprises et les actionnaires, la déduction spéciale pour gains en capital pour les petites entreprises admissibles en application de l'article 110.6 de la Loi.

[7]                Le ministre du Revenu a, par voie de nouvelles cotisations, rejeté ces prétentions.

[8]                À l'issue de l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, le juge de première instance a conclu que les employés de Town Properties travaillaient au total 20 heures par semaine, ce qui ne valait pas emploi à plein temps au regard du paragraphe 125(7) de la Loi. C'est ce jugement qui est frappé d'appel.


Analyse et décision

[9]                Les appelants invoquent le critère de l'emploi à plein temps qu'a proposé la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Ben Raedarc Holdings Limited c. Canada, 98 D.T.C. 1218 : il a été jugé qu'un travail occupant moins d'heures que la norme peut être considéré comme travail à plein temps si le nombre d'heures en question est conforme à la norme dans le secteur d'activité et au lieu où ce travail est accompli. Invoquant ce précédent, les appelants soutiennent essentiellement qu'une semaine de 20 heures de travail est la norme dans le secteur des services de nettoyage à Victoria (Colombie-Britannique). En conséquence, une semaine de 20 heures devrait être acceptée comme constituant un emploi « à plein temps » au sens de la définition d' « entreprise de placement déterminée » .

[10]            À mon avis, le critère proposé dans la décision Ben Raedarc est trop restrictif et trop subjectif au regard de la grande variété de circonstances auxquelles doit s'appliquer la définition d' « entreprise de placement déterminée » . Il faut préférer la définition dégagée dans la décision R. c. Hughes & Co. Holdings Ltd., 94 DTC 6511 (C.F.P.I.), laquelle a été suivie dans Woessner c. Canada, 99 D.T.C. 6511 (CCI) (postérieure à Ben Raedarc).

[11]            La condition du minimum de cinq employés à plein temps, que pose la définition d' « entreprise de placement déterminée » , doit être analysée à la lumière de l'objet et du but de cette dernière. Cet objectif a été relevé en ces termes par le juge Bowman dans Lerric Investments Corp. c. Canada, aux paragraphes 23 et 24 :


[...] Quel est donc l'objet de la loi? Il semble que le concept d'entreprise de placement désignée ait été une réaction à certaines décisions des tribunaux assimilant à une entreprise exploitée activement presque toute entreprise commerciale d'une société, si peu activement qu'elle ait été exploitée et même lorsqu'elle était exploitée à contrat par des entrepreneurs indépendants, qui n'étaient pas des employés (voir, par exemple : The Queen v. Cadboro Bay Holdings Ltd.,77 DTC 5115 (C.F., 1re inst.); The Queen v. Rockmore Investments Ltd., 76 DTC 6157; E.S.G. Holdings Limited v. The Queen, 76 DTC 6158; The Queen v. M.R.T. Investments Ltd., 76 DTC 6158). v. The Queen, 76 DTC 6158; The Queen v. M.R.T. Investments Ltd., 76 DTC 6158).

Il en est résulté l'introduction du concept d'entreprise de placement désignée, dont le but était d'établir qu' « activement » signifiait vraiment activement et qu'il importait que les tribunaux tiennent bien compte de ce terme de la Loi. Cette nouvelle disposition législative avait donc pour objet de veiller à ce que l'entreprise d'une société investissant dans des biens locatifs ne soit pas considérée comme exploitée « activement » sans que l'activité de cette entreprise justifie l'emploi de plus de cinq employés à plein temps.

[12]            Saisi de l'appel interjeté de la décision ci-dessus, le juge Rothstein, prononçant le jugement de la Cour d'appel, a approuvé cette conclusion (2001 D.T.C. 5169) en ajoutant l'observation suivante (paragraphe 9) :

L'article 125 établit une distinction entre les entreprises actives et les entreprises inactives. Seules les premières sont admissibles à la déduction accordée aux petites entreprises. Normalement, une entreprise dont les revenus proviennent principalement de biens est considérée comme une entreprise inactive et n'est donc pas admissible à la déduction. Le sous-alinéa 125(7)e)(i) prévoit une exception à cette règle et permet àune société qui tire un revenu de biens de se prévaloir de la déduction accordée aux petites entreprises si cette société est suffisamment active. Son nombre d'employés est un des indices qui permet de mesurer son degré d'activité. Ainsi que le juge Bowman l'a expliqué, l'obligation pour la société d'employer plus de cinq employés à plein temps sert simplement de critère visant à s'assurer qu'une société est suffisamment active pour avoir droit à la déduction.


[13]            Définir « emploi à plein temps » en fonction du nombre normal d'heures travaillées dans le secteur d'activité et au lieu où s'accomplit ce travail, tel que le propose la décision Ben Raedarc, précitée, va à l'encontre de l'esprit de la loi qui vise à poser pour condition un certain niveau minimum d'exploitation pour l'admissibilité à la déduction accordée aux petites entreprises. L'adoption de pareil critère reviendrait à instaurer des critères différents d' « emploi à plein temps » d'un secteur d'activité à l'autre et d'une région à l'autre. L'article 125 s'appliquerait alors de façon variable et subjective, en violation du principe posant que les contribuables se trouvant dans les mêmes circonstances doivent être imposés de la même façon.

[14]            Je partage la conclusion tirée par le juge Muldoon dans la décision Hughes and Co., précitée, en page 6517, que le concept d'emploi « à plein temps » dans la définition d' « entreprise de placement déterminée » s'emploie par opposition à emploi « à temps partiel » . Cette distinction se rapporte à la considération générale que le législateur avait à l'esprit lorsqu'il posait pour condition un minimum de cinq employés à plein temps tout au long de l'année. Cette condition n'est remplie que si l'emploi est à plein temps, par opposition à l'emploi à temps partiel.

[15]            Les employés de Town Properties travaillaient certes cinq jours par semaine et, à ce titre, avaient un emploi régulier, mais ils ne travaillaient pas le nombre normal d'heures par jour, semaine ou mois. En fait, leur travail de quatre heures par jour leur permettait d'occuper de façon relativement facile plus d'un emploi.


[16]            L'avocat des appelants soutient qu'il est difficile de fixer un nombre précis pour les heures normales de travail de chaque jour. À son avis, une fourchette d'heures identifie mieux le nombre d'heures qui correspondent à ce concept. Il se peut qu'une fourchette étroite soit appropriée. Cependant, il n'est pas nécessaire d'élaborer sur ce point puisque, de toute façon, quatre heures de travail par jour se situe en-deça du nombre normal d'heures de travail quotidiennes.

[17]            Je me prononce pour le rejet des appels avec dépens.

                         « Marc Noël »                             

    Juge

« Je souscris aux présents motifs.

M. Nadon, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Appel d'un jugement en date du 28 mai 2004 de la Cour canadienne de l'impôt, dossier :

2002-114(IT)G, entendu sur preuve commune avec les appels de Diane Baker, 2001-4371 (IT)G, Bronwen Lapointe, 2001-4372(IT)G, et Michael Stone, 2001-4373(IT)G

DOSSIER :                                       A-339-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :             DIANE BAKER, BRONWEN LAPOINTE, MICHAEL STONE ET TOWN PROPERTIES LTD. - ET - SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :              12 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :                       LE JUGE NÖEL

Y ONT SOUSCRIT :                        LE JUGE NADON

          LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                       19 mai 2005

COMPARUTIONS :

J. André Rachert                                                                       POUR LES APPELANTS

Eric Douglas                                                                             POUR L'INTIMÉE

Shawna Cruz

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dwyer Tax Lawyers                                                                  POUR LES APPELANTS

Victoria (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


Date : 20050519

Dossier : A-339-04

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

DIANE BAKER, BRONWEN LAPOINTE, MICHAEL STONE ET

TOWN PROPERTIES LTD.

                                                                                            appelants

                                                     et

                                SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                intimée

                                           JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                 « Marc Noël »                     

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


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