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Date : 20040917

Dossier : A-64-03

Référence : 2004 CAF 299

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                             VIDÉOTRON LTÉE

                                                                             et

                                                       QUEBECOR MÉDIA INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                            NETSTAR COMMUNICATIONS INC.

                                            LE RÉSEAU DES SPORTS (RDS) INC.

                                                                             et

                                                      BELL GLOBEMEDIA INC.

                                                                                                                                              intimées

                                                                             et

                                          CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET

                                  DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

                                                                                                                                         intervenant

                                     Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 mai 2004.

                                 Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040917

Dossier : A-64-03

Référence : 2004 CAF 299

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                             VIDÉOTRON LTÉE

                                                                             et

                                                       QUEBECOR MÉDIA INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                              NETSTAR COMUNICATIONS INC.

                                            LE RÉSEAU DES SPORTS (RDS) INC.

                                                                             et

                                                      BELL GLOBEMEDIA INC.

                                                                                                                                              intimées

                                                                             et

                                          CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET

                                  DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

                                                                                                                                         intervenant


                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]                Lorsqu'on l'inscrivit au rôle, cet appel soulevait deux questions principales : la compétence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) d'intervenir dans un différend contractuel entre deux titulaires de permis et l'effet d'un règlement intervenu entre les parties, sous réserve du droit de l'appelante de contester la validité de l'ordonnance rendue par le CRTC. Mais, à la suite du dépôt d'une nouvelle preuve au dossier, le débat porta sur l'effet de cette nouvelle preuve qui, semble-t-il, démontre que l'ordonnance en question est le fruit d'une preuve trompeuse, sinon fausse. Pour les motifs qui suivent, le dossier doit être remis au CRTC pour lui permettre de trancher la question à la lumière de cette nouvelle preuve.

LES PARTIES


[2]                L'appelante Vidéotron Ltée (Vidéotron) est une filiale à part entière du Groupe Vidéotron Ltée, qui, pour sa part, est entièrement contrôlée par Québecor Media Inc. Le Réseau des Sports Inc. (RDS) est une filiale à part entière de Netstar Communications Inc. (Netstar), société dont 80% des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement par Bell Globemedia Inc.           Bell Globemedia Inc. est contrôlée par BCE Inc. qui contrôle également Bell ExpressVu Inc. (ExpressVu). Tous sont d'accord que, pour les fins de ce litige, Netstar et RDS sont assimilées l'une à l'autre.

[3]                Vidéotron et RDS sont liées par un contrat d'affiliation qui comporte une clause dite de "la nation la plus favorisée". L'objet de cette clause est d'assurer à Vidéotron le droit d'être traitée par RDS selon des termes aussi avantageux que ceux que RDS accorde à une tierce partie. RDS s'est également liée par contrat d'affiliation avec ExpressVu, une société à laquelle elle est associée du fait qu'elles sont toutes les deux contrôlées par BCE Inc. ExpressVu et Vidéotron se livrent une concurrence acharnée sur le marché francophone au Québec. Quoiqu'elles soient toutes les deux des entreprises de radiodiffusion, ExpressVu emploie la technologie de distribution par satellite tandis que Vidéotron exploite le plus grand réseau de câblodistribution au Québec.

LE DIFFÉREND ENTRE VIDÉOTRON ET RDS

[4]                Vidéotron reproche à RDS de tolérer la pratique d'ExpressVu d'offrir de multiples terminaux à ses abonnés pour un seul abonnement, ce qui a pour effet de réduire les montants redevables à RDS puisque ceux-ci sont calculés selon le nombre d'abonnements. Vidéotron prétend que ceci confère un avantage à ExpressVu que RDS ne lui offre pas. Invoquant la clause de "la nation la plus favorisée", Vidéotron réduit de façon unilatérale les redevances versées à RDS de 62%.    En conséquence, RDS subit une perte de revenus qui se chiffre à plus de 16 millions de dollars.


[5]                RDS n'accepte aucunement les prétentions de Vidéotron et dépose une plainte devant le CRTC, alléguant que Vidéotron a contrevenu à l'article 9 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555, en s'accordant une préférence indue et, du fait même, imposant à RDS un désavantage indu. En revanche, Vidéotron dépose sa propre plainte alléguant que RDS a contrevenu à l'article 10.1 du Règlement de 1990 sur les services spécialisés, D.O.R.S./90-106, en accordant une préférence indue à ExpressVu, ce qui a pour effet d'assujettir Vidéotron à un désavantage concurrentiel indu. Quoiqu'il s'agisse de deux règlements distincts, les textes de loi sont identiques :


Il est interdit au titulaire d'accorder à quiconque, y compris lui-même, une préférence indue ou d'assujettir quiconque à un désavantage indu.

No licensee shall give an undue preference to any person, including itself, or subject any person to an undue disadvantage.


[6]                En ce qui a trait à sa plainte, RDS affirme qu'il ne s'agit pas simplement d'un simple différend contractuel et commercial entre deux entreprises. Elle prétend que le CRTC a compétence pour intervenir parce que la réduction des redevances imposée par Vidéotron a un impact qui touche l'intérêt public. Vidéotron, pour sa part, rappelle au CRTC qu'il est du ressort des tribunaux civils de trancher les différends contractuels et qu'il ne s'agit dans l'instance que de l'application de la clause de "la nation la plus favorisée".


LES DÉCISIONS DU CRTC

[7]                Le CRTC rend une décision disposant de chaque plainte. La décision CRTC 2002-254 traite de la plainte déposée par Vidéotron. Le CRTC constate qu'il incombe au plaignant de soumettre suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu'une préférence a été accordée ou qu'un désavantage a été imposé. Une fois cette étape franchie, le plaignant doit toujours démontrer que la préférence ou le désavantage est indu. Dans l'instance, le CRTC considérait que Vidéotron devait, dans un premier temps, faire la preuve qu'il y avait eu une réduction des revenus de RDS au profit d'ExpressVu et cela avec l'approbation de RDS. Dans un deuxième temps, Vidéotron devait démontrer les conséquences sérieuses de la préférence accordée à ExpressVu, soit pour Vidéotron elle-même ou pour le système de radiodiffusion canadien.

[8]                Le CRTC en est venu à la conclusion que Vidéotron n'avait pas fait la preuve d'une réduction des revenus de RDS au profit d'ExpressVu. En premier lieu, le CRTC a pris acte d'un certificat déposé par le Président de Netstar/RDS, M. Rick Brace, selon lequel Netstar/RDS n'avait conclu aucune entente d'affiliation avec un tiers plus avantageuse que celle qu'elle avait conclue avec Vidéotron. Plus précisément, le certificat fait preuve du fait que "Netstar has not entered into an agreement with any third party in which such third party pays a fee for the NetStar services ... which is less than the fee paid by Vidéotron." (Onglet 7 du Volume 2 du Dossier d'appel).


[9]                En plus, le CRTC a conclu que RDS n'avait pas toléré la pratique d'ExpressVu d'offrir de multiples terminaux pour un seul abonnement et que sa compagnie mère Netstar avait poursuivi en temps utile des discussions avec ExpressVu pour clarifier la situation. Il existait cependant une possibilité que RDS et ExpressVu n'agissent pas indépendamment l'une de l'autre. Pour ce motif, le CRTC examina donc les liens corporatifs existant entre les deux et en vint à la conclusion qu'elles avaient des structures de gestion indépendantes, et des actionnaires minoritaires dont les intérêts économiques divergeaient. Somme toute, le CRTC a décidé que Vidéotron n'avait pas fait la démonstration que RDS avait accordé une préférence à ExpressVu et, qu'en conséquence, il n'y avait pas lieu d'aborder le deuxième volet de l'analyse, à savoir si cette préférence était indue.

[10]            Dans la décision CRTC 2002-255, le CRTC accueillit la plainte de RDS selon laquelle Vidéotron s'est accordé une préférence indue en réduisant de façon unilatérale et injustifiée les redevances dues à RDS. Le CRTC estima qu'il avait compétence pour intervenir dans ce différend découlant d'un contrat d'affiliation entre titulaires parce que l'intérêt public était engagé à cause de la position dominante de Vidéotron dans le marché de langue française au Québec et de l'impact de la réduction des redevances sur les objectifs du système de radiodiffusion.


[11]            Le CRTC estima que Vidéotron n'était pas justifiée d'invoquer la clause de "la nation la plus favorisée" et de réduire de façon unilatérale les montants dus à RDS puisque Vidéotron admettait dans ses représentations écrites ne pas connaître l'ampleur du supposé avantage et qu'elle n'avait aucun critère précis justifiant les réductions qu'elle imposa aux redevances payables à RDS. En réduisant unilatéralement les redevances dues à RDS, Vidéotron s'était donc conféré une préférence et, par le fait même, avait imposé un désavantage à RDS.

[12]            Pour décider du caractère indu de la préférence, le CRTC se pencha sur la question de l'intérêt public dans le système de radiodiffusion canadien. Le CRTC constata que la réduction des redevances risquait de compromettre la capacité de RDS de fournir un service de programmation et pourrait même remettre en question la viabilité de RDS. En plus, la réduction des revenus imposée par Vidéotron rendait plus difficile, sinon impossible, le respect de certaines conditions de licence imposées à RDS par le CRTC. Finalement, le CRTC estima que Vidéotron avait agi de façon abusive en imposant unilatéralement des réductions sans avoir épuisé les moyens raisonnables à sa portée pour régler ce différend. Pour tous ces motifs, le CRTC a statué que la préférence que Vidéotron s'était accordée était une préférence indue et, de ce fait, avait contrevenu au Règlement.

[13]            Le CRTC accorda le recours suivant à RDS :


Le Conseil requiert que Vidéotron paye la totalité des redevances dues à Netstar/RDS depuis la date des premières réductions unilatérales. De plus, dans les 10 jours de la présente décision, Vidéotron doit communiquer par écrit au Conseil de quelle façon elle entend respecter cette décision. Par ailleurs, dans l'éventualité ou Vidéotron ne se conformerait pas à cette décision, le Conseil pourrait la convoquer à une audience publique afin qu'elle justifie les raisons pour lesquelles il ne devrait pas émettre une ordonnance ou recourir aux autres mesures d'exécution à sa disposition.

[14]            Vidéotron ne tarda pas à communiquer son intention de ne pas se conformer à l'ordonnance rendue par le CRTC. Elle déposa une demande d'autorisation de porter en appel les deux décisions du CRTC, laquelle lui fut accordée. Entre-temps, le CRTC, à la demande de RDS, avisa les parties de la date d'une audition publique à laquelle Vidéotron était sommée de justifier pourquoi une ordonnance exécutoire ne devrait pas être émise aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, l'obligeant à verser les redevances dues à RDS. Avant que l'audience n'ait lieu, les parties se sont entendues et Vidéotron paya les montants dus sous réserve de son droit de contester la validité de la décision du CRTC. Dans leur protocole d'entente, les parties ont convenu que :

1. Il est entendu que la présente protocole d'entente et que tout paiement prévu ou découlant du présent protocole d'entente sont effectués sous toutes réserves et sans admission de quelque nature que ce soit et que les parties conservent tous leurs droits à cet égard.

...

7.    La présente entente est sans préjudice aux droits que les parties prétendent avoir dans l'Action Vidéotron, l'Action RDS et devant la Cour d'appel fédérale.

8.    Les procédures devant les tribunaux provinciaux et la Cour fédérale décrites au présent protocole d'entente seront suspendues jusqu'au 10 janvier 2003 étant entendu que les parties collaboreront pour que soient faites les procédures nécessaires pour que les droits des parties ne soient pas affectés, soit notamment :

...


- Vidéotron et al pourront produire leur avis d'appel et toutes autres procédures nécessaires si des délais de rigueur de la Cour fédérale devaient échoir avant le 10 janvier 2003.

Suite à cette entente, les parties se sont présentées devant le CRTC pour lui communiquer leur règlement.

LA NOUVELLE PREUVE

[15]            Une semaine avant l'audition de son appel devant cette cour, Vidéotron déposa une requête pour autorisation de verser une nouvelle preuve au dossier. Cette nouvelle preuve remet en question le certificat émis par RDS selon lequel celle-ci n'avait pas conclu de contrats contenant des conditions plus avantageuses que celles offertes à Vidéotron. La demande d'autorisation fut accordée et, au début de l'audition de l'appel, Vidéotron déposa sa nouvelle preuve.


[16]            Netstar offre aux entreprises de radiodiffusion deux services de programmation sportive : RDS en langue française et TSN en langue anglaise. ExpressVu est liée par un contrat d'affiliation à chacune de ces entreprises. La nouvelle preuve consiste en un amendement à chacun de ces contrats d'affiliation. Dans le cas du contrat d'affiliation avec TSN, l'amendement prévoit que lorsqu'un abonné qui reçoit la programmation RDS dans un marché francophone ("francophone market") ajoute le service TSN, le montant payable à TSN pour cet "add-on" est de .50 $. Par contre, l'amendement au contrat d'affiliation entre ExpressVu et RDS prévoit que lorsqu'un abonné au service TSN ajoute le service RDS, le montant payable à RDS est .50 $. Chacun de ces amendements stipule qu'il est apporté en contrepartie de l'autre. Ces amendements sont à la fois pertinents et importants par rapport au certificat émis par RDS qui énonce qu'elle n'a pas conclu de contrats contenant des conditions plus avantageuses que celles offertes à Vidéotron. Or, le montant payable par Vidéotron pour chaque abonné au service RDS est 1,50 $, trois fois le prix payable par ExpressVu dans les conditions prévues par les amendements.

[17]            Les amendements sont en date du 1er avril 2000 tandis que le certificat en question, qui fut déposé en preuve devant le CRTC, est daté du 20 décembre 2001. Le certificat est signé par M. Rick Brace, président de Netstar. C'est M. Brace lui-même qui a signé l'amendement au contrat entre TSN et ExpressVu en tant que président de TSN. Compte tenu du fait que RDS et TSN sont toutes les deux des filiales de Netstar, et que chaque amendement contient la mention qu'il est la contrepartie de l'autre, il est impensable que M. Brace n'ait pas été au courant de l'amendement au contrat entre RDS et ExpressVu lorsqu'il a émis le certificat déposé en preuve devant le CRTC.


[18]            RDS allègue que l'amendement au contrat entre RDS et ExpressVu est incomplet en ce qu'il ne réflète pas l'intention des parties, soit que le prix réduit s'appliquait seulement lorsqu'il s'agissait de l'ajout de la programmation RDS dans le marché anglophone. Le fait que cette restriction n'apparaît pas dans le texte de l'amendement serait, selon RDS, simplement un oubli. En plus, RDS soutient que Vidéotron était au courant de ces amendements depuis longtemps. Elle dépose à cette fin une copie d'une lettre adressée à un cadre de Vidéotron, datée du 7 décembre 2001, dans laquelle on lit le passage suivant :

Nous avons conclu deux amendements au contrat avec Bell ExpressVu pour TSN et RDS (nommé "Amendements"), spécifiant les termes et conditions de la clause "complémentaire", soit l'obtention du signal en supplément pour seulement 1 $. Le but de ces amendements était de permettre à ExpressVu de fournir le service TSN en supplément pour les clients de RDS dans les marchés francophones seulement et, inversement, de fournir le service RDS en supplément pour les clients de TSN dans les marchés anglophones seulement.

[19]            Il s'ensuit, selon RDS, que Vidéotron avait connaissance des amendements et aurait dû savoir, si elle ne le savait pas, que, si le prix pour le consommateur était d'un dollar, le prix payable par ExpressVu serait nécessairement inférieur à ce montant. En plus, ExpressVu informa Vidéotron dès le 19 décembre 2001 qu'elle avait abandonné l'ajout du signal RDS en tant que "add-on".

LES QUESTIONS EN LITIGE


[20]            Tel que déja mentionné, les parties ont soulevé plusieurs questions en litige dans leurs mémoires, mais l'introduction de la nouvelle preuve a changé le caractère du débat. Si, comme le prétend Vidéotron, la nouvelle preuve commande que l'affaire soit renvoyée au CRTC pour que celui-ci puisse réexaminer sa décision à la lumière de cette nouvelle preuve, les autres questions soulevées sont prématurées parce qu'elles ne se posent que si le CRTC confirme son ordonnance. La première question à aborder est donc celle de déterminer si la nouvelle preuve justifie le renvoi de l'affaire au CRTC pour qu'il traite des plaintes déposées par les parties à la lumière de cette preuve et de tous les autres éléments de preuve dont il dispose. Comme j'en suis venu à la conclusion que l'affaire doit être renvoyée au CRTC, il n'est pas nécessaire de traiter des autres questions.

LA NOUVELLE PREUVE JUSTIFIE-T-ELLE LE RENVOI DE L'AFFAIRE AU CRTC?

[21]            En premier lieu, il convient de se demander si la nouvelle preuve aurait pu avoir une influence déterminante sur la décision du CRTC. À ce stade-ci, il s'agit simplement de décider si cette preuve a une valeur probante suffisante pour justifier l'intervention de cette cour.


[22]            La lecture des amendements m'amène à conclure que RDS avait effectivement signé une entente selon laquelle elle fournissait son service à un tiers pour un prix inférieur à celui payé par Vidéotron pour le même service, ce qui semble carrément contredire le certificat de M. Brace déposé en preuve devant le CRTC. Comme je l'ai déjà constaté, il est tout simplement impensable que M. Brace n'ait pas été au courant de ces amendements, qui, de toute façon, n'ont pas été portés à la connaissance du CRTC. Compte tenu de l'importance accordée au certificat de M. Brace dans la disposition de la plainte déposée par Vidéotron, le CRTC pourrait bien en arriver à une conclusion différente s'il décidait d'écarter ce certificat ou de reconsidérer la valeur probante qu'il lui a attribuée. Si le CRTC devait donner raison à Vidéotron quant à sa propre plainte, il pourrait aussi fort bien voir la plainte de RDS d'un autre oeil. La nature et la teneur des amendements sont telles que la nouvelle preuve, lorsque portée à la connaissance du CRTC, pourrait avoir un effet déterminant sur les décisions rendues par cet organisme.

[23]            Les motifs d'intervention de cette cour à l'encontre des décisions du CRTC sont très limités :


31. (2) Les décisions et ordonnances du Conseil sont susceptibles d'appel, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour d'appel fédérale. L'exercice de cet appel est toutefois subordonné à l'autorisation de la cour, la demande en ce sens devant être présentée dans le mois qui suit la prise de la décision ou ordonnance attaquée ou dans le délai supplémentaire accordé par la cour dans des circonstances particulières.

31. (2) An appeal lies from a decision or order of the Commission to the Federal Court of Appeal on a question of law or a question of jurisdiction if leave therefor is obtained from that Court on application made within one month after the making of the decision or order sought to be appealed from or within such further time as that Court under special circumstances allows.


[24]            Par contre, l'alinéa 52c)(ii) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, permet à la cour de renvoyer une affaire pour jugement conformément aux instructions qu'elle juge appropriées.



52. La Cour d'appel fédérale peut_:

...

b) dans le cas d'un appel d'une décision de la Cour fédérale_:

...

c) dans les autres cas d'appel_:

...

(ii) soit, à son appréciation, renvoyer l'affaire pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées.

52. The Federal Court of Appeal may

...

(b) in the case of an appeal from the Federal Court,

...

(c) in the case of an appeal other than an appeal from the Federal Court,

...

(ii) in its discretion, refer the matter back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate.


[25]            À une exception près, la jurisprudence de cette cour est constante : pour pouvoir effectuer un tel renvoi, il doit exister un motif d'intervention aux termes de la loi applicable. Voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1995] 3 C.F. 557, para. 84, Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408, para. 15 (Note 5) et Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 592, para. 26. Il n'y a rien de surprenant dans cette conclusion. Le pouvoir confié à la cour par l'alinéa 52c)(ii) n'est pas un motif d'intervention en soi, mais simplement un recours dont dispose la cour dans le cas où son intervention est justifiée.


[26]            L'exception reconnue dans l'affaire Bow River Pipe Lines Ltd. c. Canada (1997), 216 N.R. 123, s'apparente aux faits de l'espèce. Dans cette affaire, l'appellante tenta de soulever un motif d'appel qui n'avait pas été plaidé en première instance. La cour fit référence aux exigences de l'arrêtAthey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, selon lesquelles "...un appelant ne peut soulever un point qui n'a pas été plaidé ou débattu au procès, sauf si toute la preuve pertinente figure au dossier" (p. 478). Or, toute la preuve pertinente n'était pas au dossier et ce parce que "l'intimée [n'avait] pas modifié de façon appropriée sa réponse à l'avis d'appel, ce qui a mené l'appelante à présenter et à plaider l'affaire sur un fondement erroné." (para. 63). En somme, l'appelante avait été induite en erreur quant au fondement du litige.

[27]            Notre cour accueillit l'appel à la seule fin de retourner le dossier à la Cour canadienne de l'impôt pour que celle-ci réexamine la question à la lumière d'une preuve plus complète :

[68] Compte tenu du sous-alinéa 52c)(ii) de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère à la Cour d'appel le pouvoir discrétionnaire, dans le cas d'un appel autre qu'un appel d'une décision de la Section de première instance, de"renvoyer l'affaire pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées", je suis arrivé à la conclusion que le nouvel argument soulevé devant nous par l'appelante relativement au coût devrait être examiné par la Cour, mais que, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, où l'on pourrait dire qu'une preuve plus complète est requise, il serait approprié que la question soit déterminée par la Cour canadienne de l'impôt sur le fondement de la preuve qui figure au dossier ou de toute autre preuve qu'elle peut admettre.

[69] Je suis par conséquent disposé à accueillir l'appel -- qui est par ailleurs rejeté -- mais seulement dans la mesure où l'affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour une détermination du coût, le cas échéant, que l'appelante a le droit d'ajouter à son compte de frais cumulatifs à l'égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz, conformément aux alinéas 66.4(5)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement aux avoirs miniers canadiens qu'elle a reçus lors de la dissolution de Lone Rock Resources Limited Partnership.

[28]            Le raisonnement de l'affaire Bow River Pipelines Ltd. s'applique en l'espèce et, dans les circonstances, la cour se doit de renvoyer l'affaire au CRTC pour qu'il examine à la lumière des amendements versés en preuve devant cette cour ainsi que de la preuve dont le CRTC disposait lorsqu'il a rendu les décisions CRTC 2002-254 et 2002-255 si l'une ou l'autre de Vidéotron ou de RDS s'est accordé un avantage indû.


[29]            Il n'est pas question ici de permettre à l'une ou l'autre des parties de réouvrir le litige et de permettre le dépôt de nouvelles preuves dans le but d'obtenir une décision favorable à ses prétentions. Il s'agit ici d'une circonstance particulière où le CRTC peut avoir été amené à fonder sa décision sur une preuve trompeuse, sinon fausse. Il appartient au CRTC d'apprécier cette nouvelle preuve et, au besoin, d'accepter des éléments de preuve additionnels s'y rapportant. Il doit le faire à la lumière de toute la preuve et décider s'il y a lieu de modifier ses décisions originales.

[30]            En ce qui concerne les prétentions de RDS que Vidéotron était au courant des amendements, et que Vidéotron aurait dû s'objecter au certificat lorsqu'il fut déposé en preuve devant le CRTC, RDS pourra les faire valoir devant le CRTC lorsque celui-ci se penchera de nouveau sur cette affaire. Il appartiendra au CRTC d'en apprécier le bien-fondé et la valeur probante.

[31]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, mais à la seule fin de renvoyer l'affaire au CRTC pour qu'il réexamine ses décisions à la lumière des deux amendements versés en preuve devant cette cour, de la preuve déjà au dossier et de toute autre preuve qu'il peut lui sembler pertinent d'admettre dans les circonstances.

                                                                            "J.D. Denis Pelletier"         

                                                                                                      J.C.A.

"Je souscris à cette opinion,

     Alice Desjardins, J.C.A."

"Je suis d'accord,

     Gilles Létourneau, J.C.A."


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                A-64-03

INTITULÉ :   

VIDÉOTRON LTÉE

et

QUEBECOR MÉDIA INC.

                                                                                            appelantes

et

NETSTAR COMMUNICATIONS INC.

LE RÉSEAU DES SPORTS (RDS) INC.

et

BELL GLOBEMEDIA INC.

                                                                                                intimées

et

CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET

DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

                                                                                            intervenant

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 17 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU           

DATE DES MOTIFS :                                   Le 17 septembre 2004


COMPARUTIONS:

Me Daniel Urbas

Me James A. Woods

POUR LES APPELANTES

Me Pierre Trottier

Me William Atkinson

POUR LES INTIMÉES

Me Guy Pratte

Me Caroline Matte

POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Woods & Partners

Montréal (Québec)

POUR LES APPELANTES

McCarthy Tétreault

(Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

Borden Ladner Gervais

(Montréal (Québec)

POUR L'INTERVENANT


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