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Date : 20050705

Dossier : A-112-04

Référence : 2005 CAF 251

CORAM :       LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                   RICHARD HOWARD KLASSEN

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                  intimée

                                  Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 15 février 2005

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20050705

Dossier : A-112-04

Référence : 2005 CAF 251

CORAM :       LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                   RICHARD HOWARD KLASSEN

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

Introduction


[1]                L'appelant a travaillé pendant plus de dix ans à la Commission canadienne du blé comme commissaire. Au moment de sa nomination, le 14 septembre 1988, il avait le droit d'occuper son poste à titre inamovible jusqu'à l'âge de 70 ans. Malheureusement pour lui, son emploi a pris fin le 31 décembre 1998 par suite d'une réorganisation législative de la Commission. Au moment où son emploi a pris fin, l'appelant a reçu une indemnité de 350 079,36 $, dont 282 000 $ représentaient deux (2) ans de salaire.

[2]                La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le juge Martineau de la Cour fédérale a, dans la décision qu'il a rendue le 6 février 2004 (2004 CF 193), commis une erreur en concluant que les conditions d'emploi de l'appelant à la Commission constituaient un « régime complet d'indemnité de départ » de sorte que le versement à l'appelant, notamment, de deux (2) ans de salaire, avait pleinement indemnisé celui-ci de la perte de son emploi.

[3]                Les conditions d'emploi de l'appelant à la Commission figuraient non seulement dans les dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C-24 (la Loi), dans sa version en vigueur au moment où l'appelant a été nommé commissaire, mais également dans un document intitulé « Conditions d'emploi applicables au commissaire en chef et aux commissaires actuels de la Commission canadienne du blé _ (nommés avant le 31 décembre 1994) (les Conditions).

[4]                Bien que les Conditions n'aient été approuvées par le Conseil du Trésor qu'en 1995, les parties s'entendent pour dire qu'elles faisaient partie de l'entente intervenue entre l'appelant et la Commission en 1988.


[5]                Il y a par ailleurs lieu de souligner que l'appelant était assujetti au « Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat » (le Code). Plus précisément, il était assujetti à l'article 30 du Code, qui interdit pour une période d'un an à tout ancien titulaire d'une charge publique d'accepter une nomination _ au conseil d'administration d'une entité avec laquelle il a eu des rapports officiels directs et importants au cours de l'année ayant précédé la fin de son mandat, ou un emploi au sein d'une telle entité _.

Motifs du juge de première instance

[6]                La question soumise au juge Martineau était celle de savoir si le versement de deux ans de salaire à l'appelant constituait, comme l'intimée l'affirmait, une indemnité pour la cessation de son emploi ou, comme le soutenait l'appelant, la contrepartie de son engagement de s'abstenir de faire concurrence pour une période de deux ans.

[7]                Le juge Martineau a rejeté les prétentions de l'appelant et l'a débouté de son action. À son avis, l'intimée s'était pleinement acquittée de ses obligations contractuelles envers l'appelant en lui versant, notamment, la somme de 282 000 $ à la suite de la cessation de son emploi.


[8]                Le juge de première instance a tiré cette conclusion pour les motifs suivants. Premièrement, se fondant sur l'arrêt Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, de la Cour suprême du Canada, il a conclu que les rapports qui existaient entre l'appelant et son employeur étaient de nature contractuelle et qu'en conséquence, il fallait préciser les obligations imposées à l'intimée aux termes du contrat.

[9]                Le juge a ensuite abordé la question des conditions d'emploi de l'appelant. Il a estimé que les modalités applicables étaient celles qui étaient contenues dans les Conditions. Cette conclusion n'est pas contestée. Le différend porte sur l'interprétation que le juge a faite de l'article 7 des Conditions. Le juge a reproduit ensuite les articles 5, 6, 7 et 11 des Conditions, que je cite également par souci de commodité :

5.               INDEMNITÉ DE RETRAITE

•               Une (1) semaine de traitement par année complète d'emploi continu, au moment de la retraite.

•               Avant le 1er août 1988, le régime de congés de maladie faisait du paiement des congés de maladie non utilisés un droit acquis. Au moment de la retraite, le paiement à cet égard correspond à 60 p. 100 des journées de congé de maladie non utilisées, multiplié par le rapport entre le nombre de journées non utilisées et le nombre de journées accumulées, multiplié par le traitement moyen des six (6) années consécutives de service les mieux rémunérées ouvrant droit à la pension.

6.             ALLOCATION POUR LONG SERVICE

•               Dans le cas de l'employé comptant plus de dix (10) années de service, versement de la moitié (1/2) du traitement hebdomadaire pour chaque année de service continu, jusqu'à concurrence de treize (13) semaines de traitement, au moment de la cessation d'emploi ou de la démission volontaire.

7. RÉVOCATION DE MANDAT

•               Traitement de deux (2) ans après trois (3) années de service continu au sein de la Commission.

•               Cette indemnité est versée au moment de la cessation d'emploi, de la démission volontaire ou de la retraite.

•               Il est interdit au commissaire d'accepter un emploi au sein d'un organisme de commercialisation des grains pendant une période de deux (2) ans après avoir quitté la Commission.


[...]

11. VÉHICULE DE FONCTION

•               On fournit au commissaire en chef et aux commissaires un véhicule de dimension ordinaire, entièrement équipé et de n'importe quel modèle, sauf les modèles de luxe comme Cadillac, Mercedes et Continental.

•               Le véhicule est remplacé aux deux (2) ans ou aux 50 000 kilomètres.

•               Au moment du départ ou de la démission, le commissaire en chef et les commissaires, s'ils sont en règle, peuvent acheter de la Commission le véhicule qu'ils conduisent, à sa valeur amortie.

[10]            Le juge a ensuite résumé les sommes reçues par l'appelant et, à la lumière des Conditions, il a conclu que l'appelant avait reçu tout ce à quoi il avait droit. Il a estimé que, comme les conditions de travail de l'appelant avaient été dûment négociées, elles formaient pour lui un contrat obligatoire et que l'interprétation la plus raisonnable de ce contrat de travail, et en particulier de son article 7, était que, sur « cessation d'emploi » , l'appelant avait le droit de toucher deux ans de salaire à titre d'indemnité, cette indemnité tenant lieu de dommages-intérêts. On trouve le raisonnement du juge au paragraphe 32 de ses motifs, où il écrit :

[32]         Quant à l'interprétation et aux effets de la disposition relative à la révocation, je note que les conditions de travail du demandeur ont été négociées et qu'une entente a été conclue. Cela étant, les Conditions forment un contrat obligatoire. L'interprétation la plus raisonnable du contrat de travail du demandeur, tel qu'il est reconnu dans les Conditions, est que sur « cessation d'emploi » , le demandeur avait le droit de toucher deux ans de salaire à titre d'indemnité, cette indemnité tenant lieu de dommages-intérêts. L'expression « cessation d'emploi » a été définie comme étant une rupture des relations existant entre l'employeur et l'employé, qu'il s'agisse d'un retrait volontaire (une démission); d'un retrait involontaire pour cause de maladie, d'accident ou d'invalidité; ou encore d'un renvoi ou d'une mise à pied non suivie d'un réembauchage (Goguen c. Metro Oil Co., [1989] N.B.J. no 136 (C.A.N.-B.) (QL); Linda P. Collier, Pension Vocabulary (Ottawa : Secrétariat d'État, 1990); et Black's Law Dictionary, 5e éd.). Cela étant, l'expression « cessation d'emploi » peut être employée tant pour une cessation d'emploi volontaire que pour une cessation d'emploi involontaire.


[11]            Le juge a ensuite examiné et écarté l'argument de l'appelant suivant lequel, comme le paiement de deux ans de salaire était simplement la contrepartie qui lui était versée en échange de son engagement de ne pas accepter d'emploi « au sein d'un organisme de commercialisation des grains pendant une période de deux (2) ans après avoir quitté la Commission » et non une indemnité pour la cessation de son emploi, il avait donc droit à une autre indemnité de la part de son employeur pour la révocation de son mandat. Aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs, le juge explique son opinion dans les termes suivants :

[33]             Le demandeur soutient maintenant qu'il y aurait une obligation contractuelle implicite d'accorder une indemnité additionnelle dans le cas d'une cessation d'emploi non motivée. Il affirme que la somme de 282 200 $ qu'il a reçue en vertu de la disposition relative à la révocation se rapporte strictement à une entente de non-concurrence d'une durée de deux ans. Je dois rejeter ces propositions, qui sont contraires à l'intention des parties et qui ne sont pas étayées par une interprétation appropriée des Conditions. Dans l'ensemble, les avantages mentionnés aux articles 5, 6 et 7 des Conditions, bien qu'ils soient désignés comme étant une « indemnité de retraite » , une « allocation de long service » et une indemnité pour « révocation de mandat » , sont attribuables au même événement, à savoir la cessation du mandat. À coup sûr, ils constituent l' « indemnité globale de départ » que les commissaires ont négociée et qu'ils ont le droit de recevoir en vertu du contrat lorsqu'ils prennent leur retraite ou qu'ils démissionnent volontairement, ou lorsqu'il est mis fin à leur mandat auprès de la Commission. À mon avis, le montant versé par suite de la révocation s'apparente davantage à une « indemnité de départ » , c'est-à-dire à un paiement fait par l'employeur à l'employé au moment de la cessation d'emploi en reconnaissance des services passés et il était destiné à atténuer l'effet financier au moyen de l'octroi d'une indemnité quelconque pour perte d'emploi (Mattdocks c. Smith & Stone (1982) Inc., 34 C.C.E.L. 273, page 279 (Div. gén., C. de l'Ont.)). Cela explique pourquoi les Conditions prévoient qu'au moins trois années de service continu doivent avoir été accomplies. Cette exigence est de toute évidence liée à la possibilité d'un éloignement suffisant du commissaire admissible par rapport au poste qu'il occupait auparavant dans le secteur privé ou dans le secteur public. Cela étant, l'avantage prévoyant deux ans de salaire était de toute évidence considéré, à ce moment-là, comme une indemnité équitable et raisonnable. De fait, la disposition relative à la révocation était fort avantageuse pour les commissaires, en particulier à un moment où la common law, selon la décision Reilly, précitée, ne prévoyait absolument aucune indemnité pour la perte d'un emploi.


[34]         Par conséquent, si je lis le contrat de travail dans son ensemble, je ne puis retenir l'argument du demandeur selon lequel la disposition relative à la révocation est simplement une disposition de non-concurrence et que l'indemnité de 282 200 $ est simplement accordée en échange de la promesse de ne pas faire concurrence pendant une période de deux ans. Sur le plan contextuel, cette proposition n'est pas logique. L'interdiction de faire concurrence existe déjà comme condition de travail préétablie. Toutes les personnes nommées à plein temps par le gouverneur en conseil, y compris le demandeur, doivent se conformer au Code, qui prévoit déjà une période d'abstention d'un an. Au cours de cette période, à moins qu'une réduction ne soit accordée, la personne en cause n'est pas autorisée à accepter d'être nommée à un conseil d'administration ou à un emploi auprès d'une entité avec laquelle elle traitait directement ou avec laquelle elle entretenait d'importantes relations officielles pendant l'année qui avait précédé la fin de son mandat. Je note en outre que l'obligation de ne pas faire concurrence pour une période de deux ans figurant dans la disposition relative à la révocation, à cause du maintien des Conditions, s'applique uniquement aux commissaires qui ont été nommés avant le 31 décembre 1994, à condition qu'ils aient continuellement été employés pendant une période de plus de trois ans. Si la disposition relative à la révocation était vraiment une clause de non-concurrence, pourquoi faudrait-il limiter ainsi son application?

[12]            La lecture que le juge a faite des Conditions l'a amené à conclure que rien dans le contrat n'appuyait la thèse de l'appelant. Il a ensuite examiné des éléments de preuve extrinsèques. Plus précisément, il a passé en revue l'historique des négociations qui avaient eu lieu entre les commissaires et le Conseil du Trésor entre 1984 et 1995, année où le Conseil du Trésor avait approuvé les Conditions. Cet examen a conduit le juge à tirer plusieurs conclusions, à savoir :

(i)         Au moment des faits, il n'y avait pas d'autres sociétés d'État dont les employés - y compris d'ailleurs les personnes nommées par le gouverneur en conseil - avaient le droit de toucher deux ans de salaire en cas de démission volontaire ou au moment de la retraite.

(ii)        Avant l'arrêt Wells, précité, le gouvernement du Canada n'avait aucune obligation de verser une indemnité en cas de cessation d'emploi du titulaire d'une charge; toutefois, le gouvernement avait décidé, pour une question de principe, de négocier une indemnité équitable à moins que la question ne soit traitée dans le contrat de travail.


(iii)       Les commissaires s'opposaient énergiquement - ce qui n'est pas étonnant, selon moi - à la volonté du gouvernement de leur verser la même indemnité que celle accordée par d'autres sociétés d'État. Ils soutenaient notamment que les Conditions et, plus particulièrement, l'article 7, qui porte sur la révocation du mandat, faisaient partie de l'entente qui était intervenue lorsqu'ils avaient accepté leur poste pour la Commission.

(iv)       En 1993, les commissaires avaient plaidé sans succès que la disposition relative au paiement de deux ans de salaire en cas de révocation de mandat, qui, à leur avis, visait à leur fournir une contrepartie en échange de leur engagement de non-concurrence, était une disposition qui favorisait les intérêts stratégiques commerciaux de la Commission.

[13]            Ces conclusions, ajoutées à son interprétation des Conditions, ont amené le juge Martineau à tirer les conclusions suivantes, que l'on trouve aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs :

[39] En conclusion, j'estime que les Conditions étaient complètes et qu'elles traitaient des aspects fondamentaux de la relation de travail des commissaires, y compris des avantages particuliers qui étaient payables en cas de cessation d'emploi. Le fait que l'expression « cessation d'emploi » a été expressément employée dans les Conditions n'aurait pas passé inaperçu, puisque les commissaires cherchaient vigoureusement à défendre leurs Conditions d'emploi. La preuve révèle que les commissaires étaient des négociateurs astucieux et compétents. Ils n'ont soulevé à aucun moment au cours de ces négociations, lorsque le gouvernement a cherché à rouvrir le contrat de travail et à le rendre conforme au cadre établi par le Conseil du Trésor et par le Conseil privé, le fait que les avantages payables en cas de cessation d'emploi ne leur convenaient pas. Ils considéraient ces avantages comme un tout.


[40] Par conséquent, je conclus que la défenderesse s'est acquittée pleinement de son obligation contractuelle en payant une indemnité correspondant à deux ans de salaire ainsi que l'indemnité accessoire payable en vertu des Conditions. Le demandeur n'a donc droit à aucune autre indemnité et l'action devra être rejetée. Les dépens seront adjugés en faveur de la défenderesse.

Prétentions de l'appelant

[14]            L'appelant cherche à faire annuler la décision du juge Martineau. Sa thèse est que les Conditions ne renferment aucune disposition au sujet de la révocation de son mandat et qu'en conséquence, il a droit à des dommages-intérêts en raison du fait qu'il a perdu l'occasion de terminer son mandat et de recevoir le traitement et les avantages sociaux y afférents.

[15]            L'appelant soutient que la seule question qui est soumise à la Cour est celle de savoir si le juge de première instance a correctement interprété le contrat de travail. Il affirme que le juge a commis une erreur en interprétant son contrat de manière à le priver de son droit à une indemnité en raison de la suppression du poste permanent qu'il occupait.

[16]            L'appelant plaide plus précisément ce qui suit. Premièrement, il tire argument du libellé des Conditions en affirmant que l'insertion de l'indemnité pour révocation de mandat à l'article 7 démontre à l'évidence que les parties voulaient que cette indemnité se rattache à l'engagement de l'appelant de ne pas accepter d'emploi au sein d'un organisme de commercialisation des grains pendant une période de deux ans après avoir quitté la Commission que ce soit pour cause de cessation d'emploi, de démission volontaire ou de retraite. L'appelant affirme que si l'indemnité pour révocation de mandat n'est pas liée à cet engagement, son insertion à l'article 7 est illogique.


[17]            L'appelant ajoute que le juge n'était pas justifié de conclure, comme il l'a fait, que suivant l'interprétation la plus raisonnable des Conditions, l'appelant, en cas de cessation d'emploi, touchait deux ans de salaire à titre d'indemnité, cette « indemnité tenant lieu de dommages-intérêts » , et que le montant versé par suite de la révocation du mandat s'apparentait à une « indemnité de départ » . L'appelant affirme qu'on ne trouve pas ces mots dans les Conditions et que leur absence aurait par conséquent dû amener le juge à tirer une conclusion différente.

[18]            Le deuxième argument de l'appelant est fondé sur les « circonstances de l'espèce » . Il explique que, parce que les commissaires avaient un grand pouvoir de négociation face aux fournisseurs de services de la Commission, et que, dans l'exercice de leurs fonctions, les commissaires recevaient des renseignements confidentiels importants, l'appelant et les autres commissaires avaient dû se départir d'une grande quantité d'intérêts commerciaux privés pour éviter tout conflit d'intérêts réel ou apparent alors qu'ils s'acquittaient de leurs fonctions pour le compte de la Commission.


[19]            Ainsi, selon l'appelant, comme la Commission avait réellement intérêt, après son départ, à s'assurer qu'il ne se serve pas des renseignements et des connaissances qu'il avait acquis alors qu'il était commissaire, on pouvait logiquement en déduire que l'indemnité pour révocation de mandat lui avait été versée en contrepartie de son engagement de ne pas accepter d'emploi au sein d'un organisme de commercialisation des grains pendant une période de deux ans après avoir quitté la Commission.

[20]            Le troisième argument de l'appelant concerne la prise en compte par le juge d'éléments de preuve extrinsèques portant sur l'intention des parties. À cet égard, l'appelant formule deux arguments. Premièrement, comme les Conditions étaient claires et qu'elles ne comportaient aucune ambiguïté, le juge a eu tort de tenir compte de ces éléments de preuve. Deuxièmement et à titre subsidiaire, l'appelant affirme que, s'il était légitime d'en tenir compte, ces éléments de preuve appuient sa thèse. Il cite plus précisément une lettre en date du 22 avril 1993 dans laquelle le ministre de l'Agriculture de l'époque explique au Commissaire en chef, après lui avoir dit qu'il trouve inacceptable l'indemnité pour révocation de mandat, qu'il croit comprendre que cette indemnité a été insérée dans les Conditions pour empêcher les commissaires [traduction] « d'accepter un emploi dans l'industrie du commerce du grain pendant une période d'abstention de deux ans » . L'appelant poursuit en affirmant qu'un examen de l'ensemble de la preuve appuie l'opinion que le véritable objet de l'indemnité pour révocation de mandat était de verser une contrepartie aux commissaires en échange de leur engagement de ne pas accepter d'emploi dans l'industrie du commerce du grain pendant une période de deux ans après leur départ de la Commission.


Prétentions de l'intimée

[21]            La thèse de l'intimée est assez simple. Elle affirme que le juge Martineau a bien caractérisé et appliqué les principes régissant la relation de travail entre l'appelant et la Couronne que la Cour suprême a énoncés dans l'arrêt Wells, précité. Elle ajoute que le juge n'a commis aucune erreur en interprétant les Conditions. Qui plus est, l'intimée affirme que le juge n'a commis aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait l'intervention de la Cour.

Analyse

[22]            Je commence, comme il se doit, par la norme de contrôle applicable en l'espèce. Dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la norme de contrôle qu'une juridiction d'appel est tenue d'appliquer en ce qui concerne les diverses questions qui sont soulevées en appel.


[23]            Premièrement, pour ce qui est des pures questions de droit, la Cour suprême a bien précisé que la norme applicable était la décision correcte. Deuxièmement, la Cour suprême a répété qu'il ne faut pas modifier les conclusions de fait, à moins d'être en mesure de démontrer que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante. Troisièmement, en ce qui a trait aux questions mixtes de fait et de droit, la Cour suprême a expliqué que ces questions supposent l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits et qu'en conséquence, il peut s'avérer quelque peu difficile de déterminer la norme de contrôle applicable. Au paragraphe 36 des motifs qu'ils ont rédigés pour la majorité, les juges Iacobucci et Major ont expliqué leur raisonnement au sujet des questions mixtes de fait et de droit :

[36]         En résumé, la conclusion de négligence que tire le juge de première instance suppose l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits et constitue donc une question mixte de fait et de droit. Les questions mixtes de fait et de droit s'étalent le long d'un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion de négligence est entachée d'une erreur imputable à l'application d'une norme incorrecte, à l'omission de tenir compte d'un élément essentiel d'un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d'erreur de droit et elle est contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Les cours d'appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu à la négligence, puisqu'il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit » . Si le principe juridique n'est pas facilement isolable, il s'agit alors d'une « question mixte de fait et de droit » , assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l'arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appel soulève l'interprétation de l'ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l'absence d'erreur manifeste et dominante.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[24]            Je suis convaincu - et l'appelant n'a en fait pas prétendu le contraire - que le juge Martineau n'a commis aucune erreur de droit donnant ouverture à un contrôle selon la norme de la décision correcte. À mon avis, le juge Martineau a bien caractérisé les principes juridiques qui ont été énoncés dans l'arrêt Wells, précité, et qui régissent les relations de travail entre l'appelant et l'intimée. Dans cet arrêt, le juge Major, qui écrivait au nom d'une Cour unanime, explique dans les termes suivants la nature des relations entre la Couronne et ses employés, aux paragraphes 29 et 30 :


29             À mon avis, le temps est venu de mettre fin à l'incertitude et de confirmer que le droit relatif aux hauts fonctionnaires concorde avec la compréhension contemporaine du rôle et des obligations de l'État dans ses rapports avec ses employés. Un emploi au sein de la fonction publique ne constitue pas une servitude féodale. Le poste de l'intimé n'était pas une forme de patronage monarchique. Il a été engagé pour occuper une fonction importante au nom des citoyens de Terre-Neuve. Le gouvernement lui a offert ce poste, les Conditions ont été négociées et une entente a été conclue. Il s'agissait d'un contrat.

30             Comme le juge Beetz l'a clairement fait remarquer dans Labrecque, précité, la common law traite les relations du travail découlant d'une entente réciproque comme s'il s'agissait d'un contrat. C'est incontestablement de cette façon que pratiquement toute personne qui traite avec la Couronne les perçoit. Bien que les Conditions d'un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s'applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l'entente ne le remplacent expressément.

[25]            Je suis également convaincu que le juge n'a pas commis d'erreur de droit en appliquant une norme incorrecte ou en ne tenant pas compte d'un élément essentiel d'un critère juridique ou en commettant toute autre erreur de principe.

[26]            La question qui est soumise à la Cour est celle de savoir si le juge a commis une erreur en appliquant les principes pertinents à la situation factuelle portée à sa connaissance et, plus précisément, en interprétant les Conditions. C'est la raison pour laquelle l'appelant soutient que la seule question litigieuse qui est soumise à la Cour est une question d'interprétation contractuelle. J'estime par conséquent que l'appelant ne peut obtenir gain de cause dans le présent appel que s'il démontre que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en interprétant les Conditions. Or, pour les motifs qui suivent, j'estime que l'appelant n'a pas réussi à me convaincre.


[27]            Premièrement, je ne saurais souscrire à l'argument de l'appelant suivant lequel, comme les Conditions étaient claires et ne comportaient aucune ambiguïté, le juge devait conclure que le véritable objet de l'indemnité pour révocation de mandat était de lui verser une contrepartie en échange de son engagement de ne pas accepter d'emploi dans l'industrie du commerce du grain pendant une période de deux ans.

[28]            Après avoir, correctement selon moi, fait ressortir le raisonnement juridique et la norme formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Wells, précité, le juge a appliqué ces principes aux faits portés à sa connaissance. Ensuite, après avoir attentivement examiné les Conditions et, plus particulièrement, les articles 5, 6, 7 et 11, le juge a déclaré que ces dispositions révélaient, de façon précise et exhaustive, les obligations par lesquelles l'intimée avait accepté d'être liée dans ses rapports contractuels avec l'appelant. Il en a déduit que les Conditions constituaient un « régime complet d'indemnité de départ » en cas de cessation d'emploi, de démission volontaire ou de départ à la retraite. Cet aspect permettait selon lui de faire une distinction entre la situation de l'appelant et celle de M. Wells. Le juge s'est par conséquent déclaré convaincu que l'appelant ne pouvait réclamer d'indemnité additionnelle.


[29]            Pour en arriver à cette conclusion, le juge a rejeté l'argument de l'appelant suivant lequel l'indemnité pour révocation de mandat avait été insérée dans les Conditions uniquement en contrepartie de son engagement de ne pas accepter d'emploi auprès d'organismes de commercialisation des grains. Le juge a estimé que, compte tenu de tous les facteurs contextuels, cet argument n'était pas raisonnable. Pour formuler cette opinion, le juge a tenu compte du fait qu'en plus de son engagement, l'appelant était assujetti au Code sur les conflits d'intérêts qui l'empêchait, pendant une période d'un an suivant son départ de la Commission, d'accepter d'être nommé à un conseil d'administration ou à un emploi auprès d'une entité avec laquelle il avait traité au cours de l'année ayant précédé son départ. Il a également tenu compte du fait que l'engagement de l'appelant ne s'appliquait pas aux commissaires nommés après le 31 décembre 1994.

[30]            Le juge s'est ensuite penché sur les éléments de preuve extrinsèques qui avaient été communiqués, en grande partie, par le directeur général du Secrétariat du personnel supérieur au Bureau du Conseil privé, M. Wayne McCutcheon, et qui l'ont amené à tirer plusieurs des conclusions que j'ai déjà reproduites au paragraphe 12 des présents motifs. Dans ces conclusions, le juge a trouvé un appui pour son interprétation des Conditions et a plus particulièrement été en mesure de confirmer que son interprétation était celle qui était la plus raisonnable eu égard à l'ensemble des circonstances.

[31]            J'ai attentivement examiné les diverses observations avancées par l'appelant à la lumière de l'ensemble de la preuve, y compris des témoignages, et je ne suis pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante qui justifierait l'intervention de la Cour.


[32]            J'ajouterais simplement qu'il est difficile, à mon avis, de remettre en cause l'interprétation que le juge fait de l'article 7 des Conditions, compte tenu du libellé explicite de la disposition qui prévoit que, notamment après la révocation du mandat du commissaire après au moins trois ans de service continu à la Commission, le commissaire a droit à deux ans de salaire. Compte tenu du libellé de cette stipulation, j'ai beaucoup de difficulté à accepter l'idée que le paiement en question a été fait uniquement en contrepartie de l'engagement du commissaire de ne pas accepter d'emploi dans l'industrie du grain. Cette proposition contredit directement selon moi l'indemnité pour révocation de mandat.

[33]            Je n'ai aucun doute, à la lecture de sa décision, que le juge Martineau a attentivement examiné tous les éléments de preuve portés à sa connaissance et qu'on ne saurait dire qu'il a tenu compte d'éléments de preuve non pertinents ou encore qu'il a ignoré des éléments de preuve pertinents en interprétant les Conditions et en arrivant à sa conclusion finale.

[34]            Ce que l'appelant demande à la Cour de faire, c'est de réévaluer la preuve de manière à en arriver à une interprétation différente des Conditions. Malheureusement pour lui, comme il n'a pas réussi à me convaincre que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante, je ne peux réévaluer la preuve de la manière qu'il propose.


[35]            Pour ces motifs, je rejetterais donc l'appel avec dépens.

                                                                                       « M. Nadon »                          

                                                                                                     Juge                                 

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge _

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge _

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-112-04

(APPEL D'UN JUGEMENT RENDU LE 6 FÉVRIER 2005 PAR LE JUGE MARTINEAU DE LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER T-2100-01)

INTITULÉ :                                                    KLASSEN

c.

S.M.R.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 15 FÉVRIER 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 5 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

E.W. Olson, c.r.

R. McFadyen

POUR L'APPELANT

D.J. Rennie

R. Rothschild

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman s.r.l.

Winnipeg (Manitoba)

POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE

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