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Date : 20040503

Dossier : A-571-02

Référence : 2004 CAF 175

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                           RÉJEAN TREMBLAY

                                                                                                                                           défendeur

                                     Audience tenue à Québec (Québec), le 31 mars 2004.

                                        Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 mai 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20040503

Dossier : A-571-02

Référence : 2004 CAF 175

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                           RÉJEAN TREMBLAY

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Les emplois des défendeurs, Réjean Tremblay, Bertrand Simard, Denis Simard et Yvan Coudé, étaient-ils des emplois assurables en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 ou de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1 selon les périodes en litige ? Je réfère aux deux lois parce que les périodes en litige chevauchent les deux, mais il n'en résulte aucune conséquence puisque les dispositions applicables sont les mêmes.


[2]                Dans un jugement de 226 paragraphes se caractérisant par une litanie souvent répétitive, généralement déconcertante et déroutante, de faits aux détails plus ou moins utiles, un juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt (juge) a conclu, à tort, par l'affirmative. De ces 226 paragraphes, seulement 10, peut-on dire, contiennent des éléments, par ailleurs fort succincts, d'analyse de la question en litige. Je m'attarderai donc à ces paragraphes. Mais auparavant, quelques données factuelles.

Les faits

[3]                Il est admis par les parties que le juge a confondu un certain nombre de faits en les appliquant aux défendeurs, Tremblay, Simard et Simard, alors que ces faits se rapportaient aux propriétaires de lots boisés qui effectuaient des travaux d'aménagements ou de coupe de bois sur leurs propres lots. Or, seul le défendeur, Coudé, s'est trouvé dans cette position pour la courte période du 13 au 17 octobre 1997 : voir les paragraphes 86 et 104 de la décision. En outre, en traitant de l'assurabilité de cette période, le juge n'a pas tenu compte du fait que le défendeur, Coudé, exécutait des travaux différents de ceux des autres défendeurs, en l'occurrence des travaux de débroussaillage sur son propre lot avec son propre équipement. En d'autres termes, il y a eu, pour cette période, confusion des tâches et des principes juridiques applicables.


[4]                Les défendeurs, Simard, Tremblay, Coudé et Simard prétendent qu'ils occupaient un emploi assurable auprès de la Société Sylvicole du Saguenay (le Payeur) pour des périodes dont les parties reconnaissent les paramètres et qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer à ce stade.

1.         Le Payeur

[5]                Le Payeur exploite une entreprise de gestion de plans d'aménagements forestiers. Il regroupe des propriétaires de lots boisés qui, en vertu d'une convention de gestion, lui confient leurs lots à des fins d'aménagement et de mise en valeur.

[6]                Le Payeur visite les boisés privés de ses membres et dresse des plans de gestion qui doivent par la suite être approuvés par le ministère des Ressources naturelles du Québec (ministère). Les activités forestières pouvaient consister en du défrichage, du reboisement, de l'entretien de plantations, des travaux pré-commerciaux tels l'éclaircissement, de la coupe commerciale et de la coupe à blanc : voir le témoignage de M. Léon Simard, Dossier du demandeur, vol. 1, pages 78 à 80. Le ministère subventionne les travaux sylvicoles et les montants des subventions sont déterminés en fonction du nombre d'hectares de boisés aménagés. Toutefois, l'octroi de ces subventions est conditionnel au respect des normes établies par le ministère pour l'exécution des travaux sylvicoles. Par contre, les coupes de bois doivent s'autofinancer : voir au Dossier du demandeur, vol. I, aux pages 82 et 118, le témoignage de M. Léon Simard.


2.         Les défendeurs

A.        Réjean Tremblay

[7]                M. Tremblay a effectué pour le Payeur des travaux de mise en andains et d'arrosage des plantations afin d'éliminer les feuillus et les mauvaises herbes. Les travaux de mise en andains furent exécutés à l'aide d'une débusqueuse (et d'un peigne) dont il était propriétaire avec son père et qu'il avait acquise au coût de 40,000 $ : voir son interrogatoire, Dossier du demandeur, vol. 1, page 233. Ceux d'arrosage se faisaient également avec la débusqueuse à laquelle on ajoutait un réservoir de 500 gallons et des rampes pour permettre l'arrosage sur une largeur de 45 pieds : id., à la page 235.

[8]                La prestation de services était régie par une entente verbale. Selon M. Tremblay, il louait sa machinerie lourde au Payeur en vertu d'un contrat verbal de location et il recevait de ce dernier un salaire hebdomadaire de 640 $ comme opérateur de la machinerie. Toutefois, il a dû admettre en contre-interrogatoire qu'il était payé à l'hectare pour la débusqueuse (de 160 $ à 180 $) et l'arrosage (de 80 $ à 90 $ l'hectare) et que ce montant incluait le coût de l'opérateur.


B.         Denis Simard

[9]                Tout comme M. Tremblay, les services de M. Simard ont été retenus, avec sa débusqueuse, en vertu d'une entente verbale. Son travail consistait à faire du ramassage d'aulnes pour en faire des andains : voir l'admission de M. Simard aux pages 354-355 du Dossier du demandeur, vol. II. Toutefois, pour la période en litige se rapportant à l'année 1999, les rapports entre M. Simard et le Payeur étaient régis par un contrat écrit prévoyant la location de la débusqueuse dont M. Simard était propriétaire et dont le coût d'achat était de 11 000 $ : voir les pages 24 à 32 du Dossier des défendeurs.

[10]            Selon M. Simard, il recevait un salaire hebdomadaire de 700 $ pour opérer sa machinerie. Cependant, la preuve révèle qu'il était, lui aussi, payé à l'hectare pour la mise en andains (180 $ l'hectare) et que ce paiement incluait le coût de l'opérateur.

C.        Bertrand Simard

[11]            Les conditions de travail de Bertrand Simard étaient analogues à celles des deux défendeurs ci-auparavant décrites. Elles étaient aussi le fruit d'une entente verbale. Il était également propriétaire de la débusqueuse, achetée au coût de 8 500 $, avec laquelle les services furent rendus. Selon son témoignage, son salaire était de 800 $/semaine.


D.        Yvan Coudé

[12]            M. Coudé effectuait le transport du bois coupé dans les boisés aménagés par le Payeur. Il débardait le bois coupé à l'aide d'une machinerie lourde dont le prix d'achat et les réparations qu'elle nécessitait alors totalisèrent 25 000 $. Celle-ci était la propriété de la société Ecoforêt dont M. Coudé était actionnaire à 50 %. Il a aussi opéré un deuxième transporteur loué par Ecoforêt en remplacement de la première machinerie. Selon ses allégués, son salaire hebdomadaire était de 700 $ et le paiement se faisait dans les circonstances suivantes.

[13]            La société Ecoforêt exécutait du travail pour le Payeur avec sa machinerie lourde et touchait 12 $ du mètre cube de bois débardé. Elle fournissait la machinerie et l'opérateur. Le prix de 12 $ du mètre cube chargé par Ecoforêt incluait le coût de l'opérateur de la machinerie. Des montants ainsi reçus, Ecoforêt, selon M. Coudé, lui payait son salaire hebdomadaire.

[14]            En ce qui concerne la semaine du 13 au 17 octobre 1997, M. Coudé a effectué sur son propre lot des travaux de débroussaillage prescrits dans le cadre du mandat d'aménagement du Payeur. Sa rémunération se faisait à l'hectare et il fournissait son propre équipement, soit tronçonneuse, débroussailleuse et autre matériel du genre nécessaire à l'exécution des travaux.

[15]            Je ferai mention de faits plus spécifiques lorsque je procéderai à l'analyse de la décision du juge et des prétentions des parties.


Analyse de la décision

1.         Les défendeurs, Tremblay, B. Simard et D. Simard

A.        Le contrat écrit de location de M. Denis Simard pour l'année 1999 et l'assurabilité de cette période

[16]            Les défendeurs ont produit, devant le juge qui a entendu la cause, le Bulletin d'Assujettissement 97-1 relatif à l'assujettissement des opérateurs-propriétaires de machinerie forestière émis par le ministre du Revenu national. Ce bulletin vise à clarifier la politique de Revenu Canada relative aux travailleurs oeuvrant dans le domaine forestier qui, en plus de leur prestation de services à un entrepreneur, louent leurs machineries lourdes à ce même entrepreneur. Le but recherché était de faciliter la détermination de l'assurabilité d'un emploi et de réduire les demandes d'assurabilité faites à Revenu Canada à l'égard de ces travailleurs.


[17]            En un mot, le Bulletin que je reproduis ci-après permet à un opérateur-propriétaire d'une machinerie lourde de conclure deux contrats séparés avec un entrepreneur : un contrat de location de la machinerie et un contrat de travail que le Bulletin appelle louage de services. En principe, les ententes séparées doivent être écrites quoique celles verbales sont aussi acceptées, mais les demandes fondées sur des ententes verbales sont soumises à un examen particulier par Revenu Canada : voir aussi l'Addenda au Bulletin d'Assujettissement No. 97-1 de politique d'assurance qui confirme cela. Le contrat de location et celui d'emploi doivent respecter des conditions strictes, à défaut de quoi la demande d'assurabilité de l'emploi sera refusée :







              POLITIQUE D'ASSURANCE

               BULLETIN

   D'ASSUJETTISSEMENT

                      97-1

OBJET : ASSUJETTISSEMENT DES OPÉRATEUR-PROPRIÉTAIRES DE MACHINERIE FORESTIÈRE

Généralités

Le présent bulletin a pour but de transmettre une clarification de la politique de Revenu Canada relative aux travailleurs oeuvrant dans le domaine forestier et qui, en plus de donner une prestation de services à un entrepreneur, louent leurs machineries lourdes à ce même entrepreneur. Ce bulletin devrait éclaircir les éléments d'assurabilité et ainsi réduire les demandes d'assurabilité qui sont présentées à Revenu Canada à l'égard de ces travailleurs. Ce bulletin en plus sera utile pour renseigner nos clients-employeurs.

Opérateur-propriétaire

Le fait de posséder sa propre machinerie n'est pas, en soi, un facteur déterminant quant à la détermination du statut d'un travailleur forestier. Il est donc possible, pour un opérateur-propriétaire, d'être engagé en vertu d'un contrat de louage de services tout en louant sa machinerie à son employeur en vertu d'un contrat de location. Dans cette situation, les revenus d'emploi sont considérés comme étant du salaire et les revenus générés par la machinerie constituent un revenu de location.

Contrats écrits

Dans le cas des opérateurs-propriétaires, il est essentiel que les ententes relatives à la location de la machinerie lourde ainsi que celle relative à l'embauche, en vertu d'un contrat de louage de services de l'opérateur-propriétaire soient produites par écrit. Dans ces circonstances, Revenu Canada considérera l'opérateur-propriétaire comme étant un employé occupant un emploi assurable pourvu que les conditions énoncées à la page 4 soient remplies.

Aucune entente écrite

Toute situation où il n'y a pas d'ententes écrites séparées (machinerie-employé) doit faire l'objet d'une étude afin de déterminer si les critères essentiels à l'établissement d'un contrat de louage de services sont respectées. Si ces conditions ne sont pas rencontrées, l'opérateur-propriétaire sera considéré par Revenu Canada comme étant un travailleur autonome.

Location de machinerie

Le contrat de location de la machinerie entre l'opérateur-propriétaire (locateur) et l'entrepreneur principal (locataire) doit inclure certaines clauses démontrant que le locataire prend le contrôle de la machinerie pour la durée de l'entente. Voici les points qui devraient être couverts :

a) identification précise des parties concernées, par exemple, locateur et locataire;

b) la durée de l'entente;

c) le montant de la location ainsi que son mode de calcul, s'il y a lieu (à la journée, à la semaine, à l'heure, à la corde, au mètre cube ou bien à la longueur des billots manoeuvrés, etc.);

d) les responsabilités du locataire et du locateur;

e) le contrat doit être signé par les deux parties concernées.

Contrat d'emploi

Il est possible qu'un opérateur-propriétaire soit engagé en vertu d'un contrat de louage de services valide, mais de façon générale, chaque cas doit être étudié selon les circonstances qui l'entourent. Cependant, Revenu Canada peut conclure que tous les cas où le contrat d'emploi d'un opérateur-propriétaire rencontre toutes les conditions énoncées ci-dessous, cet emploi sera considéré comme un emploi en vertu d'un contrat de louage de services valide.

Les conditions sont :

a) le contrat d'engagement doit être distinct du contrat de location de machinerie;

b) le mode de rémunération doit être indiqué dans le contrat (taux horaire, journalier, à la pièce, etc.);

c) l'employeur doit avoir le droit de contrôler la façon dont le travail sera exécuté. Généralement, ce contrôle est exercé par un contremaître sur le chantier;

d) c'est l'employeur qui indique au travailleur où il rendra les services et ainsi que la durée de ceux-ci (lieu ou emplacement-horaire, durée de l'emploi);

e) l'employeur a le droit de décider quel genre de travaux l'opérateur exécutera;

f) les services de l'opérateur-propriétaire ne doivent pas être directement liés aux opérations de sa machinerie. Par exemple, en cas de bris majeur, l'opérateur peut être requis par l'employeur d'effectuer d'autres tâches pour lesquelles il sera rémunéré en conséquence et;

g) l'employeur est responsable des dommages ou blessures causés par l'opérateur dans le cadre de ses fonctions, y compris les blessures subies par ce dernier.

     INSURANCE POLICY

   COVERAGE BULLETIN

                      97-1

SUBJECT: COVERAGE OF OPERATOR-OWNERS OF FORESTRY MACHINERY

General

The purpose of this bulletin is to provide Revenue Canada's clarification of its policy on workers in the forestry industry who, in addition to providing services to a contractor, rent their heavy machinery to the same contractor. This bulletin should serve to clarify the insurability aspects thus lessening the requests for rulings being sent presently to Revenue Canada in regard to these workers. This bulletin will also serve in any explanations needed to our employer clients.

                                (je souligne)

Operator-owner

The fact that the worker owns his/her machinery is not in itself a key factor in determining the status of a forestry worker. It is therefore possible, for an operator-owner, to be hired under a contract of service while renting his/her machinery to his/her employer under a rental contract. In this situation, employment income is considered as being salary, and the income from the machinery constitutes rental income.

    (déjà souligné, en italique et en

         caractère gras dans le texte remis)

Written contracts

In the case of operator-owners, the agreements concerning the rental of the owner-operator's heavy machinery, and those concerning the hiring of the operator-owner under a contract of service, must be put in writing. Under these circumstances, Revenue Canada will consider the operator-owner to be an employee occupying insurable employment providing the conditions outlined at page 4 of these guidelines.

    (déjà souligné, en italique et en

         caractère gras dans le texte remis)

No written agreement

Any situation in which there are no separate written agreements (machinery-employee) must be reviewed by Revenue Canada in order to determine whether the basic criteria for establishing a contract of service are met. It these conditions are not met, the operator-owner will be considered by Revenue Canada as a self-employed worker.

          (en italique et en caractère

              gras dans le texte remis)

Rental machinery

The machinery rental contract between the operator-owner (lessor) and the prime contractor (lessee) must include certain clauses indicating that the lessee takes control of the machinery for the duration of the agreement. The following points should be covered in the contract:

a) the precise identification of the parties involved, for example, lessor and lessee;

b) the duration of the agreement;

c) the amount of the rental and the method of calculation, if required (per diem, weekly, hourly, per cord, per cubic metre or by the length of the logs handled, etc.);

d) the responsibilities of the lessee and the lessor;

e) the contract must be signed by the two parties involved.

    (déjà souligné, en italique et en

         caractère gras dans le texte remis)

Contract of employment

It is possible for an operator-owner to be hired under a valid contract of service but under such circumstances, each case must be studied separately in light of the facts presented. However, Revenue Canada can conclude that in all cases where the contract of employment of an operator-owner meets the conditions listed below, the employment will be considered as an employment under a valid contract of service.

The conditions are:

a) the employment and machinery rental contracts must be separate;

b) the method of remuneration must be indicated in the contract (hourly, daily, piece rate, etc.);

c) the employer must have the right to control the way the work will be done. Generally, this control is exercised by a foreperson on the worksite;

d) the employer tells the worker where and for how long he/she will render the services (location or site-timetable or schedule, duration of the employment);

e) the employer has the right to decide what type of work the operator will do;

f) the services of the operator-owner must not be directly linked to the production of his/her machinery. In case of major breakdown, the operator may be required by the employer to carry out other duties for which he/she will be paid accordingly;

g) the employer is responsible for damages or injuries caused or suffered by the operator as part of his/her duties.

          (en italique et en caractàre

              gras dans le texte remis)

Quoique non déterminant, ce Bulletin demeure pertinent pour l'analyse de l'intention des parties quant à leurs relations contractuelles et d'affaires.

[18]            M. Denis Simard avait signé un contrat de location avec le Payeur pour l'année 1999 et, dit-il, convenu verbalement d'un contrat d'emploi pour ses services. Le juge n'a fait aucune analyse du contrat de location. Or, certaines clauses de ce contrat écrit sont révélatrices de la véritable relation existant entre le défendeur et le Payeur.


[19]            Au niveau du contrat de location, le Bulletin d'Assujettissement exige, à bon droit, que certaines clauses du contrat démontrent que le locataire assume le contrôle de la machinerie pour la durée de l'entente. En ce qui concerne le contrat d'emploi, celui-ci doit être distinct du contrat de location. En outre, les services de l'opérateur-propriétaire ne doivent pas être directement et exclusivement liés aux opérations de sa machinerie et l'employeur doit assumer la responsabilité pour les dommages ou blessures causés par l'opérateur dans le cadre de ses fonctions.

[20]            Or, la plupart des clauses du contrat de location, qu'il s'agisse de l'entretien de l'équipement, des pertes de revenus résultant de son non-usage ou de retards, des pertes ou des dommages à l'équipement, des dépenses quotidiennes d'utilisation et d'opération de l'équipement, révèlent que c'est le locateur et non le locataire qui demeure en contrôle de l'équipement pendant la durée du contrat et qui assument tous les risques. N'est-ce pas là plutôt le propre d'un contrat d'entreprise où, moyennant un prix convenu, l'entrepreneur fournit, à ses frais, son travail et les outils nécessaires à la réalisation des travaux?

[21]            De même, et il s'agit là d'une dérogation importante au contrat d'emploi où, dans un tel contrat, l'employeur prend, au plan de la responsabilité, fait et cause de son employé, le contrat de location, aux clauses 5.1 à 5.5, prévoit que le locateur dégage le locataire de toute responsabilité civile découlant de la possession, de l'usage, du transport ou de l'état de l'équipement :

5.             Assurances et indemnisation :

5.1           Le Locateur devra souscrire et maintenir en vigueur, à ses propres frais, pendant la durée du bail, une police d'assurance pour un minimum d'un million (1 000 000,00 $) de dollars protégeant la responsabilité civile du Locataire et du Locateur.

5.2           Le Locateur devra fournir au Locataire un certificat de ses assureurs attestant qu'une telle police a été émise et qu'elle inclut une clause couvrant ledit équipement pour le temps où il est loué à une tierce partie.

5.3           De plus, ce certificat devra aussi contenir une clause à l'effet que l'assureur ne changera pas la police sans donner un avis écrit de trente (30) jours au Locataire.


5.4           Le Locateur tiendra le Locataire indemne en tout temps, de toute réclamation, tout frais ou toute responsabilité quelconque, par voie de poursuite ou autrement, résultant de blessures corporelles, y compris la mort, subie par toute personne, sauf les employés du Locataire, et des dommages matériels, y compris la perte, à la propriété de toute personne, y compris le Locataire, lorsque telles blessures ou tels dommages sont attribuables directement ou indirectement à la possession, à l'usage ou au transport dudit équipement.

5.5           Le Locateur dégage par les présentes le Locataire de toute responsabilité pour tout préjudice, perte ou dommage qu'il pourrait subir, directement ou indirectement, en raison de l'usage ou de l'état de l'équipement.

Encore là, il s'agit d'une caractéristique fondamentale d'un contrat d'entreprise où l'entrepreneur, ici le propriétaire opérant sa propre machinerie, assume les risques créés et les dommages causés par son entreprise.

[22]            Avec respect, je crois que ce contrat écrit que l'on dit de location et que l'on dit doublé d'un contrat verbal d'embauche est, en fait, un contrat d'entreprise où le propriétaire d'une machinerie lourde exécute, moyennant rémunération au volume, un travail qui lui est demandé, fournit son expertise et l'équipement nécessaire à la réalisation des travaux, avec risques de pertes et chances de profits, tel qu'il appert du contrat écrit. Conséquemment, l'emploi exercé par M. Denis Simard pour la période couverte par ce contrat, soit du 10 mai 1999 au 31 décembre 1999, n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi.

[23]            Restent donc à analyser, pour les trois défendeurs, l'assurabilité des périodes suivantes :

Tremblay,                8 août au 9 septembre 1994

12 au 25 novembre 1994

Denis Simard,           16 octobre 1995 au 16 février 1996

18 novembre 1996 au 3 janvier 1997

22 septembre au 7 novembre 1997


B. Simard,                16 octobre au 10 novembre 1995

11 novembre au 6 décembre 1996

22 septembre au 7 novembre 1997

Les trois défendeurs allèguent pour ces périodes l'existence de deux ententes verbales distinctes : un contrat de location pour la machinerie lourde et un contrat d'emploi. Selon cette prétention, le premier générait un salaire-machine, le deuxième un salaire-homme.

B.         Les contrats verbaux de location de machinerie et d'emploi des défendeurs, Tremblay, Simard et Simard

[24]            Le juge a examiné les prétentions des trois défendeurs à partir du test développé dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et a conclu à l'existence de deux contrats régissant les relations entre les parties : un contrat de location et un contrat d'emploi. Avec respect, cette conclusion est erronée, le juge s'étant mépris sur la véritable et réelle nature de la relation contractuelle entre les parties ainsi que sur les notions de contrôle, d'intégration, de propriété des outils de travail et de risques de pertes et chances de profits.

[25]            Dans l'affaire Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N., 2004 CAF 68, notre Cour rappelait, aux paragraphes 16 à 21, les principes suivants applicables à la détermination de l'assurabilité d'un emploi :

Je crois qu'il n'est pas superflu de rappeler certains des principes juridiques qui gouvernent la question de l'assurabilité d'un emploi. La détermination de cette question implique celle de la nature de la relation contractuelle entre les parties.


La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., 2004 C.A.F. 54.

Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem.

Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 F.C.A. 394, « rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur » .

[...] Un sous-entrepreneur n'est pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co-contractants et les tiers. Ce n'est pas un dilettante à l'attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il oeuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l'extérieur de celui de l'entreprise de l'entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l'entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n'en est pas altérée pour autant. Et l'entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu'il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

Enfin, fixer la valeur de la rémunération, définir le but recherché ou effectuer le paiement des travaux par chèque ou autrement n'équivalent pas à contrôler un travail puisque ces éléments se retrouvent autant chez un contrat d'entreprise que chez un contrat de travail : Canada (Procureur général) c. Rousselle et al. (1990), 124 N.R. 339 (C.A.F.).

a)         le degré d'intégration des défendeurs dans l'entreprise du Payeur


[26]            La question de la location de l'équipement était une donnée pertinente pour l'analyse de l'intention des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles. Le juge ne l'a pas traitée dans ce contexte. De fait, sur cette question, il dira simplement au paragraphe 212 de sa décision :

Les appelants avaient loué leur machinerie lourde au payeur. C'est le payeur qui en faisaient usage même si les appelants en étaient les opérateurs. Il faut donc conclure, en vertu de ce critère, que les appelants étaient les employés du payeur.

                                                                                                                                          (je souligne)

Il faisait alors sans doute référence au critère d'intégration puisqu'au paragraphe précédent il écrivait :

Les appelants étaient intégrés dans les opérations du payeur. Leurs participation étaient régulières. Leurs travaux faisaient partie intégrante de l'entreprise du payeur. Le payeur n'aurait pu exploiter l'entreprise sans le soutien des appelants et les autres employés syndiqués ou non syndiqués.

Je reviendrai sur l'aspect location lorsque je discuterai de l'élément « risques de pertes et chances de profits » .


[27]            Le juge a, de toute évidence, apprécié l'intégration sous l'angle de l'entreprise du Payeur. C'est là une erreur car, comme le disait notre Cour dans Le Livreur Plus Inc., précitée, au paragraphe 38, apprécier l'intégration « sous l'angle de l'entreprise conduit presque toujours inéluctablement à conclure que les activités des travailleurs sont organisées et programmées au service de l'activité principale et dominante de l'entreprise. En d'autres termes, les activités des travailleurs apparaîtrons toujours comme intégrées à l'entreprise » . Il faut donc apprécier, sous l'angle des travailleurs, les services que ces derniers rendent et se demander si ces travailleurs agissent pour leur propre compte.

[28]            Le Payeur, comme je l'ai dit précédemment, exploite une entreprise de gestion de plans d'aménagement forestier donnant accès à des subventions gouvernementales. Cette entreprise fut créée en 1973 pour satisfaire aux exigences gouvernementales qui devenaient de plus en plus techniques et de plus en plus difficiles à atteindre pour les personnes qui ne possédaient pas de formation en techniques forestières. Elle informe et conseille les propriétaires de lots quant aux travaux sylvicoles à faire sur ces lots : Dossier du demandeur, vol. I, page 73. Elle s'engage aussi à effectuer lesdits travaux : voir la clause 4 a) de la Convention signée entre la société et un propriétaire de terrains boisés, Dossier des défendeurs, page 5.

[29]            Les défendeurs quant à eux étaient propriétaires de débusqueuses. Ils exploitaient, chacun de leur côté, des petites entreprises forestières dont les opérations principales consistaient à faire de la mise en andain et de l'arrosage. Ces entreprises ne participent ni de la gestion de plans d'aménagement que fait l'entreprise du Payeur, ni de la recherche et de l'obtention de subventions gouvernementales. Elles sont évidemment utiles au Payeur pour la réalisation des travaux que celui-ci s'est engagé à effectuer. Mais aucune de ces petites entreprises n'étaient liées exclusivement au Payeur et, de fait, elles travaillaient pour d'autres coopératives forestières : voir les témoignages de M. Tremblay, M. B. Simard et M. D. Simard aux pages 273-274, 302 et 334 du Dossier du demandeur, vol. I.


[30]            Tous ces faits, à mon avis, tendent à démontrer le statut d'entrepreneur autonome et indépendant des défendeurs.

b)         la notion de contrôle

[31]            Les passages pertinents à la notion de contrôle se retrouvent aux paragraphes 204 à 210 de la décision que je reproduis :

[204]        Malgré leur expérience et compétence, les heures et journées de travail étaient déterminées par le payeur par l'entremise des contremaîtres. À cause de l'envergure des travaux et de l'étendue du territoire, le payeur devait agencer les opérations en donnant à chaque jour des directives aux travailleurs-appelants quant aux heures, aux journées et aux sites de travail.

[205]        Pour certains travaux, dont l'arrosage, le contremaître ou les techniciens décidaient de la période, des endroits, ainsi que de la façon d'arroser. Selon l'explication donnée, il fallait avoir une certaine expertise pour ce genre de travail.

[206]        Le contremaître vérifiait les travaux à tous les jours. Le contremaître prenait l'initiative à tous les matins de décider si l'arrosage se faisait ou non et ce d'après les pronostiques de la température; il ne fallait pas arroser s'il y avait de la pluie ou plus de 40% d'humidité.

[207]        Le payeur devait s'assurer auprès des travailleurs que les plans d'emplacement et restrictions étaient respectés. Pour ce faire il devait exercer une supervision adéquate.

[208]        Si la machinerie lourde était brisée, les opérateurs (appelants) étaient affectés à d'autres besognes pendant les réparations.

[209]        La jurisprudence a reconnu qu'il n'était pas nécessaire d'exercer une surveillance constante sur les travailleurs; c'était plutôt le droit d'exercer ce contrôle sur les travailleurs qui était important.

[210]        Dans les causes sous étude, le payeur avait le pouvoir d'exercer ce contrôle et, de plus, il exerçait sur les travailleurs un contrôle adéquat.


[32]            Les paragraphes 204, 205, 206 et 207 réfèrent à des données qui sont toutes aussi compatibles avec un contrat d'entreprise qu'avec un contrat de travail. À vrai dire, j'imagine mal qu'un entrepreneur perde son statut d'entrepreneur indépendant et devienne employé du fait que le donneur d'ouvrage lui indique les lieux ou le moment où il doit exécuter son travail. De fait, peut-on penser, comme semble l'indiquer les paragraphes 205 et 206 de la décision, que les défendeurs, à cause de la notion de contrôle, sont ou deviennent des employés parce que le contremaître du Payeur leur demande de ne pas arroser pour les deux prochains jours parce qu'il va pleuvoir? Je crois que le simple fait de poser la question, c'est y répondre. Un sous-entrepreneur en électricité, par exemple, ne perd pas son statut d'entrepreneur indépendant parce que l'entrepreneur général lui demande de retarder ses travaux d'une semaine ou deux parce que le sous-entrepreneur en ventilation n'a pas encore terminé les siens.

[33]            En outre, la preuve révèle que les contremaîtres du Payeur n'avaient aucun contrôle sur les heures de travail des travailleurs. Le représentant du Payeur, M. Léon Simard, en réponse à la question du contrôle des heures de travail, déclare à la page 148 du Dossier du demandeur, vol. I :

Q.            La même question. Comment la Société contrôlait les heures de travail ?

R.            Bien, il y avait pas un contrôle exact des heures de travail là, c'est sûr, c'est ... Bon, les contremaîtres y allait assez régulièrement, je dirais même régulièrement, mais il y avait pas un contrôle là, le contremaître était pas là à huit heures (8 h) le matin pour voir si le gars travaillait puis il arrêtait à cinq heures (5 h) le soir, c'était impossible là, sur l'ensemble du territoire, quatre contremaîtres couvrir l'ensemble du Saguenay là, c'était impossible que les contremaîtres fassent la vérification quotidienne de l'ensemble de ces travailleurs-là.


[34]            Le défendeur Denis Simard dira, pour sa part, qu'il « était responsable de gérer son temps pour que ça se fasse à l'intérieur d'une période précise » , soit du début octobre jusqu'aux neiges, que les heures n'étaient pas surveillées, mais qu'il fallait faire le contrat : id., vol. III, aux pages 357, 361 et 362.

[35]            En fait, les quatre contremaîtres qui, pour le Payeur, étaient responsables de l'ensemble du territoire aménagé par le Payeur qui englobait 20 municipalités se rendaient sur les lieux pour vérifier la qualité des travaux et s'assurer que ceux-ci respectaient les normes environnementales imposées. Aux pages 379 et 381 du Dossier du demandeur, vol. II, le contremaître Jean-Pierre Gagné disait :

On est sur des propriétés privées, donc il y a des clôtures. Il y a des gens qui ont des animaux, il y a des ponceaux. Il y a... Il y a bien des conditions à part, à part les normes du ministère pour avoir droit à la subvention, donc j'avais plusieurs directives à leur donner pour effectuer ce travail.

[...]

J'y allais environ à tous les deux jours pour vérifier la qualité du travail, si la mise en andains était bien faite, si les directives que je lui avais demandées pour les ruisseaux, le rubanage, les rubans qui avaient été posés sur le bord des clôtures ou les ... tout ce qui comprenait un petit peu le travail qu'il avait à faire, j'allais vérifier si c'était bien fait.

[36]            Ce témoignage du contremaître est en quelque sorte corroboré par la déclaration statutaire du défendeur Tremblay, faite aux enquêteurs de la Commission et que l'on retrouve à la page 633 du Dossier du demandeur, vol. III :

On était responsable des heures et des jours de travail pour la SSS [Société sylvicole du Saguenay]. C'est moi qui était responsable mais une personne de la SSS passait de temps en temps pour vérifier mon travail et me donner d'autres lieux de travail.


[37]            En somme, lorsque le juge conclut au paragraphe 210 de sa décision que le Payeur « exerçait sur les travailleurs un contrôle adéquat » , il faut comprendre qu'il s'agit d'un contrôle adéquat du respect des normes gouvernementales ainsi que de la qualité et du résultat des travaux. Or, un contrôle de la qualité et du résultat des travaux n'est pas la même chose qu'un contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : voir Vulcain Alarme Inc., précité, paragraphe 10.

[38]            Le seul élément restant, mais bien maigre, sur la notion de contrôle, se retrouve au paragraphe 208 de la décision où le juge fait état qu'en cas de bris de la machinerie lourde, les défendeurs étaient affectés à d'autres besognes pendant les réparations. Cette conclusion n'est pas supportée par la preuve. M. Tremblay a affirmé lors de son témoignage que c'est lui qui, dans 99 % des cas, réparait sa débusqueuse en cas de bris : voir le Dossier du demandeur, vol. I, aux pages 267-268. Les autres défendeurs n'ont pas témoigné sur la question, à l'exception de M. Coudé qui, comme on le verra plus loin, était à l'emploi de la société Ecoforêt et non du Payeur.


[39]            Enfin, j'ajouterais sur la notion de contrôle que les défendeurs étaient propriétaires de leurs machineries lourdes et qu'ils en étaient les seuls opérateurs : voir les témoignages, par exemple de M. B. Simard et D. Simard aux pages 305, 316, 325 et 329 du Dossier du demandeur, vol. I. Le Payeur n'avait aucun contrôle sur le choix de l'opérateur des machineries appartenant aux défendeurs. Tout au plus possédait-il un droit de regard ou de veto sur le choix d'un remplaçant si un défendeur voulait s'absenter. Ce droit s'explique puisque le Payeur, qui s'était engagé auprès du ministère à respecter les conditions prescrites par ce dernier, était intéressé à honorer ses engagements et à toucher les subventions. Il s'explique aussi du fait qu'en matière d'arrosage, l'opérateur devait posséder des cartes particulières de compétence obtenues suite à un cours sur les phytocides : id., aux pages 238 et 239.

[40]            En somme, malgré que l'on disait que les machineries lourdes avaient été louées par le Payeur, la preuve révèle que ce sont les défendeurs qui les opéraient à titre exclusif et d'une façon autonome, sans ce contrôle qui caractérise un contrat de travail et engendre le lien de subordination nécessaire au statut d'employé.

c)         la propriété des outils de travail

[41]            Il est admis par les parties que les défendeurs sont propriétaires des débusqueuses et du peigne utilisé pour la mise en andains. De même, il n'est pas contesté que le Payeur fournissait pour l'arrosage un réservoir de 500 gallons ainsi qu'une rampe permettant l'épandage. En terme d'investissement, toutefois, ce critère de la propriété des outils de travail fait pencher la balance en faveur d'un contrat d'entreprise, le réservoir et la rampe d'épandage n'étant que les accessoires d'une machinerie lourde beaucoup plus coûteuse et indispensable à la réalisation des travaux.

d)         les risques de pertes et les chances de profits


[42]            Tel que déjà évoqué, le juge a conclu qu'il y avait deux contrats, l'un de location de machinerie lourde débouchant sur un salaire-machine, et l'autre d'emploi donnant lieu à un salaire-homme. Il en déduisit, au paragraphe 213 de sa décision, qu'il n'y avait pas de chance de profit ou risque de perte pour le salaire-homme. Avec respect, cette conclusion est contredite par la preuve.

[43]            Premièrement, il n'existe au dossier absolument aucune preuve matérielle d'un versement de salaire hebdomadaire aux défendeurs. La rémunération pour les services rendus se faisait à l'hectare et était donc fonction du volume de production comme dans l'affaire Chabonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. no. 1337 où, en rapport avec les risques de pertes du travailleur, notre Cour conclut, au paragraphe 12, qu'il « eût suffi que sa débusqueuse tombe en panne pour qu'il se retrouvât devant rien » : voir aussi Canada (Procureur général c. Vaillancourt, [1992] A.C.F. no. 447; Canada (Procureur général) c. Rousselle, [1990] A.C.F. no. 990; Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précité.

[44]            Lors de son témoignage, M. Tremblay a reconnu qu'en cas de bris majeur de sa machinerie, il aurait subi une coupure de salaire-machine et de salaire-homme : Dossier du demandeur, vol. I, pages 315-316. Car il faut bien comprendre que le salaire-homme et le montant de ce salaire étaient tributaires du salaire-machine et du volume de production de cette dernière. M. Tremblay a aussi admis que si le travail était mal fait, il devait le reprendre à ses frais, ce qui n'est certes pas la caractéristique d'une relation employeur-employé : id., à la page 313.


[45]            En outre, les défendeurs assumaient seuls tous les frais d'entretien et de réparation de leurs débusqueuses, ces frais pouvant engendrer des risques de pertes. De fait, M. Denis Simard pour l'année 1995 et M. Bertrand Simard pour les années 1996 et 1997 ont réclamé des pertes d'entreprise.

[46]            Enfin, ce sont les défendeurs qui, règle générale, défrayaient les coûts reliés au transport de leur machinerie lourde par fardier d'un site de travail à l'autre. Ces coûts étaient de 75 $ à 80 $ l'heure. Encore là, cette obligation est nettement plus compatible avec celles que l'on retrouve dans un contrat d'entreprise qu'avec les obligations d'un contrat de travail. Les défendeurs n'avaient droit à aucun congé et aucune paye de vacances. Ils devaient verser au Payeur des frais d'administration et ils assumaient les coûts des bénéfices marginaux relatifs au salaire-homme qu'ils disaient recevoir, y compris les parts des employeurs : Dossier du demandeur, page 95. Il s'agit là de conditions difficilement conciliables avec un statut d'employé.


[47]            En somme, le juge eût-il apprécié et appliqué correctement les critères d'analyse de la relation contractuelle entre les parties ainsi que la preuve au dossier qu'il n'aurait pu faire autrement que conclure que, pour les périodes en litiges, chacun des défendeurs exploitait, d'une manière responsable et autonome, une entreprise qui était la sienne, soumise comme tout autre entreprise d'un entrepreneur indépendant à des contrôles de qualité, de résultat et de respect des normes environnementales. En conséquence, il aurait conclu que la réalité juridique n'était pas celle décrite par les défendeurs et que ces derniers n'occupaient pas des emplois assurables au sens de la Loi sur l'assurance-emploi ou de la Loi sur l'assurance-chômage.

2.         Le défendeur, M. Coudé

[48]            La situation factuelle et juridique de M. Coudé est différente de celle des trois autres défendeurs en ce que la première période en litige était régie par un contrat de location passé entre le Payeur et la société Ecoforêt alors que la deuxième concernait son propre lot.

A.        La période du 10 juin au 4 octobre 1996

[49]            La conclusion du juge, qui sert en même temps d'analyse de la question, se retrouve au paragraphe 223 de la décision. Elle se lit ainsi :

Il n'y a aucune preuve qu'Ecoforêt a payé un salaire à l'appelant Yvan Coudé pendant les périodes en litige. Il faut donc conclure que l'appelant a travaillé pour le payeur, pendant les périodes en litige, soit du 10 juin au 4 octobre 1996 et du 13 octobre au 17 octobre 1997 en tant qu'employé.

Cette conclusion est erronée en fait et en droit.


[50]            Le contrat de travail, consistant en de la coupe de bois et du débardage, fut passé entre le Payeur et la société Ecoforêt qui était propriétaire du transporteur utilisé dans la réalisation des travaux. Le Payeur versait à Ecoforêt 12 $ le mètre cube de bois débardé pour la location du transporteur : voir le Dossier du demandeur, vol. II, aux pages 466 et 467. Initialement, aucun salaire ne fut versé à M. Coudé, à M. Gagné, le co-actionnaire de M. Coudé dans Ecoforêt, à son beau-père ou à son beau-frère qui ont tous opéré la machine afin de rentabiliser au départ l'entreprise Ecoforêt : id., aux pages 408 à 410. Ce n'est que par la suite que M. Coudé a reçu un salaire, payé toujours à même le 12 $ du mètre cube reçu par Ecoforêt : id., aux pages 453 et 454. De toute évidence, ce salaire provenait d'Ecoforêt puisque le prix du mètre cube versé par le payeur est demeuré le même, qu'Ecoforêt ait payé ou non un salaire à l'opérateur de la machine.

[51]            La preuve révèle également que la société Ecoforêt a engagé en sous-traitance des compagnies pour l'aider à effectuer la coupe de bois. C'était elle, et non le Payeur, qui les rémunérait à même les montants reçus du Payeur : id., aux pages 409 à 411. La source et les modalités de paiement à ces compagnies étaient les mêmes que pour M. Coudé. Rien dans la preuve ne permet, dans ces circonstances, de croire, encore moins de conclure, que le salaire de M. Coudé était versé par le Payeur plutôt que par la société Ecoforêt dont il était à la fois employé et actionnaire à plus de 40 %.


[52]            Les faits, les circonstances et les conditions entourant l'emploi de M. Coudé sont, à toutes fins pratiques, identiques à ceux que l'on retrouve dans l'affaire Michel Simard c. Le Procureur général du Canada, 2003 CAF 410 où notre Cour a conclu que la Cour canadienne de l'impôt n'avait commis aucune erreur en déterminant que le demandeur était en réalité l'employé de sa société plutôt que celui de l'entreprise de coupes forestières avec laquelle sa société avait conclu le contrat.

[53]            Je terminerai en soulignant le caractère artificiel de la détermination du montant du salaire de M. Coudé, ainsi que de celui des autres défendeurs. M. Léon Simard, qui était le comptable à l'emploi du Payeur, a reconnu en contre-interrogatoire, confirmant ainsi sa déclaration initiale faite aux enquêteurs, que c'étaient les défendeurs qui fixaient le montant du salaire dont ils avaient besoin pour vivre ainsi que le nombre de timbres de chômage qu'il leur fallait pour se qualifier pour des prestations d'assurance-emploi : voir le Dossier du demandeur, vol. I, aux pages 125 à 130. Je note, en passant, que s'il est permis d'organiser et d'agencer son travail de façon à pouvoir, le cas échéant, bénéficier de prestations d'assurance-emploi (voir par exemple Canada (Procureur général) c. Rousselle, [1990] A.C.F. no. 990), la tolérance ne va pas jusqu'à permettre que les assurés haussent leurs taux de prestations en fixant arbitrairement et artificiellement leurs salaires.


[54]            Dans son interrogatoire en chef, M. Léon Simard a insisté sur le fait que les opérateurs de débusqueuses devaient posséder une bonne expérience et que c'est la raison pour laquelle le Payeur insistait pour que ce soit les défendeurs eux-mêmes qui exécutent les travaux : id., à la page 98. Je note, en passant, qu'à la page 263 du même volume, dans le but de faire ressortir l'ampleur du contrôle du Payeur sur les travaux afin d'établir l'existence d'un lien de subordination et donc d'un contrat de travail, M. Tremblay, dont les services auraient été retenus comme opérateur à cause de son expérience, déclare « opérer une débusqueuse, je connais pas vraiment ça » . Or, M. Coudé qui était débroussailleur n'avait jamais opéré un transporteur auparavant et, sans expérience, il recevait un salaire hebdomadaire de 700 $, soit plus que les défendeurs, Tremblay (640 $) et Denis Simard (650 $), que l'on disait expérimentés comme opérateurs de débusqueuses : id., aux pages 471 et 472.

[55]            En somme, pour la période du 10 juin au 4 octobre 1996, M. Coudé était l'employé de la société Ecoforêt. En tant qu'actionnaire à plus de 40 % de cette société, son emploi était exclus des emplois assurables par le jeu de l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi ou 3(2)b) de la Loi sur l'assurance-chômage.

B.         La période du 13 au 17 octobre 1997

[56]            Le juge a analysé l'assurabilité de cette période avec celles des autres défendeurs en y appliquant les mêmes principes. Or, le défendeur se trouvait dans une situation différente. De fait, le travail effectué consistait en du débroussaillage et non du « débusquage » . Ainsi, le défendeur ne fournissait pas de machinerie lourde comme les autres défendeurs de sorte que le Bulletin d'assujettissement 97-1 ne s'appliquait pas. Il n'y avait donc ni contrat de location de machinerie lourde par un propriétaire-opérateur, ni salaire-machine. Le défendeur fournissait ses propres outils de travail, soit scie mécanique et débroussailleuse.


[57]            La preuve, plutôt maigre relativement à cette période, révèle que le défendeur fut payé à l'hectare par le Payeur : Dossier du demandeur, vol. II, page 464. Il venait de terminer des travaux pour une autre coopérative forestière et ses services furent retenus par le Payeur.

[58]            Il n'y a au dossier aucune preuve d'intégration dans l'entreprise du Payeur. Les revenus étaient sujets à des fluctuations puisque liés au volume de production. Le défendeur assumait les risques de pertes. Sur la foi de ces éléments de preuve, il n'est pas possible de conclure qu'il occupait un emploi assurable durant la période visée.

Conclusion

[59]            Je me suis livré à une nouvelle analyse du dossier et de la preuve à la demande des parties, les défendeurs nous ayant informés après réflexion, par lettre de leurs procureurs en date du 5 avril 2004, qu'à cause des coûts et des difficultés qu'ils auraient à témoigner à nouveau sur des périodes remontant à 1994, ils préféraient cette solution, si elle s'avérait possible, à un retour de l'affaire devant la Cour canadienne de l'impôt.


[60]            Je crois qu'il n'est pas déraisonnable de dire que les périodes en litige (1994 à 1997) correspondent, en ce qui a trait à l'assurabilité de l'emploi, à une période de flottement et de transition quant au statut des travailleurs forestiers opérant une machinerie lourde dont ils étaient propriétaires. Le Bulletin d'Assujettissement 97-1 se voulait un effort de clarification des principes juridiques applicables à l'assurabilité de tels emplois, principes que Revenu Canada entendait suivre.

[61]            Comme c'est souvent le cas pour le droit lui-même, le Bulletin d'Assujettissement est un épiphénomène. Il est intervenu après que se fut instaurée et installée une pratique par laquelle les travailleurs forestiers ont cherché une méthode à la fois de gagner laborieusement leur vie en période d'activités forestières et de s'assurer d'un revenu par le biais de l'assurance-emploi durant la période d'inactivité forcée. Je pense que le juge s'est montré sympathique à cette situation particulière et que le Bulletin d'Assujettissement l'a grandement influencé dans son cheminement vers la conclusion à laquelle il en est venu.

[62]            Je crois comprendre que la situation des travailleurs forestiers s'est maintenant clarifiée et quelque peu régularisée, du moins pour les défendeurs. L'Addenda au Bulletin d'Assujettissement No. 97-1 fait état des efforts faits par les employeurs et les travailleurs de l'industrie forestière ainsi que par Revenu Canada et Développement des ressources humaines Canada pour que les premiers s'adaptent à la politique de Revenu Canada et pour que les seconds se montrent plus sensibles à la réalité que vivent les travailleurs forestiers : voir l'Addenda, Dossier du défendeur, pages 43 et 44.


[63]            Dans le dossier qui nous occupe, M. Tremblay a bénéficié d'un programme spécial avec une subvention d'un an de chômage pour mieux se structurer comme entrepreneur : voir son témoignage au Dossier du demandeur, vol. I, page 232. Compte tenu de la nature et de la teneur des arrangements pris par les défendeurs avec le Payeur, il n'était pas possible de conclure à une relation employeur/employé sans ignorer ou faire fi des principes juridiques régissant le contrat de travail. Cependant, compte tenu de la période de flottement et d'incertitude dans laquelle les défendeurs se sont retrouvés, je pense qu'il n'est que juste de ne pas leur imposer les frais de ces demandes de contrôle judiciaire.

[64]            Pour les motifs exprimés, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire sans frais, j'annulerais la décision du juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt et je retournerais l'affaire au Juge en chef de cette Cour, ou au juge qu'il désignera, pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que le défendeur n'occupait pas un emploi assurable durant les périodes en litige.

[65]            Copie des présents motifs sera déposée dans les dossiers A-572-02, A-573-02 et A-574-02 pour valoir au soutien du jugement à y être rendu.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je souscris à ces motifs

Alice Desjardins j.c.a. »

« Je suis d'accord

Marc Nadon j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              A-571-02

INTITULÉ :                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RÉJEAN                                                                            TREMBLAY

LIEU DE L'AUDIENCE :                       QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                     31 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                               LE JUGE DESJARDINS

                                                                 LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                            3 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Me Nathalie Lessard/Me Dany Leduc        POUR LE DEMANDEUR

Me André Tremblay/Me Pierre Parent        POUR LE DÉFENDEUR

         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                          

Ministère de la justice Canada                                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Cain, Lamarre, Wells                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Chicoutimi (Québec)


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