Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180928


Dossier : A-63-18

Référence : 2018 CAF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

JEFF EWERT

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(Service correctionnel du Canada)

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180928


Dossier : A-63-18

Référence : 2018 CAF 175

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

JEFF EWERT

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(Service correctionnel du Canada)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  La Cour est saisie d’un appel d’une décision de la Cour fédérale dont la référence est 2018 CF 47 (sous la plume du juge Martineau). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant à l’encontre d’une décision du sous-commissaire principal (SCP) du Service correctionnel du Canada (SCC) qui a rejeté son grief concernant un transfèrement interrégional ayant eu lieu en décembre 2014.

[2]  L’appelant est un détenu incarcéré à l’Établissement correctionnel La Macaza (La Macaza), un pénitencier fédéral situé au nord-ouest de Montréal.

[3]  Le 17 décembre 2014, il a quitté l’Établissement du Pacifique à Abbotsford, en Colombie-Britannique, pour retourner à La Macaza, après une audience devant la Cour fédérale. L’appelant a subi une fouille à nu à son départ de l’Établissement du Pacifique. En vertu d’un mandat de transfèrement interrégional, il a pris un vol à destination de Montréal, avec des arrêts planifiés à Edmonton, à Saskatoon, à Winnipeg et à Trenton. Pendant le vol, le demandeur était menotté, entravé et portait une ceinture de force.

[4]  À son arrivée à Trenton, l’appelant a été débarqué avec plusieurs autres détenus, alors que les détenus de l’unité spéciale de détention (USD) se sont envolés vers Montréal. Cette procédure a été effectuée conformément à la politique du SCC selon laquelle tous les détenus de sexe masculin qui ne font pas partie de l’USD, faisant l’objet d’un transfèrement de l’Ouest du Canada vers le Québec, doivent passer une nuit à l’Établissement de Collins Bay, à Kingston.

[5]  L’appelant a alors été conduit à l’Établissement de Collins Bay, où il a été hébergé dans l’unité d’isolement. En entrant dans l’unité, il a subi une fouille à nu.

[6]  Le lendemain, au moment de quitter l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay, il a de nouveau été fouillé à nu. À Kingston, il a pris un deuxième vol à destination de Montréal, avec des arrêts planifiés à Québec, à Moncton et à Port-Cartier. Sur ce vol, les mesures de contraintes étaient semblables à celles du vol de la veille.

[7]  À son arrivée à Montréal ce soir-là, l’appelant a été conduit à Sainte-Anne-des-Plaines pour y passer la nuit, où il a été fouillé à nu une quatrième fois.

[8]  L’appelant est finalement arrivé à La Macaza le 19 décembre 2014.

[9]  Par la suite, il a déposé un grief au titre de l’article 80 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620. Le SCP a rejeté le grief dans son intégralité le 31 mars 2017.

[10]  Dans le présent appel, la Cour doit déterminer si le juge de la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et s’il l’a correctement appliquée (voir l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paras. 45 et 46, [2013] 2 R.C.S. 559).

[11]  Le juge a choisi la bonne norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable. La Cour fédérale devait déterminer si la décision du SCP était raisonnable dans son ensemble (Wilson c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 182, paras. 7 et 8). Lorsque la décision fait intervenir la Charte canadienne des droits et libertés, soit la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch.11 (la Charte), l’examen visant à en vérifier le caractère raisonnable exige de savoir si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée des protections en cause conférées par la Charte et du mandat prévu par la loi pertinente (Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, para. 57, [2012] 1 R.C.S. 395 (Doré); École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, para. 39, [2015] 1 R.C.S. 613 (Loyola)). L’analyse a trait à la question de savoir si la décision respecte les valeurs consacrées par la Charte.

[12]  Je suis d’avis que la décision du SCP était déraisonnable. Par conséquent, l’appel devrait être accueilli. Je suis parvenu à cette conclusion en raison du fait que le décideur a omis de tenir compte des valeurs consacrées par la Charte lorsqu’il a évalué le grief de l’appelant, comme l’exige la Cour suprême dans les arrêts Doré et Loyola, et comme la Cour suprême vient de le confirmer dans l’arrêt Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 (TWU).

[13]  La question préliminaire qui se pose est de savoir si la décision du SCP fait intervenir la Charte en limitant les protections que confère cette dernière – qu’il s’agisse de droits ou de valeurs (Loyola, para. 39; TWU, para. 58).

[14]  Je suis d’avis que les droits que la Charte garantit à l’appelant aux articles 8 et 9 étaient manifestement en jeu.

[15]  Une fouille ne sera pas abusive au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 8 de la Charte (protection contre les fouilles et les saisies abusives) si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive (R. c. Golden, 2001 CSC 83, para. 44, [2001] 3 R.C.S. 679).

[16]  En l’espèce, l’appelant a été fouillé à nu à quatre reprises pendant son transfèrement entre l’Établissement du Pacifique et celui de La Macaza. Deux de ces fouilles ont été effectuées en vertu de l’article 48 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, à l’arrivée de l’appelant dans l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay et à son départ, et ce malgré le fait qu’entre la fouille effectuée à l’Établissement du Pacifique et son arrivée à l’Établissement de Collins Bay, l’appelant n’a pas eu l’occasion d’avoir accès à des armes, à des drogues ou à d’autres objets interdits.

[17]  En ce qui concerne l’article 9 de la Charte (protection contre la détention arbitraire), pour ne pas être jugée arbitraire, la détention doit être autorisée par une loi elle-même non arbitraire (R. c. Grant, 2009 CSC 32, para. 56, [2009] 2 R.C.S. 353).

[18]  En l’espèce, l’appelant se déplaçait en vertu d’un mandat de transfèrement interrégional à destination de La Macaza. On l’a fait descendre du vol à destination de Montréal, pour lui faire reprendre le trajet le lendemain, menotté et entravé, en passant par l’Est du Canada, ce qui a pris 12 heures.

[19]  Le SCP était par conséquent tenu de mettre en balance, d’une part, les protections découlant de ces droits et les valeurs que ces droits représentent et, d’autre part, l’application de la loi et des politiques du SCC pertinentes.

[20]  Je ne suis pas convaincu que cela a été fait. Les motifs à l’appui du rejet du grief dénotent une application rigoriste des politiques du SCC. Les motifs ne révèlent pas, explicitement ou implicitement, que les valeurs consacrées par la Charte ont été prises en compte, et encore moins que l’exercice de mise en balance exigé par la jurisprudence a été réalisé.

[21]  Compte tenu du temps qui s’est écoulé, une ordonnance enjoignant au SCP de réexaminer le grief de l’appelant ne serait d’aucune utilité. Rien ne justifie, toutefois, que l’appel au fond de l’appelant doive être rejeté en raison des longueurs dans le dossier, qui sont essentiellement attribuables à l’intimé. J’accueillerais donc l’appel avec dépens et j’annulerais la décision du SCP ayant rejeté le grief de l’appelant. Toutefois, en vertu de notre pouvoir discrétionnaire en matière de réparation, je n’accorderais aucune autre réparation (Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans)), 2010 CSC 2, para. 51, [2010] 1 R.C.S. 6).

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


ANNEXE A

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20)

Correction and Conditional Release Act (S.C. 1993, c. 20)

Fouille à nu

Routine strip search of inmates

48 L’agent peut, sans soupçon précis, procéder à la fouille à nu d’un détenu de même sexe que lui soit dans les cas prévus par règlement où le détenu s’est trouvé dans un endroit où il aurait pu avoir accès à un objet interdit pouvant être dissimulé sur lui ou dans une des cavités de son corps, soit lorsqu’il arrive à une aire d’isolement préventif ou la quitte.

48 A staff member of the same sex as the inmate may conduct a routine strip search of an inmate, without individualized suspicion,

(a) in the prescribed circumstances, which circumstances must be limited to situations in which the inmate has been in a place where there was a likelihood of access to contraband that is capable of being hidden on or in the body; or

(b) when the inmate is entering or leaving a segregation area.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 19 JANVIER 2018, DOSSIER NO T-841-17 (2017 CF 47)

DOSSIER :

A-63-18

 

INTITULÉ :

JEFF EWERT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (le Service correctionnel du Canada)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SEPTEMBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Jeff Ewert

L’APPELANT

Émilie Tremblay

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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