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Date : 20040507

Dossier : A-486-02

Référence : 2004 CAF 186

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                                 KEN BEKKER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                               Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 27 avril 2004.

                              Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 7 mai 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE STONE

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20040507

Dossier : A-486-02

Référence : 2004 CAF 186

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                                 KEN BEKKER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                                                                             

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 11 juillet 2002 par laquelle un juge de la Cour canadienne de l'impôt (Cour de l'impôt) a rejeté l'appel du demandeur et confirmé la cotisation du ministre du Revenu national (ministre) pour les années d'imposition 1998 et 1999. Le ministre a refusé le crédit que le demandeur avait réclamé au titre de ses frais médicaux en application de l'article 118.2, notamment de l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), qui est la disposition la plus pertinente en l'espèce :


118.2 (2) Frais médicaux - Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

[...]

n) [médicaments] - pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances - sauf s'ils sont déjà visés à l'alinéa k) - qui sont, d'une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d'une maladie, d'une affection, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d'autre part, achetés afin d'être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l'alinéa a), sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste, et enregistrés par un pharmacien;

118.2 (2) Medical expenses. For the purposes of sub-section (1), a medical expense of an individual is an amount paid

[...]

(n) for drugs, medicaments or other preparations or substances (other than those described in paragraph (k)) manufactured, sold or represented for use in the diagnosis, treatment or prevention of a disease, disorder, abnormal physical state, or the symptoms thereof or in restoring, correcting or modifying an organic function, purchased for use by the patient as prescribed by a medical practitioner or dentist and as recorded by a pharmacist;

                                                                                                                (Non souligné dans l'original)

[2]                La question dont la Cour de l'impôt était saisie portait sur la déductibilité des frais que le demandeur a engagés pour l'acquisition de préparations ou substances (c'est-à-dire des suppléments et des aliments biologiques) qui avaient été prescrites à son épouse par le médecin de famille et un spécialiste en médecine environnementale. Le ministre a refusé la demande de crédit du demandeur au titre des frais médicaux parce que, même si les articles achetés avaient été prescrits pour l'épouse du demandeur et utilisés par celle-ci, ils n'étaient pas « enregistrés par un pharmacien » conformément aux exigences de l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi.


[3]                Même si le juge a exprimé une grande sympathie pour la cause du demandeur, il a statué qu'il ne pouvait ignorer le texte législatif et qu'il devait y donner effet. En l'absence d'éléments de preuve indiquant que les prescriptions avaient été enregistrées par un pharmacien, il a conclu que cette exigence n'avait pas été respectée. Le demandeur conteste cette conclusion pour deux raisons.

[4]                D'abord, il soutient que le juge a mal interprété le texte de la disposition législative en question et qu'il aurait dû donner à l'alinéa 118.2(2)n) une interprétation libérale, comme certains de ses collègues de la Cour de l'impôt l'avaient fait.

[5]                En second lieu, il soutient que l'alinéa en question va à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), parce qu'il crée une distinction fondée sur une déficience physique à l'endroit de son épouse et de toutes les autres personnes qui sont incapables de prendre des médicaments enregistrés par un pharmacien. Il demande que les mots « enregistrés par un pharmacien » soient radiés de l'alinéa ou déclarés inopérants.

[6]                Dans un jugement qu'a rendu la Cour d'appel fédérale le 5 janvier 2004, Sa Majesté La Reine c. Ray, 2004 CAF 1, Madame la juge Sharlow a rédigé la décision unanime et statué que cette exigence législative devait être respectée pour que les frais soient admissibles à titre de « frais médicaux » aux fins du crédit d'impôt prévu à l'alinéa 118.2(2)n). En raison de ce jugement, le premier motif de contrôle qu'a soulevé le demandeur ne peut être retenu.


[7]                Quant au second motif, l'avocat de la défenderesse s'y est vivement opposé, parce qu'aucun avis de question constitutionnelle (avis) n'avait été donné conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale et que la question n'avait pas été soulevée devant la Cour de l'impôt. Je crois que l'objection de la défenderesse est bien fondée.

[8]                La Cour d'appel n'examinera pas une question de nature constitutionnelle sans qu'un avis ait été signifié au procureur général du Canada et à celui de chaque province : voir Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union et al. (1999), 238 N.R. 73 (C.A.F.); Giagnocavo c. M.R.N. (1995), 95 D.T.C. 5618, où la Cour d'appel fédérale a statué qu'elle n'avait pas compétence pour entendre la question. Cet avis n'est pas qu'une simple formalité ou technicalité que la Cour peut ignorer ou à l'égard de laquelle elle peut accorder une dispense : voir La Reine c. Fisher (1996), 96 D.T.C. 6291, où la Cour d'appel fédérale a décidé que l'avis doit être donné dans tous les cas où la validité constitutionnelle ou l'applicabilité d'une loi est remise en question de la manière décrite à l'article 57, notamment dans une instance portée devant la Cour de l'impôt et régie par la procédure informelle. Effectivement, un juge ne peut de lui-même soulever une question constitutionnelle sans donner un avis au procureur général : voir Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Î.­-P.-É., [1997] 3 R.C.S. 3.


[9]                L'objet de cet avis est utile, voire essentiel. Le procureur général, que ce soit celui du Canada ou d'une province, est chargé d'assurer l'application des lois et de défendre la constitutionnalité de celles qu'édicte le Parlement ou l'assemblée législative provinciale, selon le cas. L'avis lui permet de s'acquitter de cette fonction : au sujet de la fonction elle-même, voir Thorson c. Canada (Procureur général), [1975] 1 R.C.S. 138, à la page 146; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, au paragraphe 28; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418. Il a également pour effet d'informer les procureurs généraux provinciaux des contestations visant des lois fédérales qui pourraient avoir des répercussions sur leurs provinces, même si l'obligation d'appuyer la constitutionnalité de ces lois n'est pas la leur. C'est pourquoi l'avis doit donner aux destinataires des renseignements satisfaisants en ce qui concerne les faits pertinents donnant lieu à la question constitutionnelle et au fondement juridique de cette question, faute de quoi il sera jugé insuffisant et la Cour présumera qu'il n'y a aucune question sérieuse à trancher : voir Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union et al., déjà cité. Enfin, il permet de veiller à ce qu'aucune injustice ne soit faite à l'endroit des représentants élus qui ont édicté la loi et de la population qu'ils représentent : voir Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, aux pages 264 et 265, par le juge Sopinka.

[10]            À l'audience, le demandeur a sollicité un ajournement pour lui permettre de signifier l'avis ainsi que l'autorisation de plaider la question pour la première fois devant nous. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit possible ou souhaitable.


[11]            Les demandes de contrôle judiciaire ont une portée limitée. Il ne s'agit pas de nouvelles instances au cours desquelles de nouvelles questions peuvent être tranchées sur la foi de nouveaux éléments de preuve. Comme l'a dit le juge Rothstein, de la Cour d'appel fédérale, dans Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees' Union, [2000] 1 C.F. 135, au paragraphe 15, « le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions » et, j'ajouterais, simplement d'en déterminer la légalité : voir également Offshore Logistics Inc. c. Intl. Longshoremen's Assoc., section locale 269 (2000), 257 N.R. 338 (C.A.F.). C'est la raison pour laquelle, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme l'existence de questions relatives à la partialité ou à la compétence, qui ne figurent pas nécessairement au dossier, la cour de révision est liée par le dossier dont le juge ou l'office était saisi et est limitée à ce dossier. Par souci d'équité pour les parties et pour le tribunal dont la décision est révisée, cette restriction est nécessaire. Ainsi, la nature même de la demande de contrôle judiciaire empêche la Cour de faire droit à la demande du demandeur. De plus, il existe d'autres raisons tout aussi impérieuses de refuser cette demande.

[12]            Invoquer la Charte pour contester la validité d'un texte de loi édicté par le Parlement est une démarche sérieuse. Cette contestation doit habituellement reposer sur des arguments étayés par la preuve. Les questions constitutionnelles ne peuvent pas et ne devraient pas être tranchées dans un vide factuel. Comme l'a dit le juge Cory dans MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361 et 362 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte...Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.


[13]            Ces préoccupations sont très pertinentes dans le cas des contestations fondées sur l'article 15, au sujet desquelles la jurisprudence exige une enquête contextuelle complète et fondée sur plusieurs facteurs de la part de la cour de révision pour savoir si le texte législatif attaqué crée non seulement une différence de traitement, mais également une distinction discriminatoire au sens constitutionnel : voir, par exemple, Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; Front commun des personnes assistées sociales du Québec c. Canada (CRTC), 2003 CAF 394; Canada (Procureur général) c. Lesiuk, [2003] 2 C.F. 697 (C.A.); Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950; Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; Falkiner c. Ontario (Ministry of Community and Social Services), 59 O.R. (3d) 481 (C.A.). En d'autres termes, toutes ces décisions font ressortir la nécessité d'une enquête et d'une analyse contextuelles pour savoir si une distinction va à l'encontre de l'objet de l'article 15 de la Charte.

[14]            La preuve nécessaire à cette fin peut comprendre des données relevant des sciences sociales et des statistiques; il se peut que des contre-interrogatoires soient aussi nécessaires. La partie défenderesse peut déposer une preuve en réfutation et présenter d'autres éléments afin de tenter de prouver que, si le texte législatif contrevient à l'article 15, il peut néanmoins être protégé en vertu de l'article premier à titre de règle de droit dont les limites sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.


[15]            Jusqu'à maintenant, le demandeur n'a déposé aucun élément de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle la disposition de l'alinéa 118.2(2)n) va à l'encontre du droit constitutionnel de son épouse à l'égalité, sans distinction fondée sur une déficience physique. Cependant, eu égard à la nature des fonctions de la Cour, qui sont essentiellement des fonctions d'appel, il serait inapproprié et difficile pour celle-ci de tenter d'aborder l'abondante preuve documentaire et verbale que les deux parties présenteraient vraisemblablement.

[16]            Pour les motifs exposés ci-dessus, j'en suis arrivé à la conclusion, malgré ma sympathie à l'endroit de la position du demandeur, que la validité constitutionnelle de la disposition attaquée ne devrait pas être examinée pour une première fois dans le cadre d'un litige porté devant la Cour d'appel fédérale. Le demandeur sera peut-être réconforté d'apprendre que la même question constitutionnelle fait actuellement l'objet d'un litige dont l'audition doit avoir lieu devant la Cour de l'impôt le 25 octobre 2004. De plus, compte tenu du manque d'uniformité de la jurisprudence au sujet de l'interprétation de l'alinéa 118.2(2)n) avant l'arrêt Ray et de l'ensemble des circonstances de l'affaire, je ne condamnerais pas le demandeur à payer les dépens.

[17]            En conséquence, pour les motifs que j'ai exposés plus haut, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

A.J. Stone, juge »


« Je souscris aux présents motifs

John M. Evans, juge »

Traduction certifiée conforme

_________________________

Richard Jacques, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-486-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Ken Bekker c. Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 27 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :             le juge Létourneau

Y ONT SOUSCRIT :              le juge Stone

ET                                                        le juge Evans

DATE DES MOTIFS :                       le 7 mai 2004

COMPARUTIONS :

David Green - Martha Mann

POUR LE DEMANDEUR

Cecil Woon - Peter Leslie

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg Thompson

Halifax (N.-É.)

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Halifax (N.-É.)

POUR LA DÉFENDERESSE


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