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Date : 20050308

Dossier : A-482-03

Référence : 2005 CAF 90

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                  VIDÉOTRON TÉLÉCOM LTÉE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

                                                  DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

                                                                                                                                      défenderesse

                                  Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 octobre 2004.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20050308

Dossier : A-482-03

Référence : 2005 CAF 90

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                  VIDÉOTRON TÉLÉCOM LTÉE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

                                                  DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

                                                                                                                                      défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                La demanderesse (l'employeur) s'en prend à une décision du Conseil canadien des relations industrielles rendue le 16 septembre 2003, par laquelle le Conseil déterminait la portée intentionnelle d'un certificat d'accréditation octroyé à la défenderesse le 31 janvier 1995. Selon la demanderesse, cette décision, non unanime, serait manifestement déraisonnable.


[2]                Une question préliminaire relative au caractère théorique de cette procédure s'est posée en l'espèce, que la Cour a soulevée d'elle-même à l'audience.

[3]                La décision attaquée est la décision initiale rendue par trois membres du Conseil le 16 septembre 2003 (dossier du Conseil 18882-C, décision no 909). Le 8 octobre 2003, l'employeur a demandé au Conseil, en vertu de l'article 18 du Code, de réexaminer sa décision du 16 septembre 2003 (dossier de la demanderesse, p. 119). Cette demande de réexamen se fonde sur le fait que la décision initiale « comporte des erreurs de droit qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil » (ibid., p. 120).

[4]                Le 7 janvier 2004 (dossier du Conseil 23980-C, décision no 987), trois autres membres du Conseil rejetaient au mérite la demande de réexamen (ibid., p. 124), et ce dans les termes suivants :

Le banc de révision juge que la position de l'employeur se limite à ne pas être d'accord avec les conclusions de la majorité du banc initial sur la question des postes liés à l'informatique et de préférer la conclusion de la minorité à savoir que les postes liés à l'informatique ne sont pas compris dans l'unité de négociation universelle parce qu'ils ne sont pas des nouveaux postes de même nature.

La notion de ce qu'est une unité de négociation universelle est un principe bien établi par la jurisprudence du Conseil, et décrit par le Conseil dans NorthwesTel Inc., 13 décembre 1999 (CCRI LD 158):

La nature de la description de l'unité de négociation universelle en est une qui n'est pas bloquée à la date de la délivrance de l'ordonnance d'accréditation. Elle doit plutôt résister au passage du temps et devrait inclure de nouvelles classifications ou de nouveaux postes de nature semblable, sauf si les faits justifient leur exclusion de l'unité de négociation. Cette perspective fait en sorte que l'ordonnance d'accréditation existante continue de s'appliquer à « l'effectif total » au sens du Code sans nécessiter de modification chaque fois que l'employeur crée une nouvelle classification ou un nouveau poste.

(page 4)


Avec égard pour la position contraire, le terme nouveau poste de nature semblable doit être appliqué avec souplesse, c'est-à-dire comprendre les postes dans le même secteur d'activité ou la même industrie par opposition à des postes dans un autre domaine ou industrie. L'interprétation selon laquelle une unité de négociation universelle doit se limiter à des postes identiques ou analogues à ceux qui existaient au moment de l'accréditation, ou exclure ceux qui ne sont pas désignés expressément, remettrait en question le développement de tout nouveau poste dû à la croissance des affaires de l'employeur, et serait contraire au principe que la description de l'unité de négociation doit résister au passage du temps.

Il y a aussi lieu de souligner que le certificat émis par le Conseil le 10 mai 2000 est sans équivoque :

tous les employés de Vidéotron Télécom Ltée, à l'exclusion des ingénieurs, des vendeurs, des employé(s) de bureau, des agents de coordination, des responsables gestion de projets, des superviseurs et de ceux de rang supérieur.

(nos soulignés)

Par conséquent, les postes qui ne font pas partie des exclusions doivent nécessairement être compris dans l'unité de négociation. La tendance du Conseil est de favoriser les plus grandes unités. Or, il appert que ce principe a été appliqué lorsque la description de l'unité a été redéfinie en 2000 pour comprendre tous les employés de Vidéotron Télécom Ltée. L'argument de l'employeur selon lequel l'unité fusionnée ne peut pas être plus grande en nombre que les deux unités auparavant distinctes est sans fondement. Au contraire et dans la mesure ou la description est universelle, elle peut s'élargir en nombre avec le temps.

Le banc de révision est donc d'avis que les principes du Code ont été appliqués comme ils le devaient, et par conséquent rejette la demande de réexamen. [...]

                                                                                                       [d. de dem., pp. 126-127]

                                                                                                    [soulignement dans le texte]


[5]                Dans Lamoureux c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes, [1993] A.C.F. no 1128, cette Cour avait rappelé que la partie qui ne s'attaque qu'à la décision de réexamen ne peut profiter de cette attaque pour remettre en question la décision initiale (voir, aussi, Reid c. Grainworkers Union, Local 333, [1994] A.C.F. no 167; Sim c. R. (1997), 220 N.R. 63). La situation est inversée, en l'espèce, l'employeur ne s'attaquant qu'à la décision initiale, avec le résultat que la décision de réexamen, qui lui est aussi défavorable, échappe au contrôle judiciaire de cette Cour. L'affaire se complique, ici, du fait que les prétentions de l'employeur, dans sa demande de réexamen, se limitent, pour reprendre les mots de la décision de réexamen, « à ne pas être d'accord avec les conclusions de la majorité du banc initial sur la question des postes liés à l'informatique » et que les prétentions de l'employeur, devant nous, sont essentiellement les mêmes que celles qu'il avait fait valoir dans sa demande de réexamen et que le Conseil n'a pas retenues.

[6]                Notre Cour se retrouve donc dans une position des plus inconfortable. Elle ne saurait intervenir à l'égard de la décision attaquée que si celle-ci était manifestement déraisonnable, et la mise à l'écart de la décision initiale ne ferait pas disparaître la décision de réexamen qui, à défaut d'avoir été attaquée, est opposable à l'employeur. Par ailleurs, notre Cour, en appréciant le caractère manifestement déraisonnable de la décision attaquée, ne saurait ignorer le fait que trois autres membres du Conseil ont jugé la décision initiale bien fondée et conforme à la politique suivie par le Conseil lors de demandes de précision d'accréditations dites universelles.

[7]                Selon l'article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (DORS/2001-520),



44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes :

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l'article 3.

44. The circumstances under which an application shall be made to the Board exercising its power of reconsideration under section 18 of the Code include the following:

(a)    the existence of facts that were not brought to the attention of the Board, that, had they been known before the KBoard rendered the decision or order under reconsideration, would likely have caused the Board to arrive at a different conclusion;      (b)      any error of law or policy that casts serious doubt on the interpretation of the Code by the Board;

(c) a failure of the Board to respect a principle of natural justice; and

(d) a decision made by a Registrar under section 3.

Le réexamen, en l'espèce, est demandé en vertu de l'alinéa 44b), soit « la preuve d'erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil » . C'est d'ailleurs cela même qu'invoque la demanderesse dans sa demande de réexamen (dossier de demanderesse, page 120).

[8]                La nature et l'effet d'une décision portant sur une demande de réexamen varient selon l'objectif recherché par la demanderesse et le sort que subit la demande de réexamen.

[9]                Lorsque l'objectif recherché est de sanctionner le « non-respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle » en vertu de l'alinéa 44c) du Règlement, la décision de réexamen qui conclut qu'il n'y a pas eu un « non-respect » pourrait laisser intacte la décision initiale. La partie qui conteste le bien-fondé de la décision initiale devra alors attaquer celle-ci en Cour d'appel fédérale. Si la partie veut aussi contester le bien-fondé de la décision de réexamen, elle devra également attaquer celle-ci. Si la partie choisit de n'attaquer qu'une des décisions, elle ne pourra utiliser sa procédure pour attaquer collatéralement l'autre décision.


[10]            Lorsque le Conseil rejette la demande de réexamen parce qu'il refuse de l'entendre sur le fond - par exemple, si elle est présentée hors délai, si la conduite du demandeur est fautive ou si le Conseil ne juge pas opportun de réexaminer les questions de droit ou de politique qui sont en cause (voir Aramark Québec Inc., [2001] CCRI no 123; Inter-Cité Transport Ltée (1985), 59 di 142) - la décision initiale demeure intacte et doit être directement attaquée en Cour d'appel fédérale quoique choisisse de faire la partie à l'égard de la décision de réexamen.

[11]            Lorsque l'objectif recherché est de corriger des erreurs de droit ou de principe au sens de l'alinéa 44b) du Règlement, lorsque le Conseil accepte de réexaminer l'affaire sur le fond et lorsqu'il renverse ou modifie la décision initiale, celle-ci perd généralement toute pertinence et c'est à tout le moins la décision de réexamen que la partie insatisfaite doit attaquer en Cour d'appel fédérale. Je fais miens à cet égard ces propos de la Vice-présidente Hélène Lebel (tel était alors son titre) dans Canadien National (1975), 9 di 21, endossés récemment par le Conseil dans Aramark Québec Inc., supra, au paragraphe 27 :

... Dans le troisième cas, toutefois, on demande au Conseil de réviser et de modifier une ordonnance ou une décision qu'il a rendue parce que sa décision originale était mauvaise ou erronée. Si le Conseil fait droit à la demande, sa décision ou son ordonnance originale peut être modifiée de façon substantielle, ce qui fait que le Conseil peut rendre deux décisions distinctes sur la même demande originale; il va sans dire que la seconde décision annule et remplace alors la décision originale.

(Voir aussi ADM Agri-industries Ltd., [2002] CCRI no 206, où le Conseil a modifié, après réexamen, la décision initiale.)


[12]            Qu'en est-il, cependant - et c'est le cas qui nous occupe ici - lorsque le Conseil, dans sa décision de réexamen, confirme à tous égards le bien-fondé de la décision initiale? Je suis d'avis que le même principe que celui dégagé dans Canadien National doit s'appliquer. Il y a deux décisions qui ont été rendues sur la même demande initiale et même si ces décisions vont dans le même sens, elles n'en sont pas moins distinctes. Quand bien même l'une n'annule pas l'autre puisqu'elle la confirme, elle ne la remplace pas moins pour les fins d'un contrôle judiciaire puisque ce dernier porte sur les mêmes questions de droit et de principe qui ont été tranchées de façon définitive par le banc de réexamen. Il s'ensuit que la décision de réexamen doit alors être attaquée directement. Si la partie se plaint également d'erreurs de droit ou de principe dans la décision initiale dont n'aurait pas traité le Conseil dans la décision de réexamen, ou encore d'erreurs de fait manifestement déraisonnables dans la décision initiale, elle devra alors attaquer également la décision initiale.

[13]            L'état et la stabilité du droit seraient mal servis si l'on permettait la coexistence de deux décisions potentiellement contradictoires, l'une de cette Cour dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision initiale, l'autre du Conseil dans le cadre du réexamen de ladite décision.


[14]            Cette conclusion va dans le sens de la pratique généralement suivie en cette Cour. La partie qui demande au Conseil de réexaminer une décision initiale dépose parallèlement une demande de contrôle judiciaire de la décision initiale ou, à tout le moins, dépose une requête en prorogation de délai dans l'attente de la décision de réexamen. Une fois la décision de réexamen rendue, la partie choisit d'attaquer l'une ou l'autre ou les deux, selon les circonstances. Si les deux décision sont attaquées, les parties pourront demander à la Cour de joindre les demandes de contrôle judiciaire pour les fins de la préparation des dossiers et de l'audition.

[15]            J'en viens ainsi à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire revêt un caractère purement théorique et que rien ne justifie que la Cour, dans l'exercice de sa discrétion, accepte néanmoins de l'entendre.

[16]            Cela dit, puisque c'est à l'initiative de la Cour que cette question préliminaire a été soulevée, j'ajouterai que si la décision de réexamen avait été attaquée comme elle aurait dû l'être, la Cour ne serait pas intervenue. Le seuil de déférence à l'égard de décisions rendues par le Conseil dans ce champ d'expertise par excellence que constitue la détermination de la portée intentionnelle d'un certificat d'accréditation est à son degré le plus élevé. La décision de réexamen ne saurait d'aucune manière être qualifiée de manifestement déraisonnable.

[17]            La demande de contrôle judiciaire devrait donc être rejetée avec dépens.

                                                                                                                                « Robert Décary »                         

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord.

     Gilles Létourneau, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

     M. Nadon, j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              A-482-03

INTITULÉ :                                             VIDÉOTRON TÉLÉCOM LTÉE c.

SYNDICAT CANADIEN DES

COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE

ET DU PAPIER

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 20 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                 LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                               LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                            Le 8 mars 2005

COMPARUTIONS:

Me Jean Beauregard

POUR LA DEMANDERESSE

Me Michel Cohen

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                          

Lavery, De Billy s.e.n.c.

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Melançon, Marceau, Grenier et Sciortino s.e.n.c.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE


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