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Date : 20060214

Dossier : A-356-05

Référence : 2006 CAF 67

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

ENTRE :

BRIAN BURTON

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 février 2006.

Jugement prononcé à l'audience à Ottawa (Ontario), le 14 février 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                                LE JUGE NOËL


Date : 20060214

Dossier : A-356-05

Référence : 2006 CAF 67

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

ENTRE :

BRIAN BURTON

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté d'une décision de la Cour de l'impôt ([2005] 4 R.C.T 2070) concernant les frais de logement et les frais d'utilisation d'une automobile remboursés à un employé par l'employeur.

[2]                La juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'appel visant la décision rendue au sujet de ces dépenses, car elle a conclu que le ministre avait considéré à juste titre qu'il s'agissait d'avantages imposables.

LES FRAIS DE LOGEMENT

[3]                Suivant la règle générale applicable, les frais de logement sont des dépenses personnelles et les sommes remboursées à ce titre par l'employeur doivent, en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, être incluses dans le calcul du revenu en tant qu'avantages imposables. L'appelant soutient, cependant, qu'un tel remboursement ne devrait pas être considéré dans son cas comme un avantage imposable étant donné que l'exception prévue par le paragraphe 6(6) de la Loi relativement aux chantiers particuliers s'applique.

[4]                L'application du paragraphe 6(6) est subordonnée à un certain nombre de conditions dont la nature temporaire du travail du contribuable sur le chantier en question. Selon la juge de la Cour de l'impôt, il ressort de « l'ensemble de la preuve » que les fonctions de l'appelant n'avaient rien de temporaires. Il s'agit d'une conclusion de fait qui est étayée par les éléments de preuve au dossier. Cette conclusion de la juge de première instance n'est entachée d'aucune erreur manifeste ou dominante et la Cour n'a pas à intervenir.

LES FRAIS D'UTILISATION D'UNE AUTOMOBILE

[5]                La juge de la Cour de l'impôt a en outre décidé que le remboursement des frais d'utilisation d'une automobile constituait un avantage imposable, mais l'appelant voit dans cette décision un manquement à l'équité procédurale. C'est le ministre qui a remis à la Cour une transcription de l'audience devant la Cour de l'impôt. Pour une raison qu'on ignore, la partie de l'audience au sujet de laquelle l'appelant affirme qu'il y a eu un manquement à l'équité procédurale n'y figure pas. Le ministre ne conteste cependant pas la relation qui en est faite par l'appelant.

[6]                Dans sa réponse du 12 janvier 2005 à l'avis d'appel devant la Cour de l'impôt notifié par l'appelant, le ministre a indiqué qu'il entendait invoquer les alinéas 6(1)a), 6(1)b) et 6(1)k) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[7]                Au début de l'audience devant la Cour de l'impôt, le 8 juillet 2005, l'avocat du ministre, sans préavis et sans déposer de requête en ce sens, a demandé l'autorisation de déposer une réponse modifiée dans laquelle toute mention de l'alinéa 6(1)k) était supprimée et remplacée par l'alinéa 6(1)l).

[8]                L'alinéa 6(1)l) prévoit que l'employé doit inclure dans le calcul de son revenu à titre d'avantage imposable les avantages qu'il reçoit de son employeur relativement au fonctionnement d'une automobile. Voici le texte de l'alinéa 6(1)l) :

6. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

   l) le montant représentant la valeur des avantages relatifs au fonctionnement d'une automobile [...] que le contribuable a reçus ou dont il a joui au cours de l'année soit relativement à sa charge ou à son emploi, soit dans le cadre ou en raison de cette charge ou de cet emploi.

6(1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable

   (l) the value of a benefit in respect of the operation of an automobile...received or enjoyed by the taxpayer in the year in respect of, in the course of or because of, the taxpayer's office or employment .

[9]                Les alinéas 6(1)a), b) et k), que le ministre a invoqués dans sa réponse initiale, n'imposent pas une telle obligation. Si ce n'était de l'alinéa 6(1)l), l'appelant n'aurait pas à inclure dans le calcul de son revenu en tant qu'avantage imposable les frais d'utilisation d'une automobile remboursés par l'employeur.

[10]            La juge de la Cour de l'impôt a autorisé le dépôt de la réponse modifiée et a donné le choix à l'appelant entre une suspension d'audience d'une demi-heure ou un ajournement de l'audience afin de préparer sa réplique à la réponse modifiée. L'appelant a décidé de ne pas demander d'ajournement et a accepté de poursuivre le jour même. Il a expliqué qu'étant donné que les questions en litige concernaient ses années d'imposition 2000 et 2001 et que l'audition de l'affaire par la Cour de l'impôt avait eu lieu en 2005, il ne voulait pas s'exposer à de nouveaux retards.

[11]            Selon l'appelant, la juge de la Cour de l'impôt aurait dû rejeter la demande du ministre sollicitant l'autorisation de déposer une réponse modifiée le matin même de l'audience. Sa décision de ne pas le faire et de lui offrir uniquement le choix entre une brève suspension et un ajournement de l'audience a entraîné un manquement aux règles de l'équité procédurale. L'appelant invoque la décision du juge Bowman (à l'époque juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l'impôt) dans Poulton c. R., [2002] 2 C.T.C. 2405. Dans Poulton, après avoir cité des décisions indiquant que la Cour se montre en général libérale en matière de modification des actes de procédure, le juge Bowman a expliqué pourquoi il refusait en l'occurrence d'autoriser la modification.

[12]            Si je comprends bien son raisonnement, le juge Bowman estimait que, dans les affaires régies par la procédure informelle, la Cour de l'impôt ne devrait pas invariablement faire droit à une requête par laquelle la Couronne sollicite l'autorisation de « présenter à la dernière minute un tout nouvel argument à l'encontre d'un contribuable » . Lorsque l'ajournement aurait pour effet de retarder indûment le traitement d'appels informels portant sur un litige relativement mineur, le juge de la Cour de l'impôt doit exercer judicieusement son pouvoir discrétionnaire pour décider s'il y a lieu de permettre la modification et l'ajournement pouvant en découler. Le juge Bowman fait remarquer que, lors d'appels informels, le refus de permettre à la Couronne de faire des modifications à la dernière minute n'entraînerait pas de « catastrophe, que ce soit au plan jurisprudentiel ou financier » .

[13]            Aux paragraphes 16, 17 et 18, le juge Bowman a écrit ce qui suit :

16.      Pourquoi n'ai-je pas autorisé la modification en l'espèce, comme la Cour fédérale l'avait fait dans les arrêts susmentionnés? En fait, il y a toute une différence entre les grandes sociétés ouvertes et les multinationales qui ont accès aux services d'avocats chevronnés pour les défendre dans des causes mettant en jeu des millions de dollars, et les petits contribuables qui ne sont pas représentés par des avocats et dont le litige porte sur des montants relativement mineurs.

17.      Selon les principes d'équité procédurale, dans les affaires régies par la procédure informelle, la Couronne ne devrait pas être autorisée à présenter à la dernière minute un tout nouvel argument à l'encontre d'un contribuable. Si les appelants avaient su dès le départ ou, à tout le moins, s'ils avaient appris dans un délai raisonnable avant l'instruction, que la Couronne comptait invoquer l'alinéa 6(1)b), ils auraient peut-être agi de façon entièrement différente et auraient pu présenter une preuve visant à réfuter l'allégation selon laquelle les montants constituaient des « allocations » au sens de l'alinéa 6(1)b) ou à démontrer qu'ils étaient soustraits à l'application de cette disposition par le paragraphe 6(6). Si j'avais fait droit aux requêtes de la Couronne et autorisé la modification, les appelants auraient eu parfaitement le droit de demander un ajournement, ce qui aurait retardé indûment le traitement des appels informels en l'espèce, qui portent sur un litige relativement mineur. Je ne saurais trop répéter à quel point il est important que la Cour veille, dans les affaires régies par la procédure informelle, à ce que le contribuable non représenté ne soit pas privé de l'application des principes d'équité procédurale.

18.      J'admets volontiers qu'en rejetant la requête en modification de la Couronne, j'ai peut-être privé celle-ci de la possibilité d'invoquer ce qui pourrait être un argument fort valable. Cependant, le rejet des appels en l'espèce au détriment de la Couronne parce que celle-ci a commis une erreur et omis de citer une disposition qui aurait pu l'aider n'est pas une catastrophe, que ce soit au plan jurisprudentiel ou financier. Il est beaucoup plus important de veiller à ce que les contribuables non représentés au cours d'une affaire régie par la procédure informelle bénéficient pleinement de l'application des principes d'équité procédurale. Contraindre les appelants à étudier des dispositions aussi complexes que l'alinéa 6(1)b) et le paragraphe 6(6) la veille de l'instruction causerait un tort irréparable à l'administration de la justice.

[14]            La question de savoir s'il y a lieu de permettre la modification d'un acte de procédure et s'il convient, en pareil cas, de suspendre l'audience ou de l'ajourner, relève, bien sûr, du pouvoir discrétionnaire de la Cour. D'après moi, le juge Bowman n'entendait pas sur ce point imposer des règles immuables. Je considère, par contre, qu'il précisait les considérations d'ordre pratique dont un juge de la Cour de l'impôt devrait tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en de telles circonstances.

[15]            Le ministre n'a pas invoqué la décision Poulton devant la Cour de l'impôt. L'appelant, qui n'avait pas été averti de la modification que le ministre entendait apporter à sa réponse, n'a pas eu la possibilité de rechercher quel était l'état du droit sur ce point.

[16]            Il semble que la juge de la Cour de l'impôt n'a pas tenu compte des considérations dont il est question dans Poulton. Lorsque, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, un juge de première instance ne tient pas compte de considérations pertinentes, même si, comme dans le cas présent, c'est par inadvertance parce que le principe pertinent n'a pas été invoqué devant lui à l'audience, il est justifié pour la cour siégeant en appel d'intervenir dans la manière dont ce pouvoir discrétionnaire a été exercé. La Cour pourrait renvoyer l'affaire à la juge de la Cour de l'impôt pour réexamen, mais les délais et les frais que cela occasionnerait ne se justifient pas. Dans les circonstances, je trancherais le présent appel en exerçant mon pouvoir discrétionnaire à la place de celui de la juge de la Cour de l'impôt.

[17]            Les considérations pertinentes sont, premièrement, que les avantages imposables en cause en l'espèce s'élèvent à 6 348 $ pour l'année 2000 et à 4 801 $ pour l'année 2001. Le montant de l'impôt ne correspond, bien sûr, qu'à un pourcentage de ces sommes, environ 40 p. 100 selon l'appelant. Les sommes en question sont donc relativement peu élevées.

[18]            Deuxièmement, les années d'imposition en cause remontaient, à l'époque de l'audience, à environ quatre ou cinq ans.

[19]            Troisièmement, l'appelant n'est pas assisté d'un avocat. Il pouvait, à juste titre, s'attendre à ce que la cotisation se fonde effectivement sur la réponse initiale du ministre et limiter par conséquent sa préparation aux dispositions législatives invoquées par le ministre dans cette réponse. L'article 6 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit un certain nombre d'exceptions ainsi que des exceptions à ces exceptions et le sens de cette disposition n'est donc pas parfaitement évident. L'erreur commise par le ministre en ne citant pas, dans sa réponse initiale, l'alinéa 6(1)l) n'était pas manifeste et l'appelant ne pouvait donc pas prévoir qu'il serait nécessaire d'y apporter une modification.

[20]            Compte tenu de ces diverses considérations, j'exercerais mon pouvoir discrétionnaire, pour refuser la modification de la réponse du ministre devant la Cour de l'impôt par l'ajout de l'alinéa 6(1)l) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme elle ne peut être justifiée par aucune autre disposition de l'article 6 de la Loi, l'imposition à l'appelant des frais d'utilisation d'une automobile ne peut être maintenue.


CONCLUSION

[21]            L'appel devrait être accueilli en ce qui concerne les frais d'utilisation d'une automobile. Il conviendrait de le rejeter à tous autres égards. Le ministre devra établir pour l'appelant une nouvelle cotisation conforme aux présents motifs. L'appel ayant été accueilli en partie, il n'y aura aucune adjudication des dépens.

« Marshall Rothstein »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    A-356-05

INTITULÉ :                                                  BRIAN BURTON

                                                                       c.

                                                                       SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 FÉVRIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                       LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Brian Burton

L'APPELANT EN PERSONNE

Elizabeth Chasson

Eric Sherbert

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

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