Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040723

Dossier : A-327-04

Référence : 2004 CAF 268

EN PRÉSENCE DU JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

              TÉLÉ-MOBILE COMPANY / SOCIÉTÉTÉLÉ-MOBILE, TM MOBILE INC.

                                                 et ROSELLA TANJA LIBERATI

                                                                                                                                demanderesses

                                                                            et

                   SYNDICAT DES TRAVAILLEURS EN TÉLÉCOMMUNICATIONS,

       SYNDICAT DES AGENTS DE MAÎTRISE DE TELUS, LOCAL 5144 DU SCFP,

      SYNDICAT QUÉBÉCOIS DES EMPLOYÉS DE TELUS, LOCAL 5044 DU SCFP

                                             et TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                         défendeurs

            Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 juillet 2004

                                                                             

                       Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario) le 23 juillet 2004

MOTIFS DE L=ORDONNANCE :                                                       LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20040723

Dossier : A-327-04

Référence : 2004 CAF 268

EN PRÉSENCE DU JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

              TÉLÉ-MOBILE COMPANY / SOCIÉTÉTÉLÉ-MOBILE, TM MOBILE INC.

                                                 et ROSELLA TANJA LIBERATI

                                                                                                                                demanderesses

                                                                            et

                   SYNDICAT DES TRAVAILLEURS EN TÉLÉCOMMUNICATIONS,

       SYNDICAT DES AGENTS DE MAÎTRISE DE TELUS, LOCAL 5144 DU SCFP,

      SYNDICAT QUÉBÉCOIS DES EMPLOYÉS DE TELUS, LOCAL 5044 DU SCFP

                                             et TELUS COMMUNICATIONS INC.

défendeurs

                                                  MOTIFS DE L=ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 Dans les ordonnances qu=elle a rendues le 19 juillet 2004, la Cour a réuni deux requêtes en suspension de l=exécution de la décision-lettre no 1088 et deux requêtes en suspension de l=exécution de la décision no 278 du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) en attendant que la Cour ait tranchéles demandes de contrôle judiciaire de ces décisions. La décision-lettre no 1088 est un résumé de la décision no 278. Bien que TELUS Communications Inc. (TCI) soit défenderesse dans le dossier actif, elle sera désignée comme étant une demanderesse dans les présents motifs.


[2]                 FAITS À L=ORIGINE DES DÉCISIONS DU CONSEIL

[3]                 Telus a été constituée par suite de la fusion, en 1999, d=anciennes compagnies de téléphone régionales de la Colombie-Britannique et de l=Alberta. À l=époque, Telus exerçait surtout ses activités en Colombie-Britannique et en Alberta. Au printemps 2000, les employés de ces provinces ont participé à un vote en vue de choisir entre deux syndicats. Les employés de Telus ont choisi comme syndicat le Syndicat des travailleurs en télécommunications (le STT).

[4]                 Toujours en 2000, un différend a surgi au sujet de la définition de l=unité habilitée à négocier collectivement au nom des employés de Telus qui devaient être représentés par le STT. Par sa décision no 108 datée du 9 février 2001, le Conseil a estimé que la définition de l=unitéde négociation * ne doit pas être limitée sur le plan géographique; elle doit plutôt englober, implicitement, toutes les activités possibles de Telus au Canada +. Le Conseil a en outre précisé que * à mesure que Telus étend ses activités dans d=autres provinces et qu=il les intègre aux structures organisationnelles en place, il devient nécessaire d=inclure ces activités dans l=unité de négociation unique +.

[5]                 Le Conseil a toutefois fait remarquer que * l=acquisition d=entreprise et l=expansion d=une entreprise sont deux choses différentes qui doivent donc être traitées de manière différente +. Le Conseil a estimé qu=il * ne dispos[ait] pas de suffisamment d=éléments de preuve pour se prononcer sur les acquisitions récentes ou projetées + et que * tant que le Conseil ne rendra pas une ordonnance contraire, ces acquisitions ne seront pas comprises d=office dans la description de l=unité de négociation unique adoptée et approuvée par le Conseil +.


[6]                 En juin 2000, la société mère de Telus, TELUS Corporation, a acquis soixante-dix pour cent de la société QuébecTel Group Inc. L=acquisition de QuébecTel englobait celle de QuébecTel Mobilité, qui offrait des services de téléphonie sans fil. Les employés de QuébecTel Mobilité étaient représentés par le Syndicat des employés d=exécution de Québec-Téléphone, SCFP, section locale 5044 et par le Syndicat des agents de maîtrise de Québec-Téléphone, SCFP, section locale 5144 (les syndicats québécois).

[7]                 En octobre 2000, TELUS Corporation a acquis Clearnet Communications Inc., une société exploitant un réseau numérique sans fil à l=échelle nationale. Les employés de Clearnet n=étaient pas syndiqués.

[8]                 Peu de temps après, une société en nom collectif appelée TELE-MOBILE COMPANY / SOCIÉTÉ TÉLÉ-MOBILE, qui exerçait ses activités sous la raison sociale de TELUS Mobility, a acquis ces entreprises de services sans fil (QuébecTel Mobilité et Clearnet). Elle a également acquis l=entreprise de services sans fil de l=Alberta et de la Colombie-Britannique. Les employés de l=entreprise de services sans fil de l=Alberta et de la Colombie-Britannique étaient représentés par le STT.


[9]                 Le présent cas tombait sous le coup des dispositions du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, sur les droits et obligations du successeur. Aux termes de ces dispositions, les anciennes relations de négociation collective se poursuivent au sein du successeur, en l=espèce, TELUS Mobility, de sorte que :

a)         les employés de TELUS Mobility qui travaillaient auparavant pour l=entreprise de services sans fil en Colombie-Britannique et qui étaient représentés par le STT étaient toujours représentés par le STT;

b)         les employés de TELUS Mobility qui travaillaient auparavant pour QuébecTel Mobilité et qui étaient représentés par les syndicats québécois étaient toujours représentés par eux;

c)         les employés de TELUS Mobility qui travaillaient auparavant pour Clearnet et qui n=étaient pas représentés par un syndicat n=étaient toujours pas représentés.

[10]            Le 27 mars 2001, le STT a saisi le Conseil d=une demande visant à obtenir une ordonnance l=autorisant non seulement à représenter des employés en Colombie-Britannique et en Alberta, mais également les employés de TELUS Mobility à l=Est de la Colombie-Britannique et de l=Alberta, principalement en Ontario et au Québec.

[11]            Le 21 mai 2004, les membres majoritaires d=une formation collégiale du Conseil ont publié un résumé de leur décision (décision-lettre no 1088). Un des membres de la formation était dissident mais aucun résumé de sa dissidence n=a été publié. Le 24 juin 2004, les membres majoritaires ont publié leurs motifs détaillés dans la décision no 278. Les motifs dissidents devraient être publiés vers le 23 juin 2004.


[12]            Les demanderesses soutiennent que, s=appuyant fortement sur la décision antérieure no 108 du Conseil, les membres majoritaires ont pour l=essentiel fait droit à la demande du STT. Le Conseil a refusé d=ordonner la tenue d=un scrutin de représentation des employés visés, qu=ils soient syndiqués ou non.

[13]            Les demanderesses expliquent que les décisions du Conseil entraînent quatre grandes conséquences qui leur causeront un préjudice irréparable :

a)         Les employés non syndiqués de TELUS Mobility sont actuellement représentés par un syndicat B et par un syndicat déterminé, le STT B que cela leur plaise ou non;

b)         Les employés syndiqués représentés par les syndicats québécois seront représentés par un syndicat qu=ils n=ont pas choisi;

c)         Parce que le Conseil a refusé d=ordonner la tenue d=un scrutin de représentation, TELUS Mobility et Telus n=ont jamais été en mesure d=aborder la question avec les employés;


d)         Le Conseil a déclaré que TELUS Mobility et Telus constituaient un seul et même employeur. Le STT estime que TELUS Mobility est ainsi devenu assujetti à certaines ordonnances du Conseil qui avaient été rendues auparavant contre Telus, notamment à une ordonnance (la décision no 271) qui interdisait à Telus de communiquer avec ses employés au sujet des relations de travail et qui exigeait que Telus propose l=arbitrage obligatoire au STT au lieu de négocier une convention collective. Il s=ensuit que, pour des raisons qui ne la concernent pas, TELUS Mobility n=est pas en mesure de communiquer ou de négocier avec ses propres employés sur plusieurs sujets, tandis que le STT peut communiquer sans limite avec les employés. Suivant les demanderesses, cette incapacité à communiquer provoque des perturbations dans le milieu de travail et risque d=avoir un effet préjudiciable sur tout scrutin de représentation qui pourrait être ordonné dans la foulée du présent contrôle judiciaire.

ANALYSE

[14]            Je vais aborder à tour de rôle les trois volets du critère régissant l=octroi d=une suspension :

Question sérieuse

[15]            Les demanderesses expliquent que le Conseil n=a pas tenu compte de certains facteurs pertinents lorsqu=il a rendu sa décision. Ainsi, il n=a pas tenu compte du droit des employés syndiqués de choisir leur syndicat et, dans le cas des employés non syndiqués, de décider de se syndiquer ou non. En forçant les employés à adhérer à un syndicat qu=ils n=ont pas choisi, le Conseil a porté atteinte à la liberté d=association et à la liberté d=expression garanties par les alinéas 2d) et 2b) de la Charte des droits et libertés. Les demanderesses affirment qu=elles ont la qualité requise pour soulever ces arguments.


[16]            Les défendeurs affirment qu=il n=existe pas de droit consacré par la Charte qui protège le choix des agents négociateurs. Ils ajoutent que les demanderesses n=ont pas la qualité requise pour invoquer des arguments fondés sur la Charte.

[17]            Les demanderesses répondent que, lorsqu=il exerce son pouvoir discrétionnaire, le Conseil doit agir en conformité avec la Charte. Elles ajoutent qu=en l=espèce, le Conseil n=a pas respecté cette obligation. Elles citent aussi des précédents pour justifier leur argument sur la qualité pour agir.

[18]            Dans l=arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a donnédes directives aux tribunaux de première instance et aux cours d=appel sur la question de l=existence d=une question sérieuse à juger. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Une fois convaincu que la demande n'est ni futile ni vexatoire, le juge saisi de la requête devrait passer à l=examen du critère du préjudice irréparable et à celui de la prépondérance des inconvénients. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de procéder à un examen prolongé du fond de l'affaire.


[19]            J=ai expliqué ma compréhension de certains des arguments des parties. Je ne fais pas de commentaires sur la solidité de la thèse respective des parties. Je me contenterai de dire qu=à mon avis, les arguments des demanderesses ne sont ni futiles ni vexatoires. Par ailleurs, je ferais observer que les membres majoritaires du Conseil ont pris plus d=un an pour rendre une décision de 115 pages et qu=une opinion dissidente devrait être communiquée sous peu. Je suis convaincu que les demanderesses satisfont au volet du critère relatif à l=existence d=une question sérieuse.

Préjudice irréparable

[20]            Les demanderesses expliquent qu=elles risquent de subir plusieurs préjudices irréparables si la suspension qu=elles réclament ne leur est pas accordée :

1. Divulgation de renseignements confidentiels sur les employés

[21]            Le STT réclame aux demanderesses le nom, l=adresse, le numéro des personnes-ressources, la classification et le lieu de travail de tous les employés qui, selon le STT, font partie de son unitéde négociation. Les demanderesses répondent que ces renseignements sont confidentiels. Si elles obtiennent gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, elles n=auront pas à fournir ces renseignements. Elles font valoir qu=une fois communiqués, ces renseignements seront perdus, ce qui leur causera un préjudice irréparable.

[22]            Je conviens qu=une fois que les renseignements confidentiels seront communiqués, la perte de confidentialité peut constituer un préjudice irréparable. Je ne crois cependant pas que les demanderesses puissent invoquer cet argument. C=est la confidentialité de leurs employés qui est en jeu et ce sont les employés qui peuvent subit un préjudice si la divulgation a lieu.


[23]            Les demanderesses affirment que les employés se trouvent dans un cercle vicieux. S=ils agissent comme partie dans la requête en suspension, comme l=a fait Mme Liberati, les renseignements qu=ils cherchent à garder confidentiels seront divulgués. S=ils ne participent pas à la requête en suspension, ils ne peuvent faire valoir leur argument tiré du préjudice irréparable.

[24]            Je n=accorde pas beaucoup de poids à l=argument du cercle vicieux. Il existe des façons de protéger la confidentialité tout en faisant valoir son point de vue dans le cadre d=une instance en contrôle judiciaire. Ainsi, les tribunaux connaissent bien les affaires dans lesquelles on emploie des initiales pour protéger le caractère confidentiel des renseignements personnels des personnes physiques.

[25]            En tout état de cause, la question qui se pose ici est celle du préjudice irréparable que risquent de subir les demanderesses. Or, à moins qu=elles soient en mesure de démontrer que la divulgation des renseignements relatifs aux employés leur causera un préjudice irréparable, j=estime que cet argument ne peut être invoquéà leur profit.

[26]            Sur ce point, les demanderesses expliquent que le moral de leurs employés souffrira si ces renseignements confidentiels sont divulgués. Elles affirment que certains employés ont quitté leur emploi à cause des décisions rendues par le Conseil dans le présent dossier et elles ajoutent que la divulgation des renseignements est susceptible de provoquer le départ d=autres employés. Elles affirment que la Cour peut déduire que le moral peut être affecté si les renseignements sont divulgués. Le STT précise que certains employés veulent que le STT les représente et qu=ils n=ont probablement rien contre la divulgation de leurs renseignements confidentiels.


[27]            Je conviens que si la divulgation des renseignements confidentiels nuit au moral des employés, les demanderesses seront directement touchées. Qui plus est, bien que j=accepte le fait que le moral de certains employés sera touché, la preuve des demanderesses porte davantage sur les conséquences globales de la syndicalisation que sur les incidences de la communication de renseignements confidentiels.

[28]            Pour ces motifs, je ne puis conclure que la divulgation des renseignements confidentiels qui est susceptible de se produire causera un préjudice irréparable aux demanderesses.

2. Perte d=un milieu de travail animépar l=esprit d=entreprise

[29]            Les demanderesses rappellent qu=elles sont les premiers fournisseurs de services sans fil à être syndiqués. Elles soutiennent que les employés qui sont attirés par un milieu de travail non syndiqué animé par un esprit d=entreprise quitteront leur emploi.

[30]            Je n=ai aucune raison de mettre en doute les affirmations des demanderesses. Toutefois, je ne dispose pas de suffisamment d=éléments de preuve pour savoir combien d=employés quitteront leur travail et quelles incidences leur départ est susceptible d=avoir sur les demanderesses. Telle qu=elle est formulée, cette allégation est trop générale pour que je puisse conclure qu=au cours de la période qui précède la décision qui sera rendue en l=espèce au sujet de la demande de contrôle judiciaire, les demanderesses subiront un préjudice irréparable en raison du départ d=employés attribuable à l=arrivée sur la scène du STT.


3. Coûts entraînés par la mise en oeuvre

[31]            Les demanderesses affirment qu=à moins que la Cour ordonne la suspension de l=exécution, elles subiront, pour mettre à exécution la convention collective, des frais qu=elles ne pourront récupérer si leur demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[32]            Il semble toutefois que les parties ne s=entendent pas sur la nature exacte de la convention collective qui doit s=appliquer aux employés de l=Est. Les avocats des demanderesses et ceux des défendeurs estiment tous qu=il sera probablement nécessaire de saisir le Conseil d=une requête quelconque pour trancher cette question. Tant que ce point litigieux n=aura pas été résolu, on ne sait pas avec certitude dans quelle mesure les demanderesses devront assumer des frais de mise en oeuvre élevés.

[33]            Quoi qu=il en soit, les demanderesses affirment que la requête dont il faudra saisir le Conseil pour lui faire déterminer la nature de la convention collective qui doit s=appliquer aux employés de l=Est entraînera des frais qu=elles ne pourront récupérer si la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Bien que j=admette que certains frais devront être engagés, là encore je ne dispose d=aucun élément d=information précis au sujet de l=ampleur de ces frais. Je reconnais que le préjudice irréparable a rapport à la nature du préjudice plutôt qu=à son ampleur, mais compte tenu des procédures qui ont mis ces parties en présence, je ne dispose pas de suffisamment d=éléments d=information pour pouvoir me prononcer sur l=ampleur des frais irrécouvrables que les demanderesses affirment devoir engager. Je ne suis donc pas en mesure d=accorder beaucoup de poids à cet argument.


4. Salaires et avantages irrécouvrables

[34]            Les demanderesses affirment que, si elles doivent verser des salaires et des avantages sociaux aux employés par suite de la décision du Conseil, il n=existe aucune façon pratique de recouvrer les sommes ainsi payées, surtout si les bénéficiaires ne sont plus des employés de TELUS Mobility.

[35]            Je ne dispose d=aucun élément de preuve qui indique que les employés visés ont touchéun salaire ou des avantages sociaux par suite de l=ordonnance du Conseil. Si les parties contestent présentement les modalités de la convention collective applicable aux employés de l=Est aux termes de la décision du Conseil, je doute fort que les demanderesses paient en ce moment de tels montants plus élevés. Le préjudice qu=elles risquent de subir à ce chapitre n=est donc pas imminent.

5. Perturbation du milieu de travail

[36]            Les demanderesses soutiennent qu=en vertu de l=ordonnance du Conseil, le STT peut se présenter dans les locaux des demanderesses et exiger que celles-ci accordent aux employés du temps libre pour participer à des activités syndicales. Il en résulte selon elle une perturbation du milieu de travail.


[37]            Ici aussi, je trouve ces allégations plutôt générales. La preuve ne m=a pas convaincu que les perturbations causées par l=arrivée du syndicat constituent un préjudice irréparable. L=allégation est par conséquent prématurée.

6. Communications avec les employés

[38]            Le seul argument tiré du préjudice irréparable que je trouve convaincant porte sur la question de savoir si les demanderesses peuvent s=adresser aux employés visés [traduction] * au sujet des négociations syndicales, du vote de grève du syndicat et des relations de travail +.

[39]            Normalement, la direction de TELUS Mobility pourrait communiquer avec ses employés dans la mesure permise par l=alinéa 94(2)c) du Code. Toutefois, dans sa décision du 8 avril 2004, qui faisait suite àune plainte formulée par le STT au sujet de ses employés de Colombie-Britannique et d=Alberta suivant laquelle Telus avait communiqué avec des employés de l=unité de négociation en violation de l=alinéa 94(1)a) du Code, le Conseil a donné gain de cause au STT.


[40]            Le Conseil a par conséquent ordonné à Telus de [traduction] * cesser immédiatement de porter atteinte aux droits de représentation du syndicat + et de [traduction] * cesser immédiatement de communiquer avec les employés de l=unitéde négociation sur des questions touchant à l=emploi et sur des questions d=intérêt collectif [...] tant que les conditions prévues àl=article 89 du Code n=auront pas été remplies +. Les parties ont par la suite convenu que l=ordonnance du Conseil devait être interprétée de manière à interdire toute communication [traduction] * au sujet des négociations syndicales, du vote de grève du syndicat et des relations de travail +.

[41]            Dans la décision faisant l=objet du contrôle judiciaire, le Conseil a déclaré que Telus et TELUS Mobility constituent un seul et même employeur. Il semble donc que l=ordonnance interdisant à Telus de cesser de communiquer avec les employés au sujet de questions de relations de travail s=applique à TELUS Mobility en ce qui concerne les employés de l=Est.

[42]            Il en découle que, pour ce qui est des questions de relations de travail, le STT peut communiquer avec les employés de l=Est mais que TELUS Mobility ne le peut pas.

[43]            Les demanderesses affirment que cette situation leur cause un préjudice irréparable du fait que :

a)         leurs employés croient que l=employeur cache quelque chose, ce qui nuit au moral des employés;

b)         si la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et qu=un scrutin de représentation est tenu, le STT aura bénéficié d=un avantage injuste en communiquant avec les employés de l=Est.


[44]            Le STT affirme que ce sont les agissements de Telus qui ont donné lieu à l=ordonnance d=interdiction. C=est peut-être vrai, mais les employés de l=Est n=étaient pas en cause. J=accepte que, s=il est interdit à TELUS Mobility de parler à ses employés pendant la période prévue de changements en profondeur, elle subira effectivement un préjudice irréparable. Je ne crois pas que le STT a répondu de façon appropriée à la question du préjudice irréparable soulevée par les demanderesses.

[45]            Je dois supposer que les communications échangées avec les employés ne constitueront pas une violation du Code. Une telle violation justifierait le STT de se plaindre au Conseil. Qui plus est, un cadre supérieur de TELUS Mobility a déclaré sous serment devant la Cour que [traduction] * toute communication de notre société serait uniquement de nature informative et serait à tous égards conforme avec les échanges autorisés et les restrictions imposées par l=alinéa 92(2)c) [sic] du Code canadien du travail. + Comme il n=y pas d=alinéa 92(2)c), je suppose, vu le contexte, que ce cadre songeait à l=alinéa 94(2)c) du Code canadien du travail, la disposition applicable. Toute violation pourrait constituer un outrage au tribunal.

7. Résuméde la question du préjudice irréparable

[46]            Je conclus que les demanderesses subiront un préjudice irréparable si elles ne sont pas en mesure de communiquer avec les employés de l=Est sur des questions de relations de travail en attendant que la Cour se prononce sur la demande de contrôle judiciaire des décisions du Conseil.


[47]            J=accepte que les frais engagés dans le cadre des instances introduites devant le Conseil pour déterminer la nature de la convention collective applicable aux employés de l=Est ne seront pas recouvrables, ce qui constituera un préjudice irréparable, mais j=accorde peu de poids à ce préjudice.

[48]            À tous autres égards, les demanderesses ne m=ont pas persuadé qu=elles subiront un préjudice irréparable si une suspension n=est pas accordée à ce moment-ci. Il n=est donc pas nécessaire d=examiner ces points pour apprécier la prépondérance des inconvénients.

La prépondérance des inconvénients

[49]            Les demanderesses affirment que la prépondérance des inconvénients favorise l=octroi de la suspension. Elles affirment que la demande que le STT a soumis au Conseil a été faite en mars 2001 et qu=il a fallu plus de trois ans au Conseil pour rendre sa décision. La période au cours de laquelle la suspension s=appliquerait serait donc relativement courte en comparaison. En revanche, le STT affirme que l=octroi de la suspension nuira aux membres de l=actuelle unité de négociation, qu=elle nuira au STT sur le plan politique et qu=elle fera perdre leurs droits de représentation aux employés de l=Est.

[50]            Pour ce qui est des frais que les demanderesses ne peuvent recouvrer, la prépondérance des inconvénients favorise le STT. Toutefois, aucun des arguments du STT ne porte sur la prépondérance des inconvénients en ce qui concerne l=interdiction faite aux demanderesses de communiquer avec les employés de l=Est. Sur cette question, je suis d=avis que la prépondérance des inconvénients favorise les demanderesses.


CONCLUSION

[51]            Je suis d=avis de faire droit à la requête en suspension seulement dans la mesure oùTELUS Mobility ne sera pas tenue de se plier à l=interdiction de communication que le CCRI lui a imposée dans sa décision no 271 du 8 avril 2004 en ce qui concerne les communications avec les employés de l=Est touchés par la décision-lettre no 1088 et par la décision no 278 du Conseil. Ces communications doivent respecter les dispositions de l=alinéa 94(2)c) du Code canadien du travail. À tous autres égards, la requête en suspension doit être rejetée, sous réserve du droit des demanderesses de présenter une nouvelle demande de suspension pour le cas où elles estimeraient que la situation a évolué au point de rendre imminent le préjudice irréparable, justifiant ainsi la présentation d=une telle requête. Les dépens devraient suivre l=issue de la cause.

[52]           

                                                                                                                       * Marshall Rothstein +        

                                                                                                                                                    Juge                       

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                   COUR D=APPEL FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       A-327-04

INTITULÉ:                                       TÉLÉ-MOBILE COMPANY/SOCIÉTÉ TÉLÉ-

MOBILE, et al.

c.

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS EN TÉLÉCOMMUNICATIONS et al.

LIEU DE L=AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L=AUDIENCE :            Le 19 juillet 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE ROTHSTEIN

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 juillet 2004

COMPARUTIONS:

Roy Filion                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Société Télé-Mobile

David Stratas                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Brian Burkett                                                                           Telus Communications Inc.

Brad Elberg

Morley Shortt                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Patricia Dumaresq                                                                Syndicat des travailleurs en télécommunications

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Filion, Wakely, Thorup, Angeletti                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                   Société Télé-Mobile

Heenan Blaikie                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                    Telus Communications Inc.

Shortt, Moore & Arsenault                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)                                                 Syndicat des travailleurs en télécommunication


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.