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Date : 20001114


Dossier : A-464-99


CORAM :      LE JUGE LINDEN, J.C.A.

         LE JUGE McDONALD, J.C.A.

         LE JUGE MALONE, J.C.A.

ENTRE :


     WELDEAB TEWELDE

     appelant

     (demandeur)

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     intimé

     (défendeur)


     MOTIFS DU JUGEMENT

     (Prononcés à l'audience à Winnipeg (Manitoba), le 14 novembre 2000)

LE JUGE LINDEN, J.C.A.


[1]      Le juge de première instance, après avoir rejeté la demande de contrôle judiciaire en l'espèce, a certifié la question suivante :

L'expression « la présente loi » figurant à l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, renvoie-t-elle à la Loi sur l'immigration telle qu'elle se lit depuis la date d'entrée en vigueur de l'actuel alinéa 46.01(1)d), ou à la même loi dans tous ses avatars depuis 1983, quelqu'en ait été le titre?

Le paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l'immigration est rédigé comme suit :

46.01(1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes_:

         . . .

d) le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements;

LES FAITS

[2]      L'appelant est né en Éthiopie en 1959 et est entré au Canada en tant qu'étudiant en 1981. Il a présenté une revendication du statut de réfugié à partir du Canada, alléguant une crainte de persécution en Éthiopie. En novembre 1984, l'appelant a été jugé être un réfugié au sens de la Convention. Il a obtenu le droit d'établissement en 1986.

[3]      À partir du 24 mai 1993, la partie de l'Éthiopie où l'appelant est né, et pour l'indépendance de laquelle il s'est battu, est devenue l'Erythrée, un pays distinct.

[4]      En mars 1990, l'appelant a été déclaré coupable de vol et de deux chefs de vivre des produits de la prostitution. En juillet 1997, il a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic. Le 8 avril 1998, le ministre a déclaré que l'appelant constituait un danger pour le public au Canada. L'avis de danger a été émis en application de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, et non en application de l'article 46.


[5]      Au mois de mai 1998, l'appelant a fait l'objet d'un rapport défavorable en application de l'article 27 de la Loi. L'enquête a été tenue le 10 juin 1998, et l'appelant a présenté une nouvelle revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, cette fois relativement à l'Erythrée. L'appelant est désormais un citoyen de l'Erythrée et prétend que sa crainte actuelle de persécution est non pas une crainte de persécution en Éthiopie, ce qui ne serait pas pertinent parce qu'il n'a pas le droit de retourner dans ce pays, mais plutôt une crainte de persécution en Erythrée parce, bien qu'il se soit battu pour la libération de l'Erythrée, il s'est battu du côté des rebelles qui ne jouissent pas des grâces du gouvernement de l'Erythrée. À l'issue de l'enquête, l'arbitre a conclu que l'appelant était visé par l'alinéa 27(1)d) de la Loi et a décerné une ordonnance d'expulsion de l'appelant en Erythrée, qui dépend de la décision sur la revendication du statut de réfugié de l'appelant.

[6]      Le 26 juin 1998, l'agent principal Robert Fontaine a conclu que la revendication du statut de réfugié de l'appelant ne pouvait pas être renvoyée à la Section du statut compte tenu de l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi parce que « le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements » .

[7]      Le 15 juillet 1999, le juge Gibson a rejeté la demande de contrôle judiciaire qu'a présentée l'appelant à l'égard de la décision de l'agent Fontaine; il a affirmé ce qui suit :

21. Durant toute la période qui nous intéresse en l'espèce, la Loi sur l'immigration, quelqu'en fût le titre, n'a pas été abrogée ni remplacée sauf dans le processus
d'adoption des Lois révisées du Canada (1985). À la lumière de l'article 4 de la Loi sur les Lois révisées (1985), cité supra, l'abrogation et le rétablissement subséquent ne sont pas des facteurs à prendre en considération. Il s'ensuit que la Loi qui était en vigueur au moment où le demandeur s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens
de la Convention en 1984 est la même que celle qui est en vigueur de nos jours, malgré les modifications en profondeur. Aucun objectif spécial n'a été énoncé pour les modifications opérées par le chapitre 35, au contraire des modifications par le chapitre 36. Si le législateur avait eu en vue des objectifs spéciaux comme le prétend le demandeur, il les aurait énoncés. Il ne l'a pas fait. À cet égard, le contraste est frappant entre le chapitre 35 et le chapitre 36. La Politique canadienne d'immigration, pour ce qui est des obligations internationales du pays en matière de réfugiés et de la tradition humanitaire du Canada vis-à-vis des personnes déplacées et persécutées, n'a pas changé, sauf ce qui est expressément prévu par le chapitre 36.
22. Le changement du titre de la loi qui, de Loi sur l'immigration de 1976, est devenue Loi sur l'immigration, n'a aucune signification particulière. Opéré dans le cours de la révision des lois, il représente juste un toilettage de forme.
23. De même, je ne vois rien de significatif dans le fait que dans les dispositions transitoires du paragraphe 35, la Loi, dans sa version antérieure, se disait « l'ancienne loi » . La constatation faite dans Ardon que la Loi telle qu'était en vigueur avant les modifications par le chapitre 35 était « l'ancienne » Loi sur l'immigration, n'est d'aucun secours non plus pour le demandeur. La terminologie de convenance adoptée par ceux qui ont à invoquer régulièrement la Loi sur l'immigration n'est pas en soi un outil d'interprétation.
24. Le groupe nominal « la présente loi » figurant à l'alinéa 46.01(1)d) a un sens très simple. Il renvoie à la Loi dans laquelle il figure, non pas à la version de cette Loi au moment où il y fut inséré ni après ce moment, mais à la même loi telle qu'elle se lisait avant son insertion, telle qu'elle se lit depuis et telle qu'elle se lira jusqu'à ce que ces mots « la présente loi » soient changés ou que la Loi soit abrogée et rétablie, autrement que dans un processus de pur toilettage, sous la même forme ou sous une forme différente. À mon avis, cette conclusion est la seule possible, la seule qui soit compatible avec l'histoire législative, depuis 1984, de la Loi sur l'immigration. On peut tirer un certain réconfort du fait que cette conclusion, du moins dans l'argumentation de l'avocat du défendeur, est en harmonie avec une interprétation raisonnable d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration, où figure cette même expression.

L'ANALYSE

[8]      Malgré l'argumentation approfondie, habile et, comme on pouvait s'y attendre, complexe, de M. Matas, l'avocat de l'appelant, nous sommes d'avis que l'appel doit être rejeté et que la question certifiée doit recevoir la réponse suivante :

     L'expression « la présente loi » figurant à l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, renvoie à la Loi sur l'immigration dans tous ses avatars depuis la date de son entrée en vigueur, le 10 avril 1978, quelqu'en ait été le titre.

Les deux avocats ont convenu de changer la date figurant dans la question certifiée initiale pour le 10 avril 1978.

[9]      Essentiellement, même si une erreur typographique s'est glissée dans l'une des versions anglaises des publications de l'arrêt Ardon, remise au juge, où on utilisait les mots « the Act » plutôt que « this Act » , compte tenu du libellé de la Loi à l'époque, nous acceptons l'analyse du juge Gibson, qui a plus d'expérience en la matière et qui, malgré quelque hésitation, a rendu une décision appropriée fondée sur un raisonnement solide.

[10]      À notre avis, le paragraphe 37(2) des dispositions transitoires appuie la conclusion que les modifications apportées par le chapitre 35 n'ont pas créé une nouvelle Loi sur l'immigration, mais n'étaient que modifications compatibles avec la teneur de la loi existante, la Loi sur l'immigration,1976. La théorie de la confusion codifiée au paragraphe 42(3) de la Loi d'interprétation appuie également ce point de vue. Cette disposition est rédigée comme suit :

« Le texte modificatif, dans la mesure compatible avec sa teneur, fait partie du texte modifié. »

L'article 44 de la Loi d'interprétation qui se lit comme suit étaye également cette conclusion :

44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent_:
. . .
f) sauf dans la mesure où les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censée constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur; ...

[11] Quant à l'arrêt Ardon [1990] A.C.F. no 435, qui, implicitement, peut avoir donné un certain fondement à l'argument de l'appelant, il s'appuyait sur une version de la Loi qui comportait les mots importants « définitivement reconnu » , qui n'apparaissent pas dans la version actuelle de la Loi. En conséquence, on ne peut pas dire que cet arrêt soit directement applicable à l'interprétation du libellé de la version actuelle de la Loi. Le fait que la CISR se soit peut-être à tort fondée sur l'arrêt Ardon dans plusieurs affaires ultérieures et l'ait par analogie appliqué dans d'autres circonstances, même après que la disposition eut été modifiée, ne peut être déterminant ou même avoir une influence importante en l'espèce.

[12] À notre avis, toute autre interprétation des mots « la présente loi » contenus à l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi introduirait un précédent injustifié et déstabilisateur susceptible de remettre en question la signification des mots « la présente loi » non seulement dans la Loi sur l'immigration, mais aussi dans presque tous les textes de loi qui ont fait l'objet de modifications.

[13] On nous a pressés de statuer sur une deuxième question portant sur le problème de l'éclatement du pays d'où vient le réfugié, que le juge de première instance a refusé de certifier, mais qu'il aurait pu examiner (voir l'arrêt Pushpanathan [1998] 1 R.C.S. 982). Nous refusons de le faire. Cette question, bien que peut-être de quelque importance, devrait être traitée dans une affaire qui porte directement sur celle-ci et où les faits et les arguments juridiques sont essentiels à l'audience, et non pas accessoires à celle-ci, comme c'est le cas en l'espèce.

[14] Enfin, les personnes dont le statut de réfugié est menacé en raison de l'éclatement ultérieur de leur pays d'origine ont d'autres moyens de soulever cette question; elles peuvent la soulever dans une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et peut-être dans d'autres instances également, où la question peut être examinée à fond dans les circonstances de l'affaire en cause.

[15] L'appel devrait être rejeté.


Winnipeg (Manitoba)

Le 14 novembre 2000

     « A.M. Linden »

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              A-464-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      WELDEAB TEWELDE

                     - et -
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
                     DE L'IMMIGRATION

    

LIEU DE L'AUDIENCE :          WINNIPEG (MANITOBA)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS À L'AUDIENCE :

                 MONSIEUR LE JUGE LINDEN

                 MONSIEUR LE JUGE McDONALD

                 MONSIEUR LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :      LE 14 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. David Matas          POUR L'APPELANT

M. Joel Katz              POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)          POUR L'APPELANT


Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada              POUR L'INTIMÉ
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