Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050503

Dossier : A-588-03

Référence : 2005 CAF 154

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

appelante

                                                                                                                                                           

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(REPRÉSENTANT LES FORCES ARMÉES CANADIENNES)

intimé

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 5 avril 2005.

                                        Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 mai 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20050503

Dossier : A-588-03

Référence : 2005 CAF 154

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

appelante

                                                                                                                                                           

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(REPRÉSENTANT LES FORCES ARMÉES CANADIENNES)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.         INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par la Commission canadienne des droits de la personne et d'un appel incident interjeté par le procureur général à l'encontre d'une ordonnance rendue par un juge de la Cour fédérale, laquelle est publiée sous l'intitulé Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2003 CF 1373.


[2]                La juge des demandes a accueilli la demande de contrôle judiciaire que le procureur général avait présentée et elle a annulé la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne le 20 décembre 2001, selon laquelle les Forces armées canadiennes (les FAC) avaient agi d'une façon discriminatoire à l'endroit de George A. Morris, en violation de l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. En effet, le Tribunal avait conclu que l'âge était entré en ligne de compte lorsque les FAC avaient omis de promouvoir M. Morris du grade d'adjudant au grade d'adjudant-maître.

[3]                La juge des demandes a statué que le Tribunal avait commis une erreur de droit en utilisant le mauvais critère juridique pour décider si la Commission avait fourni une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'âge. Toutefois, la juge a également décidé que, si elle se trompait sur ce point, les FAC n'avaient pas réussi à la convaincre qu'eu égard à la preuve, il n'était pas justifié pour le Tribunal de rejeter les explications qu'elles avaient données. Cette dernière conclusion a donné lieu à l'appel incident interjeté par le procureur général.


[4]                Trois questions sont soulevées dans le présent appel. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en choisissant le critère de la preuve prima facie? Dans la négative, le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la Commission avait suffisamment établi une preuve prima facie? Le Tribunal a-t-il commis une erreur en tirant une inférence défavorable par suite de l'omission des FAC d'étayer leurs explications au moyen des scores des adjudants qui s'étaient présentés à un concours en vue d'être promus au grade d'adjudant-maître et qui s'étaient classés devant M. Morris?

[5]                À mon avis, l'appel interjeté par la Commission devrait être accueilli et l'appel incident interjeté par le procureur général devrait être rejeté.

B.         HISTORIQUE DES FAITS

[6]                Les faits sont exposés en détail dans les motifs exhaustifs soigneusement rédigés par le Tribunal; il suffit ici de les reprendre brièvement. M. Morris a servi dans les FAC entre 1963, lorsqu'il avait 19 ans, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la retraite obligatoire, soit à 55 ans, en 1999. Il avait joint l'armée à titre de simple soldat et avait obtenu des promotions jusqu'aux grades de caporal, de caporal-chef et de sergent. Il est devenu adjudant en 1981 lorsqu'il était âgé de 37 ans.

[7]                Afin d'être admissible à la promotion au grade d'adjudant-maître, M. Morris devait, entre autres choses, suivre un cours correspondant au niveau de qualification 7 (le NQ7), ce qu'il a fait en 1990, à 46 ans. Les décisions relatives à la promotion des candidats admissibles étaient prises par le Conseil national de promotion au mérite compte tenu des recommandations de leur commandant ainsi que du rapport d'appréciation du rendement (le RAR) et d'une évaluation du potentiel du candidat. Ces renseignements permettaient de classer les candidats sur la liste nationale de promotions au mérite.


[8]                M. Morris n'a jamais obtenu un rang suffisamment élevé, sur la liste nationale de promotions au mérite, pour être promu. Il allègue essentiellement qu'au fil des ans, il y avait un écart entre, d'une part, les recommandations fort favorables qui étaient faites à son sujet et les scores élevés qu'il avait obtenus dans son RAR et, d'autre part, les scores plus faibles qui lui étaient attribués quant au « potentiel » , lesquels baissaient régulièrement. M. Morris affirme que, contrairement aux autres normes d'évaluation, l'appréciation du « potentiel » est fort subjective et qu'elle défavorise les candidats plus âgés.

C.         LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[9]                Quant à la première question, à savoir le critère juridique qui s'applique à une preuve prima facie de discrimination, le Tribunal s'est fondé (paragraphe 67) sur l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, page 558 (O'Malley), comme décision de principe à l'appui de la thèse suivante :

[...] la preuve prima facie dans ce contexte est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.


[10]            L'affaire O'Malley se rapportait à une plainte de discrimination dans un contexte d'emploi. Le Tribunal a également tenu compte de la décision Shakes c. Rex Pax Ltd., (1982), 3 C.H.H.R. D/1001 (Comm. d'enquête de l'Ont.), où il a été dit (paragraphe 8918) que, dans les affaires d'emploi, la Commission établit habituellement une preuve prima facie en prouvant a) que le plaignant était compétent pour l'emploi convoité; b) que le plaignant n'a pas été embauché; et c) que le poste a été attribué à une personne qui n'était pas plus compétente, mais qui ne possédait pas la caractéristique en cause dans la plainte en matière de droits de la personne.

[11]            Le critère énoncé dans la décision Shakes a été décrit comme étant [TRADUCTION] « relativement bien établi dans la jurisprudence » , mais il a été modifié par le tribunal dans la décision Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne (1983), 4 C.H.H.R. D/1616, paragraphe 13865, pour tenir compte des cas où aucune nomination n'était effectuée, mais où l'employeur continuait néanmoins à chercher des candidats après avoir rejeté le plaignant, qui était compétent pour occuper le poste.

[12]            Il a été soutenu devant le Tribunal en l'espèce que la Commission n'avait pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination parce qu'elle n'avait pas soumis de preuve au sujet des qualifications ou de l'âge des adjudants qui avaient été promus au cours des années où la candidature de M. Morris n'avait pas été retenue. Le Tribunal a rejeté cet argument. En premier lieu, il a fait une distinction (paragraphe 74) à l'égard des décisions Shakes et Israeli compte tenu du fait qu'il était saisi d'une affaire dans laquelle la discrimination alléguée se rapportait à une promotion plutôt qu'à l'embauche et que les décisions avaient été prises en fonction d'une liste de promotions au mérite constituée selon une procédure complexe.


[13]            En second lieu, le Tribunal a dit (paragraphe 75) que la Commission pouvait établir une preuve prima facie sans fournir de preuve comparative du genre mentionné dans la décision Shakes si

[...] la preuve démontre que la discrimination est un élément qui a joué dans le refus d'offrir un emploi au plaignant, [...]

En mentionnant la décision Chander c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] DCDP no 16 (T.C.D.P.), le Tribunal a statué que si la preuve démontrait que la discrimination était un élément qui avait joué dans le refus d'offrir un emploi au plaignant, une preuve prima facie était établie, quelles que soient les compétences et les caractéristiques des candidats reçus.

[14]            Après avoir soigneusement examiné la preuve, le Tribunal a conclu (paragraphe 144) que la preuve soumise par la Commission était suffisante pour satisfaire au critère de la preuve prima facie préconisé dans l'arrêt O'Malley, en ce sens que la preuve fournie par la Commission était suffisante, dans la mesure où l'on y ajoutait foi et en l'absence d'explications raisonnables, pour établir le bien-fondé de la plainte.


[15]            Par conséquent, puisqu'il avait statué qu'en établissant une preuve prima facie de discrimination, la Commission avait renversé le fardeau de la preuve, qui était passé aux FAC, le Tribunal a examiné les explications autres que l'âge que les FAC avaient données pour justifier les faibles scores attribués à M. Morris quant au potentiel. Il s'agissait notamment du fait que les activités paraprofessionnelles de M. Morris n'étaient pas axées sur le militaire, mais qu'elles étaient plutôt orientées vers sa carrière une fois qu'il aurait quitté l'armée; sur son manque d'aptitude à communiquer; sur le fait qu'il ne parlait pas français; sur son peu d'aptitude au commandement; sur sa réticence à accepter une nouvelle affectation ailleurs que dans le sud-ouest de l'Ontario; sur ses années de service ailleurs qu'au régiment; et sur le fait qu'il n'avait pas été déployé dans le cadre de missions opérationnelles.

[16]            Le Tribunal a fait remarquer (paragraphes 173 et 174) que, même s'il avait enjoint aux parties de divulguer aux autres parties tous les documents pertinents qui étaient en leur possession et pour lesquels aucun privilège n'était invoqué, les FAC n'avaient pas divulgué les RAR des adjudants qui avaient été promus, même s'

[...] ils représentent le seul moyen de déterminer si les scores peu élevés obtenus par M. Morris pour ce qui est du potentiel sont conformes aux explications fournies quant aux éléments mentionnés. Cependant, ces documents n'ont jamais été divulgués. Le fait que l'intimée n'a pas produit cette preuve devant le Tribunal contribue à miner toutes ses explications quant aux scores peu élevés décernés à M. Morris relativement à l'aspect potentiel. [...]

Par conséquent, le Tribunal a conclu que les FAC n'avaient pas fourni d'explications raisonnables ayant pour effet de réfuter la preuve prima facie de discrimination de la Commission.

D.         DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE


[17]            La juge des demandes a statué (paragraphe 24) que le Tribunal avait commis une erreur de droit en invoquant la décision Chander à l'appui de la thèse selon laquelle il était possible d'établir une preuve prima facie en l'absence d'une preuve comparative. Contrairement au cas qui nous occupe, la juge a dit (paragraphe 25) que, dans l'affaire Chander, il n'y avait aucun autre candidat auquel le plaignant pouvait être comparé. Les RAR étaient donc nécessaires dans ce cas-ci afin d'établir une preuve prima facie de discrimination.

[18]            Toutefois, après avoir examiné la preuve que la Commission avait soumise en vue d'établir une preuve prima facie, la juge a conclu (paragraphe 29) que si la preuve comparative n'avait pas existé, la preuve soumise par la Commission aurait suffi en tant que preuve prima facie de discrimination.

[19]            Quant à la question de savoir si les explications données par les FAC étaient adéquates, la juge des demandes a dit que les FAC avaient la charge de prouver qu'il y avait des explications non discriminatoires raisonnables montrant pourquoi M. Morris n'avait pas été promu, même s'il avait suivi le cours NQ7, même s'il avait obtenu d'excellentes notes pour son rendement et même si de fort bonnes recommandations avaient été faites à son égard. La juge a conclu que, si une preuve prima facie avait été établie, il était raisonnable pour le Tribunal de ne pas retenir les explications des FAC en l'absence de données comparatives.

E.         CADRE LÉGAL

[20]            L'âge est mentionné, au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en tant que motif de distinction illicite. L'article 4 prévoit que les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 de la Loi peuvent faire l'objet d'une plainte devant la Commission et que toute personne qui a commis un tel acte peut faire l'objet d'une ordonnance du tribunal.


[21]            La disposition de la Loi qui est la plus pertinente dans cet appel figure à l'alinéa 7b) :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

                        ...

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

                        ...

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

E.         QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Première question : La norme de contrôle

[22]            Dans l'arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd., (2004), 322 N.R. 50, 2004 CAF 204, la Cour a dit (paragraphe 16) que les parties s'étaient entendues sur les normes de contrôle applicables aux différents genres de questions tranchées par un tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, les questions de droit tranchées par le Tribunal sont susceptibles d'examen selon la norme de la décision correcte; les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles d'examen selon la norme de la décision raisonnable simpliciter; et « l'appréciation des faits et les décisions dans le contexte des droits de la personne » sont susceptibles d'examen selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.


Deuxième question : Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en formulant le critère de la preuve prima facie?

[23]            Les parties conviennent que la question de savoir si le Tribunal a choisi le critère approprié de la preuve prima facie est une question de droit qui est susceptible d'examen selon la norme de la décision correcte.

[24]            L'avocate du procureur général a soutenu qu'en droit, une preuve prima facie de discrimination peut normalement être établie uniquement dans les affaires d'emploi si la Commission soumet une preuve comparative sous forme de renseignements concernant les candidats retenus. Il peut y avoir des exceptions (par exemple, lorsqu'il n'y avait pas d'autres candidats ou lorsqu'aucun renseignement comparatif n'est disponible), mais le tribunal doit appliquer la décision Shakes. La question de savoir si la décision Shakes s'applique à la décision qui est rendue à la suite du dépôt d'une plainte fondée sur la discrimination en matière d'emploi est une question de droit. L'avocate a dit qu'étant donné que des renseignements comparatifs étaient disponibles en l'espèce, le Tribunal a commis une erreur de droit en n'appliquant pas la décision Shakes.

[25]            Je ne suis pas d'accord. La définition de la preuve prima facie, lorsqu'il s'agit de régler une plainte en matière de droits de la personne, a été examinée dans l'affaire Lincoln c. Bay Ferries Ltd., qui a été tranchée après que la décision visée par le présent appel eut été rendue. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Stone a dit (paragraphe 18) :


Les arrêts Etobicoke et O'Malley, précités, prévoient les règles de base concernant l'établissement, par un plaignant, d'une preuve prima facie de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. [...] Les décisions des tribunaux dans Shakes et Israeli précités ne sont que des exemples de l'application de cette règle. [...] Comme l'a souligné le Tribunal dans une décision récente Premakumar c. Air Canada, [2002] C.H.R.D. no 3, au paragraphe 77 :

Bien que les critères des affaires Shakes et Israeli soient des guides utiles, aucun des deux ne devrait être appliqué automatiquement d'une manière rigide et arbitraire dans chaque affaire qui porte sur l'embauchage : il faut plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire pour établir si l'application de l'un ou l'autre des critères, en tout ou en partie, est pertinente. En bout de ligne, la question sera de savoir si M. Premakumar a répondu au critère O'Malley, c'est-à-dire : si on y ajoute foi, la preuve devant moi est-elle complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de M. Premakumar en l'absence de réplique de l'intimée?

[26]            À mon avis, l'arrêt Lincoln est déterminant : l'arrêt O'Malley indique le critère juridique de la preuve prima facie de discrimination à appliquer en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les décisions Shakes et Israeli indiquent simplement la preuve qui, si l'on y ajoute foi et si l'intimé ne donne pas d'explications satisfaisantes, suffira pour que le plaignant ait gain de cause dans certains contextes d'emploi.


[27]            En d'autres termes, la définition juridique de la preuve prima facie n'exige pas que la Commission soumette un type particulier de preuve afin d'établir les faits nécessaires en vue de démontrer que le plaignant a été victime d'un acte discriminatoire selon la définition figurant dans la Loi. L'alinéa 7b) exige uniquement que l'on défavorise une personne en cours d'emploi pour un motif de distinction illicite. La question de savoir si la preuve qui est fournie dans un cas donné est suffisante afin d'établir que l'on défavorise une personne pour un motif de distinction illicite, si l'on y ajoute foi et si l'intimé ne donne pas d'explications satisfaisantes, est une question mixte de fait et de droit.

[28]            Un critère juridique souple, en ce qui concerne l'établissement de la preuve prima facie, permet mieux que d'autres critères plus précis de promouvoir l'objet général sous-tendant la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir l'élimination, dans la sphère de compétence législative fédérale, de la discrimination en matière d'emploi ainsi que de la discrimination en ce qui concerne la fourniture de biens, de services, d'installations et d'habitations. La discrimination prend des formes nouvelles et subtiles. En outre, comme l'avocate de la Commission l'a signalé, il est maintenant reconnu que la preuve comparative de discrimination revêt des formes beaucoup plus nombreuses que la discrimination particulière identifiée dans la décisionShakes.

[29]            Si l'on rendait le critère de la preuve prima facie plus précis et plus détaillé, en tentant de l'appliquer à différents actes discriminatoires, on « légaliserait » sans motif légitime la prise de décision et on retarderait le règlement des plaintes en encourageant la présentation de demandes de contrôle judiciaire. À mon avis, décider du genre de preuve nécessaire dans un contexte donné pour établir une preuve prima facie relève davantage des attributions du tribunal spécialisé que de celles de la Cour.


[30]            En outre, des critères juridiques plus détaillés, en ce qui concerne la preuve prima facie, n'entraînent probablement pas plus de certitude pour ce qui est de l'administration de la Loi. Comme la jurisprudence le montre, même dans le seul domaine de la discrimination en matière d'emploi, les variantes factuelles sont indéfinies. Il se peut bien qu'il soit fort difficile de prédire si, en tant que question de droit, il serait jugé que la décision Shakes s'applique dans un cas donné. En augmentant le nombre de règles de droit et en les rendant plus précises, on n'accroît pas nécessairement la certitude quant à l'administration de la loi.

Troisième question : La preuve était-elle suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination?

[31]            Comme il en a déjà été fait mention, la juge des demandes a statué que, si elle n'avait pas été d'avis que la loi exigeait que la Commission produise une preuve comparative afin d'établir une preuve prima facie de discrimination, elle aurait conclu que la preuve soumise par la Commission était suffisante pour renverser le fardeau de la preuve et le faire passer du côté des FAC.

[32]            Selon moi, l'avocate du procureur général ne contestait pas sérieusement cet aspect des motifs de la juge. Elle se préoccupait plutôt de l'avis de la juge selon lequel en droit, lorsqu'il existe comme c'est ici le cas une preuve comparative portant sur les compétences et les caractéristiques des candidats retenus aux fins d'une promotion, une preuve prima facie de discrimination ne peut pas être établie sans cette preuve.


[33]            La question de savoir si le Tribunal disposait de suffisamment d'éléments pour qu'une preuve prima facie soit établie comporte l'application d'une règle de droit aux faits, et il s'agit donc d'une question mixte de fait et de droit susceptible d'examen selon la norme de la décision raisonnable simpliciter : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.), paragraphe 28; Lincoln c. Bay Ferries Ltd., paragraphes 16 et 23.

Quatrième question : Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en tirant une inférence défavorable de la non-divulgation par l'intimé des RAR des candidats retenus?

[34]            Dans le cadre de l'appel incident, l'avocate des FAC a soutenu que la juge des demandes avait commis une erreur en affirmant qu'il était loisible au Tribunal de tirer une inférence défavorable de l'omission des FAC de produire les RAR des officiers qui se mesuraient à M. Morris pour obtenir la promotion. L'avocate a soutenu que le procureur général n'aurait pas dû être pénalisé pour avoir omis de produire des documents qui, croyait-on, n'avaient pas à être produits.

[35]            L'avocate a soutenu que le procureur général n'avait aucune obligation générale de divulguer tous les RAR concernant les autres adjudants, et ce, pour les raisons suivantes : la Commission a allégué que le procureur général aurait dû divulguer les RAR uniquement lorsqu'elle a présenté ses conclusions finales devant le Tribunal; la Commission n'avait pas inclus les compétences des autres adjudants dans l'exposé des précisions; le procureur général avait produit une documentation volumineuse concernant M. Morris et le système suivi par le conseil de promotion au mérite; et puisque les RAR renferment des renseignements confidentiels au sujet des adjudants concernés, leur divulgation devrait uniquement être ordonnée après qu'il a été tenu compte du droit des adjudants à la protection de leurs renseignements personnels.


[36]            Toutefois, à mon avis, les passages des motifs du Tribunal sur lesquels le procureur général se fonde, lesquels sont énoncés dans les motifs de la juge des demandes, ne permettent pas, lorsqu'ils sont considérés dans leur ensemble, de tirer une inférence défavorable quant à l'omission de la part du procureur général de s'acquitter de l'obligation de divulgation. Le Tribunal a plutôt simplement conclu qu'il incombait aux FAC de réfuter la preuve prima facie de discrimination de la Commission et qu'elles avaient omis de le faire. En l'absence des RAR, le Tribunal ne pouvait pas décider si les explications particulières ne portant pas sur l'âge que les FAC avaient données justifiaient les faibles scores attribués à M. Morris pour le potentiel. Le Tribunal appréciait simplement le poids de la preuve mise à sa disposition, soit une démarche en bonne partie factuelle.

[37]            Comme c'est le cas pour la définition de la preuve prima facie, le procureur général cherche à élever au niveau des questions de droit des questions qui se rapportent essentiellement à la preuve. Je souscris à la conclusion tirée par la juge des demandes (paragraphe 33), à savoir qu' :

[...] il était raisonnable pour le Tribunal de mettre en doute, en l'absence d'une preuve comparative, la validité des explications censées justifier la faible note du plaignant sous la rubrique « potentiel » .


F.         CONCLUSION

[38]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, je rejetterais l'appel incident avec dépens, j'annulerais l'ordonnance de la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et je rétablirais la décision du Tribunal.

        « John M. Evans »          

       Juge

« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

A-588-03

INTITULÉ:

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

LIEU DE L'AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :

LES JUGES DÉCARY ET MALONE

DATE DES MOTIFS :                                 LE 3 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Leslie Reaume

POUR L'APPELANTE

Liz Tinker

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

La Commission canadienne

des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.