Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041126

Dossier : A-533-03

Référence : 2004 CAF 389

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                              DENIS LAMBERT

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                                intimée

                                 Audience tenue à Québec (Québec), le 18 novembre 2004.

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20041126

Dossier : A-533-03

Référence : 2004 CAF 389

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                              DENIS LAMBERT

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt dans laquelle le juge François Angers a confirmé que l'appelant devait se voir imposer un montant supplémentaire de 42 095 $ pour l'année d'imposition 1994 en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la L.I.R.).


[2]                L'appelant est pilote et actionnaire unique de la société Aviation Denis Lambert inc. (Aviation). En 1994, l'appelant était également l'un des actionnaires du Domaine La Sorbière (1991) inc. (La Sorbière). Cette dernière avait comme actif une pourvoirie abandonnée que les actionnaires voulaient remettre en opération.

[3]                Depuis 1992, Aviation assurait le transport par avion des clients et de la marchandise pour le bénéfice de La Sorbière étant donné que le territoire était assez vaste et qu'aucune route ne menait à la pourvoirie.

[4]                En 1994, l'appelant et un dénommé James Boudreault contrôlaient les opérations de La Sorbière. Le capital-action de la société était partagé comme suit :

ACTIONNAIRES

CATÉGORIE A

CATÉGORIE B

Denis Lambert

1

1 000

James Boudreault

1

1 000

5 autres actionnaires

5

0

-            Les actions de catégorie B comportent un droit de vote et sont participantes.

-            Les actions de catégorie A comportent un droit de vote, mais ne sont pas participantes.


[5]                Suite à l'incendie du chalet principal survenu le 14 juillet 1994, La Sorbière a reçu une indemnité d'assurance d'environ 375 000 $. Partie de cette somme (94 582,65 $) fut acheminée à Aviation en date du 18 octobre 1994. L'appelant et James Boudreault s'en sont servi pour faire l'acquisition de deux moteurs d'avion. L'un de ces moteurs fut installé sur l'avion de James Boudreault et l'autre sur l'avion d'Aviation. De plus, l'appelant fit modifier les ailes de l'avion d'Aviation à même ces sommes.

[6]                Le moteur installé sur l'avion d'Aviation a coûté 31 500 $ et la facture pour les réparations effectuées aux ailes du même avion était de 6 200 $, ce qui totalise 42 095 $ (incluant les taxes), soit le montant cotisé par le ministre.

[7]                Prétextant vouloir s'éviter des problèmes avec les actionnaires de la catégorie A, l'appelant a fait émettre par Aviation de fausses factures attestant de la vente à La Sorbière d'une série d'articles, notamment des génératrices, des chaloupes et des moteurs, de même que du métal plié, dont la valeur correspondait à celle de l'achat des deux moteurs d'avions et aux réparations effectuées.

[8]                Dans le cadre d'une vérification fiscale effectuée en mars 1998, l'appelant a reconnu que la description des biens apparaissant aux factures en question était fausse. Cinq chefs d'accusations criminelles ont été déposés contre l'appelant en mars 1999. Le 11 janvier 2000, il reconnaissait sa culpabilité à un des chefs, se voyant ainsi imposer une amende de 5 000 $.


[9]                En janvier 1999, Revenu Canada transmettait un avis de nouvelle cotisation afin que soit ajoutée aux revenus de l'appelant pour l'année 1994 une somme de 42 095 $ invoquant au soutien le paragraphe 15(1) de la L.I.R.. Suite à une opposition de l'appelant, l'intimé ratifiait l'avis de nouvelle cotisation, invoquant cette fois-ci le paragraphe 56(2) :

56(2) Paiements indirects

(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne -- sauf la cession d'une partie d'une pension de retraite conformément à l'article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d'un régime provincial de pensions au sens de l'article 3 de cette loi ou d'un régime provincial de pensions visé par règlement -- doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

56(2) Indirect payments

(2) A payment or transfer of property made pursuant to the direction of, or with the concurrence of, a taxpayer to some other person for the benefit of the taxpayer or as a benefit that the taxpayer desired to have conferred on the other person (other than by an assignment of any portion of a retirement pension pursuant to section 65.1 of the Canada Pension Plan or a comparable provision of a provincial pension plan as defined in section 3 of that Act or of a prescribed provincial pension plan) shall be included in computing the taxpayer's income to the extent that it would be if the payment or transfer had been made to the taxpayer.

[10]            L'appelant a porté la cotisation en appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Il a prétendu devant le premier juge que la somme versée par La Sorbière à Aviation avait comme but de compenser cette dernière pour des vols consacrés aux opérations de la pourvoirie avant le 18 octobre 1994. Il a de plus maintenu qu'il n'avait aucun droit au paiement de la somme de       42 095 $, éliminant ainsi l'une des conditions essentielles à l'application du paragraphe 56(2).


[11]            Le juge Angers a conclu d'une part qu'aucun montant n'était dû par la Sorbière à Aviation en 1994 pour les services que cette dernière lui aurait rendus contrairement à ce que prétendait l'appelante. Il a aussi conclu que même si l'appelant n'avait pas droit au paiement de la somme de 42 095 $, les conditions d'application du paragraphe 56(2) étaient tout de même remplies.

[12]            Il s'agit du jugement dont est appel.       

Analyse et décision

[13]            Il y a quatre conditions préalables à l'application du paragraphe 56(2) :

i.        le paiement doit être fait à une autre personne que le contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie;

ii.        la répartition doit être faite suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie;

iii.       le paiement doit être fait au profit du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie ou à une autre personne à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à cette autre personne;

iv.       le paiement aurait été inclus dans le revenu du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie si ce dernier l'avait reçu lui-même (voir Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770).

[14]            L'appelant concède que les deux premières conditions sont remplies. Il soumet cependant que le juge Angers a eu tort de conclure que les deux dernières l'étaient aussi.


[15]            En l'espèce, l'appelant prétend que le paiement de 42 095 $ pour le compte d'Aviation ne constituait pas un avantage conféré à cette dernière puisqu'il s'agissait d'une compensation pour services rendus.

[16]            De plus, l'appelant, en tant qu'actionnaire de La Sorbière, n'avait aucun droit à la somme de 42 095 $ autrement que par voie de dividende. Or, selon la preuve, aucun dividende n'a été déclaré. Selon l'appelant, le paragraphe 56(2) ne trouve application que dans la mesure où le contribuable visé avait droit au paiement ou au bien transféré selon le cas.

[17]            C'est à bon droit que le premier juge a rejeté chacun de ces arguments. Quant au premier, le juge a retenu (paragraphe 14) le fait qu'en 1994, les comptes furent réglés entre Aviation et La Sorbière pour le transport fourni à cette dernière par le paiement, en date du 17 octobre 1994, du montant de 8 351,42 $. Ces montants sont répertoriés dans les livres d'Aviation et constatés par chèque. Le premier juge a préféré s'en remettre aux écrits, écartant ainsi le témoignage de l'appelant. Je ne décèle aucune erreur à cet égard.


[18]            Quant au deuxième argument, le fait que l'appelant n'avait pas droit au montant de          42 095 $ n'empêche pas l'application du paragraphe 56(2). Il suffit de constater que ce montant aurait été inclus dans le revenu de l'appelant s'il l'avait reçu lui-même puisque selon les circonstances ici en cause, il y aurait en appropriation au sens du paragraphe 15(1) de la L.I.R. Comme l'expliquait le juge Marceau dans Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585 (CFA) à la page 593, le paragraphe 56(2):

[...] n'exige pas, comme condition d'application, que le contribuable ait initialement eu droit au montant versé ou au bien transféré au tiers; mais uniquement que le contribuable ait été lui-même imposable à cet égard si le versement ou le transfert avait été fait à lui (voir aussi Neuman c. M.R.N., supra).

[19]            Finalement, l'appelant a prétendu que le montant en question était imposable et de fait a été imposé entre les mains d'Aviation donnant ainsi lieu à une double imposition, contrairement à la règle énoncée par le juge Marceau dans l'affaire Winter à la page 593 (laquelle fut reprise et appliquée dans David Smith c. La Reine, 93 DTC 5351) :

[...] il n'est que juste d'inférer que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application que si l'avantage accordé n'est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. En effet, selon moi, une disposition en matière d'évitement fiscal revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d'être est d'empêcher l'évitement de l'impôt payable sur une opération donnée, et non de doubler l'impôt normalement payable ni d'accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles (notes en bas de page omises).

[20]            Le dossier, tel que constitué, ne fait pas état de double imposition. Je souligne tout d'abord que le montant en question n'était pas imposable et n'a pas été imposé dans l'année de sa réception par Aviation puisqu'il ne correspondait à aucun service rendu par Aviation. L'appelant n'a pas été en mesure d'identifier une quelconque disposition qui aurait permis au ministre de cotiser le montant en question comme revenu entre les mains d'Aviation dans l'année de sa réception.


[21]            Il est vrai que deux années plus tard, suite à la vente par Aviation de l'avion sur lequel les améliorations avaient été effectuées, le ministre a traité le profit en découlant comme revenu et n'a pas reconnu le coût du moteur et de l'amélioration des ailes dans le calcul de ce profit. Mais ceci ne fait pas en sorte qu'Aviation fut imposée ou était imposable sur le montant qui fut dirigé vers elle par l'appelant.

[22]            D'une part, les ailes améliorées et le moteur installé sur l'avion d'Aviation constituaient entre les mains de cette dernière un apport d'actif sans contre-partie puisqu'on ne pouvait y associer une quelconque considération. Il n'y avait donc pas lieu de reconnaître entre les mains d'Aviation le coût du moteur et des ailes.

[23]            D'autre part, le traitement du gain issu de la vente comme revenu fait appel à une considération d'un tout autre ordre, i.e. : Aviation achetait-elle ses avions dans le but de les revendre à profit? Or, il s'agissait en l'occurrence de la troisième vente d'avion par Aviation en un court laps de temps. Contrairement à ce que prétend l'appelant, ce traitement n'a rien à voir avec l'assujettissement d'Aviation à un impôt quelconque sur les montants dirigés vers elle par l'appelant.

[24]            Je rejetterais l'appel avec dépens.

                   "Marc Noël"                      

j.c.a.

"Je suis d'accord.

Gilles Létourneau j.c.a."

Je suis d'accord.

M. Nadon j.c.a."


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                      A-533-03

INTITULÉ :                     DENIS LAMBERT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        18 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                   26 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Me Pierre Hémond                                            POUR L'APPELANT

Me Martin Gentile                                             POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                          

Brochet, Dussault, Lemieux, Larochelle              POUR L'APPELANT

Sainte-Foy (Québec)

Ministère de la justice - Canada                                                 POUR L'INTIMÉE

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.