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Date : 20060502

Dossier : A-584-05

Référence : 2006 CAF 158

CORAM :       LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

ENTRE :

GERARD CHARLES DeLEEUW

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 26 avril 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20060502

Dossier : A-584-05

Référence : 2006 CAF 158

CORAM :       LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

ENTRE :

GERARD CHARLES DeLEEUW

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                L'appelant, M. DeLeeuw, sollicite une allocation d'ancien combattant en vertu de la Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. 1985, ch. W-3 (la Loi). Sa demande a été rejetée. Le 1er mars 2005, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé ce rejet. M. DeLeeuw a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale. Sa demande a été rejetée le 14 novembre 2005 pour des motifs qui n'ont pas été publiés. M. DeLeeuw interjete appel de cette décision devant la Cour.

[2]                M. DeLeeuw a effectué des recherches complètes pour son argument, qu'il a présenté habilement. Cependant, pour les motifs suivants, je ne peux pas conclure qu'il y ait un fondement en raison duquel la Cour pourrait renverser la décision de la Cour fédérale ou la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[3]                Les faits pertinents ne sont pas contestés. Le 12 octobre 1944, M. DeLeeuw s'est enrôlé volontairement dans l'armée canadienne. Il était prêt à combattre outre-mer au cours de la Seconde Guerre mondiale, mais la guerre s'est terminée avant qu'il ait pu le faire. Il a d'abord été affecté à Shilo (Manitoba). Après sa formation initiale, il a été stationné à la base militaire de Debert (Nouvelle-Écosse). Il s'y est rendu en train, par un chemin qui passait par le Nord-Est des États-Unis et qui longeait de près eaux côtières de l'Atlantique. Au cours de son service, il a contracté la rubéole et a dû être hospitalisé à un hôpital de la marine en Nouvelle-Écosse. Pendant son service, M. DeLeeuw n'a pas eu à voyager en aéronef, ni sur un navire ou un bateau de quelque type que ce soit. Il a été réformé le 20 septembre 1945.

[4]                Pour que M. DeLeeuw puisse obtenir l'allocation qu'il sollicite, il doit avoir accompli du service dans un « théâtre réel de guerre » au cours de la Seconde Guerre mondiale (paragraphe 37(3) de la Loi). L'expression « théâtre réel de guerre » est définie comme suit à l'alinéa 37(8)c) de la Loi : [Non souligné dans l'original.]

(8) Pour l'application du présent article, « théâtre réel de guerre » s'entend : [...]

(8) For the purposes of this section, "theatre of actual war" means [...]

c) dans le cas de la Seconde Guerre mondiale :

(c) in the case of World War II,

(i) à l'égard d'un ancien membre des forces canadiennes de Sa Majesté ou d'un ancien combattant de la marine marchande de la Seconde Guerre mondiale, de tout endroit où il a accompli du service comportant des fonctions remplies hors de l'hémisphère occidental, y compris le service comportant des fonctions remplies à l'extérieur du Canada, de Terre-Neuve, des États-Unis, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de leurs eaux territoriales dans un aéronef, et en quelque endroit sur un navire ou autre bâtiment, lequel service est classé comme temps passé en mer aux fins de l'avancement des matelots ou qui serait ainsi classé si le navire ou autre bâtiment était au service des forces navales du Canada [...]

(i) with respect to a former member of His Majesty's Canadian forces or a merchant navy veteran of World War II, any place where the person has been on service involving duties performed outside the Western Hemisphere, including

(A) service involving duties performed outside Canada, Newfoundland, the United States, Saint Pierre and Miquelon and the territorial waters thereof in aircraft, and

(B) service anywhere in a ship or other vessel, which service is classed as "sea time" for the purpose of advancement of naval ratings, or which would be so classed were the ship or other vessel in the service of the naval forces of Canada [...]

[5]                L'expression « temps passé en mer » est définie comme suit au paragraphe 37(8.1) de la Loi :

(8.1) Au sous-alinéa (8)c)(i), le temps passé en mer comprend le temps passé en service sur un navire de mer, sur un navire marchand équipé défensivement ou sur un navire fonctionnant au port, autre que les chalands de défense du barrage, les bâtiments de barrière, les navires ravitailleurs et les bâtiments de servitude. Est aussi visé le temps de service dans les opérations interarmées, mais non le temps de service à bord d'un navire avant son armement.

(8.1) For the purposes of clause (8)(c)(i)(B), "sea time" for the purpose of advancement of naval ratings includes time served in

(a) a sea-going ship,

(b) a defensively-equipped merchant ship, or

(c) any ship employed in harbour, other than a boom defence scow, gate vessel, depot ship or harbour craft,

as well as time served in combined operations organizations, but does not include time served on any ship prior to its commissioning.

[6]                M. DeLeeuw allègue premièrement qu'il est admissible à une allocation d'ancien combattant selon l'interprétation qu'il propose de la définition de « temps passé en mer » . Cet argument, si je le comprends bien, comporte deux éléments. Le premier élément se fonde sur le terme « bâtiment » de la version française du paragraphe 37(8.1) de la Loi. M. DeLeeuw allègue que le terme « bâtiment » signifie « immeuble » , ce qui comprendrait l'hôpital de la marine en Nouvelle-Écosse où il avait été hospitalisé. Je ne peux pas admettre cet argument. Le terme « bâtiment » en français peut signifier « immeuble » dans certains contextes, mais dans le contexte du paragraphe 37(8.1) de la Loi, qui traite uniquement de sujets touchant à la marine, ce terme signifie uniquement « navire » ou « vaisseau » .

[7]                Le deuxième élément de l'argument de M. DeLeeuw au sujet de la définition de « temps passé en mer » est fondé sur le fait qu'il était un membre de l'armée qui avait été admis dans un hôpital de la marine, à son avis, afin d'éviter de propager la rubéole dans la base militaire. Il allègue que la période pendant laquelle il a été hospitalisé compte comme « temps passé en mer » parce qu'il s'agit de temps au cours duquel il a été en « service dans les opérations interarmées » . Je ne peux pas non plus admettre cet argument. Il n'y a aucun fondement permettant de conclure qu'une personne en service militaire qui est admis dans un hôpital militaire participe à une opération militaire conjointement avec l'effectif de l'hôpital.

[8]                M. DeLeeuw mentionne que les principaux aspects de son service militaire ne sont pas différents de ceux de M. Trainor dans l'affaire Trainor c. Canada (Procureur général) (2000), 188 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), ou de ceux de M. MacLaren dans l'affaire Procureur général du Canada c. MacLaren (1987), 41 D.L.R. (4th) 41 (C.A.F.). La prémisse de cet argument est que M. Trainor et M. MacLaren avaient obtenu des prestations en vertu de la Loi parce qu'ils s'étaient trouvés à proximité d'eaux côtières dangereuses, et comme lui-même s'était trouvé à proximité d'eaux côtières dangereuses, il devrait lui aussi obtenir des prestations en vertu de la Loi. Il ajoute que le fait que le gouvernement l'ait traité de façon différente de M. Trainor et de M. MacLaren constitue une violation de la Charte canadienne des droits et libertés.

[9]                M. DeLeeuw était volontaire et aurait servi à l'étranger s'il n'avait pas été affecté par des circonstances indépendantes de sa volonté. Je peux comprendre que, de son point de vue, il semble arbitraire de lui refuser une allocation d'ancien combattant alors que d'autres personnes qui, selon lui, paraissent avoir été dans la même situation ont eu droit à des prestations. Il s'agit de déterminer s'il faut faire une distinction entre les faits en l'espèce et les faits des affaires Trainor et MacLaren.

[10]            M. Trainor et M. MacLaren, tout comme M. DeLeeuw, se sont enrôlés en 1944, mais n'ont pas été stationnés à l'étranger parce que la guerre s'est terminée. Le processus d'enrôlement a débuté à l'Île-du-Prince-Édouard et devait se terminer à Halifax. M. Trainor et M. MacLaren ont dû se rendre à Halifax en traversant le détroit de Northumberland en traversier. Au cours de ce voyage, le processus de leur enrôlement n'était pas encore terminé. Dans le cas de M. MacLaren, le processus d'enrôlement a été complété à Halifax, mais dans le cas de M. Trainor, ce processus n'a jamais été complété, parce que l'examen médical à Halifax de M. Trainor a révélé qu'il ne pouvait pas être enrôlé.

[11]            Il semble qu'il n'ait jamais été contesté que le voyage de M. Trainor et de M. MacLaren sur le détroit de Northumberland les a fait traverser un « théâtre réel de guerre » . Dans les deux cas, le gouvernement a fait valoir qu'ils n'étaient pas admissibles aux prestations pour anciens combattants parce qu'ils n'étaient pas encore « membres » des Forces canadiennes au moment où ils s'étaient trouvés, très brièvement, dans un « théâtre réel de guerre » . La Cour a écarté l'argument du gouvernement en concluant que M. Trainor et M. MacLaren étaient tous deux des « membres » des Forces canadiennes pendant le voyage parce que le processus d'enrôlement avait débuté, qu'ils voyageaient sous escorte militaire et qu'ils étaient assujettis au Code de discipline militaire.

[12]            Les motifs rendus dans les affaires Trainor et MacLaren ne mentionnent pas pourquoi il a été conclu que le détroit de Northumberland était un « théâtre réel de guerre » - dans les deux cas, ce fait n'a pas été contesté. En l'espèce, l'avocat de la Couronne a laissé entendre dans sa plaidoirie qu'une personne traversant le détroit de Northumberland en traversier se trouvait, pendant un certain temps, à plus de trois milles marins d'une côte canadienne et que par conséquent, cette personne se trouvait en dehors des « eaux territoriales du Canada » (selon la définition de cette expression au paragraphe 37(7.1) de la Loi).

[13]            M. DeLeeuw conteste cette explication des affaires Trainor et MacLaren. Selon ses calculs, il existe au moins un endroit où le détroit de Northumberland a une largeur de moins de six milles marins. Il me semble qu'il existe de nombreux endroits où le détroit de Northumberland a une largeur de plus de six milles marins. Cependant, quelles que soient les dimensions du détroit de Northumberland, j'ai du mal à voir en quoi la définition de « eaux territoriales du Canada » se rapporte à la définition de « théâtre réel de guerre » , sauf dans le cas d'un service militaire qui comprend des tâches effectuées dans un aéronef. M. DeLeeuw n'a jamais effectué de telles tâches. À mon avis, le débat au sujet de la largeur du détroit de Northumberland n'affecte aucunement le cas de M. DeLeeuw.

[14]            M. DeLeeuw allègue qu'il a été accepté que le détroit de Northumberland était un « théâtre réel de guerre » parce que des sous-marins allemands s'y trouvaient pendant la Seconde Guerre mondiale. D'après M. DeLeeuw, tout autre endroit près de l'océan Atlantique qui risquait d'être attaqué par des sous-marins devrait aussi être considéré comme un « théâtre réel de guerre » . Appliquant cette norme, M. DeLeeuw allègue qu'il se trouvait dans un « théâtre réel de guerre » parce qu'il était près de l'océan Atlantique pendant son service, dans au moins un endroit à proximité d'une zone où la présence de sous-marins allemands était reconnue. Par exemple, il note qu'il a dû traverser le port de Saint John (Nouveau-Brunswick).

[15]            À mon avis, l'interprétation que propose M. DeLeeuw de « théâtre réel de guerre » donnerait à cette expression une signification que le libellé de la loi ne peut pas raisonnablement recevoir. La définition de « théâtre réel de guerre » ne dit rien au sujet de sous-marins ni de toute autre activité ennemie qui aurait pu avoir été menée près de la côte de l'Atlantique. Même si M. DeLeeuw dit vrai lorsqu'il prétend que des sous-marins allemands s'étaient trouvés à proximité de la côte de l'Atlantique, il ne s'agit pas d'un argument qui permet de conclure que M. DeLeeuw se trouvait dans un « théâtre réel de guerre » ou qu'il en a traversé un pendant son service en temps de guerre. Je ne relève rien dans l'affaire MacLaren ni dans l'affaire Trainor qui appuie l'argument de M. DeLeeuw.

[16]            M. DeLeeuw n'a pas activement fait valoir son argument au sujet de la Charte, mais comme il a soulevé cet argument dans son mémoire des faits et du droit, j'en ferai mention. À mon avis, la différence entre la façon dont a été traité M. DeLeeuw et la façon dont M. MacLaren et M. Trainor ont été traités ne constitue pas un manquement à la Charte. Les dispositions légales ne sont pas discriminatoires envers M. DeLeeuw du fait de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur, de sa religion, de son sexe, de son âge, d'une déficience mentale ou physique, ou de tout motif analogue.

[17]            Je rejetterais l'appel de M. DeLeeuw. Comme la Couronne n'a pas demandé les dépens, je n'en adjugerais aucuns.

« K. Sharlow »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

            Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

            B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-584-05

INTITULÉ :                                                                            Gerard Charles DeLeeuw

                                                                                                                                                    

                                                                                                            c.

                                                                                                Sa majesté la Reine

                                                                                                                                                      

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 26 avril 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRITS :                                                            LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 2 mai 2006

COMPARUTIONS :

Gerald Charles DeLeeuw

EN SON PROPRE NOM

Jeff Dodgson

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerald Charles DeLeeuw

Winnipeg (Manitoba)

EN SON PROPRE NOM

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE

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