Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date: 20001103


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL         


     Dossier: A-756-98

ENTRE:      SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     DIANE L. DUGUAY,

     intimée.

     _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

     Dossier: A-757-98

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     AMÉDÉE DUGUAY,

     intimé.




     Audience tenue à Québec (Québec) le jeudi, 19 octobre 2000


     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi, 3 novembre 2000




MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE NOËL





Date: 20001103


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


     Dossier: A-756-98

ENTRE:      SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     DIANE L. DUGUAY,

     intimée.

     _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

     Dossier: A-757-98

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     AMÉDÉE DUGUAY,

     intimé.



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LÉTOURNEAU


Le juge Garon (maintenant Juge en chef) de la Cour canadienne de l'impôt s'est-il mépris lorsqu'il a conclu que les intimés avaient droit, en vertu de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), à un crédit d'impôt pour des dons de bienfaisance? A-t-il erré dans la détermination

de la juste valeur marchande des biens donnés aux fins du calcul de la déduction permise par la Loi? Avait-il raison d'imposer aux intimés la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi?


Ce sont là les trois questions qui nous furent soumises, la première par voie d'appel de Sa Majesté la Reine et les deux autres au moyen d'un appel incident des intimés. Les deux appels et appels incidents dans ces dossiers ont été entendus en même temps que les appels et appels incidents dans les dossiers Côté (A-758-98 et A-759-98) et Langlois (A-760-98 et A-761-98). Ils ont été plaidés sur la base d'un certain nombre de questions communes à tous, en gardant à l'esprit certaines différences d'ordre factuel.

Les faits


M. et Mme Duguay font partie d'un groupe de plusieurs personnes qui ont transigé avec M. Marc Levert, fondateur et actionnaire principal de la Galerie des Maîtres Anciens Inc. sise à Québec. M. Levert vendait à ses clients, généralement à 25% du prix de l'évaluation, des oeuvres d'art (des tableaux) que ceux-ci cédaient à des organismes de bienfaisance identifiés et choisis par M. Levert. C'était M. Levert qui s'occupait de trouver et de choisir les organismes bénéficiaires à qui il remettait les dons. À cette fin, il agissait comme mandataire des donateurs. C'était aussi lui qui évaluait les biens cédés et fournissait les reçus nécessaires à l'obtention du crédit d'impôt. En outre, M. Levert agissait également comme mandataire des organismes bénéficiaires. En cette capacité, il recevait les dons destinés à ces derniers et il les revendait immédiatement pour ne remettre aux organismes qu'une infime partie des produits de la vente, soit de 4% à 10% de ces derniers.


Par jugement du 28 février 1994 de la Cour supérieure de Québec, chambre criminelle, M. Levert a été trouvé coupable d'avoir détruit des documents pour les années d'imposition 1984, 1991 et 1992. Le 17 mars 1995, la Cour du Québec, chambre pénale, le trouvait aussi coupable d'avoir éludé des impôts pour les années d'imposition 1984 à 1988. Ce jugement fut confirmé par la Cour supérieure le 11 janvier 1996. Enfin, le 7 avril 1997, M. Levert a plaidé coupable, en rapport avec les présents dossiers, à des accusations d'avoir conspiré en vue d'éluder des impôts et d'avoir permis que des impôts au montant de 110 000,00$ soient éludés par des contribuables, dont les intimés, pour les années d'imposition 1986 à 1988. Il a été condamné à une peine de dix mois d'emprisonnement. Il fut également soumis à une ordonnance de probation d'une durée de deux ans lui interdisant d'agir directement ou indirectement à titre d'évaluateur, promoteur, agent ou consultant relativement à des donations d'oeuvres d'art à des organismes sans but lucratif.


Pour les années 1986 à 1989, M. et Mme Duguay ont demandé un crédit pour dons de bienfaisance. M. Duguay en a également demandé un en 1990. Ils ont fait affaire avec M. Marc Levert, à l'exception de l'année 1989 où ils ont donné une collection de bijoux à un organisme de bienfaisance. Pour ce faire, ils ont transigé avec M. Gilles Bouchard, un collègue de travail de M. Duguay. Aucune facture n'a été émise pour la transaction et c'est M. Bouchard qui s'est chargé de faire faire l'évaluation et de trouver le bénéficiaire du don. L'évaluation fut faite par une Mme Lizotte. Celle-ci, infirmière de profession antérieure, avait obtenu un certificat en gemmologie et était propriétaire d'une bijouterie depuis 1983. Le président de l'organisme récipiendaire du don était un client de cette bijouterie. Encore une fois, comme pour le don de tableaux, le prix d'achat des bijoux par les intimés correspondait à 25% du montant de leur évaluation.


Seules les années d'imposition 1988 et 1989, ainsi que 1990 dans le cas de M. Duguay, sont en cause. De fait, les intimés ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation en 1987 pour les années 1986 et 1987, le ministère du Revenu contestant alors le montant de la juste valeur marchande attribuée par M. Levert aux dons effectués. Les intimés se sont opposés à la nouvelle cotisation pour se désister par la suite de leur opposition.


Les reçus obtenus par les intimés en 1988 et 1989 s'élevaient respectivement à 15 000$ et 11 640$. Celui de 1990 se chiffrait à 9 750$.

Les intimés avaient-ils droit au crédit d'impôt pour don de bienfaisance?


Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a appliqué aux transactions visées les principes du Code civil du Bas-Canada qui, à l'époque, gouvernaient les libéralités, notamment les articles 755 et 776. Il a conclu que les conditions essentielles à l'existence d'une donation, soit l'intention libérale, la remise du bien et l'acceptation par le donataire, étaient remplies. Appliquant l'arrêt The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031 de notre Cour, il a statué que l'obtention d'un avantage fiscal, même si c'était là la motivation principale des intimés en l'espèce, n'effaçait pas l'intention libérale des donateurs. Il fut aussi d'avis que l'obtention d'un reçu de la part de l'organisme bénéficiaire ne pouvait être considérée comme une contrepartie éliminant le caractère gratuit et libéral de la transaction.


Enfin, l'objet même des dons lui est apparu suffisamment déterminé et il était satisfait que les biens donnés sont devenus la propriété des organismes de bienfaisance qui ont émis les reçus pour fins d'impôt.


À mon avis, le juge s'est bien instruit quant aux principes juridiques applicables en l'espèce. De même, je n'ai pas été convaincu qu'il a erré dans l'application de ces principes aux faits qui lui ont été soumis. En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.

Le juge a-t-il erré dans la détermination de la juste valeur marchande des objets donnés?


Par voie d'appel incident, les intimés ont prétendu que le juge, en procédant à la détermination de la juste valeur marchande des biens, a mis trop d'emphase sur les prix de ces biens à l'encan et qu'il a systématiquement écarté leur prix de vente au détail dans les galeries d'art. Ils lui reprochent également d'avoir ignoré les indicateurs objectifs sur lesquels M. Levert s'était fondé pour établir le montant de l'évaluation.


Le procureur des intimés a suggéré que nous procédions à une nouvelle évaluation de principe de la juste valeur marchande fondée sur une moyenne entre le montant de l'évaluation apparaissant au reçu, celui représentant la valeur de biens semblables lors d'une vente à l'encan et celui payé par des acheteurs lors d'une vente au détail en galerie.


Je ne crois pas que la base de calcul suggérée par le procureur des intimés soit appropriée en l'espèce et qu'il y ait lieu de procéder autrement que ne l'a fait le juge de première instance: nombre de tableaux n'avaient pas de marché en galerie, les circonstances entourant les transactions étaient, par tout standard d'appréciation, pour le moins étranges et particulières, pour ne pas dire suspectes, et les prix étaient systématiquement gonflés. Ces éléments ne laissent aucune ouverture à une norme ou à un principe d'application générale de la nature de celui proposé par les intimés.


Le juge se devait alors d'apprécier la juste valeur marchande des biens qui sont l'objet du litige en fonction de leur individualité et de leur spécificité propres. On entend par "juste valeur marchande" celle obtenue dans un marché normal, c'est-à-dire un marché qui n'est pas perturbé par des facteurs économiques particuliers et où des vendeurs désireux mais non anxieux de vendre transigent avec des acheteurs désireux et capables d'acheter: Attorney General of Alberta v. Royal Trust Co. [1945] S.C.R. 267, à la page 288. Pour ce faire, il s'est tantôt fondé sur le témoignage d'experts, tantôt sur le fait que le bien lui-même n'a même pas pu atteindre à l'encan un prix de réserve nettement inférieur au montant de l'évaluation soumis par les intimés, tantôt sur des prix actuellement payés à l'encan pour des oeuvres qui n'avaient d'autres marchés que celui de la vente aux enchères, tantôt sur les prix actuellement payés pour des oeuvres comparables du même artiste tant au niveau de leurs dimensions que des sujets traités et de la période couverte, tantôt sur le prix de vente ou de rachat des biens qui ont aussitôt été revendus aux enchères par le donataire. Le juge a tenu compte du marché pertinent où s'exerçait le jeu de l'offre et de la demande et où l'oeuvre pouvait être vendue ou, de fait, avait été revendue d'une manière contemporaine: on ne saurait le lui reprocher.


Par exemple, le tableau de Jean-Paul Lemieux (une aquarelle de 10 x 14 po. de 1931), pour lequel les intimés avaient produit une évaluation de 15 000$ en 1988, n'a pu trouver preneur aux enchères aux Encans Pinney's en 1989 et n'a pas atteint le montant de 2 800$ correspondant au prix de réserve qui lui avait été attribué. La valeur de 3 000$ accordée par le juge m'apparaît, dans les circonstances, correspondre à la juste valeur marchande.


Le juge a également été sensible aux limites fixées par les experts quant aux indicateurs retenus par M. Levert pour ses évaluations. À titre d'exemple, selon les témoignages de M. Harvey, M. Gagnon et M. Rinfret, les prix apparaissant aux Guide Vallée, sur lequel s'était fortement appuyé M. Levert pour faire ses évaluations, ne représentent pas les prix de ventes réelles, mais plutôt des prix affichés pour fins de publicité des artistes qui y sont mentionnés. Ces prix sont fixés au pouce carré, en fonction de la grandeur du tableau, et ne tiennent pas compte de facteurs importants qui influent sur la juste valeur marchande, tels la période où le tableau a été peint, le sujet traité ainsi que la qualité du tableau (voir dossier Côté, A-759-98, vol. VIII, à la page 1968, vol. XI, aux pages 2610-11, 2848-57, 2867-69 et vol. X, aux pages 2508-16).


Le juge avait la tâche délicate et fort difficile de déterminer la juste valeur marchande des biens donnés qui ont été acquis et revendus par M. Levert sur le marché des enchères et pour lesquels les intimés n'ont fourni aucune facture de vente au détail en galerie. Il l'a fait consciencieusement pour chacun des biens en se référant à la preuve qui lui a été soumise. Je ne vois aucune erreur dans son approche qui justifierait notre intervention. Admettre la méthode d'évaluation proposée par les intimés équivaudrait à procéder dans l'abstrait et à faire fi de la preuve au dossier ainsi que de l'analyse que le juge en a faite. Je rejetterais ce premier motif de l'appel incident.

Le juge avait-il raison d'imposer la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi?


Le paragraphe 163(2) impose une pénalité à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration pour une année d'imposition ou y participe, y consent ou y acquiesce. Plus précisément, il se lit:

163. (2) Faux énoncés ou omissions

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application,, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse - appelé "déclaration" au présent article - rempli ou produit, pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100$, à 50% du total:

a) de l'excédent éventuel

     (i) de la fraction de l'excédent éventuel de l'impôt qui serait payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi qui est en sus du montant qui serait réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, s'il était ajouté au revenu imposable déclaré par cette personne dans la déclaration pour l'année la partie de son revenu déclaré en moins pour l'année qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission et si son impôt payable pour l'année était calculé en soustrayant des déductions de l'impôt payable par ailleurs par cette personne pour l'année, la partie de ces déductions qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission,

sur

     (ii) la fraction éventuelle de l'impôt qui aurait été payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi qui est en sus du montant qui aurait été réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, si l'impôt payable pour l'année avait fait l'objet d'une cotisation établie d'après les renseignements indiqués dans la déclaration pour l'année;

[...]

163. (2) False statements or omissions

Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence in the carrying out of any duty or obligation imposed by or under this Act, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a "return") filed or made in respect of a taxation year as required by or under this Act or a regulation, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of

(a) the amount, if any, by which

     (i) the amount, if any, by which
     (A) the tax for the year that would be payable by the person under this Act exceeds
     (B) the amount that would be deemed by subsection 120(2) to have been paid on account of the person's tax for the year
     if the person's taxable income for the year were computed by adding to the taxable income reported by the person in the person's return for the year that portion of the person's understatement of income for the year that is reasonably attributable to the false statement or omission and if the person's tax payable for the year were computed by subtracting from the deductions from the tax otherwise payable by the person for the year such portion of any such deduction as may reasonably be attributable to the false statement or omission

exceeds

     (ii) the amount, if any, by which(A) the tax for the year that would have been payable by the person under this Act
     exceeds
     (B) the amount that would have been deemed by subsection 120(2) to have been paid on account of the person's tax for the year

had the person's tax payable for the year been assessed on the basis of the information provided in the person's return for the year,

[...]


Le juge de première instance en est venu à la conclusion que les intimés avaient fait preuve d'une insouciance marquée ou, à tout le moins d'une négligence grave à l'égard de leurs obligations fiscales. Il a retenu au soutien de sa conclusion un certain nombre d'éléments qu'il a ainsi décrits:

     Il me semble qu'en particulier après la rencontre de l'appelant Amédée Duguay avec les enquêteurs de Revenu Canada les appelants auraient dû réexaminer leur position à l'égard des autorités fiscales. Ils auraient dû s'interroger sur la véritable nature des arrangements en vertu desquels ils obtenaient des reçus pour fins fiscales pour des montants quatre fois supérieurs aux prix des oeuvres d'art en question qu'ils venaient tout juste d'acquérir. Cet élément, à lui seul, de l'écart si considérable entre les prix des tableaux payés par les appelants et les montants figurant sur les reçus émis pour fins fiscales, prétendument représentant la juste valeur marchande au même moment de ces tableaux, me porte à croire que les appelants savaient ou auraient dû savoir s'ils avaient été attentifs à leurs obligations fiscales, que les montants inscrits sur les reçus étaient gonflés ou démesurés de façon significative et ne représentaient pas la juste valeur marchande des tableaux en question. Le rôle de monsieur Levert, dans le cas particulièrement du don fait par les appelants en 1988, à toutes les étapes de cette transaction et le rôle de monsieur Bouchard à l'égard des dons faits en 1989 et 1990 auraient dû créer des soupçons sérieux chez les appelants. Le choix des organismes de bienfaisance a été fait à toutes fins pratiques par monsieur Levert et monsieur Bouchard et l'absence totale d'intérêt de la part des appelants comme donateurs aux organismes bénéficiaires de leurs dons constituent d'autres éléments étranges et inusités reliés aux transactions dont il s'agit. De façon générale, le manque de collaboration avec les autorités fiscales lorsqu'on leur a demandé de fournir des preuves d'achat et de paiements relatifs aux oeuvres d'art en question me persuade aussi que les appelants pouvaient croire que leur conduite n'était pas sans reproche.


Tous ces éléments furent mis en preuve et je suis d'accord à la fois avec l'interprétation qu'il en a faite et la conclusion qu'il en a tirée.


Le procureur des intimés a soutenu qu'on ne pouvait reprocher à ses clients d'avoir continué à faire des donations après la nouvelle cotisation pour les années 1986 et 1987. Se référant à l'arrêt Hudson Bay Mining and Smelting Co. v. R. [1986] 1 C.T.C. 414, confirmé par notre Cour quant au rejet de la pénalité [1989] 2 C.T.C. 309, il prétend qu'un simple désaccord avec les autorités fiscales ne justifie pas l'imposition de la pénalité prévue au paragraphe 163(2). Il ajoute que ses clients, loin d'être négligents, ont au contraire redoublé de prudence après avoir été alertés par Revenu Canada que les évaluations faites par M. Levert étaient exagérées et ne correspondaient pas à la juste valeur marchande.


Avec respect, je crois, d'une part, que le comportement des intimés témoignait de beaucoup plus que d'un simple désaccord avec les autorités fiscales et, d'autre part, que la vigilance dont ils se réclament n'est pas supportée par la preuve quant à leurs démarches au cours des années d'imposition en litige.


Revenu Canada a informé les intimés en 1987 que les évaluations soumises par M. Levert en 1986 et 1987 étaient surfaites. Ces derniers l'ont reconnu en se désistant de leur opposition. Que font-ils pour 1988? Ils transigent à nouveau avec le même M. Levert, dans un même contexte où ce dernier agit encore comme mandataire des donateurs et du donataire, sans pour autant faire vérifier une évaluation de 15 000$ que celui-ci leur produit.


Si ce n'était que de l'année 1988, peut-être pourrait-on argumenter qu'il y a place au doute. Mais que font, en 1989, les intimés qui se disent vigilants et préoccupés par la justesse des évaluations qu'ils fournissent au soutien de leur demande de crédit d'impôt? Ils achètent de M. Bouchard, curieusement à un prix qui, comme pour les tableaux achetés de M. Levert, correspond à 25% de l'évaluation, une collection de bijoux qu'ils donnent à un organisme de bienfaisance choisi par M. Bouchard. Ils se savent pas pourquoi M. Bouchard leur vend ces bijoux à ce prix et ils ne posent pas de question (dossier d'appel, vol. III, pages 566-67). Ils ignorent la provenance des bijoux sauf qu'ils savent qu'ils viennent de la collection personnelle de M. Bouchard (id., aux pages 646-47). Ils achètent sans facture (id., aux pages 648, 770 et 783). Outre le fait qu'on puisse s'interroger sur l'utilité que peuvent avoir les bijoux pour un organisme de bienfaisance, ils s'en remettent à M. Bouchard pour obtenir une évaluation et ils ne s'interrogent aucunement sur l'évaluation qui leur est remise par ce dernier.


Que dire de la vigilance de M. Duguay en 1990 qui a seul réclamé le crédit d'impôt? Il achète de M. Bouchard, encore une fois sans facture et à 25 % du prix de l'évaluation, des tableaux dont il ignore la provenance. M. Bouchard lui remet une évaluation de ce même M. Levert que les intimés disaient avoir à l'oeil (id., aux pages 574 à 576 et 783). Comment s'exerce la diligence de M. Duguay? Il accepte l'évaluation sans la questionner et réclame le crédit d'impôt.


Dans ces circonstances, il est difficile de ne pas conclure à de l'aveuglement volontaire, d'autant plus qu'il admet ne pas avoir étudié le guide que Revenu Canada lui a remis quant à la juste valeur marchande et l'évaluation de biens donnés (id., aux pages 624 à 627).


M. Duguay était à l'époque un policier d'expérience à la Sûreté du Québec. Il avait à son actif 24 ans au niveau des enquêtes, dont la moitié au sein de la section des crimes économiques. Les circonstances entourant chacune des transactions, surtout celles après l'avertissement servi par Revenu Canada quant aux évaluations produites, étaient telles qu'elles ne pouvaient que faire naître des soupçons chez les intimés, particulièrement compte tenu de l'expérience de M. Duguay. Peut-être est-ce qui explique qu'il ait menti aux agents de Revenu Canada venus le rencontrer pour les déductions réclamées en 1986. Il leur a dit avoir acheté et payé les tableaux entre avril et septembre 1986 alors qu'il l'avait fait seulement le 19 ou 20 décembre de la même année. Lors de son témoignage devant le juge de la Cour canadienne de l'impôt, il dira à la page 601, en rapport avec la déclaration faite aux agents:

     R.      Et puis quand je suis passé à la Cour... j'ai dit à Me Gagnon: "On va rectifier - - ce qui a été dit aux agents, il n'y a rien de vrai là-dessus. C'est faux. On va remettre les points pour pas qu'elle arrive devant le juge et puis qu'on embarque dans une affaire comme ça.".
          J'ai rectifié - - j'ai fait une rectification voulue.

Ces déclarations mensongères à caractère exculpatoire, faites postérieurement aux déclarations de 1986 et 1987, permettent, en rapport avec les gestes prohibés au paragraphe 163(2) de la Loi, de conclure que les intimés étaient conscients de la fausseté des énoncés qu'ils avaient faits dans leurs déclarations d'impôt pour les années 1986 et 1987 et qu'ils ont subséquemment répétés dans des circonstances identiques pour les trois années d'imposition en litige: R. c. White [1998] 2 R.C.S. 72, aux pages 84-85; R. c. Jacquard [1997] 1 R.C.S. 314, à la page 340. Je rejetterais ce second motif de l'appel incident.


En somme, pour les raisons exprimées, je rejetterais, avec dépens, l'appel et l'appel incident.


     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

"Je suis d'accord

     Robert Décary j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël j.c.a."

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.