Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        



Date : 20000517


Dossier : ITA-6771-99

ENTRE:

     DANS L"AFFAIRE DE LA LOI DE L"IMPÔT SUR LE REVENU

     - et -

     DANS L"AFFAIRE D"UNE COTISATION OU DES COTISATIONS

     ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     EN VERTU D"UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES:

     LA LOI DE L"IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS

     DU CANADA, LALOI SUR L"ASSURANCE-EMPLOI

     Créancière-judiciaire

     - CONTRE -



     9051-3250 QUÉBEC INC.

     Débitrice-judiciaire


     - et -


     JEAN-FRANÇOIS GUITÉ

     Opposant



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      L"opposant Jean-François Guité s"oppose à la saisie pratiquée en l"instance en ce qui concerne les biens meubles saisis, le 4 août 1999, par le huissier instrumentant Edmond Sirois, au 169, Route 132, Percé, Québec, district judiciaire de Gaspé.

[2]      Lors de la saisie effectuée au mois d"août 1999, l"opposant a, en présence de deux agents de la Sûreté du Québec, expliqué à l"officier saisissant qu"il était propriétaire des biens saisis et s"est opposé à la saisie des biens. L"huissier a refusé de tenir compte de cette opposition.

[3]      L"opposant, M. Jean-François Guité, a clairement démontré qu"il était le seul et véritable propriétaire de tous les biens meubles, que ce soit en vertu du contrat d"achat de ces biens, daté du 1er septembre 1988 ou encore en vertu des factures déposées démontrant qu"il était le seul véritable propriétaire de la laveuse à linge et de la sécheuse, lesquelles ont été achetées en juillet et août 1995, avant qu"il ne procède à l"incorporation de sa compagnie.

[4]      Ces documents ainsi que le témoignage recueilli lors de l"interrogatoire de M. Guité en novembre 1999, démontrent que M. Guité a toujours été de bonne foi, qu"il possédait les biens saisis et ce depuis plusieurs années, et que lorsqu"il a incorporé sa compagnie pour opérer son restaurant, il ne s"est pas départi des biens qui étaient sa propriété et qu"il n"a commis aucun acte qui pourrait donner ouverture à de la fraude dans les circonstances.

[5]      Suivant la pièce O-1 déposée, soit des avis de cotisation en liasses, il apparaît clair que la somme réclamée origine d"une inspection effectuée en octobre 1997, où un inspecteur a établi que la débitrice saisie 9051-3250 QUÉBEC INC. aurait remis au ministère du Revenu la somme de $3,997.15 pour des retenues, mais que la somme qui aurait dû être retournée au ministère, s"établissait à $5,363.62, laissant un solde à payer de $1,366.47. À cela ce sont ajoutées des pénalités et des intérêts et une somme minime de $68.62 pour des arriérés antérieurs pour un total de $1,534.73.

[6]      Les autres avis de cotisation pour l"année 1998 et pour l"année 1999 démontrent qu"il s"agit de cotisations d"impôt fédéral établies arbitrairement, puisque tel que mentionné par le procureur du ministère du Revenu, il n"avait pas reçu de paiement de la somme initiale réclamée soit $1,534.73 et ces autres sommes s"étaient ajoutées sans que d"autres enquêtes ne soient effectuées.

[7]      Bien que la Cour n"ait pas compétence quant à la somme réclamée mentionnée à l"avis de cotisation, il apparaît cependant clair de la preuve que la somme initiale réclamée à la fin des opérations de la compagnie en 1997, s"établissait environ à $1,500.

[8]      Par ailleurs, la preuve testimoniale recueillie suite à l"interrogatoire de M. Guité, démontre que ce dernier a expliqué qu"il s"agissait d"une entreprise familiale exploitée par son père et qu"il a racheté la propriété et les meubles de Madame Pauline Vaillancourt qui les avait achetés elle-même de sa soeur, Mademoiselle Marie-Jeanne Guité, en 1985. M. Guité a expliqué que suivant les conseils de son comptable, il avait mis sur pied une compagnie numérique pour opérer son commerce au cours de l"année 1997 et que cela n"avait pas fonctionné et qu"il avait dû cesser d"opérer sa compagnie, laquelle est la débitrice saisie.

[9]      Le témoignage recueilli est clair et rien ne laisse transparaître suite à cet interrogatoire que M. Guité ait agi de façon malicieuse ou frauduleuse.

[10]      Le procureur de l"opposant a démontré que si le ministère du Revenu avait voulu, il aurait pu utiliser les dispositions de l"article 227.1 de la Loi de l"impôt sur le revenu du Canada1 et réclamer la somme représentant des retenues à la source de M. Guité personnellement qui était administrateur de la compagnie. Le procureur de l"opposant a fait remarquer que si c"eut été le cas, l"opposant aurait eu la possibilité de contester le bien fondé de la réclamation. Cependant, le ministère du Revenu a choisi non pas de réclamer les sommes dues pour défaut d"effectuer les retenues en vertu de la responsabilité des administrateurs pour défaut d"effectuer les retenues, suivant l"article 227.1 de la Loi, mais plutôt d"invoquer les dispositions de l"article 317 du Code civil du Québec et de prétendre que M. Guité a agi par fraude.

[11]      Bien que les biens saisis en l"instance ont servis à l"exploitation de l"entreprise de l"opposant, l"opposant avait tout à fait le droit de prêter ses biens personnels à son entreprise, tout comme il avait le droit de ne rien réclamer en retour.

[12]      L"article 317 du Code civil du Québec se lit comme suit:

Article 317. La personnalité juridique d"une personne morale ne peut être invoquée à l"encontre d"une personne de bonne foi dès lors qu"on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l"abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l"ordre public.

[13]      Malgré les efforts du procureur du ministère du Revenu pour me convaincre du contraire, il apparaît évident dans ce cas-ci que l"opposant n"a fait aucun geste qui puisse être interprété comme étant assimilé à de la fraude.

[14]      Il a mis en place une compagnie et cette compagnie a même payé des retenues à la source, tel qu"il apparaît à la pièce O-1, mais il semble qu"il restait un solde d"environ $1,300 à la fin de l"année 1997, lequel, pour des raisons imprécises, s"est accru à la somme de $4,803.37, laquelle somme réclamée dépasse le $5,000 maintenant.

[15]      Le procureur du ministère du Revenu soutient que la situation en l"espèce est analogue à celle des parties impliquées dans l"affaire Le sous-ministre du Revenu du Québec c. Couvertures C.G.L. Inc. et Les entreprises Yvon Latouche Inc.2

[16]      Il est clair du jugement du juge Denault que l"opposant, dans ce cas-là Les entreprises Yvon Latouche Inc., avait machiné toute une série de transactions pour éviter de payer les sommes qu"il devait au ministère du Revenu:

     En l"instance, après avoir entendu le témoignage d"Yvon Latouche et de son épouse Ginette Giroux, je n"ai aucune hésitation à conclure qu"Yvon Latouche est l"alter ego de la compagnie Les entreprises Yvon Latouche Inc., comme il l"a admis dans son témoignage, mais surtout qu"il est l"âme dirigeante de Couvertures C.G.L. Inc. L"incorporation par Yvon Latouche de diverses compagnies tantôt à son nom tantôt au nom de son épouse en prenant soin de ne jamais transférer les actifs de la compagnie qu"il mettait au rancart au nom de celle avec laquelle il s"apprétait [sic] à faire affaires, a manifestement été fait dans le but de tromper les créanciers, d"éviter de le paiement de dettes et, comme en l"instance, d"éviter d"avoir à rembourser des sommes qu"il avait perçues en tant que fiduciaire mais qu"il avait négligées de rembourser. La Cour ne saurait être dupe au complice de telles machinations.

[17]      Plus loin, le juge conclut:

     Dans les circonstances de l"espèce, l"opposition de la requérante constitue un abus de droit et une tentative, par l"âme dirigeante tant de la défenderesse que de la requérante, de se soustraire à ses obligations. Son opposition ne peut donc être recueillie.

[18]      Il est clair que cette décision ne peut trouver application dans la présente instance.

[19]      Le procureur de l"opposant m"a soumis une décision de la Cour d"appel du Québec dans le dossierCalzaturificio Sirio S.R.L. c. Caporicci3. Le juge Vallerand précise au paragraphe 12:

     ...nous sommes ici en présence de ce recours classique du créancier frustré par la déconfiture de sa débitrice, personne morale dont il cherche alors et sans droit à rejoindre personnellement les dirigeants....

[20]      Plus loin au paragraphe 14:

    
     ...
     ...le jugement, après avoir relevé l"activité primordiale que déploit [sic] Caporiccipère, affirme qu"il est l"alter ego des personnes morales qu"il dirige. Mais poursuit le jugement:
    
         pour rejoindre les actionnaires administrateurs, il faut une preuve de fraude, un abus de droit ou une contradiction à une loi d"ordre public.

     C"est là pour l"essentiel correctement dire le droit.

     ...Mais alors en vertu de quel principe juridique l"âme dirigeante des personnes morales se retrouve-t-elle condamnée personnellement? À titre de simple alter ego? C"est là une erreur sur le droit. Paul Martel, pour n"en nommer qu"un, dans son propos "le voile corporatif" et l"article 317 du Code civil du Québec1 écrit avec justesse:
         Il n"y a rien en soit de mal à ce qu"une compagnie soit un alter ego. Ce n"est que si elle est utilisée aux fins répréhensibles énoncées à l"article 317 que le "voile corporatif" peut être soulevé. La jurisprudence est à l"effet qu"en l"absence de fraude, l"identité corporative d"une compagnie même, alter ego, sera respectée.

[21]      Il m"apparaît beaucoup plus raisonnable d"appliquer cette décision à la présente instance.

[22]      Je n"ai donc aucune hésitation à faire droit à l"opposition.

[23]      En conséquence, LA COUR:

     DÉCLARE la saisie exécution mobilière pratiquée en l"instance, nulle, irrégulière et illégale;

     DÉCLARE l"opposant seul et unique propriétaire des dits biens saisis;

     ACCORDE à l"opposant main levée de ladite saisie exécution.


[24]      Quant aux dépens, le procureur de l"opposant demande que les dépens soient accordés sur la base avocat-client.

[25]      Dans les circonstances du présent dossier, depuis l"interrogatoire de l"opposant en novembre 1999, le ministère du Revenu savait sans aucun doute possible que l"opposant était propriétaire des dits biens saisis, et qu"il n"avait commis aucune fraude.

[26]      Alors que le ministère du Revenu avait la possibilité d"agir en vertu d"une disposition précise de la Loi pour agir, soit l"article 227.1, il a décidé de maintenir son recours à l"encontre de l"opposant en sachant pertinemment qu"il était propriétaire des biens, mais en se basant sur l"article 317 du Code civil du Québec et prétendant que l"opposant avait agi par fraude.

[27]      Je considère que l"attitude du ministère du Revenu dans les circonstances était abusive et tout à fait exagérée dans les circonstances, puisque la somme initiale réclamée dans ce dossier, se situait aux environs de $1,500 et que de continuer les procédures d"exécution après l"interrogatoire de M. Guité et en l"absence de preuve contraire, apparaissait inutile et exagéré.

[28]      Dans les circonstances, j"accorde les dépens à l"opposant sur la base avocat-client.

        







                         Pierre Blais

                         Juge





OTTAWA, ONTARIO

Le 17 mai 2000

__________________

1      L.R.C. 1985 (5e supp.) ch. 1.

2      Décision non rapportée du juge Denault, (17 février 1995), GST-100-94 (C.F. 1ère instance).

3      (18 octobre 1999), 500-09-002787-968 (C.A.Q.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.