Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20051209

Dossier : A-646-04

Référence : 2005 CAF 418

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

Sa Majesté la Reine en Chef du Canada telle que représentée par le ministère des Pêches

et des Océans et le ministère des Ressources Humaines et de Développement Canada,

            appelante

et

Aurélien Haché, Lucien Chiasson, Sylvie Chiasson, Armand Fiset, Jeannot Guignard,

Héliodore Aucoin, Gildard Haché, Guy Haché, Rhéal Haché, Robert F. Haché, Greg

Hinkley, Vincent Jones, Solange Lanteigne, Jean-Pierre LeBouthillier, Rhéal H. Mallet,

André Mazerolle, Eddy Mazerolle, Albanie Noël, Alphée Noël, Serge C. Noël, Gilles

Noël, Joseph A. Noël, Lévi Noël, Lorenzo Noël, Martin Noël, Mathurin Noël, Nicolas

Noël, Onésime Noël, Paul Noël, Raymond Noël, Renald Noël, Robert Ross, Bruno

Roussel, Jean-Camille Noël, Valmi Roussel, Donat Vienneau, Fernand Vienneau, Rhéal

Vienneau, Mathias Roussel, Serge Blanchard, Robert Boucher, Elide Bulger, Jean-Gilles

Chiason, Roméo G. Cormier, Bernard Duguay, Thomas Duguay, Donald Duguay, Edgar

Ferron, Wilbert Godin, Aurèle Godin, Valois Goupil, Euclide Guignard, Florent

Guignard, Jacques E. Haché, Jean-Pierre Haché, Robert G. Haché, Donald R. Haché,

Ulysse Haché, Gaëtan H. Haché, Gabriel Jean, Jean-Victor Larocque, Dassisse Mallet,

Delphis Mallet, Albert A. Noël, Gilles A. Noël, Domitien Paulin, Sylvain Paulin, Alma

Robichaud, administratrice de la Succession de Jean-Pierre Robichaud, Sylva Haché,

Mario Savoie, Les Pêcheries Jimmy L. Ltée, Eric Gionet, administrateur de la fiducie

Allain O. Gionet, Les Produits Belle-Baie Ltée., Oliva Roussel, E. Gagnon et Fils Ltée.,

Bernard Arsenault, Gérard Cassivi, Jacques Collin, Raymond Collin, Robert Collin,

Marc Couture, Les Crustacées de Gaspé Ltée., CIE 2973-1288 Québec Inc., CIE 2973-

0819 Québec Inc., Bruno Duguay, Charles-Aimé Duguay, Alban Hautcoeur, Fernand

Hautcoeur, Jean-Claude Hautcoeur, Robert Huard, Christian Lelièvre, Elphège Lelièvre,

Jean-Élie Lelièvre, Jules Lelièvre, Jean-Marc Marcoux, Douglas McInnis, Roger Pinel,

Jean Marc Sweeney, Michel Turbide, Réal Turbide, Pêcheries Denise Quinn Syvrais Inc.,

Steven Roussy, Geneviève Allain, Francis Parisé, Martial LeBlanc, Daniel Desbois,

Rolland Anglehart, Jacques Langis, Jean-Pierre Huard, Claude Gionet, Carol Duguay,

Denis Duguay, Paul Chevarie, Thérèse Vigneau, administratrice de la Succession de

Benoît Poirier, Denis Éloquin, Claude Poirier, Henry-Fred Poirier, Robert Thériault,

Raynald Vigneau

intimés

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 11 novembre 2005.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                     LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                               LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LE JUGE DÉCARY


Date : 20051209

Dossier : A-646-04

Référence : 2005 CAF 418

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

Sa Majesté la Reine en Chef du Canada telle que représentée par le ministère des Pêches

et des Océans et le ministère des Ressources Humaines et de Développement Canada,

            appelante

et

Aurélien Haché, Lucien Chiasson, Sylvie Chiasson, Armand Fiset, Jeannot Guignard,

Héliodore Aucoin, Gildard Haché, Guy Haché, Rhéal Haché, Robert F. Haché, Greg

Hinkley, Vincent Jones, Solange Lanteigne, Jean-Pierre LeBouthillier, Rhéal H. Mallet,

André Mazerolle, Eddy Mazerolle, Albanie Noël, Alphée Noël, Serge C. Noël, Gilles

Noël, Joseph A. Noël, Lévi Noël, Lorenzo Noël, Martin Noël, Mathurin Noël, Nicolas

Noël, Onésime Noël, Paul Noël, Raymond Noël, Renald Noël, Robert Ross, Bruno

Roussel, Jean-Camille Noël, Valmi Roussel, Donat Vienneau, Fernand Vienneau, Rhéal

Vienneau, Mathias Roussel, Serge Blanchard, Robert Boucher, Elide Bulger, Jean-Gilles

Chiason, Roméo G. Cormier, Bernard Duguay, Thomas Duguay, Donald Duguay, Edgar

Ferron, Wilbert Godin, Aurèle Godin, Valois Goupil, Euclide Guignard, Florent

Guignard, Jacques E. Haché, Jean-Pierre Haché, Robert G. Haché, Donald R. Haché,

Ulysse Haché, Gaëtan H. Haché, Gabriel Jean, Jean-Victor Larocque, Dassisse Mallet,

Delphis Mallet, Albert A. Noël, Gilles A. Noël, Domitien Paulin, Sylvain Paulin, Alma

Robichaud, administratrice de la Succession de Jean-Pierre Robichaud, Sylva Haché,

Mario Savoie, Les Pêcheries Jimmy L. Ltée, Eric Gionet, administrateur de la fiducie

Allain O. Gionet, Les Produits Belle-Baie Ltée., Oliva Roussel, E. Gagnon et Fils Ltée.,

Bernard Arsenault, Gérard Cassivi, Jacques Collin, Raymond Collin, Robert Collin,

Marc Couture, Les Crustacées de Gaspé Ltée., CIE 2973-1288 Québec Inc., CIE 2973-

0819 Québec Inc., Bruno Duguay, Charles-Aimé Duguay, Alban Hautcoeur, Fernand

Hautcoeur, Jean-Claude Hautcoeur, Robert Huard, Christian Lelièvre, Elphège Lelièvre,


Jean-Élie Lelièvre, Jules Lelièvre, Jean-Marc Marcoux, Douglas McInnis, Roger Pinel,

Jean Marc Sweeney, Michel Turbide, Réal Turbide, Pêcheries Denise Quinn Syvrais Inc.,

Steven Roussy, Geneviève Allain, Francis Parisé, Martial LeBlanc, Daniel Desbois,

Rolland Anglehart, Jacques Langis, Jean-Pierre Huard, Claude Gionet, Carol Duguay,

Denis Duguay, Paul Chevarie, Thérèse Vigneau, administratrice de la Succession de

Benoît Poirier, Denis Éloquin, Claude Poirier, Henry-Fred Poirier, Robert Thériault,

Raynald Vigneau

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision du juge Hugessen de la Cour fédérale, en date du 25 novembre 2004, modifiée le 1er décembre 2004, rejetant la requête de l'appelante pour jugement sommaire visant le rejet de l'action des intimés.

[2]                Par leur action, déposée le 21 décembre 2001, les intimés, tous des pêcheurs de crabe des neiges, réclament de l'appelante le paiement de la somme de 9 139 132,54 $ qu'ils allèguent avoir versée durant la période de 1997 à 2001 dans le Fonds de solidarité de l'industrie du crabe des neiges (le « Fonds » ).

[3]                Je résume brièvement les faits pertinents afin de permettre au lecteur de bien saisir la question en litige devant nous.

[4]                Suite à une entente de principe conclue en février 1996 entre des représentants du ministre des Pêches et des Océans et diverses associations représentant des pêcheurs de crabe des neiges, tous détenteurs de permis de pêche commerciale en conformité avec la Loi sur les pêches, L.R.C. 1993, c. F-14, telle que modifiée (la « Loi » ), il a été convenu de créer le Fonds qui verrait à financer des projets de création d'emplois pour ceux et celles qui travaillaient à terre dans des usines de traitement du crabe, et pour certains membres d'équipage de bateaux de pêche, qui perdraient leur emploi. Ce programme de création d'emplois pourrait ainsi permettre à ces travailleurs d'accumuler un nombre suffisant de semaines d'emploi assurable et ainsi les rendre éligibles à recevoir des prestations d'assurance-emploi.

[5]                Cette entente était sujette à la condition suivante, soit une entente de partenariat entre le ministre des Pêches et Océans et les 130 pêcheurs de crabe des neiges de la zone 12 lorsqu'une telle entente deviendrait légalement possible suite à des amendements à la Loi.

[6]                Depuis plusieurs années, le ministre songeait à la création d'un partenariat pour gérer les pêches qui inclurait non seulement les pêcheurs, mais aussi les personnes travaillant à terre dans les diverses usines de traitement du poisson. Le but de ce partenariat serait de partager la responsabilité entre ceux et celles intéressés à la gestion de l'industrie de la pêche et de créer des emplois à long terme.

[7]                Par conséquent, dans l'expectative de la création d'un tel partenariat, les pêcheurs de crabe des neiges acceptaient, sur une base volontaire, d'aider les travailleurs de l'industrie de la pêche.

[8]                En vertu de l'entente conclue entre les représentants du ministre et ceux des associations de pêcheurs, les recettes brutes réalisées par les pêcheurs seraient partiellement versées dans le Fonds et serviraient à financer la réalisation des projets de création d'emplois. La constitution du Fonds s'est faite de la façon suivante durant les années 1997 à 2001. Au printemps de chaque année, les représentants du ministre émettaient une directive prévoyant que 20% du contingent traditionnel de pêche alloué à chaque pêcheur devait être retenu et transféré au Partenariat. Sur paiement par chaque pêcheur d'un montant, dont le calcul se faisait en fonction du contingent total du pêcheur par livre, le Partenariat avisait le ministre du paiement fait par le pêcheur. Dès lors, le montant était transféré au Fonds et les représentants du ministre libéraient en faveur dudit pêcheur le 20% du contingent qui avait été retenu.

[9]                Le Fonds de solidarité de l'industrie de crabe des neiges, une société à but non lucratif, a été constitué le 22 mai 1997, alors que le Partenariat du crabe des neiges Inc. a été constitué le 10 mai 1999 à la demande du ministre. Ce Partenariat ne possédait ni n'exploitait des bateaux de pêche et il ne se livrait pas à des activités de pêche au sens de la Loi.

[10]            Pour donner suite aux discussions et ententes entre ses représentants et les associations de pêcheurs, le ministre déposait en première lecture devant la Chambre des communes, le 3 octobre 1996, le projet de loi C-62 de 1996, ayant pour but, inter alia, d'autoriser et d'améliorer les « accords de gestion des pêches » ayant été conclus par le ministre. Les paragraphes 17(1) à 17(4) du projet de loi auraient autorisé le ministre à conclure des accords de gestion des pêches et, plus particulièrement, le paragraphe 17(2) énonçait que :

17. (2) L'accord peut prévoir [...]

[...]

d) Les obligations, responsabilités et mesures de financement liées à la gestion de cette pêche.

17(2) An agreement may establish

[...]

(d) the obligations, responsibilities and funding arrangements with respect to management of the fishery.

[11]            Malheureusement, le projet de loi C-62 est mort au feuilleton lors de la dissolution du Parlement le 27 avril 1997. Nonobstant, les pêcheurs de crabe ont continué à verser les sommes requises au Partenariat jusqu'en 2001.

[12]            Suite à une information reçue du vérificateur général du Canada en l'an 2000, à l'effet qu'il y avait des doutes sérieux quant à la validité d'imposer aux pêcheurs de crabe des neiges des frais qui ne semblaient pas prévus par la Loi, certains des intimés ont commencé à contester leur obligation de verser des sommes d'argent dans le Fonds et, plus particulièrement, ils déposaient une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, demandant l'annulation de la décision du ministre qui imposait une redevance aux titulaires de permis traditionnel de pêche au crabe des neiges pour la saison de pêche 2001. Selon ces intimés, le ministre n'était pas autorisé à prendre cette mesure.

[13]            Le 17 juillet 2001, le juge Rouleau de la Cour fédérale concluait que la décision du ministre, relativement au transfert de 20% du contingent de pêche au Partenariat était nulle, puisqu'elle excédait les pouvoirs que la Loi lui conférait.

[14]            Suite à cette décision, les intimés déposaient leur action en Cour fédérale contre l'appelante, demandant le remboursement des sommes payées par eux dans le Fonds.

[15]            Le 14 février 2002, l'appelante déposait une défense demandant le rejet de l'action des intimées, alléguant, inter alia, qu'elle n'avait reçu aucun argent « sur la base alléguée dans la déclaration » et qu'elle n'était aucunement responsable envers les intimés pour le remboursement des sommes demandées.

[16]            Le 7 juin 2002, les intimés déposaient une requête pour jugement sommaire visant l'obtention d'un jugement condamnant l'appelante à leur verser la somme de 9 139 132,54 $, somme qu'ils prétendaient avoir versée dans le Fonds durant la période de 1997 à 2001. Selon les intimés, il y avait lieu de rendre un jugement sommaire, vu l'inexistence de véritables questions en litige entre les parties.

[17]            Le 24 juin 2002, la juge Tremblay-Lamer accueillait, en partie, la requête des intimés. Selon la juge, puisque la défense de l'appelante n'était pas douteuse au point de ne pas mériter d'être considérée au mérite par le juge des faits, il n'y avait pas lieu de condamner l'appelante à rembourser le montant réclamé par les demandeurs. Par ailleurs, s'appuyant sur la preuve par affidavit d'Aurélien Haché, l'un des intimés, et en particulier la pièce I de cet affidavit, soit copie de la documentation concernant les paiements faits par les intimés dans le Fonds, la juge se déclarait satisfaite que les intimés avait payé la somme de 9 139 132,54 $. Aux paragraphes 30 et 31 de ses motifs, la juge Tremblay-Lamer concluait comme suit :

[30]    En conclusion, si l'on applique les principes applicables aux jugements sommaires, il ne s'agit pas là d'un cas où la défense de la défenderesse soit si douteuse qu'elle ne mérite par la considération du juge des faits.

[31]    Cependant, sur la question du quantum, je suis convaincue, eu égard à la preuve produite par les demandeurs, qu'ils ont payé la somme de 9 139 132,54 $. La preuve non contredite d'Aurélien Haché et les détails apparaissant dans la pièce I apportent une preuve suffisante pour que soit accordé un jugement sommaire sur cet aspect.

[18]            La juge Tremblay-Lamer rendait donc l'ordonnance suivante :

LA COUR ORDONNE : La requête en jugement sommaire est rejetée, sauf sur la question du quantum, qui est fixé à 9 139 132,54 $. Les dépens suivront l'issue de la cause.

[19]            Il est à noter que la décision du juge Tremblay-Lamer n'a pas été portée en appel.

[20]            Au mois d'août 2004, suite à deux ans de péripéties juridiques entre les parties, le récit desquelles je fais grâce au lecteur, l'appelante déposait à son tour une requête pour jugement sommaire visant, inter alia, le rejet entier de la réclamation de 57 des intimés, au motif qu'ils n'avaient effectué aucun versement dans le Fonds, et le rejet partiel de la réclamation de 47 des intimés, au motif qu'ils n'avaient pas effectué tous leurs prétendus versements dans le Fonds et, qu'en outre, pour certaines années, les versements avaient été faits par des corporations commerciales. Dans ces circonstances, l'appelante prétendait que ces intimés ne pouvaient avoir subi les dommages-intérêts qu'ils réclamaient.

[21]            Dans une décision qu'il rendait le 25 novembre 2004, et qu'il modifiait le 1er décembre suivant, le juge Hugessen rejetait la requête de l'appelante dans les termes suivants :

Entre autre, pour corriger des erreurs matérielles dans l'ordonnance rendue le 25 novembre 2004, les mots « qui a reçu les paiements en question » sont retirés et l'ordonnance se lira désormais comme suit :

                Je ne suis pas prêt à accorder à la défenderesse un jugement sommaire tel que demandé. Comme madame le juge Tremblay-Lamer, je crois qu'il y a matière à procès (une question sérieuse). D'ailleurs, à mon avis, son jugement constitue chose jugée quant aux paiements effectués par ou au nom des demandeurs pour un montant total de 9 139 132,54 $ et cette question ne peut plus être débattue dans le présent dossier.                                                    [Le souligné est le mien]

                Que dans certains cas les paiements avaient été effectués pour le bénéfice de certains demandeurs par des corporations avec lesquelles ils étaient reliés ne peut avoir impact sur leur droit de réclamer de la couronne.

                D'autre part, la défenderesse a retiré cette partie de sa requête visant l'obtention d'une ordonnance de justification suite au refus des demandeurs de répondre à certaines questions. Je considère toutefois que l'attitude systématique de refus et d'obstruction démontrée par les demandeurs depuis près de deux ans a été tel qu'ils ont perdu le droit de réclamer une condamnation aux dépens de la présente requête.

                La requête est rejetée avec dépens.

[22]            De l'avis du juge Hugessen, il n'y avait pas lieu de rejeter les réclamations des intimés, vu qu'il y avait une question sérieuse à débattre. En outre, selon le juge Hugessen, il y avait chose jugée en ce qui concernait le paiement de 9 139 132,54 $ effectué par les intimés dans le Fonds. Par conséquent, cette question ne pouvait plus être débattue.

[23]            L'appelante soumet que le juge Hugessen a erré en concluant qu'il y avait chose jugée relativement à la question du paiement effectué par les intimés dans le Fonds. Plus particulièrement, l'appelante met de l'avant les arguments suivants. En premier lieu, elle soumet que la preuve devant la juge Tremblay-Lamer était incomplète et « sur plusieurs aspects incorrecte » .

[24]            En ce qui a trait au premier volet de cet argument, la juge Tremblay-Lamer a disposé, comme elle se devait, de la requête devant elle à la lumière de la preuve soumise par les parties. À savoir si cette preuve était complète ou non n'est, à mon avis, d'aucune pertinence relativement à la question devant nous dans cet appel. Cet argument est donc, à mon avis, sans mérite.

[25]            Je suis aussi du même avis quant à l'autre volet de l'argument de l'appelante, soit que la preuve offerte par les intimés devant la juge Tremblay-Lamer était « incorrecte » . Si l'appelante est de cet avis, il lui est loisible de déposer une requête sous la Règle 399(2) des Règles de la Cour fédérale, 1998, qui prévoit l'annulation ou la modification d'une ordonnance lorsque des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue, ou que l'ordonnance a été obtenue par fraude.

[26]            Je n'ai évidemment pas à me prononcer sur la question de savoir si une telle requête pourrait réussir.

[27]            En deuxième lieu, l'appelante soumet que la juge Tremblay-Lamer ne peut avoir conclu comme l'a décidé le juge Hugessen, puisqu'il est apparent, à la lecture de ses motifs, qu'elle n'avait nullement l'intention de rendre jugement concernant les dommages-intérêts auxquels pouvaient avoir droit les intimés. Au soutien de cet argument, l'appelante nous réfère aux paragraphes 16, 22, 25 et 29 du jugement de la juge Tremblay-Lamer, que je reproduis :

[16]     En revanche, la preuve par affidavit de la défenderesse tend à démontrer que les demandeurs bénéficiaient du Partenariat en ce sens que le contingent traditionnel alloué aux demandeurs, en échange des versements effectués au fonds, procurait aux demandeurs des recettes additionnelles qui compensaient les sommes qu'ils versaient au Fonds. Chacun des pêcheurs avait la garantie d'un revenu brut moyen de 500 000 $ par année pendant cinq ans, pur un total de 2,5 millions de dollars.

[...]

[22]     Il est vrai que, dans le cas présent, les demandeurs supportaient le fardeau des paiements, mais ces paiements n'étaient pas reçus par le gouvernement, et ils n'étaient pas non plus effectués pour le gouvernement ou en son nom. Il n'est pas possible non plus de dire dans cette procédure de jugement sommaire si les demandeurs ont subi un préjudice, la raison étant qu'il apparaît qu'ils ont reçu quelque chose en échange de leurs contributions au Fonds. Seul un procès en règle produira la preuve nécessaire pour répondre à cette question.

[...]

[25]     Le juge Chipman a alors conclu, au paragraphe 61, que le versement de droits de surveillance des quais n'apportaient pas une preuve suffisante de préjudice. Selon lui, [Traduction] « la charge de prouver le préjudice incombe aux intimés, et il leur appartenait de montrer, s'ils le pouvaient, qu'ils n'avaient pas reçu une valeur égale aux sommes payées par eux » . En l'espèce, les demandeurs n'ont pas apporté cette preuve.

[...]

[29]     Le troisième élément du délit, c'est-à-dire le préjudice qui a résulté pour les demandeurs des actions du ministre, n'a pas non plus été établi. Les demandeurs ont payé des droits, mais la preuve révèle qu'ils ont reçu une contrepartie pour les sommes versées (ils recevaient 100 p. 100 de la ressource constituée par le crabe des neiges, au lieu de voir une partie de la ressource bénéficier aux pêcheurs non traditionnels).

[Le souligné est le mien]

[28]            Pour les fins de la présente discussion, il sera aussi utile de reproduire les paragraphes 12 à 15 du jugement de la juge Tremblay-Lamer :

[12]             Eu égard au jugement Aucoin, précité, je suis convaincue que la défenderesse a commis un excès de pouvoir. La preuve montre clairement que l'accord de partenariat était subordonné à l'adoption du projet de loi C-62. Ce projet de loi a expiré au feuilleton lorsque le Parlement a été dissous le 27 avril 1997. Malgré cela, les parties sont allées de l'avant comme prévu.

[13]             Cependant, l'excès de pouvoir commis par la défenderesse donne-t-il aux demandeurs automatiquement droit à la restitution des sommes versées au Fonds?

[14]             À la lumière des preuves antagonistes sur des aspects clés du différend, je ne suis pas convaincue qu'il s'agit là d'une question qui puisse être résolue par jugement sommaire.

[15]             Par exemple, la preuve par affidavit des demandeurs indique que, pour s'assurer que chacun des demandeurs contribue au Fonds, le ministre « retenait » environ 20 p. 100 du contingent de crabe traditionnellement attribué aux demandeurs. Ce contingent était de nouveau mis à disposition une fois que le ministre avait reçu confirmation que les demandeurs concernés avaient contribué au Fonds.

[29]            Contrairement à la prétention de l'appelante, les paragraphes du jugement de la juge Tremblay-Lamer auxquels cette dernière nous réfère ne font, à mon avis, que confirmer la position adoptée par le juge Hugessen. Ces paragraphes donnent un bref aperçu des motifs pour lesquels la juge Tremblay-Lamer n'a pu conclure à l'inexistence de véritables questions en litige entre les parties. Tout en reconnaissant que les intimés avaient payé la somme de 9 139 132,54 $ dans le Fonds, la juge n'était pas convaincue que les intimés avaient nécessairement droit au remboursement de cette somme. Par exemple, au paragraphe 22 de ses motifs, elle tient pour acquis, dans le cours de sa discussion de la défense déposée par l'appelante, que les intimés ont effectivement contribué au Fonds. Elle poursuit sa discussion en faisant référence aux arguments de l'appelante selon lesquels les intimés n'auraient pas subi de préjudice, « la raison étant qu'il apparaît qu'ils ont reçu quelque chose en échange de leurs contributions au Fonds » .

[30]            Au paragraphe 12 de ses motifs, la juge se dit d'avis que l'appelante a commis un excès de pouvoir, vu que le projet de loi C-62, qui devait conférer l'autorité nécessaire au ministre pour conclure le partenariat, est mort au feuilleton lors de la dissolution du Parlement le 27 avril 1997. Au paragraphe 13 de ses motifs, la juge se demande si en raison de l'excès de pouvoir commis par le ministre, les intimés ont automatiquement droit au remboursement des sommes versées dans le Fonds. Au paragraphe 14, elle conclut que cette question ne peut être résolue par jugement sommaire.

[31]            Aux paragraphes 15 et 16, la juge Tremblay-Lamer donne une explication au soutien de sa conclusion du paragraphe 14. Au paragraphe 15, elle relate la preuve des intimés selon laquelle chacun d'entre eux devait contribuer au Fonds afin de libérer le 20% du contingent retenu par le ministre pour garantir le paiement des intimés, puis, au paragraphe 16, la juge Tremblay-Lamer résume une partie de la défense de l'appelante, à l'effet que les intimés avaient reçu contrepartie pour les paiements effectués au Fonds et, par conséquent, n'avaient pas subi de dommages-intérêts.

[32]            Cette discussion de la juge se comprend plus facilement après lecture des paragraphes 39, 41, 42, 43, 44 et 46 de la défense de l'appelante, qui se lisent comme suit :

[39]               En ce qui a trait au paragraphe 37 de la déclaration, la défenderesse nie que les demandeurs ont subi des dommages suite à la décision du Ministre d'émettre une allocation de cogestion à une entité juridique, et qu'au contraire les demandeurs ont bénéficié, entre autres, en recevant ainsi un accès prioritaire à la ressource.

[...]

[41]               En ce qui a trait au paragraphe 39 de la Déclaration, la défenderesse nie qu'elle s'est enrichie sans cause et dit que la défenderesse n'a touché ni bénéficié d'aucune façon de ces argents. De plus, les demandeurs s'enrichiraient sans cause s'ils se voyaient rembourser leurs contributions au Fonds après avoir bénéficié durant les années 1997 à 2001 des allocations plus élevées et d'un accès prioritaire à la ressource qui leur fut accordés en contrepartie des contributions.

[42]               La défenderesse nie les allégations au paragraphe 40 de la Déclaration. La défenderesse dit que les demandeurs voulaient venir en aide aux travailleurs d'usine et aux membres d'équipage relié à la pêche du crabe des neiges. Leur initiative de créer un Fonds fut soutenue par le MPO en leur accordant une formule de partage qui fixait un revenu annuel de 500 000 $ par année pour une période de cinq ans en autant que le TPA était suffisamment élevé.

[43]               Les coûts reliés à l'approche de congestion et au Fonds étaient comptabilisés à l'intérieur de ce 500 000 $. Bien que l'outil sur lequel les parties s'étaient entendues et qui fut utilisé pour aider à la collecte des argents pour le Fonds a été jugé illégal par la Cour, il n'en reste pas moins que les argents ont été versés à des entités juridiques et non au MPO. En tout temps pertinent, les argents ont été utilisés pour les fins pour lesquels ils ont été collectés, c'est-à-dire pour aider les travailleurs d'usine et les membres d'équipage relié à la pêche du crabe.

[44]               La défenderesse dit qu'il est injuste que les demandeurs, après avoir bénéficié des avantages de cette approche de cogestion pendant cinq ans, demandent à être dédommagés pour une initiative qu'ils ont eux-mêmes mise en place et pour laquelle ils ont reçu des allocations additionnelles pour y contribuer.

[...]

[46]               Quant à la Déclaration en général, la défenderesse n'a reçu aucun argent des demandeurs sur la base alléguée dans la Déclaration et nie toute responsabilité envers les demandeurs pour le remboursement des sommes demandées.

[Le souligné est le mien]

[33]            Il appert de ces paragraphes que la défense de l'appelante est à l'effet que nonobstant leur contribution au Fonds, les intimés n'ont subi aucun dommage-intérêt en raison du fait qu'ils ont bénéficié, durant la période 1997 à 2001, d'allocations de pêche plus élevées et d'un accès prioritaire à la ressource qui leur a été accordé en contrepartie de leurs contributions au Fonds.

[34]            Une lecture attentive de l'ensemble des motifs de la juge Tremblay-Lamer me permet de conclure, sans difficulté, que lorsqu'elle parle de la nécessité de procéder à un examen complet des dommages-intérêts des intimés, elle ne vise aucunement la question du paiement fait par les intimés dans le Fonds.

[35]            En dernier lieu, l'appelante soumet que la juge Tremblay-Lamer ne voulait décider que la question du quantum, et non la question de savoir qui avait payé ces sommes dans le Fonds. Selon l'appelante, la décision de la juge Tremblay-Lamer est « claire et sans équivoque » sur ce point.

[36]            Selon l'appelante, l'ordonnance de la juge Tremblay-Lamer doit être interprétée comme fixant un « plafond » des montants pouvant être recouverts ultimement par les intimés. Avec égard pour l'opinion contraire, je ne puis voir comment l'on peut restreindre la portée de ladite ordonnance comme le suggère l'appelante. Pour atteindre cet objectif, il faudrait, à mon avis, réécrire l'ordonnance. Ce que la juge Tremblay- Lamer a conclu est, à mon avis, parfaitement clair : les intimés ont payé dans le Fonds la somme de 9 139 132,54 $. D'ailleurs, quelle aurait été l'utilité pour la juge Tremblay-Lamer de décider qu'une somme de 9 139 132,54 $ avait été payée dans le Fonds sans décider la question de savoir qui avait versé cette somme?

[37]            Par conséquent, c'est à bon droit que le juge Hugessen a conclu qu'il y avait chose jugée concernant la question de savoir si les paiements effectués dans le Fonds avaient été faits par les intimés. Comme le juge Hugessen, je suis d'avis que cette question a été tranchée et qu'elle ne peut plus être débattue.

[38]            Je conclus donc que le juge Hugessen n'a commis aucune erreur en rejetant la requête de l'appelante pour jugement sommaire.

[39]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            J. Richard j.c. »

Je suis d'accord.

            Robert Décary j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-646-04

(APPEL D'UNE ORDONNANCE DU JUGE HUGGESSSEN, DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 25 NOVEMBRE 2004 (ET MODIFIÉE LE 1ER DÉCEMBRE 2004) DANS LE DOSSIER T-2263-01)

INTITULÉ :                                                                La Reine c. A. Haché et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Fredericton (Nouveau Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 11 novembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     Le juge Nadon

Y ONT SOUSCRIT :                                                  Le juge en chef Richard

                                                                                    Le juge Décary

DATE DES MOTIFS :                                               le 9 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Me Michel Doucet

Me Christian Doucet

POUR L'APPELANTE

Me Danys Delaquis

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patterson Palmer

Moncton (Nouveau-Brunswick)

POUR L'APPELANTE

Gilbert McGloan Gillis

Saint-Jean (Nouveau-Brunswick)

POUR LES INTIMÉS

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