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Date : 20050524

Dossier : A-686-04

Référence : 2005 CAF 197

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                      GLAXOSMITHKLINE INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

                                            Entendu à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005.

                                    Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NADON

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                           LE JUGE PELLETIER


Date : 20050524

Dossier : A-686-04

Référence : 2005 CAF 197

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                      GLAXOSMITHKLINE INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS

[1]                Le présent appel vise un jugement de la Cour fédérale (GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général) (2004), 37 C.P.R. (4th) 336; le juge von Finckenstein), rejetant la demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelante à l'encontre du refus du ministre de la Santé d'inscrire les brevets canadiens nos 1 298 479 (le brevet 479) et 2 031 393 (le brevet 393) au registre des brevets tenu par le ministre conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur l'AC).


[2]                Le mémoire descriptif concernant le brevet 479 indique ce qui suit (DA Vol. 1, p. 33) :

Cette invention _ concerne un système pouvant libérer un ingrédient actif qu'il contient, à régime contrôlé et pratiquement constant, dans un fluide, lequel a le pouvoir de faire gonfler le noyau contenant l'ingrédient actif _.

L'ingrédient actif à libérer peut être constitué de pesticides, d'herbicides, d'engrais, de désodorisants pour la maison, de médicaments ou, de façon générale, de tout type de substance qui doit être libérée à régime contrôlé dans un fluide aqueux.

[Non souligné dans l'original.]

[3]                La revendication 1 se présente en partie comme suit :

1. Un système pour la libération contrôlée de substances actives, constitué d'un noyau qui renferme la substance active et possède une forme géométrique bien définie, ainsi que d'une plate-forme de support appliquée sur ledit noyau, ce dernier contenant, mélangé à l'ingrédient actif, a) au moins une substance polymérique possédant un haut degré de gonflement au contact avec les liquides aqueux, choisie dans le groupe comprenant :

[...]

[Non souligné dans l'original.]

[4]                Dans le brevet 393, la revendication 1 se présente en partie comme suit :

Des comprimés avec libération contrôlée de substances actives, constituées :

d'un noyau à forme géométrique bien définie, contenant la substance active, de substances polymériques qui gonflent au contact de liquides aqueux, de substances aux propriétés gélifiantes et d'un support appliqué sur ledit noyau et recouvrant partiellement la surface de ce dernier, le support étant constitué de substances polymériques qui sont lentement solubles et (ou) lentement gélifiables dans des liquides aqueux, ainsi que de substances plastifiantes, la quantité de substances polymériques représentant 30-90 % en poids de la composition du support et celle des substances plastifiantes 2-15 %; [...]

[...]

[Non souligné dans l'original.]


[5]                Les brevets 479 et 393 comportent-ils « une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament » au sens de l'alinéa 4(2)b) du Règlement sur l'AC?

[6]                Au paragraphe 14 de ses motifs, le juge saisi de la demande a relevé que :

Dans les revendications de chaque brevet, il n'y a toutefois aucune revendication explicite à l'égard du médicament chlorhydrate de paroxétine ni à l'égard de son utilisation.

[7]                Il a fini par conclure que ni l'un ni l'autre de ces deux brevets ne pouvait être inscrit au registre aux termes de l'alinéa 4(2)b) du Règlement sur l'AC. Il est, sur ce point, parvenu à la même conclusion que le ministre.

[8]                Selon un affidavit produit en preuve par James W. McGinity, un pharmacien-scientifique, (DA vol. I, p. 318 et 319) :

31.    Comme dans le cas du brevet 393 examiné ci-dessus, les inventeurs utilisent régulièrement l'expression « ingrédient actif » tout au long du mémoire descriptif du brevet 479. De fait, au second paragraphe de la page 1 du mémoire descriptif, les inventeurs définissent « ingrédient actif » de façon à comprendre au sens large des « pesticides, herbicides, engrais, désodorisants pour la maison, médicaments ou, de façon générale, tout type de substance qui doit être libérée à régime contrôlé dans un fluide aqueux. Il est clair que le chlorhydrate de paroxétine est un médicament.

32.    Les inventeurs n'imposent aucune limite additionnelle à l'expression « ingrédient actif » . En particulier, des exemples non limitatifs de comprimés à libération contrôlée de certains médicaments (comme il est décrit ci-dessus) sont employés, ce qui laisse supposer que d'autres médicaments appropriés pour emploi dans la formulation de comprimés à libération contrôlée sont eux aussi couverts par l'invention revendiquée.


33.    Étant donné que GSK commercialise des comprimés de chlorhydrate de paroxétine à libération lente, il est clair qu'une personne versée dans l'art comprendrait que le médicament chlorhydrate de paroxétine est un ingrédient actif qui convient pour la formulation dans un comprimé à libération contrôlée, comme ce qui est revendiqué dans le brevet 479.

[...]

[Non souligné dans l'original.]

Conclusion

35.    Le brevet 393 et le brevet 479 couvrent tous deux dans leurs revendications respectives les comprimés à libération contrôlée du médicament chlorhydrate de paroxétine. [...]

[...]

[9]                L'appelante se fonde sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard, (1974) 17 C.P.R. 97, pour faire valoir que les brevets en cause constituent bien, comme le prévoit le Règlement sur l'AC, une revendication « pour le médicament en soi » .


[10]            Dans l'arrêt Burton Parsons Chemicals Inc., la validité de la description de l'invention (question visée à l'époque au paragraphe 36.1 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, devenu l'alinéa 27.3b)), était contestée. Le brevet en question dans cette autre affaire portait sur une crème conductrice employée pour les électrocardiogrammes, les électroencéphalogrammes et autres procédés de ce type. Il englobait aussi le procédé de fabrication de cette émulsion. Selon le juge Pigeon, la substance brevetée comprenait une émulsion aqueuse comprenant une part d'un sel hautement ionisable suffisante pour conférer au produit une bonne conductivité électrique. En termes pratiques, cela voulait dire que le produit contenait à peu près 5 p. 100 de sel ordinaire. La revendication no 17 était rédigée en ces termes :

17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, qui soit compatible avec une peau normale, comprenant un émulsion aqueuse stable, aniomique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique.

M. Shansky, expert cité par Burton Parsons, avait reconnu que certaines compositions n'auraient pas convenu à une peau normale étant donné qu'elles entraîneraient une irritation de l'épiderme.

[11]            Voici en quels termes le juge Pigeon avait à l'époque analysé le problème :

[...]

En l'espèce, l'invention a trait à un mélange et à son procédé de fabrication. Ce mélange n'a aucune composition bien arrêtée. Selon Shansky, des centaines sinon des milliers de produits différents peuvent être utilisés. L'essentiel consiste à combiner un sel très ionisable avec une émulsion aqueuse. L'effet de cette combinaison sur la peau rend possible l'utilisation d'une faible teneur de sel (de un à dix pour cent). Pour avoir quelque valeur en pratique, le brevet doit englober toutes les émulsions et tous les sels qui peuvent produire les résultats voulus, c'est-à-dire toutes « les émulsions où l'eau constitue la phase continue ou externe » et tous les sels qui sont très ionisables à un degré suffisant pour véhiculer sans trop de résistance un courant électrique sur la peau, en excluant uniquement les produits incompatibles avec la peau humaine normale. Il appert de la preuve que cela était manifeste pour tout homme de l'art parce que les propriétés des émulsions et des sels appropriés étaient bien connues. Seule la combinaison était nouvelle.

[...]

[Non souligné dans l'original.]


[12]            L'invention portait donc sur un mélange ainsi que sur le procédé employé pour le fabriquer. La composition du mélange n'était pas fixe. L'invention consistait essentiellement à combiner un sel hautement ionisable avec une émulsion aqueuse adaptée à un épiderme normal. Il ressortait de la preuve, cependant, que les traits caractéristiques des émulsions adaptées et des sels qui convenaient étaient connus de toute personne versée dans l'art et la Cour a donc estimé que les revendications exposées dans le brevet n'allaient pas au-delà de l'invention.

[13]            En l'espèce, les revendications exposés dans les brevets ne contiennent pas d'indication « pour le médicament en soi » (expression définie à l'article 2 du Règlement sur l'AC), si ce n'est par l'emploi d'une « substance active » . Ces mots me paraissent trop imprécis pour satisfaire à la condition prévue à l'alinéa 4(2)b) du Règlement sur l'AC. Un témoignage d'expert ne saurait pallier l'insuffisance des indications tirées du libellé des revendications exposées dans les brevets.

[14]            Le paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets n'est d'aucun secours à l'appelante étant donné l'absence de « revendication [qui] définit, par variantes, l'objet de l'invention » . Le paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets est libellé en ces termes :

DEMANDES DE BREVETS

[...]

27(5) Variantes

(5) Il est entendu que, pour l'application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l'objet de l'invention, chacune d'elles constitue une revendication distincte.

[...]                              

APPLICATION FOR PATENTS

...

27(5) Alternative definition of subject-matter

(5) For greater certainty, where a claim defines the subject-matter of an invention in the alternative, each alternative is a separate claim for the purposes of sections 2, 28.1 to 28.3 and 78.3.

...


[15]            Je rejetterais l'appel avec dépens en faveur des intimés.

      « Alice Desjardins »

                                                                                                     Juge                         

« Je souscris à ces motifs,

     le juge Nadon »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


LE JUGE PELLETIER (motifs concourants)

INTRODUCTION

[16]            GlaxoSmithKline Inc. (GSK) fait appel du jugement par lequel le juge von Finckenstein de la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant le refus du ministre de la Santé d'inscrire les lettres patentes canadiennes nos 1 298 479 (le brevet 479) et 2 031 393 (le brevet 393), au registre des brevets tenu par le ministre conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement sur l'AC). GSK demandait l'inscription des brevets pour son médicament PAXIL CR, c'est-à-dire des comprimés de chlorhydrate de paroxétine à libération contrôlée en doses de 12,5 mg et de 25 mg.

LES FAITS DE L'AFFAIRE ET SES ANTÉCÉDENTS PROCÉDURAUX

[17]            La Cour a eu par le passé l'occasion d'affirmer que le Règlement sur l'AC ne protège que les substances administrées à un patient. Ce règlement ne protège pas le dispositif qui permet d'administrer ces substances au patient, dispositif tel que, par exemple, les timbres cutanés. Le présent dossier se situe à la limite entre ces deux types d'affaires étant donné que le dispositif de libération contrôlée au moyen duquel le médicament est administré au patient est lui-même ingéré. Cela étant, il appartient à la Cour de dire si les brevets protégeant le dispositif de libération contrôlée contiennent une revendication pour le médicament ainsi libéré.


[18]            Les brevets 393 et 479 portent tous deux sur la libération contrôlée d'une substance active dans un fluide aqueux. Le brevet 479 décrit une méthode de libération contrôlée d'une substance active alors que le brevet 393 porte sur un comprimé dans lequel la substance active est libérée de manière contrôlée dans un fluide aqueux. La méthode décrite dans le brevet 479 est semblable à celle qui est exposée dans le brevet 393.

[19]            Le PAXIL CR est la drogue bien connue, le chlorhydrate de paroxétine, mais avec une nouvelle forme posologique permettant, au moyen des méthodes décrites dans les brevets 393 et 479, d'en assurer, chez le patient, une libération contrôlée. Le ministre avait refusé d'inscrire, au registre des brevets, les brevets 393 et 479 portant sur le PAXIL CR car, d'après lui, ces brevets ne contenaient aucune revendication pour le médicament en soi, ou pour l'emploi du médicament, contrairement aux conditions prévues à l'alinéa 4(2)b) du Règlement sur l'AC.

4. (2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

[...]

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l'inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament, et qu'elle souhaite voir inscrit au registre;                                    

4. (2) A patent list submitted in respect of a drug must

...

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;


[20]            La prétention de GSK à inscrire les brevets 393 et 479 relativement au PAXIL CR repose sur l'affidavit produit en preuve du Dr McGinity, qui a paraphrasé la revendication 1 du brevet 393 comme suit :

[...] Je note que la revendication 1 porte sur des comprimés avec libération contrôlée de l'ingrédient actif, constitués d'un noyau à géométrie définie, contenant l'ingrédient actif, des polymères gonflables, des substances aux propriétés gélifiantes, et un support appliqué au noyau, support qui est constitué de substances lentement solubles ou lentement gélifiables ainsi que de substances plastifiantes.

[Dossier d'appel, p. 315.]

[21]            Le Dr McGinity a également paraphrasé la revendication 1 du brevet 479 :

[...] Je note que la revendication 1 porte sur un système à libération contrôlée, comprenant l'ingrédient actif mélangé à des polymères fortement gonflables, le tout formant un noyau, ainsi qu'une plate-forme de support comprenant une substance polymérique, appliquée sur le noyau [...]

[Dossier d'appel, p. 318.]

[22]            Le Dr McGinity a ensuite comparé les deux brevets :

À cet égard, l'invention revendiquée dans le brevet 479 est semblable à celle revendiquée dans le brevet 393. Ils revendiquent tous deux l'ingrédient actif mélangé à d'autres substances sous forme d'un noyau, lequel est ensuite enrobé ...

[Dossier d'appel, p. 318.]

[23]            Étant donné que les brevets comportent la libération d'un ingrédient actif, Le Dr McGinity a ensuite examiné si le chlorhydrate de paroxétine est couvert par l'expression « ingrédient actif » :


Comme dans le cas du brevet 393 examiné ci-dessus, les inventeurs utilisent régulièrement l'expression « ingrédient actif » tout au long du mémoire descriptif du brevet 479. De fait, au second paragraphe de la page 1 du mémoire descriptif, les inventeurs définissent « ingrédient actif » de façon à comprendre au sens large des « pesticides, herbicides, engrais, désodorisants pour la maison, médicaments ou, de façon générale, tout type de substance qui doit être libérée à régime contrôlé dans un fluide aqueux » . Il est clair que le chlorhydrate de paroxétine est un médicament.

Les inventeurs n'imposent aucune limite additionnelle à l'expression « ingrédient actif » . En particulier, des exemples non limitatifs de comprimés à libération contrôlée de certains médicaments (comme il est décrit ci-dessus) sont employés, ce qui laisse supposer que d'autres médicaments appropriés pour emploi dans la formulation de comprimés à libération contrôlée sont eux aussi couverts par l'invention revendiquée.

Étant donné que GSK commercialise des comprimés de chlorhydrate de paroxétine à libération lente, il est clair qu'une personne versée dans l'art comprendrait que le médicament chlorhydrate de paroxétine est un ingrédient actif qui convient pour la formulation dans un comprimé à libération contrôlée, comme ce qui est revendiqué dans le brevet 479.

[...]

Les brevets 393 et 479 couvrent tous deux dans leurs revendications respectives les comprimés à libération contrôlée du médicament chlorhydrate de paroxétine [...]

[24]            La déposition du Dr McGinity a fait ressortir que tous les éléments nécessaires à la libération contrôlée sont des composés chimiques qui se combinent à l'ingrédient actif de telle manière que lorsque le tout se retrouve dans un corps aqueux, il y a libération contrôlée de l'ingrédient actif dans le fluide.


[25]            GSK a fait valoir devant la Cour, comme elle l'avait soutenu devant le ministre, puis devant le juge saisi de la demande, que ces faits justifient l'inscription des brevets 393 et 479 visant le PAXIL CR. Pour être inscrit au registre, il faut qu'un médicament comporte une revendication pour le médicament en soi. GSK soutient que si le médicament est un élément essentiel de l'invention, comme le fait apparaître l'interprétation des revendications contenues dans le brevet, le brevet contient une revendication pour le médicament en soi. Le témoignage du Dr McGinity a démontré que le chlorhydrate de paroxétine est un ingrédient actif au sens des revendications exposées dans le brevet. GSK estime par conséquent que les brevets en question contiennent effectivement une revendication pour le chlorhydrate de paroxétine.

[26]            À l'appui de sa thèse, GSK invoque l'arrêt de la Cour suprême du Canada Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada), [1976] 1 R.C.S. 555 (Burton Parsons Chemicals Inc.). Selon son avocat, cet arrêt montre bien que lorsqu'un brevet est libellé de manière à revendiquer une catégorie d'éléments, le brevet doit être interprété comme revendiquant tous les éléments appartenant à cette catégorie. D'après les avocats de l'appelante, cette interprétation a été incorporée à la Loi sur les brevets par les modifications rajoutant au texte un paragraphe 27(5) formulé en ces termes :

(5) Il est entendu que, pour l'application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l'objet de l'invention, chacune d'elles constitue une revendication distincte.

(5) For greater certainty, where a claim defines the subject-matter of an invention in the alternative, each alternative is a separate claim for the purposes of sections 2, 28.1 to 28.3 and 78.3.

[27]            Le ministre et le juge saisi de la demande ont tous deux rejeté les arguments avancés en ce sens par GSK. Le ministre a estimé que les brevets en cause comportaient des revendications [traduction] « relatives à un dispositif ou comprimé qui pouvait servir à l'administration de divers ingrédients actifs » . Selon lui, [traduction] « [...] ni l'un ni l'autre des brevets ne comportent de revendication pour le chlorhydrate de paroxétine ou pour son utilisation [...] » (dossier d'appel, page 92). Autrement dit, les brevets concernent non pas la drogue administrée, mais les dispositifs au moyen desquels elle est administrée.


[28]            Le juge saisi de la demande a relevé que le brevet ne parle pas de chlorhydrate de paroxétine, mais seulement d' « ingrédients actifs » . Alors qu'une personne qui, comme le Dr McGinity, est versée dans l'art, peut conclure que le chlorhydrate de paroxétine est compris dans la notion d' « ingrédients actifs » , une telle personne ne pourrait pas par contre « établir d'équivalence entre ingrédient actif et chlorhydrate de paroxétine » . Autrement dit, la catégorie des « ingrédients actifs » comprend le chlorhydrate de paroxétine, mais ne se limite aucunement à cet ingrédient. Le juge saisi de la demande a relevé que, selon le libellé du brevet, l'ingrédient actif pourrait tout aussi aisément être un herbicide ou un fongicide qu'un médicament. Il a conclu en conséquence que les brevets ne comprenaient aucune revendication pour un médicament ou pour son utilisation.

ANALYSE

[29]            Les deux parties ont convenu que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte, telle que la Cour l'a exposée dans le jugement Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.), [2003] 3 C.F. 140, 2003 CAF 24.

[30]            Bien qu'en l'espèce la Cour ait à interpréter les brevets 393 et 479, le point essentiel a trait au sens qu'il convient d'accorder à l'expression « revendication pour le médicament en soi ou pour l'utilisation du médicament » . Cela étant, la question de savoir si le terme « ingrédient actif » comprend le chlorhydrate de paroxétine ne serait en l'occurrence pas décisive.


[31]            Les notions de « revendication pour le médicament en soi » et de « médicament » sont définies dans le Règlement sur l'AC :

« revendication pour le médicament en soi » S'entend notamment d'une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. (claim for the medicine itself)

« médicament » Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes. (medicine)                                

"claim for the medicine itself" includes a claim in the patent for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents; (revendication pour le médicament en soi)

"medicine" means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof; (médicament)


[32]            Une « revendication pour le médicament en soi » est une revendication pour le médicament lorsque celui-ci est préparé ou produit au moyen de méthodes ou de procédés de fabrication faisant l'objet d'une description précise et revendiqués dans la demande de brevet. Les brevets en question décrivent-ils une méthode ou un procédé de fabrication du chlorhydrate de paroxétine? Il est clair qu'un chercheur en science pharmaceutique qui ne connaîtrait pas la composition chimique du chlorhydrate de paroxétine ne trouverait, dans les brevets 393 et 479, aucune méthode ou procédé de fabrication de cette substance. Par contre, le chercheur en science pharmaceutique qui connaîtrait déjà la composition du chlorhydrate de paroxétine pourrait étudier les brevets 393 et 479 et y apprendre comment préparer une nouvelle forme posologique de chlorhydrate de paroxétine permettant de l'administrer au patient par libération contrôlée.

[33]            Il existe, à l'alinéa 4(2)b) du Règlement sur l'AC, une ambiguïté de formulation. L'expression « revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués » s'entend-elle de la fabrication du seul ingrédient médicinal, ou s'entend-elle de la fabrication de toute combinaison de l'ingrédient médicinal et d'autres substances? Il s'agit en l'occurrence de savoir si, compte tenu des faits de cette affaire, les brevets doivent décrire un mode ou procédé de fabrication du chlorhydrate de paroxétine en soi, ou s'il suffit qu'ils décrivent un mode ou procédé de fabrication d'une version du chlorhydrate de paroxétine à libération contrôlée?


[34]            Dans la décision Hoffman-La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 97 F.T.R. 288, conf. (1995), 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.) (Hoffman-La Roche Ltée), la Cour a estimé qu'une revendication pour un médicament comprend la revendication de sa formulation, c'est-à-dire une revendication pour le médicament associé à d'autres substances. Dans cette affaire, quatre brevets inscrits au registre étaient contestés au motif qu'ils ne contenaient aucune revendication pour le médicament en soi mais, plutôt, pour les médicaments alliés à d'autres composés. Deux des brevets en cause portaient sur une forme semi-hydrate, polymorphe et crystalline d'un composé connu, le flunisolide, qui donne une formulation qui, sur le plan pharmaceutique, convient aux atomiseurs nasaux. Comme dans la présente espèce, les brevets en question décrivaient la combinaison d'un médicament connu et d'autres éléments afin de produire une drogue nouvelle. Au contraire de la présente espèce, on trouvait dans les brevets en question la mention précise de l'élément médicinal.

[35]            La présente affaire ressemble davantage à l'affaire Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2004), 251 F.T.R. 195, 2004 CF 370 (Pfizer Canada Inc.), dans laquelle le brevet en question décrivait la construction d'un comprimé permettant une libération prolongée de la formulation médicamenteuse après un certain intervalle suivant l'ingestion. La revendication 1 du brevet débutait de la façon suivante : [traduction] « Forme posologique utilisable dans une méthode d'administration d'un médicament dans le tube digestif d'un animal à sang chaud, laquelle forme est caractérisée par : [...] » puis suivait une description des six éléments constitutifs de la forme posologique, y compris « [...] une dose donnée d'un médicament pour produire l'effet thérapeutique » . D'autres revendications énuméraient 27 drogues pouvant être administrées au moyen du comprimé breveté, y compris la drogue vérapamil. Le ministre a refusé l'inscription du brevet portant sur le Chronovera fabriqué par Pfizer, drogue dont l'ingrédient actif était le chlorhydrate de vérapamil, estimant que le brevet ne contenait aucune revendication pour le médicament chlorhydrate de vérapamil, ni de revendication pour l'utilisation de ce médicament.

[36]            Après un examen attentif des arguments avancés par les parties, des dispositions législatives applicables ainsi que du brevet lui-même, le juge Mosley a conclu en ces termes :


44. À mon avis, le brevet 376 ne revendique pas une protection pour le « médicament » que l'on trouve dans les comprimés CHRONOVERA de Pfizer. Je considère plutôt que le brevet concerne un mode d'administration de n'importe quelle des 27 drogues énumérées, dont le chlorhydrate de vérapamil. Les « éléments essentiels » de cette invention sont les caractéristiques de la forme posologique qui permet une administration variable dans le temps de diverses drogues. Le mode d'administration est protégé, mais non les drogues énumérées.

[37]            Les avocats de GSK ont fait valoir qu'il convenait d'opérer une distinction entre la présente affaire et le jugement Pfizer Canada Inc., en comparant plutôt le dossier qui retient en l'espèce notre attention à une série d'affaires concernant des dispositifs médicaux telles Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999), 244 N.R. 199 (C.A.F.) (inhalateurs) (Glaxo Group Ltd.), Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) 2003 CAF 299, [2003] A.C.F. no 1065 (timbres Estracomb) (Novartis Pharmaceuticals Canada Inc.) et Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 225 F.T.R. 110, 2002 CFPI 1248 (implants Compudose). Selon les avocats de l'appelante, ce qui permet de distinguer cette série de jugements des affaires portant sur une formulation pharmaceutique est le fait que dans les affaires de « dispositif » , l'ingrédient médicinal n'est pas mélangé à d'autres ingrédients, alors que dans les affaires de formulation, l'ingrédient actif est mélangé à d'autres ingrédients afin de parvenir au résultat voulu.

[38]            Cette distinction est tirée du jugement de première instance rendu dans l'affaire Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1998), 144 F.T.R. 252 (Glaxo Group Ltd.), dans lequel la juge Tremblay-Lamer compare les inhalateurs en cause dans l'affaire dont elle est saisie, aux atomiseurs nasaux en cause dans l'affaire Hoffman-La Roche Ltée :


[11] À mon avis, l'interprétation que les requérantes font du jugement Hoffmann-La Roche est incorrecte. Cette affaire portait explicitement sur les compositions d'ingrédients actifs et d'ingrédients inactifs, comme l'enrobage et les transporteurs inertes, qui sont physiquement mélangés ensemble et qui sont ingérés dans le corps comme une composition unique. Il est évident que l'on ne voulait pas assimiler les dispositifs mécaniques à un ingrédient inactif.

[...]

[13] J'estime donc que le Règlement n'élargit pas le sens du mot « substance » de manière à y assimiler les dispositifs mécaniques composés de métal et de plastique qui ne peuvent être ingérés par le corps. En conséquence, je conclus que l'allégation de l'intimée est justifiée.

[39]            Le raisonnement exposé par la Cour dans la décision Glaxo Group Ltd. se retrouve dans le jugement Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., où la Cour opère une distinction entre les timbres en cause dans cette affaire, et les atomiseurs nasaux sur lesquels portait l'affaire Hoffman-La Roche Ltée, estimant que les ingrédients actifs et les autres éléments constitutifs des timbres n'étant pas mélangés, on ne peut pas dire qu'ils constituaient une formulation. Voir le paragraphe 20.

[40]            Ce passage du jugement Pfizer Canada Inc. permet de penser que, dans sa conclusion, le juge Mosley s'est inspiré des jugements rendus dans des affaires portant sur des dispositifs :

[51] [...] l'ingrédient actif en l'espèce, le chlorhydrate de vérapamil, n'est pas mélangé avec divers ingrédients inactifs ou excipients, mais plutôt que la configuration du comprimé, décrite dans la revendication 1 du brevet, permet la formation des « éléments distincts » des couches non médicamentées et de la dose du médicament en soi.


[41]            S'appuyant sur ce raisonnement, ainsi que sur le jugement rendu par la Cour dans l'affaire Hoffman-La Roche Ltée, GSK nous demande de conclure que puisque l'ingrédient actif, en l'occurrence le chlorhydrate de paroxétine, est mélangé à d'autres composés décrits dans les revendications, et que cette préparation est tout entière ingérée par le patient, le brevet protège un comprimé administré au patient, et non pas un dispositif d'administration du médicament. Le fait que le chlorhydrate de paroxétine ne soit pas nommément mentionné dans les revendications peut être pallié par les connaissances d'une personne versée dans l'art qui, selon le Dr McGinity, reconnaîtrait que le terme « ingrédient actif » comprend le chlorhydrate de paroxétine. Voir Burton Parsons Chemicals Inc. Selon ce raisonnement, les brevets 393 et 479 contiennent une revendication pour le médicament en soi et sont donc admissibles à l'inscription au registre des brevets.

[42]            Ce raisonnement a cependant le tort de ne pas tenir compte de la nature des brevets 393 et 479. Il est clair que ces brevets visent à protéger un dispositif permettant la libération contrôlée, dans un fluide aqueux, d'un grand nombre de composés, qu'il s'agisse de pesticides, d'herbicides, de médicaments ou de désodorisant ambiant. Les « ingrédients actifs » mentionnés dans les brevets ne sont que la charge utile véhiculée par le dispositif d'administration protégé par les brevets.


[43]            L'examen des affaires de « dispositifs médicaux » citées plus haut permet de relever l'existence d'un thème constant qui est celui de la dichotomie entre le dispositif et la charge utile qui est véhiculée. Les tentatives pour définir ce qu'il faut entendre par « revendication pour l'utilisation du médicament en soi » en fonction du point de savoir si les ingrédients sont combinés entre eux, ou s'il y a un dispositif matériel, portent à établir une distinction plus essentielle entre le dispositif et le produit que ce dispositif est chargé de véhiculer. La distinction faite dans l'arrêt Glaxo Group Ltd. (C.A.) entre les dispositifs d'administration d'un médicament et le médicament qui est administré est une autre manière d'exprimer la différence entre le dispositif et la charge utile. Mais, comme le montre la présente affaire, la distinction est plus difficile à faire lorsque le comprimé est à la fois ce qui est administré et le moyen d'administrer la drogue en question. La distinction entre le dispositif et la charge utile chevauche les deux critères et exige que l'on se penche sur le fond du brevet. En effet, le brevet protège-t-il le dispositif ou la charge utile?

[44]            Si le brevet protège le dispositif, il ne contient aucune revendication pour le médicament en soi, ou pour son utilisation, même s'il mentionne ce médicament comme étant la charge utile. Ainsi, dans l'affaire Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 229 F.T.R. 268, 2003 CFPI 286, conf. par [2004] A.C.F. no 242 (C.A.F.), refus d'autorisation de pourvoi devant la CSC, 26 août 2004, le brevet protégeant un timbre cutané mentionne bien le médicament fentanyl, mais seulement dans le contexte « d'un 'dispositif' ou 'système transdermique' servant à l'administration transdermique du fentanyl [...] » . La juge Heneghan a estimé que ce brevet ne répondait pas aux conditions d'inscription au registre bien que le brevet mentionne de manière précise un médicament. Elle a estimé que le brevet décrivait un timbre cutané et ne contenait aucune revendication pour le médicament en soi. Cela me semble reconnaître qu'une revendication pour le médicament en tant que charge utile n'est pas une revendication pour le médicament en soi.


[45]            En conséquence, je rejetterais l'appel et j'accorderais les dépens aux intimés.

« J.D. Denis Pelletier »

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               A-686-04

Appel d'une ordonnance du Dr le juge von Finckenstein en date du 10 décembre 2004 dans le dossier T-834-04.

INTITULÉ :               GLAXOSMITHKLINE INC.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 MARS 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT :     LE JUGE NADON

MOTIFS CONCOURANTS :                        LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 MAI 2005         

COMPARUTIONS :

James Mills

Beverley Moore

POUR L'APPELANTE

F.B. (Rick) Woyiwada

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

                                                     


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