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     Date: 20000920

     Dossier: ITA-1223-00

     Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

     - et -

     Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

     CONTRE:



     LES ENTREPRISES FORESTIÈRES P.S. INC.

     Débitrice-saisie

     ET

     NEWCOURT FINANCIAL LTD.

     Opposante




     Requête en opposition à une saisie mobilière

     [Article 597 Code de procédure civile]



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:




[1]          La Cour est saisie d'une requête de l'opposante à l'encontre de la saisie d'un bien meuble, soit un débardeur à grappin, pratiquée le 17 mars 2000 par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence).




[2]          Cette opposition est logée en vertu de l'article 597 du Code de procédure civile (C.p.c.). L'Agence conteste cette opposition en soulevant essentiellement deux points. Le premier de ceux-ci est que l'opposante ne pouvait dans les circonstances se servir de l'article 597 C.p.c. pour s'opposer à la vente du bien; seul l'article 604 C.p.c. lui serait ouvert dans le cadre de la vente.




[3]          Son deuxième argument, qui lui à mon avis a plus de poids, est que la fiducie présumée de l'article 227(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la loi) fait en sorte que la saisie pratiquée doit être maintenue afin qu'il y ait vente et que le produit de réalisation lui soit versé en priorité jusqu'à concurrence des sommes dues par la débitrice-saisie.

LES FAITS



[4]          Les faits formant le contexte du présent litige ne sont pas vraiment contestés et ils se présentent comme suit.



[5]          La compagnie Les Entreprises Forestières P.S. Inc., débitrice-saisie en l'instance, était, en date du 5 septembre 2000, redevable au ministre du Revenu national pour la somme totale de 155 027,60 $.



[6]          Ces sommes représentent des déductions à la source sur le salaire des employés de la débitrice-saisie qui sont dues pour la période allant du 1er février 1999 au 31 octobre 1999 et établies en vertu de la loi, incluant les pénalités et intérêts y afférents.



[7]          En date du 7 février 2000, un certificat ayant, aux termes de l'article 223 de la loi, le même effet qu'un jugement émanant de cette Cour, fut déposé en l'instance attestant que la débitrice-saisie est endettée envers Sa Majesté du chef du Canada pour la somme de 147 059,39 $ avec intérêts composés quotidiennement sur ladite somme au taux prescrit en application de la loi, à compter du 3e jour de février 2000, jusqu'au jour du paiement.



[8]          En date du 7 février 2000, le greffe de cette Cour a émis un bref de saisie-exécution ordonnant à un huissier de la province de Québec d'exécuter ledit certificat contre les biens meubles de la débitrice-saisie.



[9]          Au début de mars 2000, l'Agence a mandaté un huissier qui a procédé à l'exécution dudit bref de saisie-exécution contre les biens de la débitrice-saisie le 17 mars 2000.



[10]          Le 27 mars 2000, soit après que les biens aient été saisis par l'Agence, l'opposante a enregistré un préavis d'exercice de ses droits hypothécaires au Registre des droits personnels et réels mobiliers.



[11]          Le 30 mars 2000, la débitrice-saisie délaissait volontairement les biens visés (dont le bien en litige) par le préavis d'exercice d'un droit hypothécaire déposé par l'opposante.



[12]          Le 13 avril 2000, l'opposante produisait sa requête en opposition à la saisie en invoquant la propriété du bien en litige qu'elle aurait acquise suite à l'exercice de ses droits hypothécaires de prise en paiement.

ANALYSE

Article 604 v. 597 C.p.c.



[13]          Suivant l'Agence, l'opposition de l'opposante sous l'article 597 C.p.c. est mal fondée en droit étant donné que, compte tenu de l'article 604 C.p.c., l'opposante ne peut validement s'opposer à la saisie et à la vente des biens saisis en l'instance.



[14]          Le seul recours valide de l'opposante resterait celui décrit au deuxième paragraphe de l'article 604 selon lequel les droits hypothécaires peuvent uniquement être exercés sur le produit de la vente.



[15]          L'article 604 C.p.c. se lit comme suit:

     604. Les créanciers du saisi ne peuvent s'opposer à la saisie ni à la vente.
     Toutefois, les créanciers prioritaires ou hypothécaires peuvent exercer leur droits sur le produit de la vente; en ce cas, ils produisent entre les mains de l'officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d'un affidavit et des pièces justificatives nécessaires, lesquels doivent en outre être signifiés au saisi. Dans les dix jours de la signification de l'état d'une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s'adresser au tribunal ou au juge pour la contester.


[16]          L'opposante ne voit pas les choses sous cet angle.



[17]          Selon elle, au jour où elle a formé son opposition, elle était devenue quelque treize jours auparavant propriétaire du bien suite à l'enregistrement de son préavis d'exercice et du délaissement volontaire subséquent du bien par la débitrice-saisie. Elle avait réussi à ce que les étapes soient complétées avant qu'il y ait vente et c'est à titre de propriétaire donc et non à titre de créancière hypothécaire qu'elle s'attaque par son opposition à la vente du bien. Elle le revendique à titre de propriétaire. L'article 597 C.p.c. lui était donc ouvert. Cet article se lit comme suit:

     597. L'opposition peut aussi être formée par un tiers qui a droit de revendiquer un bien saisi.



[18]          Même si l'article 604 vise de façon expresse le créancier hypothécaire, je ne suis pas convaincu que l'état de la jurisprudence soit suffisamment clair pour interpréter l'article 604 comme ne permettant pas à un tel créancier après la saisie mais avant la vente de prendre en paiement un bien de manière à pouvoir s'opposer à la vente dudit bien sur la base de l'article 597 C.p.c.



[19]          Je rejetterais donc le premier argument de l'Agence.

La fiducie présumée de l'article 227(4.1) de la loi



[20]          Cet article 227(4.1) se lit comme suit:

227(4.1) Non-versement Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés:
a)      être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b)      ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
(Nos soulignés)



[21]          Il n'est pas contesté en l'espèce que de février à octobre 1999, la débitrice-saisie a retenu mais n'a pas versé à l'Agence un montant, de près de 115 000 $, que cette débitrice était réputée en vertu du paragraphe 227(4) détenir en fiducie pour Sa Majesté.



[22]          De par une lecture complète du paragraphe 227(4.1), on doit donc en conclure que dès février 1999, les biens de la débitrice-saisie, dont le bien en litige, étaient réputés être détenus en fiducie pour Sa Majesté dans un patrimoine distinct de celui de la débitrice-saisie. De plus, Sa Majesté est considérée détenir dès la même époque un droit de bénéficiaire (beneficial ownership) dans ces biens malgré toute autre garantie, ce qui inclut une hypothèque.



[23]          Enfin, il est clair du début du paragraphe 227(4.1) que cette dynamique en faveur de Sa Majesté s'impose malgré tout texte législatif provincial ou règle de droit. Il est donc inutile de rechercher les dispositions du Code civil du Québec ou toute autre règle de droit provincial que ce paragraphe 227(4.1) peut heurter; ce paragraphe s'applique malgré toute disposition de droit au contraire.



[24]          C'est là certes une disposition exhorbitante du droit commun, mais c'est la loi que la Cour est forcée d'appliquer.



[25]          Son application en l'espèce fait en sorte que dès février 1999, et malgré que l'hypothèque mobilière ici était enregistrée depuis novembre 1997, le bien en litige est sorti du patrimoine de la débitrice-saisie pour être détenu en fiducie pour Sa Majesté dans un patrimoine distinct.



[26]          À l'époque de l'enregistrement du préavis et de la prise en paiement du bien, l'effet du paragraphe 227(4.1) faisait en sorte que l'on ne pouvait considérer que le bien en litige était à la disposition de l'opposante. Le bien à cette époque n'était plus dans le patrimoine de la débitrice-saisie. Partant, et contrairement à ce que soutient avec force et vigueur l'opposante, je ne considère pas qu'en tout temps après la saisie, l'opposante pouvait se réclamer d'un titre clair, valide et inattaqué de propriétaire. Bien avant cette époque et malgré que cette situation peut offenser plusieurs concepts au Code civil du Québec dont le principe de la publicité des sûretés, le paragraphe 227(4.1) en avait décidé autrement.



[27]          En conséquence, et pour les motifs qui précèdent, j'entends:

     REJETER la requête de l'opposante;

     MAINTENIR la saisie pratiquée en l'instance;
     ORDONNER que le produit de réalisation des biens visés en l'instance soit versé à Sa Majesté en priorité sur toute garantie conformément aux paragraphes 227(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 86(2) de la Loi sur l'assurance-emploi et ce, jusqu'à concurrence des sommes que détenait la débitrice-saisie en fiducie pour Sa Majesté mais qu'elle a négligé ou omis de remettre;

     LE TOUT avec dépens contre l'opposante.




[28]          Une ordonnance sera émise en conséquence.


Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 20 septembre 2000

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

ITA-1223-00

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

- et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE:

LES ENTREPRISES FORESTIÈRES P.S. INC.

     Débitrice-saisie

ET

NEWCOURT FINANCIAL LTD.

     Opposante



LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 18 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 20 septembre 2000


COMPARUTIONS:


Me Étienne Trépanier

Me Patrick Vézina

pour la créancière saisissante

Me Paule Lafontaine

pour l'opposante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour la créancière saisissante

Eidinger & Associés

Montréal (Québec)

pour l'opposante

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