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Date : 20060619

Dossiers : A-2-06

A-3-06

 

Référence : 2006 CAF 227

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                                               

                       

 

ENTRE :

ADACEL TECHNOLOGIES LTD.,

ADACEL INC. et CAE INC.

 

appelantes (défenderesses)

et

NAV CANADA

intimée (demanderesse)

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juin 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL

 


 

Date : 20060619

Dossiers : A-2-06

A-3-06

 

Référence : 2006 CAF 227

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                                               

                       

ENTRE :

ADACEL TECHNOLOGIES LTD., ADACEL INC. et CAE INC.

appelantes (défenderesses)

et

NAV CANADA

intimée (demanderesse)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PELLETIER

[1]               La Cour statue sur l'appel d'un jugement publié à 2005 CF 1678 par lequel le juge Pinard rejetait l'appel d'une décision aux termes de laquelle la protonotaire Aronovitch avait rejeté la requête présentée par les appelantes (les défenderesses dans l'action) en vue d'obtenir de plus amples précisions. Cette requête avait été présentée dans le cadre d'une action dans laquelle Nav Canada alléguait la violation du droit d'auteur qu'elle détenait sur un certain logiciel, le logiciel GAATS, qu'elle affirme avoir acquis de la Couronne fédérale en vertu de la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20. Nav Canada allègue que l'appelante CAE Inc., qui avait déjà obtenu du ministère des Transports une licence d'utilisation de technologie, avait violé le droit d'auteur que Nav Canada détient sur le logiciel GAATS en vendant à autrui des produits incorporant le logiciel et en octroyant aux appelantes Adacel Inc. et/ou Adacel Technologies des licences leur permettant d'utiliser le logiciel dans les produits qu'elles vendent.

 

[2]               Les appelantes ont réclamé de l'intimée des précisions sur plusieurs questions, dont seulement deux nous intéressent dans le présent appel. La première concerne la façon dont l'intimée a acquis les droits qu'elle revendique sur le logiciel et la seconde porte sur les moyens sur lesquels l'intimée se fonde pour affirmer que son droit d'auteur a été violé.

 

[3]               La protonotaire a fait siens 34 des 35 paragraphes des observations de l'intimée et elle a conclu que les actes de procédure étaient suffisants pour permettre aux appelantes d'y répondre. À son avis, les questions au sujet desquels l'appelante réclamait des précisions devaient plutôt être examinées dans le cadre de l'interrogatoire préalable.

 

[4]               Statuant sur l'appel de cette décision, un juge de la Cour fédérale a rejeté l'appel. Il a adopté les paragraphes 6 à 12 des observations formulées par l'intimée au sujet de la question de la façon dont l'intimée avait acquis ses droits sur le logiciel, ainsi que les paragraphes 13 à 18 des mêmes observations, qui portaient sur les moyens de fait et de droit invoqués pour affirmer qu'il y avait eu violation du droit d'auteur.

 

[5]               J'ouvre ici une parenthèse pour rappeler qu'il est parfaitement loisible aux juges et aux protonotaires d'adopter en tout ou en partie les arguments de l'un ou l'autre des plaideurs. J'estime qu'il serait toutefois souhaitable qu'ils reproduisent les arguments en question dans leurs motifs ou en annexe pour rendre leurs motifs plus clairs et plus cohérents et pour faciliter la tâche de ceux qui sont appelés à travailler avec le dossier. Autrement, seule la personne qui a accès à l'ensemble du dossier lorsqu'elle prend connaissance des motifs sera en mesure de saisir la véritable portée de ceux-ci.

 

[6]               La norme de contrôle des décisions discrétionnaires des protonotaires est bien connue. La Cour ne doit intervenir que si le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits ou si la question a une influence déterminante sur « l'issue du principal » (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F 425, à la page 454).

 

[7]               La question de la façon dont l'intimée a acquis ses droits se pose en raison du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d'auteur, qui est ainsi libellé :

(4) Le titulaire du droit d’auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.

(4) The owner of the copyright in any work may assign the right, either wholly or partially, and either generally or subject to limitations relating to territory, medium or sector of the market or other limitations relating to the scope of the assignment, and either for the whole term of the copyright or for any other part thereof, and may grant any interest in the right by licence, but no assignment or grant is valid unless it is in writing signed by the owner of the right in respect of which the assignment or grant is made, or by the owner’s duly authorized agent.

 

[8]               Il a été jugé que le demandeur doit plaider sa chaîne de titres, sous peine d'être débouté de sa demande (voir les décisions Durand & Cie c. La Patrie Publishing Co. Ltd (1951), 15 C.P.R. 86 et Havana House Cigar and Tobacco Merchants Ltd c. Nieni (1980), 80 C.P.R. (3rd) 132, sur le premier point, et la décision Unipeixe-Exportadora De Peixe Limitada c. J. Gaspar and sons. (1980), 48 C.P.R. (2nd) 7, sur le second).

 

[9]               L'avocat de l'intimée a admis avec franchise que, si le paragraphe 13(4) s'applique, la question de l'existence d'une entente écrite constitue un fait important. Il soutient toutefois que le paragraphe 13(4) ne s'applique pas à l'acquisition, par l'intimée, de son droit d'auteur. Il explique que, comme il est loisible à la Couronne de céder un droit d'auteur sans qu'il soit nécessaire de le faire par écrit, il s'ensuit nécessairement que Nav Canada peut acquérir des droits de la Couronne sans entente écrite.

 

[10]           La protonotaire a rejeté la requête des appelantes au motif que la déclaration était complète en elle-même puisqu'elle précisait l'identité du cédant, la date de la cession et la nature des droits cédés. Elle a poursuivi en disant : [traduction] « La méthode exacte employée pour céder ces droits est une question de preuve et non une question d'éclaircissements ».

 

[11]           Le problème est le suivant. Tout comme le demandeur n'est pas tenu de plaider de manière à réfuter à l'avance tous les moyens de défense possibles, le défendeur n'est pas obligé d'évoquer toutes les hypothèses possibles dans sa défense. L'intimée aurait pu acquérir ses droits sur le logiciel par l'effet de la loi, à la suite d'une cession, par licence ou par tout autre moyen, sous la seule réserve de l'ingéniosité remarquable dont les avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle savent faire preuve. Dès lors que le mode de transfert ne permet pas d'invoquer un moyen de défense, il est exact de dire que le seul fait qui importe est l'existence du droit d'auteur. Mais lorsqu'un des ces modes de transfert (en l'occurrence, une entente écrite) est susceptible de donner ouverture à un moyen de défense déterminé (l'invalidité de la cession pour défaut de mentionner expressément le droit d'auteur), la question de savoir quel mode de transfert a été utilisé devient importante. Lorsque le défendeur réclame des précisions au sujet du mode de transfert, le demandeur ne peut éviter de répondre à la question en refusant de révéler le mode de transfert qui a été utilisé. Si l'on concluait autrement, on obligerait en l'espèce la défenderesse à présumer que les faits allégués sont véridiques, et à fonder sa défense sur cette présomption alors que ces faits sont importants et qu'ils sont connus de l'intimée. En fait, on n'oblige pas les appelantes à formuler des arguments subsidiaires, comme le prétend l'avocat; on les oblige à plaider en les tenant dans l'ignorance.

 

[12]           La protonotaire a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas le fait que le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d'auteur faisait en sorte que la question était importante parce qu'elle donnait ouverture à un éventuel moyen de défense fondé sur l'existence de l'accord et sur les modalités de ce dernier. Cette question justifiait donc le prononcé d'une ordonnance enjoignant à l'intimée de fournir de plus amples précisions et la protonotaire n'aurait pas dû déclarer que cette question devait plutôt être examinée au moment de l'interrogatoire préalable. Ce sont les actes de procédure qui définissent la portée de l'interrogatoire préalable, et non l'inverse. Le juge des requêtes aurait dû intervenir pour rendre l’ordonnance que la protonotaire aurait dû rendre.

 

[13]           Sur la seconde question en litige dans le présent appel, les appelantes soulignent que la question soumise au juge des requêtes n'est pas la même que celle qui a été débattue devant la protonotaire. Devant cette dernière, les appelantes avaient soutenu qu'elles avaient droit à des précisions au sujet du code informatique contrefait, ce que l'intimée aurait bien du mal à trouver sans avoir accès au logiciel des appelantes. Devant le juge des requêtes, les appelantes ont laissé tomber leur argument sur le code informatique; elles ont plutôt allégué qu'elles avaient le droit de savoir comment l'intimée en était venue à croire qu'elles avaient violé son droit d'auteur.

 

[14]           Les appelantes se fondent sur le passage suivant du jugement Bean c. Noble (1993), 51 C.P.R. (3d) 161 (Cour de l'Ont., Div. gén.), qui portait aussi sur une allégation de violation du droit d'auteur sur un logiciel :

[traduction] En revanche, sur le plan pratique, le demandeur ne serait pas en mesure de produire des éléments du logiciel du défendeur car, contrairement au livre dont le public peut se procurer le support matériel, un logiciel ne peut être utilisé que par les personnes qui l'achètent au défendeur.

 

Le demandeur devrait toutefois être en mesure de fournir des éclaircissements au sujet de ce paragraphe en précisant de qui il tient ces renseignements. Cette remarque vaut aussi pour le paragraphe 17, où le demandeur allègue qu'il a découvert que le défendeur produisait des « dispositifs mécaniques » (des disquettes) du logiciel dérivé du défendeur et qu'il les vendait à des podiatres. Le demandeur doit, à tout le moins, expliquer de qui il tient ce renseignement.

 

[15]           Les appelantes affirment qu'elles ont le droit de savoir d'où provient l'allégation de l'intimée suivant laquelle le droit d'auteur de cette dernière a été violé. Interrogé, l'avocat de l'appelante CAE a convenu que, ce qu'il réclame, ce n'est pas le nom de la personne qui a mis l'intimée au courant de la possible violation du droit d'auteur, mais bien les faits sur lesquels l'intimée se fonde pour affirmer que son droit d'auteur a été violé.

 

[16]           À mon humble avis, ni la provenance des renseignements ni les faits ayant amené l'intimée à croire qu'elle était victime d'une violation de son droit d'auteur ne justifie le prononcé d'une ordonnance enjoignant à l'intimée de fournir de plus amples précisions. Aux termes de l'article 27 de la Loi sur le droit d'auteur, « constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir ». De plus, suivant l'article 3, le droit d'auteur sur l'œuvre comporte « le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de l'œuvre, sous une forme matérielle quelconque [...] et, si l'œuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l'œuvre [...] ». Alléguer une violation du droit d'auteur, c'est accuser la défenderesse d'avoir reproduit la totalité ou une partie importante de l'œuvre sans le consentement du titulaire de ce droit. Les faits importants sont donc l'existence de l'œuvre, la propriété du droit d'auteur sur l'œuvre, l'existence de l'œuvre contrefaite et l'absence du consentement du titulaire de ce droit à la production ou à la reproduction de l'œuvre. L'intimée a plaidé tous ces faits. Les appelantes n'ont pas besoin d'autres éléments pour pouvoir répliquer à la demande. La façon dont la demanderesse a appris ces faits est sans importance.

 

[17]           Pour ces motifs, je refuserais d'accorder toute réparation aux appelantes en ce qui concerne ce moyen d'appel.

 

[18]           En conséquence, j'accueillerais l'appel avec dépens et j'annulerais la partie de la décision de la Cour fédérale qui concerne la communication de précisions au sujet de la façon dont l'intimée a acquis le droit d'auteur qu'elle revendique. Rendant l'ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre, j'accueillerais avec dépens l'appel de la décision de la protonotaire sur cette question et j'ordonnerais à l'intimée de fournir aux appelantes des précisions au sujet de la façon ─ par entente ou par un autre moyen ─ dont elle a acquis son droit d'auteur sur le logiciel GAATS. Si elle a acquis son droit d'auteur aux termes d'un accord, l'intimée devra se conformer à l'article 206 des Règles.

 

 

 

 

    « J.D. Denis Pelletier »

Juge

 

 

« Je souscris à ces motifs.

            Gilles Létourneau, juge »

 

« Je souscris à ces motifs.

            Marc Noël, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  A-2-06, A-3-06

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE LE 21 DÉCEMBRE 2005 DANS LE DOSSIER T-157-05

 

 

INTITULÉ :                                                   Adacel Technologies Ltd. et al.

                                                                        c.

                                                                        NAV Canada

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                                     LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LES JUGES LÉTOURNEAU ET NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

Dominic Desjarlais

POUR L'APPELANTE

(Adacel Technologies Ltd. et al.)

François Guay

 

 

Bruce Carr-Harris

Kevin LaRoche

 

POUR L' APPELANTE

(CAE, Inc.)

 

POUR L' INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lamarre, Linteau & Montcalm

Montréal (Québec)

 

POUR L'APPELANTE

(Adacel Technologies Ltd. et al.)

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR L' APPELANTE

(CAE, Inc.)

Borden Ladner Gervais                        POUR L' INTIMÉE

Ottawa (Ontario)         


 

Date : 20060619

Dossiers : A-2-06

A-3-06

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                                                           

ENTRE :

ADACEL TECHNOLOGIES LTD.,

ADACEL INC. et CAE INC.

appelantes (défenderesses)

et

NAV CANADA

intimée (demanderesse)

 

 

JUGEMENT

            L'appel est accueilli avec dépens et la partie de la décision de la Cour fédérale qui concerne la communication de précisions au sujet de la façon dont l'intimée a acquis le droit d'auteur qu'elle revendique est annulée. Rendant l'ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre, la Cour accueille avec dépens l'appel de la décision de la protonotaire sur cette question et ordonne à l'intimée de fournir à l'appelante des précisions au sujet de la façon ─ par entente ou par un autre moyen ─ dont elle a acquis son droit d'auteur sur le logiciel GAATS. Si elle a acquis son droit d'auteur aux termes d'un accord, l'intimée devra se conformer à l'article 206 des Règles.

 

                                                                                                            « Gilles Létourneau »

                     Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

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