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Date : 20031016

Dossier : A-611-02

Référence : 2003 CAF 380

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

             LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                       ARTHUR HEALY et LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                                     défendeurs

                                    Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2003

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                          LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                    LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER


Date : 20031016

Dossier : A-611-02

Référence : 2003 CAF 380

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

             LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                       ARTHUR HEALY et LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                             MOTIF DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION


[1]                 En décembre 1994, Arthur Healy a déposé auprès du Conseil canadien des relations du travail une plainte dans laquelle il affirmait que son syndicat, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), avait manqué à son devoir légal de le représenter de façon juste. Il soutenait que le STTP avait agi de façon arbitraire en ne planifiant pas d'audience d'arbitrage pour les griefs qu'il avait déposés en 1990 à l'encontre de son ancien employeur, la Société canadienne des postes. Le Conseil a rejeté la plainte dans une décision qu'il a rendue sous forme de lettre, en date du 26 octobre 1998 (la première décision).

[2]                 Deux jours après avoir reçu la décision, M. Healy a demandé un nouvel examen de sa plainte et, le 2 octobre 2002, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), lequel a succédé au Conseil canadien des relations du travail, a procédé à un nouvel examen et annulé la première décision. Dans la deuxième décision (la décision de réexamen), le Conseil a ordonné aux parties de tenter de résoudre les points en litige dans les griefs de M. Healy pendant un certain temps et, en cas d'échec, de procéder à leur mise au rôle dans les 30 jours afin qu'ils soient entendus par un arbitre dans un délai de 90 jours suivant la date de l'ordonnance.

[3]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire, le STTP vise à faire annuler la deuxième décision de réexamen, publiée sous l'intitulé Healy (Re), à [2002] D.C.C.R.I. no 194. Le STTP s'appuie essentiellement sur deux motifs pour prier la Cour d'accueillir sa demande et d'annuler la décision de réexamen. Premièrement, le Conseil a fait erreur en concluant à l'existence de faits nouveaux qui l'autorisaient à procéder à un nouvel examen. Deuxièmement, il était manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que le STTP avait traité les griefs de M. Healy de manière arbitraire et qu'il avait ainsi manqué à son devoir de le représenter de façon juste.


B.        CONTEXTE FACTUEL

[4]                 À la fin de 1991, on dénombrait un arriéré de 140 000 à 150 000 griefs à l'encontre de Postes Canada, ce qui était peut-être un indice de l'état des relations de travail qui y existaient dans les années 1980 et du résultat de la multiplicité des syndicats qui représentaient alors les travailleurs des postes.

[5]                 Dans une tentative visant à régler rapidement ces griefs, Postes Canada et le STTP ont conclu en 1992 une entente, faisant partie intégrante de la convention collective, par laquelle les parties convenaient d'accorder la priorité aux griefs portant sur des questions récurrentes pour ainsi permettre le règlement d'autres griefs qui soulevaient les mêmes questions. Les griefs particuliers, tels que ceux de M. Healy, n'ont pas été classés dans des catégories, mais ils étaient traités selon la disponibilité des ressources dans les processus de médiation et d'arbitrage.

[6]                 L'entente relative à l'arriéré ne visait pas tous les griefs déposés contre Postes Canada. Ainsi, elle excluait les griefs déposés après la signature du protocole d'entente en 1992, les griefs collectifs et, ce qui offre un intérêt pour la présente affaire :

[traduction]

les griefs de congédiement et tous les griefs liés de quelque manière que ce soit à un grief de congédiement, y compris les griefs portant sur des mesures disciplinaires antérieures ou progressives.


[7]                 Les griefs exclus de la procédure applicable à l'arriéré étaient traités dans le cadre de la procédure normale de règlement, ce qui signifiait qu'ils avaient des chances d'être entendus avant nombre de griefs de l'arriéré. M. Healy soutient que ses griefs faisaient partie des griefs exemptés en raison de leur lien avec un congédiement et qu'ils n'auraient donc pas dû être mis en attente pendant le traitement des griefs soulevant des questions récurrentes.

[8]                 Dans la première décision, le Conseil a estimé que l'entente par laquelle le STTP et Postes Canada accordaient la priorité aux griefs antérieurs à 1992 représentait un moyen raisonnable d'aborder le grave problème du lot de griefs accumulés et que le défaut du STTP de régler les griefs de M. Healy, ou de prévoir une audience d'arbitrage, ne constituait pas un manquement à son devoir de représentation juste. Le Conseil n'était pas convaincu suivant la preuve présentée que les représentants régionaux ou nationaux du STTP partageaient avec M. Healy, ou le président de la section locale, l'idée que ses griefs concernaient un congédiement et qu'ils devaient donc être traités dans le cadre de la procédure normale, et non conformément à l'entente relative à l'arriéré. Le Conseil a cependant exprimé son désaccord à l'égard du défaut par le STTP de communiquer régulièrement avec M. Healy et d'autres employés ne travaillant plus à Postes Canada pour les tenir au courant du traitement de leurs griefs.


[9]                 M. Healy a commencé à travailler à Postes Canada comme facteur en 1961, alors qu'il était âgé de 21 ans. Il a été victime d'une crise cardiaque en avril 1986 et tenu à l'écart du travail pendant quatre mois. Il a également souffert d'autres problèmes cardiaques à l'automne de la même année, mais il est retourné au travail en décembre. Sa santé s'est encore détériorée en juin 1989 puis, à la fin du mois de septembre de la même année, on lui a offert d'effectuer des travaux légers et c'est ce qu'il a fait pendant la période des Fêtes.   

[10]            Après cette affectation temporaire, il a fait une demande à Santé et Bien-être social Canada en janvier 1990 en vue d'obtenir une pension pour raisons médicales. Sa demande a été refusée parce que son médecin était d'avis qu'il était en mesure d'occuper un autre emploi rémunérateur. Pour avoir droit à cette pension, il lui aurait fallu démontrer que ses problèmes de santé le rendaient inapte à effectuer tout genre de travail.

[11]            Par conséquent, M. Healy a demandé à Postes Canada de composer avec son état de santé en l'affectant à des travaux légers. On lui a offert un poste respectant ces exigences qu'il a refusé en prétextant qu'il devait voyager trop loin de sa résidence. Postes Canada a prétendu qu'aucun autre poste de travaux légers n'était disponible. Pendant ce temps, M. Healy demeurait chez lui en utilisant les congés annuels et de maladie qu'il avait accumulés. En juin 1990, il a déposé un grief dans lequel il alléguait que l'offre de Postes Canada ne constituait pas une adaptation raisonnable à son état de santé, conformément aux exigences de la convention collective.


[12]            Deux mois avant le dépôt de ce grief et juste après le rejet de la demande de pension, Postes Canada a présenté à M. Healy un projet de protocole d'entente, lequel prévoyait son congédiement pour cause de maladie et la présentation d'une nouvelle demande pour l'obtention d'une pension pour raisons médicales. En cas d'acceptation de la demande, son congédiement pour mauvaise santé devenait une mise à la retraite pour raisons de santé avec tous les avantages applicables. Le cas advenant que Santé et Bien-être social Canada refuse la demande de M. Healy et que son congédiement pour cause de maladie demeure inchangé, le projet d'entente prévoyait que Postes Canada lui verserait la somme de 30 000 $ à titre d'indemnité de départ bonifiée conformément à la convention collective. En contrepartie, M. Healy libérait Postes Canada de toute responsabilité relative à son emploi ou à son renvoi. M. Healy a refusé de signer le document et Postes Canada a retiré l'offre.

[13]            En octobre 1990, M. Healy a pris sa retraite et on lui a accordé une pension médicale sur le fondement d'une évaluation médicale qui indiquait que son état de santé l'empêchait d'accomplir des tâches de travail de quelque nature que ce soit. M. Healy avait déposé, en septembre, un deuxième grief dans lequel il alléguait que la convention collective lui donnait droit à une indemnité de départ bonifiée. La pension médicale payable à M. Healy était moins élevée que la pension de retraite complète auquel il aurait eu droit s'il avait été en mesure de continuer à travailler à Postes Canada jusqu'en 1996.

[14]            Le STTP a envoyé le premier grief à l'arbitrage en novembre 1990 et le second, en décembre 1990. Toutefois, en raison de l'arriéré et du fait que les griefs de M. Healy n'entraient pas dans une catégorie ayant priorité, aucune date n'avait été fixée pour leur audition par un arbitre lorsque le Conseil a revu la première décision.


C.        QUESTION EN LITIGE ET ANALYSE

Question : Le Conseil a-t-il commis une erreur lorsqu'il a réexaminé la décision au motif que des faits nouveaux existaient?

i) Cadre législatif

[15]            L'article 18 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, (le Code) prévoit ce qui suit :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

18. The Board may review, rescind, amend, alter or vary any order or decision made by it, and may rehear any application before making an order in respect of the application.

[16]            Cet article qui confère un pouvoir discrétionnaire étendu doit être lu en corrélation avec l'article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520 (le Règlement), lequel codifie la pratique du Conseil et établit une liste non exhaustive des circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la disposition pertinente est l'alinéa 44a), lequel est rédigé comme suit :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes :

44. The circumstances under which an application shall be made to the Board exercising its power of reconsideration under section 18 of the Code include the following:

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

(a) the existence of facts that were not brought to the attention of the Board, that, had they been known before the Board rendered the decision or order under reconsideration, would likely have caused the Board to arrive at a different conclusion;

[17]            L'article 37 du Code canadien du travail impose un devoir de représentation juste aux syndicats. M. Healy allègue que le STTP a manqué à ce devoir en raison de la longueur démesurée des délais pour régler ses griefs ou pour fixer une date d'audience d'arbitrage.

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des employés de l'unité de négociation dans l'exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

37. A trade union or representative of a trade union that is the bargaining agent for a bargaining unit shall not act in a manner that is arbitrary, discriminatory or in bad faith in the representation of any of the employees in the unit with respect to their rights under the collective agreement that is applicable to them.

[18]            L'article 22 du Code circonscrit le recours à la procédure de contrôle judiciaire à l'égard des décisions du Conseil canadien des relations industrielles. Il est rédigé comme suit :

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

...

22. (1) Subject to this Part, every order or decision of the Board is final and shall not be questioned or reviewed in any court, except in accordance with the Federal Court Act on the grounds referred to in paragraph 18.1(4)(a), (b) or (e) of that Act.

...

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action - décision, ordonnance ou procédure - du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure :

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto.

(2) Except as permitted by subsection (1), no order, decision or proceeding of the Board made or carried on under or purporting to be made or carried on under this Part shall

(a) be questioned, reviewed, prohibited or restrained, or

(b) be made the subject of any proceedings in or any process of any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise,

on any ground, including the ground that the order, decision or proceeding is beyond the jurisdiction of the Board to make or carry on or that, in the course of any proceeding, the Board for any reason exceeded or lost its jurisdiction.

ii) Motifs de la demande de contrôle judiciaire

[19]            Le STTP allègue que le Conseil a commis une erreur donnant matière à révision en réexaminant la première décision parce que chacune des conclusions sur lesquelles il a fondé sa décision de réexamen au titre de l'alinéa 44a) du Règlement a été tirée sans preuve à l'appui et allait à l'encontre de la preuve présentée.

[20]            Eu égard à la clause limitative rigide que comporte l'article 22 du Code, il est convenu que la Cour ne peut réviser une décision du Conseil que pour les motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)a), b) et e) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. Dans le cadre de la présente procédure, seuls les alinéas a) et b), que je reproduis ci-dessous, sont pertinents.


18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

18.1(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

[21]            Ainsi, pour obtenir gain de cause relativement à la première question, le STTP doit convaincre la Cour que la décision du Conseil de procéder au réexamen outrepassait sa compétence ou violait les règles de justice naturelle. Eu égard à l'erreur particulière qui, selon les prétentions du STTP, a été commise par le Conseil dans cette partie de la décision, il importe de souligner qu'une décision du Conseil n'est pas susceptible de révision au titre de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, comme une décision fondée sur « une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » .


[22]            Néanmoins, les motifs de révision énoncés au paragraphe 18.1(4) se recoupent dans une certaine mesure. Ainsi, une décision fondée sur une conclusion de fait qui n'est corroborée par aucun élément de preuve est susceptible d'annulation au motif qu'elle a été rendue par un tribunal incompétent (Re Keeprite Workers' Independent Union et al. c. Keeprite Products Ltd. (1980), 114 D.L.R. (3d) 162 (C.A. Ont.); Blanchard c. Control Data Canada Ltd., [1984] 2 R.C.S. 476, aux pages 494 et 495) ou, peut-être, au motif qu'elle violait les règles de justice naturelle (R. c. Deputy Industrial Injuries Commissioner, Ex parte Moore, [1965] 1 Q.B. 456, à la page 488 (C.A. Angl.);Minister for Immigration and Ethnic Affairs c. Pochi (1980), 31 A.L.R. 666, à la page 689 (Cour fédérale d'Australie)).

[23]            Après un examen approfondi, on s'aperçoit que la plupart des allégations faites par l'avocate du STTP en vue d'attaquer la décision de réexamen du Conseil visent plus précisément à contester l'application de l'alinéa 44a) du Règlement aux faits qui avaient été soumis. Toutefois, puisque j'ai conclu, en l'espèce, qu'essentiellement la même norme de contrôle vaut tant pour les conclusions de fait pures tirées par le Conseil que pour l'application de l'alinéa 44a) aux faits qui lui ont été soumis, il n'y a pas d'intérêt pratique qui permette de faire ressortir laquelle des deux possibilités convient le mieux.

iii) Norme de contrôle

[24]            L'avocate du STTP a soutenu que les erreurs commises par le Conseil dans la décision du réexamen étaient de nature factuelle et que cette décision devrait être annulée parce qu'elle était fondée sur une conclusion de fait qui n'était corroborée par aucun élément de preuve et qu'elle ne relevait pas de la compétence du Conseil.


[25]            Dans la mesure où les erreurs alléguées sont purement factuelles, il n'y a là rien d'utile pour préciser la norme de contrôle applicable à la décision du tribunal. On considère normalement, sous réserve des obstacles relatifs au pouvoir discrétionnaire qui s'appliquent à la révision de la réparation accordée par un tribunal, qu'une fois qu'il a été établi que la décision d'un tribunal était fondée sur une conclusion de fait déterminante qui n'était soutenue par aucun élément de preuve, la décision sera annulée. Contrairement, par exemple, à l'erreur de droit, l'excès de compétence en raison de l'absence de preuve est un motif de révision qui intègre également sa propre norme de contrôle.

[26]            À mon avis, toutefois, la plupart des erreurs alléguées par le STTP caractérisent davantage une contestation de l'application de l'alinéa 44a) du Règlement aux faits qui ont été soumis au Conseil, plutôt qu'une contestation des conclusions de fait pures. La discussion ne portait pas, dans l'ensemble, sur les conclusions du Conseil concernant les renseignements disponibles au moment où la première décision a été rendue, mais elle consistait plutôt à déterminer si ces renseignements constituaient des « faits nouveaux » au sens de l'alinéa 44a) du Règlement.

[27]            Pour les motifs dont il sera fait état ci-dessous, suivant une analyse pragmatique et fonctionnelle, la décision de réexamen du Conseil ne peut être annulée qu'au motif qu'il a mal appliqué l'alinéa 44a) aux faits si sa conclusion était manifestement déraisonnable.


[28]            Premièrement, le Parlement a édicté une clause privative rigide limitant le contrôle judiciaire des décisions du Conseil aux erreurs de compétence, au non-respect des règles de justice naturelle, ainsi qu'à la fraude et au parjure. Deuxièmement, le Conseil est reconnu pour sa vaste expertise en matière de réglementation des relations de travail. Troisièmement, les questions en litige sont liées aux conclusions de fait et aux inférences factuelles avancées par le Conseil, et dans la mesure où l'application de l'alinéa 44a) aux faits soumis est contestée, elles portent sur des questions de droit et de fait. Qui plus est, la Cour doit particulièrement faire preuve de retenue lorsque, comme en l'espèce, les questions en litige sont de nature procédurale ou factuelle et qu'elle doit déterminer quand le Conseil peut exercer le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi pour réviser ses décisions antérieures. Quatrièmement, le Code vise à favoriser l'établissement de relations harmonieuses et, à cet égard, à assurer le règlement rapide et efficace des litiges par le recours à un conseil spécialisé. Cinquièmement, les questions en litige relèvent carrément du domaine d'expertise du Conseil.

[29]      Quoi qu'il en soit, dans Varma c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, [2000] A.C.F. no 187, la Cour a jugé que la décision du Conseil de ne pas réexaminer une décision antérieure en raison de l'absence de faits nouveaux au sens de l'alinéa 44a) était susceptible de révision au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable.


[30]            Même si les normes de contrôle applicables aux pures conclusions de fait du Conseil et à l'alinéa 44a) sont exprimées dans des termes différents, à mon avis, il n'y a pas de différence significative entre celles-ci. La Cour a déjà décidé que la norme exigée par l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale pour la révision des conclusions de fait par les offices fédéraux s'apparente à la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd. et al. (1997), 208 N.R. 329, au paragraphe 6 (C.A.F.)). Puisque le motif de révision exigé par la common law, en cas d'absence de preuve, n'est pas plus exigeant que le motif de révision prévu par la loi ( « une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [l'office fédéral] dispose » ), la question de savoir si les erreurs du Conseil sont considérées comme des erreurs concernant l'application de l'alinéa 44a), et par conséquent comme des questions mixtes de fait et de droit, ou comme des erreurs concernant les conclusions de fait pures, n'est d'aucune conséquence pratique en l'espèce.

[31]      Finalement, je dois faire remarquer que l'avocate du STTP a proposé, quoique sans grand enthousiasme, que l'article 44 est de nature « juridictionnelle » et que la décision du Conseil quant à savoir s'il a été satisfait aux critères de cet article peut par conséquent être révisée selon la norme de la décision correcte. Considérant la conclusion à laquelle j'en suis venu quant à la norme de contrôle, à partir d'une analyse à la fois pragmatique et fonctionnelle et de la décision Varma, je ne puis souscrire à l'argument selon lequel, en raison de la nature « juridictionnelle » de l'article 44, la décision du Conseil peut être révisée selon la norme de la décision correcte.

iv) Analyse


[32]            Le Conseil s'est appuyé sur quatre faits qui, lui a-t-il semblé, n'avaient pas été portés à l'attention du Conseil canadien des relations du travail dans la première décision et qui ne constituaient donc pas des « faits nouveaux » au sens de l'alinéa 44a) du Règlement. Je les aborderais à tour de rôle.

a) Connaissance de la prétention de M. Healy par le STTP

[33]            Premièrement, « et le plus important de l'avis du banc actuel » (au paragraphe 35), il y avait le fait que, au moment de la première décision, les représentants régionaux et nationaux du STTP ne semblaient pas être au courant de la prétention de M. Healy qui affirmait que, comme ses griefs se rapportaient à un congédiement, ils étaient exclus du processus de règlement des griefs accumulés en vertu de l'entente de 1992 intervenue entre le STTP et Postes Canada, laquelle faisait partie intégrante de la convention collective. Toutefois, puisque M. Healy a soulevé ce point pour la première fois en octobre 1998, à l'audience du Conseil, avant la première décision, il se peut que les représentants régionaux et nationaux du STTP n'en aient pas été au courant avant ce temps, mais ils l'étaient durant les quatre années qui ont précédé la procédure de réexamen.


[34]            L'avocate du STTP a fait référence à un affidavit souscrit par l'un des représentants, Ken Bird, qui a déclaré que, après la première décision, un avocat du STTP a discuté du bien-fondé des griefs avec l'avocat qui représentait alors M. Healy. Dans la décision de réexamen, le Conseil a affirmé (au paragraphe 13) que M. Bird avait « indiqué que le syndicat avait choisi de ne pas traiter les griefs de M. Healy différemment des autres griefs accumulés » et il a fait remarquer (au paragraphe 14) que ce denier avait nié que les griefs de M. Healy aient été liés à un congédiement.

[35]            À mon avis, le fait que les représentants du STTP connaissaient depuis quatre ans la prétention de M. Healy suivant laquelle il considérait que ses griefs devraient être retirés du processus de règlement des griefs accumulés ne constitue pas un fait nouveau au sens de l'article 44 parce que l'existence de cette connaissance n'aurait pu en soi modifié le résultat de la première décision. Il n'y a pas de lien rationnel avec la question de savoir si le syndicat avait manqué à son devoir de représentation juste à l'égard de M. Healy.

[36]            La connaissance du STTP serait pertinente seulement s'il n'avait tout simplement pas tenu compte du fait que M. Healy considérait que ses griefs faisaient indûment partie de l'arriéré ou s'il avait par ailleurs omis de prendre certaines mesures appropriées. Toutefois, la preuve présentée au Conseil dans le cadre de la deuxième décision démontrait que le syndicat avait examiné les griefs de M. Healy et qu'il avait décidé qu'ils ne seraient pas traités en priorité et qu'ils n'étaient pas liés à un congédiement. Par conséquent, le fait reconnu comme le « plus important » par le Conseil n'apporte aucun soutien à sa décision de procéder à un réexamen en vertu de l'article 44.


b) Le temps écoulé

[37]            Le Conseil s'est également appuyé sur le fait qu'une autre période de quatre ans s'était écoulée depuis la première décision, sans qu'il n'y ait eu règlement des griefs de M. Healy ni mise au rôle pour l'audience d'arbitrage. Le STTP a répondu à cela en disant qu'il était évident pour le Conseil, compte tenu de la preuve présentée pour la première décision, que l'arriéré ne serait pas résorbé pour 2002.

[38]            En octobre 1998, la preuve démontrait qu'il restait encore 80 000 griefs accumulés et que le STTP en traitait de 1 200 à 1 500 par mois. Cela signifiait donc qu'éliminer l'arriéré pourrait prendre de quatre ans et demi à cinq ans et demi et que les griefs de M. Healy pourraient être réglés à un moment ou l'autre durant cette période mais, parce qu'ils n'étaient pas prioritaires, ils le seraient probablement à la fin plutôt qu'au début de cette période. Par conséquent, lorsqu'il a rendu sa première décision, le Conseil a dû considérer que, même s'il fallait compter quatre ans pour régler les griefs de M. Healy, le STTP ne manquerait pas à l'obligation découlant de l'article 37. On se rappellera que la décision de réexamen du Conseil a été rendue juste un peu moins de quatre ans après la première décision.


[39]            Je suis d'accord avec l'avocate du STTP pour dire que les motifs de la première décision permettent d'établir clairement que le Conseil savait bien que les griefs de M. Healy pourraient ne pas être entendus avant quatre ans. Il a reconnu qu'il n'était pas possible de dire quand ils seraient traités. Par conséquent, puisque le Conseil a constaté en 1998 que les griefs de M. Healy pourraient bien ne pas être réglés pour 2002, la possibilité d'un délai de quatre ans avait été portée à sa connaissance et cela ne l'a pas empêché de conclure que le STTP ne violait pas l'article 37. Il était donc manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure dans sa décision de réexamen que le temps écoulé depuis 1998 était un fait nouveau au sens de l'alinéa 44a).

c) Les griefs à examiner en priorité et le délai de douze ans

[40]            Le Conseil a affirmé dans sa décision de réexamen que, compte tenu du fait qu'un délai de douze années s'était écoulé depuis le dépôt des griefs de M. Healy, la méthode employée par le STTP pour la sélection des griefs à examiner en priorité, qui avait pour effet de reporter les griefs de nature particulière ou personnelle comme ceux de M. Healy, pouvait en elle-même être considérée comme arbitraire et donc comme une violation de l'article 37.

[41]            Encore une fois, vu la preuve présentée au Conseil en 1998 au sujet de la méthode de sélection des griefs à examiner, laquelle n'avait d'ailleurs pas été modifiée en 2002, et la preuve concernant le délai estimé nécessaire pour éliminer l'arriéré, il n'y avait rien au dossier qui permette de soutenir la conclusion selon laquelle il s'agissait d'un fait qui, si le Conseil en avait été saisi au moment de la première décision, aurait probablement entraîné un résultat différent.

d) Les conséquences du délai pour M. Healy


[42]            Le quatrième et dernier élément (paragraphe 38) sur lequel le Conseil s'est appuyé dans la décision de réexamen était que le STTP n'avait pas « veillé de manière soutenue » à ce que les griefs de M. Healy fassent l'objet d'un règlement, en dépit des efforts constants de ce dernier depuis 1998 et « de la gravité de sa situation, de sa santé fragile et de l'impact soutenu qu'a eu l'omission de régler les questions le concernant » .

[43]            À mon avis, il allait de soi que les arrangements visant à établir la priorité des griefs à examiner, lesquels ont été entièrement décrits devant le Conseil lorsqu'il a rendu la première décision, désavantageaient M. Healy et d'autres personnes dont les griefs portaient sur des questions particulières ne concernant qu'eux. En 1998, le Conseil était bien conscient de la situation de M. Healy et du fait qu'un délai aussi long que cinq ans et demi pourrait être nécessaire pour régler ses griefs ou pour les mettre au rôle en vue d'une audience. Je ferais remarquer que la preuve présentée au Conseil en 2002 démontrait que l'arriéré était susceptible d'être résorbé au printemps 2005, ce qui est conforme aux prévisions qui avaient été établies par le syndicat en 1998.   


[44]            En tout état de cause, la preuve présentée par M. Bird devant le Conseil démontrait que, à la suite de la décision de 1998 et de la demande de réexamen que M. Healy a rapidement présentée, les représentants du STTP se sont penchés sur la question de savoir si le traitement des griefs de M. Healy devait être devancé et l'avocat du syndicat avait eu des discussions avec l'avocat de M. Healy concernant ses griefs. Les motifs du Conseil dans sa décision de réexamen ne renvoient pas à un élément de preuve démontrant que la santé de M. Healy s'était détériorée entre 1998 et 2002, même si le temps qu'il fallait pour en venir à ses griefs et le manque d'information du STTP quant à savoir à quel moment une audience d'arbitrage était susceptible d'avoir lieu étaient évidement très frustrants et lui avaient causé beaucoup de soucis. Quoi qu'il en soit, il est établi dans la jurisprudence du Conseil que cette conduite n'équivaut pas à un manquement au devoir de représentation juste du syndicat du seul fait qu'il en découle des conséquences défavorables graves pour un membre (voir Dave Mullin (1991), 84 di 74 (CCRT no 852)).

[45]            À mon avis, il était manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que les faits concernant le délai et ses conséquences sur M. Healy n'avaient pas été présentés lors de la première décision et que, le cas échéant, ils l'auraient probablement amené à un résultat différent.

v) Conclusion

[46]            La Cour doit se montrer très circonspecte à l'égard des décisions qui relèvent du domaine de compétence du Conseil, particulièrement pour les questions qui sont de nature procédurale ou factuelle ou qui comportent un volet factuel substantiel. Par ailleurs, l'analyse du dossier m'amène à conclure que la décision de réexamen par laquelle le Conseil a tranché qu'il avait été satisfait aux conditions prescrites à l'alinéa 44a) était manifestement déraisonnable : elle était fondée ou bien sur une application de cette disposition qui était manifestement déraisonnable ou encore sur des conclusions de fait pour lesquelles aucun élément de preuve n'avait été présenté au Conseil.


[47]            À la lumière des motifs de la décision contestée, il semble que, en raison de la sympathie très compréhensible manifestée à l'égard de M. Healy, le Conseil ait fusionné les deux questions qu'il devait trancher. Premièrement, pouvait-il procéder à une révision en vertu de l'article 18 du Code, une matière régie par l'alinéa 44a)? Et, deuxièmement, le cas échéant, le STTP a-t-il violé l'article 37? Comme j'ai estimé que le Conseil n'aurait pas dû réexaminer la première décision, à savoir que le STTP n'avait pas violé l'article 37, il n'est pas opportun d'examiner la conclusion subséquente selon laquelle il y avait eu violation.

D.        CONCLUSION

[48]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision de réexamen du Conseil et je rétablirais la première décision, à savoir que le STTP n'a pas violé l'article 37. Il ne convient pas eu égard aux circonstances de la présente affaire de renvoyer l'affaire au Conseil pour un nouvel examen.

[49]            Le demandeur n'a pas sollicité de dépens et je n'en adjugerais aucun.

                                                                                     « John M. Evans »             

                                                                                                             Juge                         

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-611-02

INTITULÉ :                                           LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

c.

ARTHUR HEALY et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 23 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                          LE JUGE LINDEN

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                        LE 16 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Barbara Nicholls                                     POUR LE DEMANDEUR

Susan Nicholas                                       POUR LE CCRI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Perley-Robertson, Hill & McDougall LLP    POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)                                    

Conseil canadien des relations industrielles    POUR LE CCRI

Ottawa (Ontario)


Date : 20031016

Dossier : A-611-02

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2003

CORAM :                                 LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                                                                 demandeur

                                                         et

ARTHUR HEALY et LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                 défendeurs

                                              JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de réexamen du Conseil est annulée et la première décision est rétablie. L'affaire n'est pas renvoyée au Conseil pour un nouvel examen. Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                        « A.M. Linden »             

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


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