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Date : 20040519

Dossier : A-101-03

Référence : 2004 CAF 196

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                   ENTREPRISE MARISSA INC.

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                              MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES

                                            GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                     Audience tenue à Québec (Québec), le 31 mars 2004.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040519

Dossier : A-101-03

Référence : 2004 CAF 196

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                   ENTREPRISE MARISSA INC.

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                              MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES

                                            GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 5 février 2003 par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le « Tribunal » ), de ne pas enquêter sur une plainte déposée par la demanderesse parce qu'elle n'avait pas été déposée dans le délai prescrit par le paragraphe 6(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (le « Règlement » ).


[2]                La plainte de la demanderesse est relative à un appel d'offres émis le 19 avril 2000 par le défendeur, Travaux publics et Services gouvernement du Canada (le « défendeur » ), concernant l'exécution de travaux de dragage dans une partie du fleuve St-Laurent. La date de clôture de l'appel d'offres était le 11 mai 2000.

[3]                L'annexe 1 de l'appel d'offres prévoyait que la drague utilisée par le soumissionnaire pour exécuter les travaux devait être immatriculée et fabriquée au Canada. Un soumissionnaire voulant utiliser une drague non fabriquée au Canada devait obtenir et déposer, avec sa soumission, un certificat de qualification du ministère fédéral d'Industrie Canada. L'extrait pertinent de l'annexe 1 indique in fine que « [l]es demandes de certificats de qualification peuvent être présentées selon la manière donnée au questionnaire ci-joint » . Ce questionnaire exigeait du soumissionnaire qu'il fournisse les renseignements suivants :

1.             Nom et adresse du propriétaire

2.             Nom et adresse de l'opérateur

3.             Nom de l'unité

4.             Numéro officiel

5.             Type d'unité (drague)

6.             Immatriculé au Canada depuis :

7.             Date de construction :

8.             Nom du chantier naval :

9.             Travaux effectués sur l'unité au Canada Pour chaque série importante de travaux, indiquer : Date, Chantier naval, Type de travaux, Coût, Pays d'origine de l'équipement installé


10.           Si l'unité a changé de propriétaire, indiquer sur une page distincte le nom et l'adresse actuelle du ou des propriétaire(s) précédent(s) pour chaque travail mentionné au point 9.

                                                                                                         [Le souligné est le mien]

[4]                Le 1er juin 2000, le défendeur informait la demanderesse que le contrat avait été adjugé à Verreault Maritime Inc. ( « Verreault » ) et que son offre n'avait pas été retenue en raison du fait qu'aucune preuve de fabrication canadienne ou d'obtention d'un certificat de qualification d'Industrie Canada n'avait été déposée avec la soumission.

[5]                Il est à noter que la drague que proposait la demanderesse ainsi que celle proposée par Verreault étaient toutes les deux de construction étrangère et que, par conséquent, leur utilisation supposait l'obtention d'un certificat de qualification d'Industrie Canada.

[6]                Le 17 janvier 2003, la demanderesse déposait une plainte auprès du Tribunal, fondée sur deux motifs qui peuvent être formulés comme suit :

1.         L'absence dans les documents d'appel d'offres de critères explicites, accessibles et publics relatifs à l'attribution du certificat de qualification exigé pour les navires construits à l'extérieur du Canada.

2.         L'attribution du contrat à Verreault, une entreprise dont la drague ne remplissait pas les conditions de délivrance du certification de qualification.


[7]                Lors de l'audition, le procureur de la demanderesse nous avisait que la plainte de sa cliente et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devant nous, ne visait dorénavant que l'attribution illégale du contrat à Verreault.

[8]                S'appuyant sur le paragraphe 6(1) du Règlement, qui prévoit que « ... tout fournisseur potentiel qui dépose une plainte ... doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de sa plainte » , le Tribunal concluait que la plainte ne pouvait être reçue, puisque la demanderesse aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de sa plainte entre le mois de juin 2000 et le mois d'août 2001. Les passages pertinents de la décision rendue le 5 février 2003 par le Tribunal se lisent comme suit :

[...]

Dans la présente affaire, les documents accompagnant la plainte démontrent que l'appel d'offres a été publié au mois d'avril 2000 et que Marissa a été informée au mois de juin 2000 que sa proposition avait été jugée non recevable et que Verreault Maritime Inc. (Verreault) avait obtenu l'adjudication du contrat. Le Tribunal remarque que Marissa a tout d'abord communiqué avec Industrie Canada au mois d'octobre 2000 concernant les critères de qualification pour l'obtention d'un certificat. De plus, tel qu'indiqué dans les documents déposés à l'appui de la plainte, Marissa a reçu d'Industrie Canada, lors d'une réunion au mois de février 2001, de l'information relativement aux critères de qualification pour l'obtention d'un certificat. Marissa a également reçu en août 2001, suite à une demande d'accès à l'information, de l'information concernant des communications entre Verreault et Industrie Canada. Donc, le Tribunal est d'avis que Marissa aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l'origine de sa plainte entre le mois de juin 2000 et le mois d'août 2001.

Enfin, même si Marissa a reçu en date du 6 janvier 2003 de l'information plus détaillée à l'égard de l'application de Verreault pour l'obtention de son certificat, cette information n'était pas, selon le Tribunal, différente de façon significative de celle déjà en sa possession.


Vu ce qui précède, le Tribunal est d'avis que la plainte n'a pas été déposée auprès de celui-ci dans les délais prescrits par le paragraphe 6(1) du Règlement, c'est-à-dire dans les 10 jours ouvrables suivant la découverte des faits à l'origine de la plainte. Par conséquent, le Tribunal ne peut recevoir la plainte.

Le Tribunal n'enquêtera donc pas sur cette plainte et, par conséquent, clôt le présent dossier.

[...]

[9]                Tel qu'il appert de ces passages, le Tribunal était d'avis que la demanderesse aurait dû découvrir les faits à l'origine de sa plainte entre le mois de juin 2000 et le mois d'août 2001. Plus particulièrement, en ce qui concerne le seul motif de la plainte qui demeure en litige, le Tribunal constate que la demanderesse a reçu, au mois d'août 2001, « ... de l'information concernant des communications entre Verreault et Industrie Canada » . De plus, selon le Tribunal, l'information reçue par la demanderesse au début janvier 2003 n'est pas « ... différente de façon significative de celle déjà en sa possession » , à savoir l'information reçu au mois d'août 2001.

[10]            La demanderesse conteste la décision du Tribunal. À son avis, celle-ci est manifestement déraisonnable puisque rien ne pouvait justifier le dépôt d'une plainte auprès du Tribunal avant qu'elle ne prenne connaissance le 6 janvier 2003 d'une lettre expédiée par Industrie Canada le 23 décembre 2002.

[11]            Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


[12]            La plainte de la demanderesse est à l'effet que le contrat a été adjugé illégalement à Verreault, vu que sa drague de construction étrangère ne remplissait pas les conditions requises pour l'obtention d'un certificat de qualification. Le Tribunal a conclu que la demanderesse avait en sa possession, au plus tard au mois d'août 2001, l'information nécessaire pour porter plainte.

[13]            Afin de déterminer si la conclusion du Tribunal peut se justifier, il est impératif d'examiner quelle information la demanderesse avait en sa possession en date du mois d'août 2001 et l'impact, s'il en est, de l'information dont elle a pris connaissance au début janvier 2003.

[14]            En premier lieu, il convient de mentionner que M. René Lagacé, le président de la demanderesse, rencontrait M. Émile Rochon d'Industrie Canada au mois de février 2001 à Ottawa. Lors de cette rencontre, M. Lagacé fut informé qu'une drague de construction étrangère ne pouvait se qualifier que dans la mesure où des modifications avaient été apportées au navire sur plus de 50% de l'équipement flottant, que les composantes de ces modifications devaient être de contenu canadien, et que les réparations d'entretien n'étaient pas prises en compte à ce titre.

[15]            En deuxième lieu, le 12 juin 2001, la demanderesse recevait copie d'une lettre en date du 3 mai 2000, en version expurgée, qu'Industrie Canada avait fait parvenir à Verreault, confirmant l'obtention du certification de qualification pour sa drague. Je reproduis la copie de la lettre telle qu'elle a été reçue par la demanderesse le 12 juin 2001 :

In the matter of your request for a pre-qualification certificate for your dredge by the name of Port-Méchins, we are given to understand that:


[TEXTE EXPURGÉ]

Under the above circumstances the dredge Port-Méchins meets Federal Government of Canada requirements for a certificate of pre-qualification for performing dredging services on federal government dredging projects under the Floating Plant Clause.

[16]            Le 14 août 2001, Industrie Canada faisait parvenir une lettre à la demanderesse à laquelle était jointe copie d'une correspondance par courrier électronique entre Verreault et Industrie Canada en date du 18 avril 2000. Dans cette communication, Verreault portait à l'attention d'Industrie Canada les contrats qu'elle avait effectués pour le compte du défendeur avec sa drague depuis son acquisition en 1992. Verreault informait aussi Industrie Canada, pour les années 1966 à 1992, du nom des propriétaires antérieurs de la drague. En outre, Verreault faisait parvenir à Industrie Canada l'information que l'on pouvait retrouver au certificat d'enregistrement de la drague, à savoir son nom, le port d'enregistrement, le pays de construction, l'année de construction, le nom des constructeurs, etc.

[17]            Le 6 janvier 2003, M. Lagacé prenait connaissance de deux documents, à savoir une lettre en date du 23 décembre 2002 qu'Industrie Canada adressait à la demanderesse, à laquelle était jointe une nouvelle copie de la lettre du 3 mai 2000 d'Industrie Canada à Verreault. Cette nouvelle copie permettait à la demanderesse de prendre connaissance d'informations qui n'apparaissaient pas dans la copie de la lettre reçue le 12 juin 2001. Je reproduis la copie de la lettre du 3 mai 2000 telle qu'elle a été reçue par la demanderesse le 6 janvier 2003 :

In the matter of your request for a pre-qualification certificate for your dredge by the name of Port-Méchins, we are given to understand that:

·               you aacquired this vessel from Fraser River Pile and Dredge Ltd. (FRPD) in 1992 (at a cost of [TEXTE EXPURGÉ])


·               it is being operated under Canadian registration documentation

·               it was originally built in Renfrew, Scotland in 1949

·               since 1992 you have undertaken [TEXTE EXPURGÉ] in modifications and repairs which were all completed in Canada at either Les Méchins Dockyard or Quebec City

·               since 1992 your company has employed this vessel to perform several Federal Public Works dredging contracts

Under the above circumstances the dredge Port-Méchins meets Federal Government of Canada requirements for a certificate of pre-qualification for performing dredging services on federal government dredging projects under the Floating Plant Clause.

[18]            Une autre source importante d'information pour la demanderesse, sinon la plus importante, est celle provenant de M. Benoit Blouin, ingénieur. M. Blouin, maintenant employé par la demanderesse, aurait travaillé de 1977 à 1997 pour les différents propriétaires de la drague possédée par Verreault depuis 1992. Selon M. Blouin, la drague n'aurait subi aucune modification durant ces années et, en outre, il n'aurait constaté aucune modification sur celle-ci depuis 1998.

[19]            Il appert donc, selon l'information fournie par M. Blouin, que la drague de Verreault n'aurait subi aucune modification depuis 1977. Par conséquent, la demanderesse met en doute l'information fournie par Verreault à Industrie Canada sur la foi de laquelle cette dernière se serait appuyée pour émettre le certificat de qualification.

[20]            Tel que je l'indiquais plus tôt, la prétention de la demanderesse est qu'il était impossible pour elle de porter plainte avant réception de la lettre d'Industrie Canada du 23 décembre 2002. Voici ce qu'affirme la demanderesse aux paragraphes 25 et 26 de son mémoire :


25.           Entre cette dernière lettre de août 2001 et celle du 23 décembre 2002 obtenue ensuite le 6 janvier 2003, aucun autre document ne sera révélé à la demanderesse sur lequel elle pouvait se fonder pour découvrir les faits à l'origine de sa plainte du 17 janvier 2003. Qui plus est, la demanderesse s'est adressée le 24 avril 2002 au Commissaire à l'information du Canada pour loger une plainte afin d'obtenir le contenu caché de ladite lettre P-2 (pièce D-2, p. 26 du présent dossier). C'est à la suite de cette plainte au Commissaire à l'information du Canada que, finalement, Industrie Canada, après consultation auprès du tiers concerné (Verreault Navigation Inc.), a accepté de révéler les informations supplémentaires qu'elle annexait à sa lettre susdite du 23 décembre 2002 (p. 49, 50 du présent dossier) et encore ici nous faisons remarquer respectueusement à cette honorable Cour que le dernier document divulgué fait encore l'objet de « cache » .

26.           Or, cette fois-ci, les « caches » en question n'ont pas empêché la demanderesse de déposer immédiatement sa plainte en janvier 2003, puisque même si la « cache » ne permet pas de connaître le pourcentage de modifications et réparations investies par Verreault Navigation Inc. sur sa drague par rapport au prix d'achat de celle-ci, la demanderesse allègue dans sa plainte avoir complété cette information par le biais de Monsieur Benoit Blouin, ingénieur maintenant à son emploi et ayant travaillé pendant plusieurs années sur la drague Port Méchins (affidavit de la demanderesse, para. 16, p. 12 du présent dossier et pièce d-1, para. 14 et 15, p. 17 du présent dossier). N'eut été de ces informations obtenues dudit Benoit Blouin, la demanderesse n'aurait même pas encore été en mesure de découvrir les motifs de sa plainte par ledit document P-1, compte tenu des renseignements toujours cachés dans celui-ci.

                                                                                                         [Le souligné est le mien]

[21]            Il est utile de lire ces propos en parallèle avec les paragraphes 12 à 16 de la plainte déposée le 17 janvier 2003, qui se lisent comme suit :

12.           La plaignante n'a donc pu prendre connaissance, par son président, des critères d'octroi d'un certificat de qualification qu'en rencontrant un représentant de Industrie Canada et c'est ainsi, entre autres, que la plaignante a connu le critère relatif aux modifications de plus de 50% à l'aide de main d'oeuvre et de contenu Canadien;

13.           Tel qu'il appert toutefois des nouveaux renseignements révélés dans la lettre de Industrie Canada et déjà produite sous la cote P-1 [copie de la lettre du 3 mai 2000 reçue par la demanderesse le 6 janvier 2003], deux (2) caches empêchent encore de constater la quantité, proportion et/ou montant représentant les modifications et réparations qui auraient été acceptées être effectuées depuis 1992 sur la drague Port Méchins;

14.           Cependant, il est à la connaissance de M. Benoit Blouin, ing., qui est maintenant à l'emploi de la plaignante, qu'aucune modification ne fut faite par Verreault Navigation Inc. sur la drague Port Méchins, puisque ledit Benoit Blouin, ing., a travaillé avec ce navire sans interruption au cours des années 1977 à 1997 inclusivement;

15.           De plus, ledit Benoit Blouin, ing., connaît bien ce navire et il n'a aucunement constaté d'autre modification sur celui-ci depuis 1998;


16.           Par conséquent, il appert maintenant que les critères appliqués par le gouvernement canadien, par le biais de Industrie Canada, pour la délivrance d'un certificat de qualification, sont l'objet de discrétion, d'arbitraire et d'applications divergentes de la part de Industrie Canada;

[22]            Tel qu'il appert des paragraphes 25 et 26 du mémoire de la demanderesse ainsi que des paragraphes 12 à 16 de sa plainte, l'élément déclencheur de la plainte serait l'information obtenue au début janvier 2003 relative aux motifs d'émission par Industrie Canada du certificat de qualification à Verreault. Plus particulièrement, il appert qu'Industrie Canada aurait émis le certificat suite à une représentation de Verreault à l'effet que des modifications et réparations, dont la valeur n'apparaît pas dans la lettre, aurait été faites au Canada.

[23]            À mon avis, la position de la demanderesse est fort discutable. Il ressort clairement de la preuve qu'en date du mois d'août 2001 :

1.         La demanderesse connaissait, suite à sa rencontre avec M. Rochon d'Industrie Canada, les conditions d'émission du certificat de qualification.

2.         La demanderesse connaissait, ou devait connaître, compte tenu de la lettre du 1er juin 2000 du défendeur l'informant que le contrat avait été adjugé à Verreault, et de la copie de la lettre du 3 mai 2000 qu'elle recevait en version expurgée le 12 juin 2001, qu'Industrie Canada avait conclu que les conditions d'émission du certificat étaient remplies, à savoir que les modifications requises avaient été apportées à la drague.


[24]            Il ne peut faire de doute, à mon avis, que la copie de la lettre du 3 mai 2000 reçue par la demanderesse au début janvier 2003 n'a pas l'importance déterminante qu'elle prétend lui accorder. Comme le signale le défendeur, correctement à mon avis, la plainte de la demanderesse s'appuie principalement sur l'information provenant de M. Blouin. C'est cette information qui permet à la demanderesse de soutenir qu'un certificat de qualification n'aurait pas dû être émis à Verreault, puisque si l'information de M. Blouin est exacte, aucune modification n'a été apportée à la drague entre 1977 et la date où le contrat a été adjugé.

[25]            Dans cette perspective, la date à laquelle M. Blouin a informé M. Lagacé que la drague de Verreault n'avait subi aucune modification devient d'une grande importance, et c'est sur la demanderesse que reposait le fardeau d'éclairer le Tribunal de toute information pertinente à cet égard.

[26]            Malheureusement pour la demanderesse, sa plainte est silencieuse sur ce point, et aucun élément de preuve devant le Tribunal ne permet d'affirmer que celui-ci ne pouvait validement supposer qu'elle était en possession de cette information au mois d'août 2001 au plus tard, puisque la plainte mentionnait simplement le fait que M. Blouin était "maintenant" à son emploi.


[27]            D'ailleurs, bien que cet élément de preuve n'ait pas été déposé devant le Tribunal, je note que dans son affidavit daté du 21 mars 2003 déposé au soutien de la demande de contrôle judiciaire, M. Lagacé n'indique pas la date à laquelle il a été informé par M. Blouin de l'absence de modification apportée à la drague depuis 1977. Il allègue cependant que ce dernier est employé de la demanderesse depuis le 14 mai 2001 ce qui, à mon avis, a pour effet de confirmer que la conclusion du Tribunal n'était pas manifestement déraisonnable.

[28]            Par conséquent, le Tribunal pouvait, eu égard à la preuve qui était devant lui, conclure que dès le mois d'août 2001, la demanderesse avait en sa possession l'information nécessaire pour pouvoir porter plainte concernant l'attribution illégale du contrat à Verreault.

[29]            Les parties s'accordent sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans IBM Canada Ltée c. Hewlett-Packard (Canada) Ltée, 2002 CAF 284, le 4 juillet 2002, notre Cour concluait que lorsque se pose une question d'application de l'article 6 du Règlement, la norme de contrôle à utiliser est celle de la décision manifestement déraisonnable. Aux paragraphes 15, 16 et 17, la Cour, sous la plume du juge Décary, s'exprimait comme suit :

[15]             En l'espèce, l'avocat d'IBM fait valoir qu'une norme appelant un degré moins élevé de retenue judiciaire devrait être appliquée parce que, lorsqu'il décide si une plainte est prescrite ou non, le Tribunal rend une décision touchant sa propre compétence.

[16]             Je ne suis pas d'accord. Il faut résister à la tentation de qualifier certaines questions de « juridictionnelles » dans le simple but d'appliquer une norme faisant appel à un degré moindre de retenue judiciaire (voir Canada c. McNally Construction Inc. et Abco Industries Limited, 2002 CAF 184, le juge Stone, au par. 23). Le Tribunal a compétence pour décider si une plainte est prescrite; l'interprétation du paragraphe 6(1) du Règlement ne soulève aucune question juridique; la détermination, en l'espèce, du point de départ constitue une pure question de fait; et la connaissance qu'a le Tribunal de la procédure de passation des marchés publics en fait le mieux placé pour se prononcer sur le moment où un plaignant a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l'origine d'une plainte.

[17]             La norme de contrôle judiciaire est donc celle de la décision manifestement déraisonnable. Je fais observer que la même norme a été appliquée par notre Cour, sans plus d'examen, dans des circonstances semblables à celles de la présente espèce (Jastram Technologies Inc. c. Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, 14 mars 2000, C.A.F. A-406-98).


[30]            Compte tenu de la norme applicable, il m'est impossible de conclure qu'une intervention de notre part serait justifiée. Par ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

                                                                                       « M. Nadon »

                                                                                                     j.c.a.

« J'y souscris.

Alice Desjardins j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Gilles Létourneau j.c.a. »


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                      A-101-03

INTITULÉ :                     ENTREPRISE MARISSA INC. c. MINISTÈRE                             DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES                                            GOUVERNEMENTAUX CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 31 mars 2004

CORAM :                        LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

                                         LE JUGE NADON

MOTIFS DU JUGEMENT                                       

DE LA COUR :               LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                                   Le 19 mai 2004

COMPARUTIONS :

Me Sylvain Trudel                                             POUR LA DEMANDERESSE

Me Bernard Letarte                                           POUR LE DÉFENDEUR

         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                          

Néron, Trudel et associés                                              POUR LA DEMANDERESSE

Charlesbourg (Québec)

Ministère de la justice Canada                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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