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Date : 20050512

Dossier : A-589-04

Référence : 2005 CAF 181

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                              NINA LAZAREVA

                                                                                                                                                intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 mai 2005

                             Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 12 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW


Date : 20050512

Dossier : A-589-04

Référence : 2005 CAF 181

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                              NINA LAZAREVA

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

                            [Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 12 mai 2005]

LA JUGE SHARLOW

[1]                Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel de l'ordonnance, datée du 6 octobre 2004, d'un juge de la Cour fédérale : Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n º 1661 (QL) (C.F.). Voici le texte de cette ordonnance :


LA COUR ORDONNE :

1.         la requête en réexamen de l'ordonnance de la Cour en date du 20 juillet 2004 est rejetée;

2.         il n'existe pas de raison justifiant que la conclusion de la Cour voulant qu'il n'y ait pas de question à certifier soit examinée de nouveau;

3.         le défendeur demandera à la Cour de lui donner des instructions additionnelles s'il éprouve des problèmes dans l'exécution de l'ordonnance de la Cour.

[2]                Le 20 juillet 2004, le juge a fait droit à la demande de l'intimée concernant le contrôle judiciaire de la décision, datée du 8 juillet 2003, d'un agent d'immigration qui avait rejeté la demande d'exemption de l'intimée, fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, de l'obligation de soumettre sa demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada, et il a accordé aussi à l'intimée une autre réparation : Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 38 Imm.L.R. (3rd) 285 (C.F.). Le jugement daté du 20 juillet 2004 est le suivant :

1.         La décision en date du 8 juillet 2003 est par la présente annulée.

2.         Le défendeur [le ministre] doit procéder au Canada au traitement de la demande du statut de résidente permanente présentée par la demanderesse [Mme Lazareva].

3.         Le défendeur doit suspendre toute mesure visant au renvoi de la demanderesse jusqu'à ce qu'il ait rendu une décision sur la demande du statut de résidente permanente.

4.         Aucune question n'est certifiée.


[3]                Le quatrième paragraphe du jugement du 20 juillet 2004 renvoie à la certification d'une question grave de portée générale, aux termes de l'alinéa 74d ) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dont le texte est le suivant :

74. Les règles suivantes s'appliquent à la demande de contrôle judiciaire_:

74. Judicial review is subject to the following provisions:

                              ...

                              ...

d)         le jugement consécutif au contrôle judiciaire n'est susceptible d'appel en Cour d'appel fédérale que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d)        an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

[4]                La demande de contrôle judiciaire de l'intimée était visée par l'article 74 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Elle a été soumise à bon droit au juge, et ce dernier avait la compétence nécessaire pour la trancher. Cependant, le ministre fait valoir que le juge a commis une erreur, non pas en annulant la décision faisant l'objet du contrôle, mais en accordant l'autre mesure de réparation.


[5]                Le ministre n'a pas produit d'avis d'appel contestant le jugement du 20 juillet 2004. D'un point de vue formel, l'appel du ministre vise l'ordonnance du 6 octobre 2004 rejetant la requête du ministre concernant le réexamen du jugement du 20 juillet 2004. Toutefois, l'argument de fond invoqué en appel est une contestation des éléments du jugement du 20 juillet 2004 qui interdisent au ministre d'exécuter une mesure de renvoi. Le ministre soutient que le juge a outrepassé sa compétence parce que, en fait, ce dernier a usurpé le pouvoir accordé au ministre de décider si la demande de résidence permanente de l'intimée allait être traitée pendant que cette dernière se trouvait au Canada.

[6]                Le ministre a peut-être bien raison lorsqu'il dit que le juge n'était pas habilité à accorder, comme il l'a fait, la réparation accessoire. Sans l'aliéna 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, il est plus que probable que le présent appel serait accueilli. Cependant, il serait malvenu de formuler une opinion définitive sur le bien-fondé des observations du ministre car, même si ces dernières sont légitimes, il n'y a pas de question certifiée. L'alinéa 74d) prive la Cour de la compétence nécessaire pour entendre un appel du jugement daté du 20 juillet 2004, à moins qu'il y ait une question certifiée. Le ministre ne peut se soustraire à l'aliéna 74d) en portant en appel un jugement qui rejette une requête en réexamen du même jugement.


[7]                La présente affaire n'est régie par aucune des causes citées par le ministre dans lesquelles la présente Cour a entendu un appel en matière d'immigration malgré les limites imposées par la loi au droit d'appel. Dans l'arrêt Subhaschandran c. Canada (Solliciteur généra), [2005] A.C.F. no 107 (QL) (C.A.F.), la Cour a permis au ministre de porter en appel une ordonnance d'ajournement dans une affaire d'immigration, parce que l'ordonnance en question était interprétée comme un refus de la part du juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser un sursis. En l'espèce, on ne peut pas dire que le juge a refusé d'exercer sa compétence.

[8]                Dans l'arrêt Forde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 210 N.R. 194 (C.A.), la Cour a permis au ministre de porter en appel une ordonnance accordant un sursis provisoire à l'exécution d'une mesure de renvoi, parce que l'ordonnance en question avait été rendue après la décision définitive concernant la demande de contrôle judiciaire. Il y a d'autres causes, telles que Re Zündel, [2004] A.C.F. no 1982 (QL) (C.A.F.), où la Cour a instruit l'appel d'une ordonnance interlocutoire rejetant une requête en récusation fondée sur une allégation de partialité ou une crainte raisonnable de partialité. Dans aucune de ces causes a-t-il été invoqué que le juge s'était trompé dans la façon dont il avait tranché en définitive une demande de contrôle judiciaire en matière d'immigration. Autrement dit, aucune de ces causes ne comportait une tentative pour porter en appel, sans question certifiée, un jugement définitif auquel s'appliquait l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [ou, avant cette dernière, le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2].


[9]                Il s'agit ici de la seconde fois que le ministre tente en deux jours d'interjeter appel d'une décision de la Cour fédérale dans une affaire qui, de par la loi, n'est pas susceptible d'appel : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176. Les faits dont il est question dans cette affaire-là ne sont pas les mêmes qu'en l'espèce, mais ils sont suffisamment analogues pour évoquer les mêmes principes, et l'issue doit être la même. Il n'est pas loisible à la Cour de faire abstraction des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui empêchent d'interjeter un appel - ou un appel sans question certifiée - d'un jugement par lequel la Cour fédérale a statué sur une demande ou une requête qui, en vertu de cette loi, a été soumise à juste titre devant elle.

[10]            Malgré les arguments valables des avocats du ministre, l'appel est annulé pour défaut de compétence. L'intimée a droit à des dépens d'un montant de 2 500 $, inclusion faite des honoraires, des débours et de la TPS.

        « Karen R. Sharlow »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-589-04

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

NINA LAZAREVA

intimée

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                   (LES JUGES DESJARDINS, ROTHSTEIN, SHARLOW)

PRONONCÉS À L'AUDIENCE

PAR :                                      LA JUGE SHARLOW

COMPARUTIONS :

Greg George

Bernard Assan                           POUR L'APPELANT

Inna Kogan                                           POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        POUR L'APPELANT

Inna Kogan

Avocate

Toronto (Ontario)                                  POUR L'INTIMÉE



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