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Date : 20000110


Dossier : A-473-98


CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROTHSTEIN


ENTRE :



APOTEX INC. et

NOVOPHARM LIMITED


     appelantes



     et



LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



intimés





Audience tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 16 décembre 1999


Jugement rendu à l"audience à Toronto (Ontario),

le jeudi 16 décembre 1999



MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE ROTHSTEIN





Date : 20000110


Dossier : A-473-98

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :


APOTEX INC. et

NOVOPHARM LIMITED

     appelantes

     et


LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



intimés


     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (rendus à l"audience à Toronto (Ontario),

     le jeudi 16 décembre 1999, dans leur forme révisée)


LE JUGE ROTHSTEIN

APERÇU

[1]      Ces motifs s"appliquent aux dossiers du greffe A-473-98 et A-474-98 concernant les appels de deux décisions rendues par la Section de première instance le 29 juillet 1998. Ils se rapportent au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1.

[2]      Les appelantes, qui sont des fabricants de médicaments génériques, affirment que le registre renfermant les listes de brevets (le registre) tenu par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) en vertu du paragraphe 3(1) du Règlement renferme des brevets qui ne sont pas admissibles à l"inclusion au registre parce qu"ils se rapportent à des procédés, à des intermédiaires ou à des revendications par ailleurs non admissibles plutôt qu"à des médicaments ou à l"utilisation de médicaments comme l"exige l"alinéa 4(2)b ) du Règlement. Les appelantes affirment que l"inscription de ces brevets non admissibles au registre donne lieu à des litiges inutiles en vertu du Règlement. Pareille inscription a en outre pour effet de retarder l"accès au marché parce que, en se fondant sur un brevet non admissible, le propriétaire du brevet peut demander à la Cour fédérale d"interdire à un fabricant de médicaments génériques d"obtenir un avis de conformité à l"égard de son produit. Une fois que la demande est présentée, une suspension légale est imposée2, laquelle a pour effet d"empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité tant que le fabricant de médicaments génériques ne peut pas obtenir de la Cour une ordonnance rejetant une demande qui n"est pas fondée.

[3]      Les appelantes disent que le ministre est tenu de refuser d"ajouter au registre ou de supprimer du registre des brevets non admissibles. Par conséquent, elles ont sollicité un bref de mandamus et une injonction dans la demande de contrôle judiciaire qu"elles ont présentée devant la Section de première instance, laquelle a donné lieu à un appel dans le dossier A-473-98, et elles ont demandé à la Cour d"ordonner au ministre de tenir le registre conformément au Règlement, d"empêcher le ministre d"ajouter un brevet au registre à moins d"être tout à fait convaincu que celui-ci est conforme au Règlement et d"ordonner au ministre de supprimer du registre les brevets non admissibles.

[4]      Dans la demande de contrôle judiciaire qui a donné lieu à un appel dans le dossier A-474-98, les appelantes ont désigné un brevet précis, le brevet canadien 2,069,063 (le brevet 063) qui, affirment-elles, n"était pas admissible. Dans cette demande, elles ont demandé à la Cour d"infirmer la décision du ministre d"ajouter le brevet 063 au registre, d"obliger le ministre à supprimer le brevet 063 du registre et d"obliger le ministre à tenir le registre conformément à la loi. Elles sollicitaient également un jugement déclaratoire portant que la décision que le ministre avait prise d"inscrire le brevet 063 au registre était inconstitutionnelle.

DÉCISIONS RENDUES PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[5]      Lors du contrôle judiciaire qui a mené à un appel dans le dossier A-473-98, le juge des requêtes a conclu que la demande dont il était saisi n"était pas une " demande " au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale3 et que les appelantes n"avaient pas qualité pour agir. Cela étant, il a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, il a ensuite conclu, en se fondant sur une inférence défavorable qu"il avait faite au sujet du fait que le ministre n"avait pas présenté de preuve, que s"il s"agissait d"une " demande " visée par le paragraphe 18.1(1) et si les appelantes avaient qualité pour agir, elles auraient droit à une réparation de la nature d"un jugement déclaratoire portant que le ministre ne tenait pas le registre conformément à la loi. Toutefois, le juge n"était pas convaincu qu"il aurait été possible d"accorder un bref de mandamus ou une injonction, et il n"aurait pas accordé pareilles réparations.

[6]      Lors du contrôle judiciaire qui a donné lieu à l"appel dans le dossier A-474-98, le juge a conclu que la demande était une " demande " au sens du paragraphe 18.1(1), mais il a néanmoins conclu que les demanderesses n"avaient pas qualité pour agir. Il a refusé de déterminer si le brevet 063 était admissible à l"inscription au registre étant donné que la question n"avait pas été pleinement débattue. Cette demande de contrôle judiciaire a également été rejetée.

LA QUESTION EN LITIGE EN APPEL

[7]      En l"espèce, les appelantes, avec l"assentiment des intimés, ont modifié la demande de réparation qui était faite dans le dossier du greffe A-473-98 de façon à inclure une demande visant à l"obtention d"un jugement déclaratoire portant que les décisions que le ministre prenait en inscrivant au registre des brevets comportant des revendications pour des procédés ou des intermédiaires et d"autres revendications par ailleurs non pertinentes sont inconstitutionnelles.

[8]      En statuant sur ces appels, nous nous fondons sur le fait que la question de savoir si un brevet est légitimement inscrit au registre fait l"" objet [d"une] demande " au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale . Voir Krause c. Canada (1999), 236 N.R. 317, au paragraphe 21, juge Stone. Nous supposerons également, sans toutefois nous prononcer sur la question, que les appelantes ont qualité pour présenter les demandes. Il s"agit alors uniquement de savoir si elles ont le droit d"obtenir le bref de mandamus , l"injonction ou le jugement déclaratoire qu"elles sollicitent.

NATURE DU POUVOIR CONFÉRÉ AU MINISTRE AUX TERMES DU PARAGRAPHE 3(1)

[9]      Aux termes des paragraphes 3(1) et 4(1), le ministre semble avoir l"obligation prima facie d"inscrire au registre la liste de brevets soumise par leur propriétaire. Le ministre est alors autorisé à refuser d"ajouter ou de supprimer un brevet s"il n"est pas conforme aux exigences de l"article 4. Les parties pertinentes des paragraphes 3(1) et 4(1) prévoient ce qui suit :

3. (1) The Minister shall maintain a register of any information submitted under section 4. To maintain it, the Minister may refuse to add or may delete any information that does not meet the requirements of that section. ...

3. (1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l'article 4. À cette fin, il peut refuser d'y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n'est pas conforme aux exigences de cet article.


4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug. ...

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7).

[10]      L"alinéa 4(2)b ) prévoit que la liste de brevets qui est soumise à l"égard d"une drogue doit comporter une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l"utilisation du médicament. Les appelantes affirment que le ministre a ajouté au registre des brevets qui comportent uniquement des revendications pour un procédé, des revendications pour un intermédiaire ou des revendications non pertinentes, lesquelles ne sont pas conformes aux exigences de l"alinéa 4(2)b ). L"alinéa 4(2)b ) du Règlement prévoit ce qui suit :

4. (2) A patent list submitted in respect of a drug must

     ...

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register ...

4.(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

[...]

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l'inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament, et qu'elle souhaite voir inscrit au registre [...]

Les appelantes se fondent sur l"arrêt Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.) pour affirmer que les revendications pour un procédé ne sont pas admissibles à l"inscription au registre étant donné qu"il ne s"agit pas de revendications pour le médicament en soi ou pour l"utilisation du médicament conformément à l"alinéa 4(2)b ) du Règlement. Elles se fondent également sur l"arrêt Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 126 (C.A.F.) pour affirmer que les revendications pour un intermédiaire ne sont pas des revendications pour le médicament en soi ou pour l"utilisation du médicament. Elles affirment que le ministre est tenu de refuser d"ajouter pareils brevets au registre ou de les supprimer du registre.

[11]      Le paragraphe 3(1) impose au ministre l"obligation de tenir le registre. Toutefois, compte tenu des mots " peut refuser d"y ajouter ou en supprimer " figurant au paragraphe 3(1), le pouvoir que possède le ministre de refuser d"ajouter ou de supprimer un brevet est de nature discrétionnaire. Il est clair que le gouverneur en conseil n"a pas imposé au ministre l"obligation, en vertu du paragraphe 3(1), de refuser d"ajouter ou de supprimer un brevet. Le ministre affirme que c"était à cause de l"obligation prima facie qui lui était imposée aux termes du paragraphe 3(1) en vertu duquel il devait tenir un registre des renseignements fournis aux termes du paragraphe 4(1), à savoir une liste de brevets soumise aux termes du paragraphe 4(1). Il pouvait dans certains cas être difficile de déterminer si un brevet était admissible à l"inscription au registre; le gouverneur en conseil croyait que le ministre devait faire preuve d"une certaine souplesse en déterminant dans quelles circonstances il devait refuser d"ajouter ou supprimer pareils brevets et s"il devait refuser de le faire. Sans statuer à ce stade sur le bien-fondé de l"argument du ministre, il est clair que le pouvoir que possède le ministre de refuser d"ajouter au registre ou supprimer du registre des brevets aux termes du paragraphe 3(1) est de nature discrétionnaire.

[12]      Puisque le ministre n"est pas tenu de refuser d"ajouter un brevet au registre ou de supprimer un brevet du registre aux termes du paragraphe 3(1), rien ne permet d"accorder le bref de mandamus , l"injonction ou le jugement déclaratoire sollicités par les appelantes. Voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1994] 1 C.F. 742, à la page 766, juge Robertson4.

[13]      Il reste donc à savoir si le ministre exerçait illégalement son pouvoir discrétionnaire ou refusait illégalement d"exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant d"ajouter un brevet au registre ou en supprimant un brevet du registre. Il serait possible de soutenir qu"un bref de mandamus , une injonction ou même un jugement déclaratoire pourraient être accordés en pareil cas. Dans l"arrêt Baker c. Canada (MCI) , (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, paragraphe 53, le juge L"Heureux-Dubé fait remarquer que traditionnellement, les décisions discrétionnaires peuvent uniquement être examinées pour des motifs restreints, comme la mauvaise foi du décideur, l"exercice du pouvoir discrétionnaire à des fins illicites ou l"utilisation de considérations non pertinentes. Une doctrine générale concernant la décision déraisonnable avait également parfois été appliquée aux décisions discrétionnaires. Le juge ajoute que les décisions discrétionnaires doivent être rendues dans les limites de la compétence conférée par la loi, mais qu"en examinant l"exercice de ce pouvoir discrétionnaire et l"étendue de la compétence des décideurs, les tribunaux feront preuve d"énormément de retenue.

[14]      Nous ne sommes pas convaincus qu"il existe en l"espèce des motifs permettant à la Cour d"intervenir dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre. Nous arrivons à cette conclusion pour deux motifs. Le premier est fondé sur la preuve et le second sur le texte du Règlement.

     1.      La preuve

[15]      En premier lieu, en ce qui concerne les brevets de procédé ou les autres brevets non pertinents non admissibles à l"inscription au registre qu"il était facile d"identifier, certains éléments de preuve montraient que le ministre avait envoyé des lettres aux propriétaires de brevets et avait pris des mesures en vue de supprimer pareils brevets et qu"il continue à le faire. Toutefois, il semblerait être nécessaire d"analyser plus à fond la question de l"admissibilité des brevets pour un intermédiaire, à l"égard desquels les motifs de radiation ne sont peut-être pas aussi évidents que dans le cas des brevets de procédé ou des brevets non pertinents. Le ministre affirme que pour déterminer si un brevet pour un intermédiaire est admissible à l"inscription au registre, il faut examiner le brevet pour déterminer si l"on revendique uniquement un intermédiaire. Il affirme ensuite qu"il faut déterminer si l"intermédiaire a une valeur thérapeutique, et, dans l"affirmative, la pertinence possible de pareille valeur.

[16]      Le ministre cite la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 126, dans lequel le juge Hugessen (tel était alors son titre) a dit ceci, à la page 128 :

Étant donné qu'il n'y a aucun doute que les substances intermédiaires en cause ne sont pas destinées à servir et ne peuvent servir au diagnostic, au traitement, etc., il s'ensuit qu'il ne s'agit pas de médicaments et que l'appel doit être rejeté avec dépens.

Le ministre affirme que, compte tenu des remarques du juge Hugessen, il faut inférer que si un intermédiaire peut servir au diagnostic ou au traitement, il peut s"agir d"un médicament au sens de l"alinéa 4(2)b ) du Règlement et que le brevet peut être inscrit au registre.

[17]      Les appelantes affirment qu"il importe peu qu"un intermédiaire ait une valeur thérapeutique. En tant qu"intermédiaire, il n"est pas conforme aux exigences de l"alinéa 4(1)b ). Elles se fondent sur la décision Hoffmann-La Roche c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 79 C.P.R. (3d) 486, paragraphe 3, juge en chef adjoint Jerome, confirmé (1999) 86 C.P.R. (3d) 187, paragraphe 12, juge Strayer. Dans ses motifs, le juge Strayer dit notamment ceci :

À notre avis, le juge saisi de la requête en a décidé ainsi à bon droit et il n"a commis aucune erreur compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi.

La conclusion tirée par le juge des requêtes dont le juge Strayer fait mention était la suivante : les revendications figurant dans certains brevets en cause se rapportaient à des intermédiaires ou à des procédés plutôt qu"au médicament en soi. Cette conclusion était apparemment fondée sur la preuve dont disposait le juge des requêtes. Le juge de requêtes et le juge Strayer n"ont pas décidé qu"en droit un intermédiaire n"est pas conforme aux exigences de l"alinéa 4(2)b ).

[18]      Aux fins de cet appel, il suffit qu"il n"existe aucune conclusion définitive selon laquelle les intermédiaires ne peuvent jamais être conformes aux exigences de l"alinéa 4(2)b ). Il est certes possible de soutenir qu"un intermédiaire qui a une valeur thérapeutique pourrait être un médicament. Par conséquent, on ne saurait blâmer le ministre lorsqu"il estime que le fait qu"il est tenu compte de la valeur thérapeutique d"un intermédiaire est une considération pertinente lorsqu"il s"agit de savoir si un brevet est conforme aux exigences de l"alinéa 4(2)b ) et lorsqu"il ne supprime pas sommairement du registre les brevets concernant des intermédiaires en vertu du paragraphe 3(1).

[19]      À cet égard, le juge des requêtes a inféré, en se fondant sur la preuve dont il disposait, que les questions de coût et de difficulté ne pouvaient pas être des considérations importantes lorsqu"il s"agit de déterminer si un brevet est admissible à l"inscription au registre et que le ministre ne tenait donc pas le registre conformément au Règlement. Toutefois, il nous semble que tant qu"il ne sera pas décidé que la valeur thérapeutique des intermédiaires n"a rien à voir avec l"admissibilité d"un brevet pour un intermédiaire à l"inscription au registre, l"appréciation de la question de savoir si un brevet pour un intermédiaire est admissible est une tâche plus importante que dans le cas d"un brevet de procédé ou d"un brevet non pertinent.

[20]      Dans le dossier A-474-98, le juge des requêtes a refusé de déterminer si le brevet 063 était admissible à l"inscription au registre parce que la question n"avait pas été pleinement débattue. Or, la question n"a pas du tout été débattue devant cette cour, et nous refusons nous aussi de déterminer si ce brevet est admissible.

[21]      Compte tenu de la preuve présentée dans les deux appels, nous ne sommes pas convaincus que le ministre ait illégalement refusé d"exercer le pouvoir discrétionnaire qu"il possède de supprimer du registre des brevets pour un intermédiaire ou d"autres brevets.

     2.      Le texte du Règlement

[22]      En second lieu, nous refusons en l"espèce d"intervenir dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre à cause du texte du Règlement lui-même. En effet, le Règlement prévoit expressément une procédure permettant aux fabricants de médicaments génériques d"obtenir une réparation si l"inscription au registre de brevets non admissibles leur cause un préjudice. Le paragraphe 6(1) et l"alinéa 6(5)a ) sont en partie ainsi libellés :

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

     ...

[...]

(5) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application

(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

(a) if the court is satisfied that the patents at issue are not eligible for inclusion on the register ...

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l'inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d'avis de conformité [...]

[23]      De toute évidence, en édictant l"alinéa 6(5)a ) du Règlement, le gouverneur en conseil savait qu"il était possible que des brevets non admissibles soient inscrits au registre et ne puissent pas facilement en être supprimés en vertu du paragraphe 3(1) et qu"il a tenu compte de cette possibilité. L"alinéa 6(5)a ) permet aux fabricants de médicaments génériques, dans le cas où une demande est présentée par le propriétaire d"un brevet à l"égard d"un avis d"allégation qui lui est signifié par un fabricant de médicaments génériques, de demander à la Cour de rejeter la demande parce qu"elle est fondée sur un brevet non admissible à l"inscription au registre.

[24]      Cette forme de réparation n"est peut-être pas une solution parfaite pour les fabricants de médicaments génériques parce que, comme l"avocat des appelantes l"a signalé, la demande sera uniquement rejetée si tous les brevets en cause ne sont pas admissibles à l"inscription au registre, et parce que la procédure ne prévoit pas la délivrance d"une ordonnance judiciaire enjoignant au ministre de radier du registre les brevets non admissibles. Toutefois, le recours prévu à l"alinéa 6(5)a ) vise directement le problème auquel fait face le fabricant de médicaments génériques, qui doit comparer son produit au médicament du propriétaire du brevet dont le brevet n"est pas admissible. Un tribunal peut statuer sur l"admissibilité du brevet ou des brevets en cause après avoir entendu le propriétaire du brevet ou des brevets et le fabricant de médicaments génériques qui fait concurrence à celui-ci.

[25]      L"alinéa 6(10)b ) du Règlement prévoit ce qui suit :

6(10) In addition to any other matter that the court may take into account in making an order as to costs, it may consider the following factors:

     ...

(b) the inclusion on the certified patent list of a patent that should not have been included under section 4 ...

6(10) Lorsque le tribunal rend une ordonnance relative aux dépens, il peut tenir compte notamment des facteurs suivants :

[...]

b) l'inscription, sur la liste de brevets qui fait l'objet d'une attestation, de tout brevet qui n'aurait pas dû y être inclus aux termes de l'article 4 [...]

Il est ici aussi évident que, selon le règlement, les brevets non admissibles peuvent être inscrits au registre et qu"une réparation sous la forme de dépens peut être accordée si des procédures inutiles fondées sur un brevet non admissible ont été engagées.

[26]      L"article 8 du Règlement se lit comme suit :

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l'objet d'un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l'ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d'un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l'absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d'après la preuve qu'une autre date est plus appropriée;

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance.

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

(2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

(4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

(5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

[27]      L"alinéa 8(1)a ) prévoit expressément que le propriétaire d"un brevet dont la demande est rejetée est responsable de la perte qu"un fabricant de médicaments génériques a subie parce qu"on a tardé à lui délivrer un avis de conformité à cause de la demande. En vertu du paragraphe 8(4), la Cour a compétence pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l"égard de la perte. L"article 8 du Règlement montre clairement que le gouverneur en conseil a reconnu que les fabricants de médicaments génériques pourraient faire l"objet de demandes injustifiées, y compris des demandes fondées sur des brevets non admissibles inscrits au registre, et qu"en pareil cas, il a prévu une réparation sous la forme du recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l"égard de la perte.

[28]      En somme, le Règlement renferme des dispositions exhaustives qui se rapportent expressément aux brevets non admissibles inscrits au registre ainsi qu"aux frais, pertes et dommages subis par les fabricants de médicaments génériques par suite de l"inscription de pareils brevets au registre. Compte tenu du texte du Règlement et du fait qu"il y est reconnu que des brevets non admissibles peuvent être inscrits au registre, le ministre ne refuse pas illégalement d"exercer son pouvoir discrétionnaire en ne supprimant pas pareils brevets du registre en vertu du paragraphe 3(1).

CONCLUSION

[29]      Des brevets non admissibles peuvent être inscrits au registre, mais le ministre n"est pas tenu de supprimer pareils brevets et il ne refuse pas illégalement d"exercer son pouvoir discrétionnaire en ne supprimant pas pareils brevets du registre aux termes du paragraphe 3(1); par conséquent, rien ne permet d"accorder un bref de mandamus ou une injonction. Rien ne permet non plus d"accorder un jugement déclarant inconstitutionnelle la décision du ministre d"inscrire au registre le brevet 063 ou d"autres brevets censément non admissibles.

[30]      En tirant cette conclusion, nous n"oublions pas de tenir compte des arrêts antérieurs qui pourraient être interprétés comme imposant au ministre l"obligation de supprimer du registre les brevets non admissibles aux termes du paragraphe 3(1) du Règlement tel qu"il se lisait avant que les modifications apportées au Règlement entrent en vigueur le 12 mars 1998. Voir par exemple Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) , [1977] 3 C.F. 752, à la page 779, juge Nadon; Novopharm Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 78 C.P.R. (3d) 54, aux paragraphes 19 et 20, juge Hugessen. Toutefois, le 12 mars 1998, le Règlement a précisé la nature discrétionnaire du pouvoir conféré au ministre aux termes du paragraphe 3(1). À notre avis, le Règlement du 12 mars 1998 a pour effet d"annuler ces décisions antérieures.

[31]      Les appels interjetés dans les dossiers A-473-98 et A-474-98 sont rejetés avec dépens.

                                 Marshall Rothstein
                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR D"APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DES DOSSIERS :              A-473-98 et A-474-98

APPELS DES ORDONNANCES DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA, RENDUeS LE 29 JUILLET 1998, DOSSIERS T-2070-97 ET T-20-98.

INTITULÉ DE LA CAUSE :          APOTEX INC. ET AUTRE et LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL ET AUTRE
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 16 décembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROTHSTEIN (JUGES STONE, LINDEN, ROTHSTEIN) EN DATE DU 10 JANVIER 2000.

Y A SOUSCRIT :                  LE JUGE ROTHSTEIN, J.C.A.

ONT COMPARU :

Edward Hore                                   pour les appelantes

Roger Bauman

F.B. Woyiwada                              pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hazzard & Hore                              pour les appelantes

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                              pour les intimés

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Le Règlement a initialement été édicté le 12 mars 1993 par le C.P. 1993-502, DORS/93-133. Il a été modifié le 12 mars 1998 par le C.P. 1998-366, DORS/98-166. Les demandes de contrôle judiciaire ont été présentées avant le 12 mars 1998, mais le juge des requêtes a tenu compte des modifications apportées au Règlement qui ont été édictées le 12 mars 1998. Il a été convenu que les appels seraient débattus sur la base du Règlement tel qu"il a été modifié le 12 mars 1998.

2      Aux termes de l"alinéa 7(1)e ) du Règlement, jusqu"à 24 mois.

3      L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. Le paragraphe 18.1(1) prévoit ce qui suit :          18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.
     18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

4      Conf. [1994] 3 R.C.S. 1100.

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