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Date : 20030619

Dossier : A-105-03

Toronto (Ontario), le 19 juin 2003

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN        

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :                                                                         

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

Dossier : A-142-03

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelants

(défendeurs)

et

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)


et

APOTEX INC.

intimée

(défenderesse)

                                                                 JUGEMENT

Les appels sont accueillis, la décision du juge saisi des demandes est infirmée et les décisions du ministre de supprimer de la liste des brevets le brevet canadien n ° 2 166 296 appartenant à Ferring et de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le Apo-Desmopressin sont rétablies, les dépens étant adjugés en faveur des appelants dans les deux instances.          

            « Marshall Rothstein »

                                                                                                                                                    Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20030619

Dossier : A-105-03

Référence neutre : 2003 CAF 274

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN        

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :                                                                         

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

Dossier : A-142-03

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelants

(défendeurs)

et


FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

APOTEX INC.

intimée

(défenderesse)

                                   Appel entendu à Toronto (Ontario) le 16 juin 2003.

                                   Jugement rendu à Toronto (Ontario) le 19 juin 2003.

      

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                              LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE SEXTON


Date : 20030619

Dossier : A-105-03

Référence neutre : 2003 CAF 274

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN        

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :                                                                         

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

Dossier : A-142-03

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelants

(défendeurs)

et

FERRING INC.

intimée


(demanderesse)

et

APOTEX INC.

intimée

(défenderesse)

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LA COUR

[1]         Il s'agit de deux appels interjetés par le Procureur général du Canada, le ministre de la Santé et Apotex Inc. (les appelants) à l'encontre d'une ordonnance prononcée par le juge saisi des demandes, accueillant deux demandes de contrôle judiciaire présentées par l'intimée Ferring Inc. Dans son ordonnance, le juge enjoint au ministre de réinscrire le brevet canadien n ° 2 166 296, appartenant à Ferring, (le brevet 296) au registre des brevets et de révoquer l'avis de conformité (AC) délivré à Apotex pour son médicament générique Apo-Desmopressin.

[2]         Les appels ont été réunis par ordonnance de la Cour. Ces motifs statuent sur les deux appels. L'original du jugement sera consigné au dossier A-105-03 tandis qu'une copie sera versée au dossier A-142-03.


[3]         Au soutien de leur appel, les appelants prétendent que la Cour, dans la décision Bristol Myers Squibb Canada Inc. c. Le Procureur général du Canada, le ministre de la Santé et Apotex Inc. (2002), 16 C.P.R. (4th) 425 (BMS), a déjà tranché la question en litige et que le juge saisi des demandes a commis une erreur en concluant que l'on pouvait établir une distinction avec cette décision, vu les faits particuliers en l'espèce.

[4]         Dans BMS, la Cour a confirmé la décision de la Section de première instance (Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2001), 10 C.P.R. (4th) 318) dans laquelle il a été statué que l'utilisation stratégique d'un élément du nom commercial visé à l'article C.08.003 duRèglement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870 pour contourner le délai prescrit à l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, tel que modifié, était contraire à l'objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et que par conséquent, on ne pouvait s'en servir pour inscrire un brevet au registre des brevets.

[5]         La stratégie utilisée dans BMS est décrite dans la décision de la Section de première instance. Cette stratégie a été imaginée par Bristol-Myers Squibb pour remédier à son défaut; en 1993, par inadvertance, la compagnie avait omis d'inscrire au registre des brevets un brevet important (relatif à un médicament commercialisé sous le nom de Serzone) dans le délai de 30 jours prescrit au paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133).


[6]         Après plusieurs tentatives infructueuses pour corriger son erreur, Bristol-Myers Squibb s'est rabattue sur une solution très simple : modifier le nom commercial Serzone pour Serzone-5HT2. Pour effectuer cette modification, une première personne est tenue de déposer un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN) en vertu du paragraphe C.08.003(2) du Règlement sur les aliments et drogues. Vu qu'un SPDN constitue une demande d'avis de conformité au sens de l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Apotex Inc. c. Canada (ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F.P.I.), confirmée par (2001),11 C.P.R. (4th) 538 (C.A.F.)), Bristol-Myers Squibb prétend que cela lui aurait donné le droit d'inscrire le brevet qu'elle avait omis d'inscrire dans la liste.

[7]         La Section de première instance a statué qu'aucun droit de cette nature n'avait été acquis dans les circonstances, l'élément décisif étant que la modification du nom commercial visait à contourner le délai prescrit au paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Ces motifs sont exposés au paragraphe 19 de la décision :

(...) en permettant à BMS d'utiliser l'article C.08.003 du Règlement sur les aliments et droguesen l'espèce, on permettrait à des compagnies innovatrices de passer outre au délai prescrit à l'article 4 du Règlement en modifiant les marques nominatives afin de pouvoir inscrire au registre des brevets des brevets qui ne s'y trouvaient pas auparavant et pour lesquels les délais n'ont pas étérespectés.

[8] Cette décision a été confirmée par cette Cour dans une décision prononcée à l'audience, appuyée d'un énoncé succinct des motifs.


[9]         Le juge saisi des demandes est parvenu à une toute autre conclusion. Elle a estimé qu'il fallait retenir le sens littéral des mots pour interpréter l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Ce faisant, elle a conclu que l'AC délivré à Ferring pour la marque de commerce MINRIN tombait sous le coup de l'article 4 et permettait donc à Ferring d'inscrire son brevet 296 au registre des brevets. En tirant cette conclusion, elle s'est plus particulièrement appuyée sur la large portée des mots (en anglais) « in respect of a drug » par opposition à « for a drug » (paragraphes 19 et 20 des motifs), mais il semble qu'elle ait oublié de consulter la version française de la loi, dans laquelle le législateur a utilisé « pour une drogue » .

[10]       Le juge saisi des demandes a établi une distinction avec BMS au motif que dans ce cas, le SPDN constituait une tentative de modifier une liste de brevets, contrairement au cas en l'espèce. Toutefois, à la lecture de la décision dans BMS, je constate que le SPDN ne comporte aucune tentative de modifier une liste de brevets existante. Bien qu'il y ait déjà eu une liste de brevets concernant le Serzone, elle a cessé d'exister avant la période pertinente, puisque l'unique brevet figurant sur la liste a été supprimé (voir Bristol-Myers Squibb Canada Inc., supra, paragraphes 8 et 9). Il n'y avait donc aucune raison d'établir la distinction faite par le juge saisi des demandes et, il est important de le souligner, elle n'a fourni aucun autre motif pour justifier sa décision d'écarter BMS.

[11]       Dans la présente instance, Feering a laissé écouler le délai fixé au paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour inscrire le brevet 296 en déposant le SPDN relatif à la préparation du Desmopressin Acétate (7 janvier 1994) avant d'avoir présenté sa demande de brevet pour ce médicament (22 juin 1994).            


[12]       Après la délivrance du brevet 296, le 23 juin 1998, et sur réception d'une demande de Ferring visant à le faire inscrire au registre des brevets, le ministre a informé cette dernière qu'il ne pouvait donner suite à sa demande parce qu'elle n'avait pas respecté le délai prescrit au paragraphe 4(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[13]       Le lendemain de ce refus, Ferring a déposé un SPDN en vue d'obtenir un avis de conformité pour le Desmopressin Acétate sous le nom commercial de MINIRIN. La preuve présentée par Ferring elle-même indique que sa demande d'inscription du brevet 296 au registre des brevets, conjuguée à la modification du nom commercial, visait à protéger ses droits en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (déclaration assermentée de W. Richard Jeysman, cahier d'appel, volume I, onglet 6, paragraphe 7). Aucune autre justification n'a été donnée concernant la modification du nom commercial.

[14]       L'avocat de l'intimée a fait valoir que contrairement à BMS, MINIRIN était un nom commercial sous lequel le Desmopressin Acétate était déjà commercialisé dans d'autres pays. C'est un fait mais au Canada, il était commercialisé sous le nom de DDAVP et le dossier révèle que Ferring a continué à utiliser ce nom au Canada pendant près de deux ans après avoir obtenu l'avis de conformité. Elle n'a commencé à utiliser le nom de MINIRIN qu'après que le ministre lui eut posé des questions sur l'utilisation de ce nom au Canada.


[15]       Compte tenu de ces faits, il est évident que la seule conclusion raisonnable veut que, tout comme dans BMS, la modification du nom commercial faisait partie d'une stratégie conçue pour contourner le délai relatif au dépôt de la liste de brevets prescrit à l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Comme le faisait remarquer le juge dans BMS, cette stratégie, si elle était sanctionnée par la Cour, viderait de tout sens le délai prescrit à l'article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[16]       À notre avis, ce raisonnement est appuyé par Rizzo and Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 R.C.S. 27, dans lequel la Cour suprême a statué que lorsque l'utilisation du sens littéral des mots utilisés dans une loi est contraire à l'objet du texte législatif, la Cour doit accorder la plus grande importance à l'objet de la disposition et au contexte dans lequel les mots ont été promulgués :

(...) le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D'après Côté, op. cit., on qualifiera d'absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d'autres dispositions ou avec l'objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu'on peut qualifier d'absurdes les interprétations qui vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (juge Iacoubucci, dans un jugement unanime de la Cour, au paragraphe 88).

[17]       En l'espèce, l'interprétation littérale qu'a donnée le juge saisi des demandes de l'article 4 rendrait inutile le délai prescrit dans cette disposition.


[18]       Nous n'avons relevé aucun élément susceptible de justifier une quelconque distinction entre la présente instance et BMS. Par conséquent, le juge saisi des demandes était tenu d'appliquer les principes énoncés dans cette décision et elle a commis une erreur en omettant de le faire.

[19]       En outre, sauf circonstances exceptionnelles, rappelons que la Cour se doit d'appliquer les principes énoncés dans ses propres décisions (voir Miller c. Procureur général du Canada, 2002 CAF 370, paragraphes 8 à 10). En l'espèce, aucune circonstance exceptionnelle n'a été portée à l'attention de la Cour.

[20]       L'appel est par conséquent accueilli, la décision du juge saisi des demandes est infirmée et les décisions du ministre de supprimer le brevet 2 166 296 du registre des brevets et de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le médicament Apo-Desmopressin sont rétablies, les dépens étant adjugés aux appelants dans les deux instances.

« Marshall Rothstein »

                                                                                                                                                    Juge                             

       « Marc Noël »                

                                                                                                                                                    Juge                             

     « J. E. Sexton »

                                                                                                                                                    Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                 COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                    A-105-03

INTITULÉ :                                  APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

                                     

                          et                  

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

ET ENTRE :

DOSSIER :                                    A-142-03

INTITULÉ :                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelants

(défendeurs)

et

FERRING INC.

intimée

(demanderesse)

et

APOTEX INC.

intimée

(défenderesse)


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :        16 JUIN 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL           

LE JUGE SEXTON

DATE :                                           19 JUIN 2003

COMPARUTIONS :                   H.B. Radomski

N. DeLuca

pour l'appelante,

Apotex Inc.

Rick Woyiwada

pour les appelants,

P.G.C. et le ministre de la Santé

Patrick Kierans

Darren Noseworthy

pour l'intimée,

Ferring Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)       

pour l'appelante,

Apotex Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour les appelants,

P.G.C. et le ministre de la Santé

OGILVY RENAULT

Avocats

Montréal (Québec)

pour l'intimée,

Ferring Inc.

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