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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Pierre Fabre Médicament c. Smithkline Beecham Corp. (C.A.) [2001] 2 C.F. 636




Date : 20010213


Dossier : A-276-00


Référence: 2001 CAF 13






CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

     Appelante

     - et -


     PIERRE FABRE MÉDICAMENT

     Intimée



Audience tenue à Ottawa, Ontario, le mercredi 17 janvier 2001.

Motifs du jugement rendus à Ottawa, Ontario, le mardi 13 février 2001.



MOTIFS DU JUGEMENT:      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DESJARDINS

     LE JUGE NOËL





Date : 20010213

Dossier : A-276-00


Référence: 2001 CAF 13


CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

     Appelante

     - et -


     PIERRE FABRE MÉDICAMENT

     Intimée


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DÉCARY


[1]      Dans quelle mesure doit-on tenir compte de l'opinion du consommateur bilingue moyen ("the average bilingual consumer") pour déterminer s'il y a vraisemblance de confusion entre deux marques de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13) (la "Loi")? Telle est la question que la Cour doit trancher dans cet appel d'une décision du juge Pinard qui est disponible dans Quick Law sous le numéro [2000] F.C.J. no 391.

[2]      Le 9 décembre 1993, l'intimée, Pierre Fabre Médicament, a demandé l'enregistrement, sur la base de l'usage projeté au Canada, de la marque de commerce IXEL en liaison avec des antidépresseurs. Le 22 novembre 1994, l'appelante, Smithkline Beecham Corporation, produisait une déclaration d'opposition dans laquelle elle invoquait le risque de confusion avec sa marque PAXIL, dûment déposée.

[3]      Le 11 septembre 1998, le registraire des marques de commerce (le "registraire") en arrivait à la conclusion que l'intimée ne s'était pas déchargée de son fardeau de démontrer qu'il n'y avait pas vraisemblance raisonnable de confusion et il refusait en conséquence l'enregistrement de la marque IXEL. Il se disait d'avis, sur la foi d'observations faites par le registraire, dans Les Vins La Salle Inc. c. Les Vignobles Chantecler Ltée ((1985), 6 C.P.R. (3d) 533), qu'eu égard au caractère bilingue du Canada, c'était le consommateur bilingue moyen, anglophone ou francophone, qui devait servir d'étalon pour déterminer s'il y avait ou non vraisemblance raisonnable de confusion. Il déplorait dans ses motifs l'absence de preuve relative à la perception du consommateur bilingue moyen.

[4]      Pour combler cette lacune, chacune des parties a déposé, en appel devant le juge Pinard, une preuve additionnelle consistant essentiellement en deux affidavits souscrits par des personnes se disant expertes en bilinguisme.


[5]      Le juge Pinard, en décrivant l'approche qu'il entendait adopter, s'est exprimé comme suit:

Ainsi, étant d'accord avec le registraire lui-même que "compte tenu du caractère bilingue du Canada, c'est l'opinion du consommateur bilingue moyen, anglophone ou francophone, dont il faut tenir compte pour évaluer la question de la confusion", et que de plus, "il faut accorder une importance égale à l'anglais et au français dans l'évaluation de cette question", je suis d'avis que cet élément de preuve additionnel crucial, s'il lui avait été présenté, ne lui aurait pas permis, en appliquant le test du consommateur bilingue moyen, de souligner comme il l'a fait la faille dans la preuve d'experts reliée à l'aspect phonétique des marques et qu'il n'aurait pu se déclarer "dans le doute au sujet de la confusion" (para. 8).

Et c'est après avoir tenu ces propos qu'il s'est employé à examiner la nouvelle preuve et qu'il a accueilli l'appel de l'intimée.

[6]      Je crois qu'il y a eu méprise de la part du registraire, reprise à son compte par le juge, quant au test applicable. Cette méprise est telle qu'elle exige que l'exercice soit repris en entier, de novo, en première instance. Je m'explique.

[7]      Le juge Joyal, dans Boy Scouts of Canada c. Alfred Sternjakob GmbH & Co. Kg. et al. ((1984), 2 C.P.R. (3d) 407), avait émis l'opinion que voici, à la page 413:

[...] It could be argued that the criteria in the Trade Marks Act and the evidential findings thereunder as to confusion or deception should be measured not only with reference to English-speaking experience but to French-speaking experience as well. This would result in an inquiry as to the connotation or otherwise of certain words in a bilingual context, with each language having equal presence.
It is a fact that the policy of the Trade Marks Office and the practice of counsel and of agents before it are to check into and analyze the descriptive, misdescriptive, misleading, distinguishing and confusing consequences which flow from a French or English adaptation of any particular word or the use of it as a registered trade mark.

[8]      Le juge Strayer, alors juge de première instance, s'était dit d'avis dans Scott Paper Co. c. Beghin-Say S.A. ((1985), 5 C.P.R. (3d) 225), à la page 231, que:

I have no doubt that the Registrar of Trade Marks and the court should be alert to the possibility of confusion between trade marks in either or both of Canada's official languages. This is not only required by the constitutional and legal status of both languages at the federal level, but is also a reflection of the fact that there are several million bilingual Canadians who may associate words in one official language with their equivalent in the other. In the present case, however, I can see no possibility of such confusion between these two trade marks in the minds of unilingual anglophones, and for those who know French or both languages I can see no real probability of such confusion.

    

[9]      C'est en s'appuyant sur ces deux décisions que le registraire, dans Les Vins La Salle Inc. c. Les Vignobles Chantecler Ltée ((1985), 6 C.P.R. (3d) 533), a conclu aux pages 535 et 536 qu'il fallait choisir, pour décider de la question de confusion, l'une ou l'autre des méthodes suivantes:

i) assess the question of confusion in the context of unilingual francophones, unilingual anglophones and bilingual persons and then if two trade marks are confusing to the average member of any of these groups conclude that the trade marks are confusing, or
ii) assess the question of confusion in the context of bilingual persons only.

Il a choisi la deuxième méthode, celle du seul consommateur bilingue moyen.

[10]      Avec égard, je crois que le registraire, dans Les Vins La Salle Inc., a fait une mauvaise lecture des propos des juges Joyal et Strayer. Ces derniers, en effet, ne faisaient que constater, dans le contexte linguistique canadien, qu'il fallait tenir compte tout autant de la perception du consommateur francophone que de celle du consommateur anglophone, et que dès lors qu'il y avait vraisemblance raisonnable de confusion chez l'un ou chez l'autre, la marque ne pouvait être enregistrée. Les deux juges ajoutaient, pour bien s'assurer de couvrir toutes les hypothèses en raison des cas particuliers qui leur étaient soumis, qu'il était possible que le consommateur francophone moyen et que le consommateur anglophone moyen ne soient ni l'un ni l'autre confus, mais que le consommateur bilingue moyen, lui, le soit, auquel cas ce risque de confusion suffisait à lui seul à bloquer l'enregistrement. Nulle part n'était-il question d'un test qui ne prendrait en considération que la perception du consommateur bilingue moyen et qui ferait fi de la perception du consommateur francophone moyen et de celle du consommateur anglophone moyen.

[11]      Le juge Joyal, quelques mois plus tard, dans Produits Freddy Inc. c. Ferrero S.P.A. ((1986), 20 C.P.R. (3d) 61), est venu lui-même faire une mise en garde après qu'on lui eût cité la décision du registraire dans Les Vins La Salle Inc. Il s'est dit d'avis, à la page 65, que:

It seems to me that it is not sufficient to simply apply the bilingual version test in determining the issue of confusion between one trade mark and another.

et à la page 68, que:

[...] I feel that caution must be exercised when applying the bilingual equivalence test to coined words.

[12]      Notre Cour, en confirmant la décision du juge Joyal dans Produits Freddy Inc. ((1988) 22 C.P.R. (3d) 346), n'a pas fait du test du consommateur bilingue moyen un test autonome. Bien au contraire. Le juge Marceau a rappelé que le risque de confusion était une conclusion "of concrete fact to be verified in real life, and not one to be inferred from the constitutionally established bilingual nature of the country" (à la page 350). Le juge Lacombe, de son côté, a émis le commentaire suivant, à la page 354:

[...] It is only where a mark is borrowed from everyday speech or derived from a common noun that a question arises as to the possible effect of its transposition into the other language: see Boy Scouts of Canada v. Alfred Sternjakob GmbH & Co. (1984), 2 C.P.R. (3d) 407, 4 C.I.P.R. 103; 101482 Canada Inc. v. Registrar of Trade Marks (1985), 7 C.P.R. (3d) 289, 6 C.I.P.R. 222. It is a matter which must be considered as one of the tests to be applied in deciding whether such a mark creates confusion with another mark in the mind of the public. This requirement is necessary not only to safeguard the official status of both languages but also the integrity and statutory protection of trade marks in respect of those who speak or understand English and French. However, this factor should not be taken too far, obliterating the other tests mentioned in s. 6(5) of the Act or ignoring the rules laid down by the courts.

[13]      L'approche adoptée par la Cour se comprend aisément. Le français et l'anglais ont valeur égale au Canada. La Loi sur les marques de commerce est d'application pan-canadienne. L'article 6 prescrit qu'il peut y avoir confusion résultant de l'emploi d'une marque de commerce dans une seule région du Canada. L'alinéa 12(1)b) précise qu'une marque de commerce n'est pas enregistrable si "elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises..." L'emploi d'une marque de commerce peut se faire n'importe où au Canada (voir, notamment, l'article 16) et son enregistrement, selon l'article 19, donne au propriétaire "le droit à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada...." sous réserve des exceptions mentionnées.

[14]      Il s'ensuit que dès lors qu'il y a risque de confusion dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du pays, une marque de commerce ne peut être enregistrée. Le problème particulier auquel étaient confrontés les juges Joyal et Strayer était la possibilité qu'une marque de commerce qui ne crée aucune confusion chez un francophone ou chez un anglophone, en crée une chez une personne bilingue par l'emploi de mots usuels, distincts en français et en anglais, mais renvoyant, chez une personne qui en connaîtrait le sens dans les deux langues, à une même réalité. Ainsi, dans Les Produits Freddy Inc., le mot "noixelle" pouvait ne rien dire à une personne anglophone, et le mot "nutella", ne rien dire à une personne francophone, mais il n'était pas impossible que l'emploi de l'un et l'autre de ces mots confonde une personne bilingue qui en connaîtrait le sens dans l'une et l'autre langue. C'est aux seules fins de parer à cette éventualité que le test a été étendu au consommateur bilingue moyen.

[15]      Bref, le juge de première instance et, avant lui, le registraire, ont eu tort de transformer le troisième volet du seul test applicable (y a-t-il risque de confusion auprès du consommateur francophone moyen, auprès du consommateur anglophone moyen, ou, dans certains cas particuliers, auprès du consommateur bilingue moyen?) en un volet autonome. Qui plus est, il ne s'agit même pas, en l'espèce, d'un cas particulier où la perception d'un consommateur bilingue moyen serait pertinente, au sens où l'entendait le juge Lacombe dans Produits Freddy Inc.

[16]      Le procureur de l'intimée prétend que le juge, quand bien même il aurait erré en droit en disant appliquer le seul test du consommateur bilingue moyen, n'en aurait pas moins, dans les faits, appliqué le bon test puisqu'il aurait implicitement conclu qu'il n'y avait pas risque de confusion chez un consommateur anglophone moyen. (Il est acquis, en l'espèce, qu'il n'y a pas risque de confusion en français.) Je ne crois pas que le juge ait appliqué dans les faits un test autre que celui qu'il disait appliquer en droit. D'une part, en effet, il ne renvoie dans ses motifs qu'au test du consommateur bilingue moyen. D'autre part, la seule preuve sur laquelle il s'appuie, qui n'était pas devant le registraire, est celle émanant des deux experts venus combler, selon leurs propres dires, les lacunes dénoncées par le registraire eu égard au risque de confusion chez un consommateur bilingue moyen. De toute manière, l'erreur de principe du juge était telle qu'elle ne pouvait que rendre sa démarche et sa conclusion suspectes et ce, d'autant plus que la preuve additionnelle qui lui avait été présentée avait dans une large mesure faussé le débat.

[17]      La procureure de l'appelante prétend, pour sa part, que cette Cour est en aussi bonne position que le juge de première instance pour examiner la preuve et en arriver à une conclusion sans qu'il soit nécessaire de renvoyer l'affaire en première instance. Je ne suis pas d'accord. Si la preuve a pu être faussée devant le juge de première instance en raison de l'erreur du registraire, notre Cour serait mal avisée de s'y fier en appel. L'intérêt de la justice exige un nouveau débat en première instance sur la base de la preuve que les parties jugeront opportun de déposer en sus de celle déjà déposée devant le registraire et qui sera fonction du test précisé dans les présents motifs.

[18]      Dans les circonstances, je ne me prononce d'aucune façon sur le bien-fondé de la demande d'enregistrement.

[19]      L'appel devrait être accueilli, la décision du juge de première instance devrait être annulée et le dossier devrait être renvoyé pour procès de novo devant un autre juge de la Section de première instance sur la base de la preuve que les parties jugeront opportun de déposer en sus de celle déjà déposée devant le registraire. J'accorderais à l'appelante ses dépens aussi bien en appel qu'en première instance.

     "Robert Décary"

     j.c.a.


"Je souscris à ces motifs

     Alice Desjardins, j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël, j.c.a."
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