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Date : 20000524


Dossier : A-576-98


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -


     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION, DE AIRTEX INDUSTRIES LTD.)

     DEX RESOURCES LTD.

     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION, DE RESMAN OIL & GAS LTD.),

     intimées.




Audience tenue à Calgary (Alberta), le jeudi 4 mai 2000.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le mercredi 24 mai 2000.


MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE ROTHSTEIN





Date : 20000524


Dossiers : A-576-98

A-575-98

A-577-98

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -


     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION, DE AIRTEX INDUSTRIES LTD.)

     DEX RESOURCES LTD.

     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION, DE RESMAN OIL & GAS LTD.),

     intimées.


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE SHARLOW



[1]          Les présents appels visent à établir si les dépenses engagées par les intimées pour le forage, en Alberta, de trente puits d'extension sont des « frais d'exploration au Canada » au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) et modifications, auquel cas elles sont entièrement déductibles une fois engagées. Sinon, il s'agit alors de frais d'aménagement au Canada qui sont portés à un compte cumulatif déductible selon la méthode de l'amortissement dégressif au taux de 30 p. 100 par an.

[2]          La Couronne a estimé que les dépenses en question ne constituent pas des frais d'exploration au Canada et a établi la cotisation des intimées en conséquence. Celles-ci ont porté l'affaire devant la Cour canadienne de l'impôt qui a tranché en leur faveur (1998), 98 D.T.C. 1999 (C.C.I.), J.C.I. No. 600 (QL). La Couronne interjette aujourd'hui appel de la décision du juge de cette Cour. Ces appels ont été joints par ordonnance du juge Stone.

Définition de « frais d'exploration au Canada »

[3]          Les extraits pertinents de la définition de « frais d'exploration au Canada » s'énoncent ainsi :


66.1 (6) In this section [...]

66.1(6) Au présent article [...]

(a) "Canadian exploration expense" of a taxpayer means any expense made or incurred after May 6, 1974 that is

a) « frais d'exploration au Canada » d'un contribuable s'entend des dépenses suivantes engagées après le 6 mai 1974:

     [...]

     [...]

(ii)          any expense incurred before April 1987 in drilling or completing an oil or gas well in Canada or in building a temporary access road to, or preparing a site in respect of, any such well,
(ii)          une dépense d'une part engagée avant avril 1987 pour le forage ou l'achèvement d'un puits de pétrole ou de gaz au Canada, la construction d'une route d'accès temporaire au puits ou la préparation d'un emplacement pour un tel puits, et d'autre part engagée par le contribuable
     (A)      incurred by him in the year, or
     (A)      soit dans l'année,
     (B)      incurred by him in any previous year and included by him in computing his Canadian development expense for a previous taxation year,
     (B)      soit dans une année antérieure si elle est incluse par le contribuable dans le calcul de ses frais d'aménagement au Canada pour une année d'imposition antérieure,
     if, within six months after the end of the year, the drilling of the well is completed and
     si, dans les six mois suivant la fin de l'année, le forage du puits est achevé et
     (C)      it is determined that the well is the first well capable of production in commercial quantities from an accumulation of petroleum or natural gas [...] not previously known to exist, or
     (C)      qu'il soit établi que le puits est le premier susceptible d'une production en quantités commerciales à partir d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel [...] jusque-là inconnu, ou
     (D)      it is reasonable to expect that the well will not come into production in commercial quantities within twelve months of its completion,
     (D)      qu'il soit raisonnable de s'attendre à ce que le puits ne produise pas de quantités commerciales dans les douze mois de son achèvement,
(ii.1)      any expense incurred by him after March 1987 and in a taxation year of the taxpayer in drilling or completing an oil or gas well in Canada or in building a temporary access road to, or preparing a site in respect of, any such well, if
(ii.1)      une dépense engagée par le contribuable après mars 1987 et dans une année d'imposition du contribuable, pour le forage ou l'achèvement d'un puits de pétrole ou de gaz au Canada, la construction d'une route d'accès temporaire au puits ou la préparation d'un emplacement pour un tel puits, à condition, selon le cas,
     (A)      the well resulted in the discovery of a natural accumulation of petroleum or natural gas and the discovery occurred at any time before six months after the end of the year,
     (A)      que le puits soit la cause de la découverte, à une date antérieure à la période de six mois suivant la fin de l'année, d'un gisement naturel de pétrole ou de gaz naturel,
     (B)      the well is abandoned in the year or within six months after the end of the year without ever having produced otherwise than for specified purposes,
     (B)      que le puits soit abandonné dans l'année ou dans les six mois suivant la fin de l'année sans avoir jamais produit de pétrole ou de gaz naturel sinon à une fin admise,
     (C)      the period of 24 months commencing on the day of completion of the drilling of the well ends in the year, the expense was incurred within that period and in the year and the well has not within that period produced otherwise than for specified purposes, or [...],
     (C)      que le terme de la période de 24 mois commençant le jour d'achèvement du forage du puits tombe dans l'année, que la dépense soit engagée durant cette période et dans l'année et que le puits n'ait pas produit de pétrole ou de gaz durant cette période sinon à une fin admise [...],
     (ii.2)      any expense deemed by subsection (9) to be a Canadian exploration expense incurred by him [...].
     (ii.2)      une dépense réputée par le paragraphe (9) être des frais d'exploration au Canada engagés par le contribuable [...].

[4]          Le paragraphe 66.1(9) mentionné au sous-alinéa 66.1(6)a)(ii.2) énumère un certain nombre de dépenses qu'on peut initialement ranger parmi les frais d'aménagement au Canada, mais qu'il est possible de reclasser, dans une année subséquente, en tant que frais d'exploration au Canada. De façon générale, cette reclassification peut survenir si le puits est la cause de la découverte d'un gisement naturel de pétrole ou de gaz naturel, s'il ne produit rien durant les 24 mois suivant l'achèvement du forage ou s'il est abandonné sans avoir rien produit.

La pertinence de la probabilité de découvrir du pétrole ou du gaz naturel

[5]          Les trente puits visés par les présents appels sont des puits d'extension ou de délimitation, ce qui veut dire qu'ils ont été forés en bordure d'un gisement connu de pétrole ou de gaz naturel qu'on veut exploiter davantage.

[6]          D'après M. Gray, qui a témoigné pour les intimées, on n'est jamais certain qu'un puits d'extension mènera à la découverte de pétrole ou de gaz, quelle qu'en soit la proximité à un gisement connu. Son témoignage sur ce point n'est pas contesté et rejoint en fait celui de M. Fairgrieve, un fonctionnaire de l'Energy Utilities Board (EUB) de l'Alberta qui a déposé pour la Couronne.

[7]          M. Gray a expliqué que l'interprétation fiscale donnée par les intimées aux frais engagés pour le forage des puits d'extension se fondait sur leur compréhension de l'objectif visé par les dispositions en question de la Loi de l'impôt sur le revenu. À leur avis, si le législateur a adopté un système d'incitatifs fiscaux plus généreux à l'égard des frais d'exploration qu'à l'égard des frais d'aménagement, c'est que l'exploration est fondamentalement plus risquée que l'aménagement. Selon elles, pour que la loi constitue un incitatif véritable, il faut que les contribuables puissent déterminer, avant d'engager les dépenses liées au forage d'un puits donné, quel sera le traitement fiscal accordé à ces dépenses.

[8]          En joignant cette compréhension de l'objectif visé par les dispositions de la loi aux connaissances pratiques du forage qu'il a acquises au fil des ans, M. Gray a élaboré une méthode particulière pour déterminer, préalablement au forage, si les frais engagés à cet égard répondraient à la définition de frais d'exploration au Canada et seraient par conséquent pleinement déductibles dans l'année où ils sont engagés.

[9]          La méthode mise au point par M. Gray consistait à évaluer, d'après son expérience, le degré de risque couru à l'égard de chaque puits. S'il jugeait hautement probable (90 % environ) qu'un puits débouche sur du pétrole ou du gaz, ce puits serait qualifié de « puits d'aménagement » . Tout autre puits serait considéré comme un « puits d'exploration » . Les dépenses engagées pour le forage d'un « puits d'exploration » , d'après la définition de M. Gray, seraient traitées comme des frais d'exploration au Canada aux fins de l'impôt sur le revenu.

[10]          Pour établir le degré de certitude, M. Gray s'inspire des renseignements compilés et publiés par l'EUB pour localiser tous les puits fructueux dans les environs. Il détermine ensuite si le puits envisagé se situe à l'intérieur d'une unité de forage d'écartement (distance minimale autorisée entre les puits) d'au moins trois puits fructueux et dans les limites du polygone qu'ils décrivent. Dans le cas contraire, il estimerait que le degré de certitude est suffisamment bas pour que le puits soit classé comme un « puits d'exploration » et que les dépenses engagées soient déduites, aux fins de l'impôt sur le revenu, comme des frais d'exploration au Canada.

[11]          La Couronne allègue que cette méthode a donné lieu à une classification erronée des dépenses de forage. Elle explique cette erreur de diverses façons, mais à mon avis, l'objection la plus importante faite à la méthode de M. Gray est qu'elle suppose que la classification des dépenses doit nécessairement se fonder sur une évaluation du risque couru au moment où la décision est prise d'entreprendre le forage. La Couronne fait valoir que cette hypothèse ne cadre pas avec la teneur de la définition, laquelle exige que la classification des dépenses de forage soit faite rétrospectivement en fonction du résultat obtenu. Je suis d'accord avec la Couronne sur ce point.

[12]          La définition de frais d'exploration au Canada soulève un certain nombre de questions. Pour les dépenses engagées avant avril 1987, les deux questions clés sont les suivantes :

     A-t-on établi, dans les six mois suivant la fin de l'année, que le puits est susceptible d'une production en quantités commerciales raisonnables à partir d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel jusque-là inconnu?
     Sinon, est-il raisonnable de s'attendre à ce que le puits ne produise pas de quantités commerciales dans les douze mois de son achèvement?

[13]          Pour les dépenses engagées après mars 1987, les deux questions clés sont les suivantes :

     Le puits a-t-il été la cause de la découverte, à une date antérieure à la période de six mois suivant la fin de l'année, d'un gisement naturel de pétrole ou de gaz naturel?
     Sinon, le puits a-t-il été abandonné dans l'année ou dans les six mois suivant la fin de l'année sans avoir jamais produit sinon à une fin admise?

[14]          Ces questions ne peuvent évidemment pas avoir eu pour objet d'obtenir des renseignements sur l'état des connaissances préalablement au forage. On ne peut y répondre qu'après avoir pris connaissance des résultats du forage. C'est pourquoi, je conclus que l'interprétation que fait la Couronne de la définition législative s'accorde avec le libellé de cette disposition, contrairement à celle des intimées.

[15]          Les intimées allèguent, par la voix de leurs représentants, que l'interprétation de la Couronne à ce sujet contrecarre l'objectif de l'économie de la loi consistant à inciter les contribuables à investir dans l'exploration et l'aménagement des ressources naturelles. Elles disent que les incitatifs sont plus avantageux pour l'exploration que pour l'aménagement afin de refléter les risques relatifs, alléguant que si le traitement fiscal des dépenses ne peut être déterminé d'avance, la mesure incitative perd de sa prévisibilité et, partant, de son efficacité.

[16]          J'admets qu'en matière fiscale, la prévisibilité est d'une importance cruciale et que les dispositions législatives en cause font partie d'un plan visant à offrir un incitatif à l'exploration et à l'aménagement de ressources naturelles. La jurisprudence établit qu'une législation fiscale dont l'objet est d'inciter à une activité particulière doit être interprétée, si possible, de façon à donner effet à cette intention : Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, Lor-West Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.F.).

[17]          Ces considérations ne peuvent cependant pas justifier la façon dont les intimées interprètent la définition de frais d'exploration au Canada. Je tire cette conclusion pour deux raisons : en premier lieu, je n'admets pas que l'aspect incitatif du régime puisse être contrecarré du seul fait que l'allégement fiscal le plus avantageux soit refusé à l'égard de dépenses qui servent, ainsi qu'il a été établi, à l'exploitation d'une ressource connue. La raison principale toutefois, c'est que le libellé des dispositions législatives ne peut raisonnablement recevoir l'interprétation proposée par les intimées.

[18]          Celles-ci soutiennent que si le législateur avait voulu exclure de la définition de frais d'exploration au Canada le coût des puits de délimitation ou d'extension, il aurait pu le faire expressément. Elles citent une modification à la Loi de l'impôt sur le revenu adoptée en 1980 et excluant de la définition de frais d'exploration au Canada toute dépense engagée pour le forage d'un puits en vue de délimiter l'étendue d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel ou d'en déterminer la qualité, si le forage a commencé après que le gisement a produit des quantités commerciales de pétrole ou de gaz. Cette modification n'a jamais été proclamée, et elle a finalement été abrogée en 1987. Les intimées allèguent que l'abrogation en 1987 de cette modification non proclamée indique l'intention du législateur de ne pas exclure de la définition de « frais d'exploration au Canada » les coûts des puits de délimitation. Elles s'appuient en cela sur l'exception d'exclusion implicite dont traite le professeur Sullivan dans la troisième édition de Driedger on the Construction of Statutes, (Toronto, Butterworths, 1984). Elle dit à la page 168 :

     [TRADUCTION]
     L'argument d'exclusion implicite surgit toutes les fois qu'il y a lieu de croire que si le législateur avait eu l'intention d'inclure une chose donnée dans le cadre de sa loi, il en aurait expressément fait mention. [...] Plus forte est la raison d'anticiper une mention expresse de la chose et plus le silence du législateur est révélateur.

[19]          À mon avis, l'exception d'exclusion implicite ne contribue pas beaucoup à l'interprétation de la définition de frais d'exploration au Canada. Je ne trouve pas que les définitions soient si ambiguës, ni que l'objet des modifications de 1981 ou de leur abrogation en 1987 soient si évidents, qu'ils justifient quelque application du principe de l'exclusion implicite à la question d'interprétation soulevée dans la présente instance. À mon avis, la classification initiale d'un puits comme puits d'extension n'a aucune incidence sur le traitement fiscal des dépenses de forage.

[20]          Je conclus que la probabilité de succès n'entre pas en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'établir si les dépenses engagées pour le forage d'un puits déterminé répondent à la définition de frais d'exploration au Canada. Avec respect, je ne partage pas la conclusion du juge de la Cour de l'impôt portant que la méthode de M. Gray a donné lieu à la classification correcte des dépenses de forage.

[21]          Cette conclusion ne tranche toutefois pas l'appel. Il est nécessaire ici d'examiner les résultats obtenus du forage des trente puits en cause.

Les puits fructueux -- le sens de l'expression « gisement » ( « accumulation » dans la version anglaise) de pétrole ou de gaz naturel

[22]          Des trente puits, vingt-huit étaient fructueux du fait qu'on y a découvert du pétrole et du gaz naturel. Deux des vingt-huit puits fructueux ont été forés avant avril 1987 et vingt-six, après mars 1987. La position de la Couronne est la suivante :

     a)      les puits antérieurs à avril 1987 ne produisent pas à partir d'un gisement ( « accumulation » dans la version anglaise)de pétrole ou de gaz naturel jusque-là inconnu; partant, les dépenses de forage de ces deux puits ne satisfont pas à la division 66.1(6)a)(ii)(C) de la définition de frais d'exploration au Canada, et
     b)      les puits postérieurs à mars 1987 n'ont pas été la cause de la découverte d'un gisement ( « accumulation » dans la version anglaise)naturel de pétrole ou de gaz naturel; partant, les dépenses de forage de ces puits ne satisfont pas à la division 66.1(6)a)(ii.1)(A) de la définition de frais d'exploration au Canada.

[23]          Il n'est pas contesté qu'un gisement ( « accumulation » ) de pétrole ou de gaz naturel et un gisement ( « accumulation » ) naturel de pétrole ou de gaz sont identiques. Il est aussi entendu qu'il ne peut y avoir plus d'une seule découverte d'un gisement ( « accumulation » ). Les parties ne s'entendent pas sur le sens du mot anglais « accumulation » .

[24]          Les parties n'ont invoqué qu'une seule décision où il est tant soit peu question du sens du mot « accumulation » . Il s'agit du jugement de la Cour de l'impôt dans l'affaire Wheeler c. La Reine, 97 D.T.C. 1156, prononcé contre la Couronne. Ce jugement, comme je l'interprète, affirme le principe voulant qu'à l'égard des puits forés après mars 1987, la définition de frais d'exploration au Canada n'exige pas implicitement que le gisement de pétrole ou de gaz soit susceptible d'une production en quantités commerciales raisonnables. Je ne trouve pas la décision Wheeler utile puisqu'elle n'aborde pas les questions soulevées dans la présente instance.

[25]          Pour des raisons qui deviendront évidentes par la suite, il est impossible d'apprécier les arguments des parties sans comprendre comment l'EUB détermine l'existence de « gisements » (pools) de pétrole ou de gaz. Pour cet organisme, le mot anglais « pool » (gisement) prend le sens énoncé à l'alinéa 1.1(q) de l'Oil and Gas Conservation Act, R.S.A. 1980, ch. O-5 :

     [TRADUCTION]
     (q) « gisement » (pool) s'entend d'un réservoir naturel souterrain contenant ou semblant contenir une accumulation de pétrole et/ou de gaz séparée ou semblant être séparée de toute autre accumulation semblable. »

Le « réservoir » mentionné dans cette définition est une zone de roches poreuses contenant du pétrole ou du gaz immobilisé.

[26]          La loi albertaine exige que l'on fournisse à l'EUB certaines données techniques à l'égard de chaque puits, y compris la date du début et d'achèvement du forage, la date du commencement de la production, l'état du puits, le champ où le forage a eu lieu, la profondeur de la zone de forage et les résultats obtenus.

[27]          Chaque puits figure sur une carte comportant des tracés de grille nord-sud et est-ouest représentant une distance d'environ un mille l'un de l'autre. La première fois qu'un gisement de pétrole ou de gaz est découvert à la suite du forage d'un puits, il se voit attribuer une désignation exclusive et le puits est enregistré en tant que « puits de découverte » pour ce gisement. La partie de la grille où le puits de découverte est indiqué (généralement un quart du carré) devient la « zone désignée » pour ce gisement. Si d'autres puits débouchent par la suite sur ce même gisement, la partie de la grille où ces puits sont marqués vient s'ajouter à la « zone désignée » pour ce gisement.

[28]          Si un puits est foré à l'intérieur ou à proximité de la zone désignée d'un gisement connu et que l'on y découvre du pétrole ou du gaz, il n'est pas présumé que le puits a débouché sur le gisement connu. L'EUB analyse les données techniques relatives à chaque puits où l'on découvre du pétrole et du gaz afin de déterminer si le gisement est déjà connu ou non.

[29]          D'après M. Fairgrieve, l'analyse dépend essentiellement, mais non exclusivement, des données sur la pression. Il a expliqué qu'en plus du régime de pression, une détermination portant sur un gisement doit aussi se conformer à des principes géologiques. Ainsi, du gaz ne serait pas considéré comme faisant partie du même gisement que du pétrole situé à un niveau supérieur, parce qu'il est matériellement impossible que, dans un gisement, le gaz s'accumule au-dessous du pétrole. En outre, du gaz ou du pétrole ayant des propriétés chimiques spécifiques ne serait pas considéré comme faisant partie d'un gisement dont le gaz ou le pétrole a des propriétés chimiques connues différentes (Dossier d'appel, volume II, pages 491(14) et 492(21)). M. Fairgrieve a aussi expliqué que la décision de l'EUB quant à l'existence d'un gisement est susceptible de révision. Une décision erronée sera rectifiée si nécessaire afin de refléter de nouvelles données techniques (Dossier d'appel, volume II, page 494(6 - 16)).

[30]          L'EUB tient à jour un registre public de l'emplacement et de l'étendue de tous les gisements de pétrole ou de gaz qu'elle a recensés. L'une des pièces présentées à l'audience (pièce R-1) montre la zone désignée concernant un gisement découvert en 1984 qui couvrait à l'origine deux carrés de la grille. Au 1er mai 1991, elle s'était étendue sur onze carrés. Une autre pièce (pièce R-2) montre la zone désignée concernant un gisement découvert en 1964 qui couvrait à l'origine une zone au contour irrégulier d'environ 29 milles entre ses extrémités nord et sud. Au 1er mars 1990, cette zone désignée s'était étendue sur à peu près 37 milles du nord au sud.

[31]          La Couronne allègue qu'une « accumulation » de pétrole ou de gaz constitue un gisement défini en fonction de certaines caractéristiques précises comme le régime de pression, ce qui correspond à la définition de « gisement » ( « pool » ) de pétrole ou de gaz énoncée dans l'Oil and Gas Conservation Act de l'Alberta. Il est entendu que le pétrole ou le gaz découvert dans chacun des vingt-huit puits fructueux des intimées faisait partie d'un « gisement » ( « pool » ) déjà connu au sens que l'EUB donne à ce terme.

[32]          Les intimées prétendent que le mot « gisement » (pool) a un sens bien connu dans l'industrie du pétrole et du gaz (le même sens que lui donne la loi albertaine), contrairement au mot anglais « accumulation » , et qu'en employant le mot « accumulation » , le législateur n'aurait pas voulu parler de « gisement » , mais plutôt de quelque chose de moindre importance. À leur avis, le mot « accumulation » devrait être pris dans son acception normale de sorte que, dans le contexte de la définition de frais d'exploration au Canada, il désignerait toute masse ou tout volume de pétrole ou de gaz renfermé dans une roche encaissante découvert à la suite du forage d'un puits. Elles prétendent qu'un gisement de pétrole ou de gaz dans un régime de pression commun peut contenir plus d'une accumulation (Gray, transcription, Dossier d'appel, vol. II, p. 293 et 294). Tel est le sens qu'a agréé le juge de la Cour de l'impôt.

[33]          Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (édition 1993), le mot « accumulation » est défini comme [TRADUCTION] « une masse accumulée, une quantité formée d'additions successives » . C'est un terme descriptif qui est aussi très général. Son sens dépend par conséquent du contexte où il se situe.

[34]          La Couronne soutient que le législateur a voulu que le terme « accumulation » soit compris dans le sens qui lui serait donné dans l'industrie. À mon avis, c'est la façon appropriée d'interpréter un mot de portée aussi générale que le terme « accumulation » , lorsqu'il est employé dans le contexte de dispositions législatives très détaillées destinées à servir à un secteur industriel particulier.

[35]          Dans le jargon de l'industrie, un « gisement » ( « pool » ) de pétrole ou de gaz est en général défini en relation avec une accumulation de pétrole ou de gaz. Les deux termes expriment des sens similaires en ce que l'un ou l'autre peut servir à décrire une quantité de pétrole ou de gaz définie en fonction de ses caractéristiques géologiques, y compris le régime de pression. Ainsi, le Glossary of Geology and Related Sciences, 2e éd. (American Geological Institute) définit le mot « pool » (dans le contexte pétrolier) en ces termes :

     [TRADUCTION]
     Terme figuratif désignant une accumulation souterraine de pétrole ou de gaz dans un réservoir naturel unique et distinct (généralement formé de grès ou de calcaire poreux) se caractérisant par un système de pression naturelle unique et délimité par des barrières géologiques telles que les conditions de structure, les strates imperméables, les changements de porosité ou les formations aqueuses.

Le même ouvrage définit le mot « accumulation » ainsi :

     [TRADUCTION]
     La concentration ou l'amoncellement de pétrole ou de gaz dans une forme de piège.

Une définition semblable du mot « pool » figure dans le Dictionary of Geological Terms, 3e éd. (Anchor Books, Doubleday), le Dictionary of Geology and Mineralogy (McGraw Hill) et le Manual of Oil and Gas Terms - Tenth Edition (Mathew Bender, 1997). Le mot « accumulation » est défini de façon similaire dans A Dictionary of Mining, Mineral and Related Terms (U.S. Department of Interior, 1968).

[36]          La version française de la définition de « frais d'exploration au Canada » emploie le mot « gisement » pour rendre le mot anglais « accumulation » . Dans l'ouvrage intitulé Les termes pétroliers, dictionnaire anglais-français (Total édition-presse), le mot anglais « accumulation » prend le même sens que « pool » , lequel est ainsi défini en français :

     Pool : 1/ gisement m. (accumulation commerciale d'huile ou de gaz occupant un réservoir indépendant et se trouvant sous un régime de pression unique) ; synonymes : oil pool, accumulation ; voir aussi oil field

La même définition du mot « pool » figure dans le Dictionnaire technique du pétrole, 2e éd., (Éditions Technip, 1979). Le mot « gisement » y est ainsi défini :

     gisement m -- 1) [TRADUCTION] dépôt, champ, réservoir, pool. [...] gisement de pétrole : accumulation, pool de pétrole, accumulation unique de pétrole délimitée par des facteurs géologiques souterrains.

[37]          Les parties ont aussi invoqué un certain nombre d'autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et des définitions tirées d'autres lois. Je n'ai pas l'intention de discuter en détail ces références. Je me contenterai de dire qu'après avoir examiné toutes les définitions lexicologiques et les dispositions législatives invoquées, je souscris à l'argument de la Couronne portant que les termes « accumulation » et « gisement » qui figurent dans la définition de frais d'exploration au Canada visent à exprimer le même sens que le mot « pool » défini dans les divers dictionnaires des termes géologiques cités ci-dessus et qu'ils ont le même sens que le mot « pool » dans l'Oil and Gas Conservation Act de l'Alberta.

[38]          Comme la décision de l'EUB sur l'existence de gisements en l'espèce n'est pas contestée, il faut en déduire que les vingt-huit puits fructueux intimées ont débouché sur des gisements déjà connus. Pour ce motif, je conclus que les dépenses engagées pour le forage des puits en question ne constituent pas des frais d'exploration au Canada.

Les puits stériles -- le sens du mot « abandonné »

[39]          Le seul point qui reste est celui de la classification des dépenses engagées après mars 1987 pour forer les deux puits qui n'ont pas abouti à la découverte de pétrole ou de gaz. Les parties conviennent que la question est celle de savoir si ces puits ont été « abandonnés » au sens de la division 66.1(1)a)(ii.1)(B). Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tranché ce point puisque, ayant déjà conclu au bien-fondé de la méthode de M. Gray, il a jugé inutile de le faire.

[40]          Les faits ne sont pas contestés. Les intimées ont mis fin à toute tentative visant à produire du pétrole ou du gaz à partir de ces puits, peu après l'achèvement du forage. L'un des puits était un puits sec. Le contrat relatif à l'appareil de forage pour ce puits était pris en charge par un autre entrepreneur justifiant d'un contrat pour un emplacement moins profond. Les intimées ont utilisé l'autre puits comme puits de rejet d'eau depuis le mois de juillet 1988, lorsqu'elles ont déterminé qu'il ne produirait pas de pétrole. Aucun des deux puits n'a été classé par l'EUB dans la catégorie des « puits abandonnés » .

[41]          La Couronne allègue que l'abandon d'un puits n'a pas lieu avant que les conditions de la loi provinciale pertinente concernant l'abandon aient été respectées et que le puits soit classé par l'EUB comme puits abandonné. Cela signifie que le puits doit être abandonné à la surface. Le tubage doit être sectionné à un mètre au-dessous du sol, l'orifice bouché avec du ciment et une plaque soudée au tubage. Les intimées soutiennent que la classification de l'EUB n'est pas pertinente et qu'un puits est abandonné une fois que toute tentative pour en tirer du pétrole ou du gaz a cessé.

[42]          Rien dans la Loi de l'impôt sur le revenu n'indique que la question de l'abandon d'un puits dépend du respect d'une réglementation provinciale. Je partage l'avis des intimées que l'abandon est une question de fait. Des éléments de preuve établissant qu'un puits répond à la norme d'abandon prescrite par l'EUB pourraient suffire à prouver qu'il y a eu abandon, mais je ne vois aucune raison de conclure qu'il s'agit là d'une condition nécessaire.

[43]          Je n'admets pas par ailleurs qu'un puits soit tenu pour abandonné si l'on peut s'en servir en rapport avec l'exploitation de la ressource (par exemple, comme puits de rejet d'eau) ou si les obligations contractuelles relatives au puits sont assumées par un tiers. À mon avis, la preuve présentée en l'espèce ne suffit pas à établir que les puits ont effectivement été abandonnés. Il s'ensuit que les dépenses engagées pour forer ces puits ne sont pas des frais d'exploration au Canada.

Conclusion

[44]          Pour ces motifs, l'appel de la Couronne devrait être accueilli avec dépens. Le jugement de la Cour de l'impôt devrait être modifié et les nouvelles cotisations renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les dépenses de forage visées par les présents appels ne correspondent pas à la définition de « frais d'exploration au Canada » .

                                     Karen R. Sharlow

                                

                                         J.C.A.

« J'y souscris.

     Robert Décary, juge »

« J'y souscris.

     Marshall Rothstein, juge »



Traduction certifiée conforme.



Raymond Trempe, B.C.L.





Date : 20000524


Dossiers : A-576-98

A-575-98

A-577-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 MAI 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE DÉCARY

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION DE AIRTEX INDUSTRIES LTD.)

     DEX RESOURCES LTD.

     RESMAN HOLDINGS LTD. (CORPORATION REMPLAÇANTE,

     ISSUE D'UNE FUSION DE RESMAN OIL & GAS LTD.),

     intimées.


     JUGEMENT

     L'appel de la Couronne est accueilli avec dépens. Le jugement de la Cour de l'impôt devrait être modifié et les nouvelles cotisations devront être renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les dépenses de forage visées par les présents appels ne correspondent pas à la définition de « frais d'exploration au Canada » .

                                 « Robert Décary » "

                            

                                     J.C.A.

Traduction certifiée conforme.



Raymond Trempe, B.C.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :                  A-576-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LA REINE c. RESMAN HOLDINGS LTD.
LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :          4 MAI 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PAR Mme LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU              24 MAI 2000

ONT COMPARU :

Wendy Burnam,

Michelle Farrell,              POUR L'APPELANTE

Ken Skingel,

George MacKenzie,              POUR LES INTIMÉES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg,

Sous-procureur général du Canada      POUR L'APPELANTE

Feleski, Flynn

Calgary (Alberta)              POUR LES INTIMÉES

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