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Date : 20040324

Dossier : A-316-03

Référence : 2004 CAF 122

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE NOËL

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                            EDS CANADA LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

                                      Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 23 mars 2004

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL


Date : 20040324

Dossier : A-316-03

Référence : 2004 CAF 122

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE NOËL

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                            EDS CANADA LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]                Dans une décision datée du 30 juillet 2003, le Tribunal canadien du commerce extérieur a rejeté la plainte déposée par EDS Canada Ltd., qui alléguait que l'évaluation des soumissions présentées pour un marché public était entachée d'irrégularités. La question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le Tribunal a exercé illégitimement son pouvoir discrétionnaire en refusant d'accorder les frais de la plainte à l'État.


[2]                Le Tribunal a expliqué son refus d'accorder les frais dans les termes suivants :

[...] bien qu'elle n'ait pas été « viciée » au sens juridique de ce terme, la DP aurait pu être conçue de manière à exprimer un message sensiblement plus clair en indiquant aux soumissionnaires les attentes de TPSGC et du MDN sur la façon de présenter l'expérience et les titres et qualités des ressources proposées. Étant donné qu'ils sont les auteurs de la DP, TPSGC et le MDN doivent supporter leurs propres frais de défense eu égard à la présente plainte. Le Tribunal n'adjugera donc pas de frais relativement à la plainte.

[3]         Pour ceux qui ne connaissent pas bien les acronymes utilisés par les bureaucrates fédéraux, le lexique suivant peut s'avérer utile. Une DP est une demande de propositions, c'est-à-dire un appel d'offres invitant des entrepreneurs à présenter une soumission. TPSGC est l'acronyme du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada, qui est chargé de la procédure de passation des marchés publics en vue d'approvisionner le gouvernement du Canada en biens et services. Les lettres MDN désignent le ministère de la Défense nationale, le ministère qui réclamait les biens et les services qui ont fait l'objet de la DP en question dans le cas qui nous occupe.

[4]         Les pouvoirs du Tribunal en matière d'attribution de frais sont énoncés dans la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) :

30.16 (1) Les frais relatifs à l'enquête - même provisionnels - sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

(2) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, désigner les créanciers et les débiteurs des frais, ainsi que les responsables de leur taxation ou autorisation.

30.16 (1) Subject to the regulations, the Tribunal may award costs of, and incidental to, any proceedings before it in relation to a complaint on a final or interim basis and the costs may be fixed at a sum certain or may be taxed.

(2) Subject to the regulations, the Tribunal may direct by whom and to whom any costs are to be paid and by whom they are to be taxed and allowed.


[5]         Il s'agit d'une de ces nombreuses affaires dans lesquelles le procureur général soutient devant notre Cour que le Tribunal a illégitimement refusé ses frais à l'État en raison de présumées irrégularités entachant la procédure de passation du marché public qui ne viciaient pas l'attribution du marché mais qui étaient négligeables et qui n'avaient aucun rapport avec le rejet de la soumission du plaignant ou avec sa décision de porter plainte devant le Tribunal. L'arrêt rendu par notre Cour dans l'affaire Canada (procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525, 2003 CAF 199, illustre bien ce type d'affaires.

[6]         Dans l'arrêt Georgian College, la Cour a estimé que le refus du Tribunal d'accorder les frais à l'État dans cette affaire constituait un exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire que la Loi conférait au Tribunal. La Cour a déclaré (aux paragraphes 25 à 28) que le pouvoir du Tribunal en matière d'attribution de frais s'exerçait essentiellement selon les mêmes principes que ceux auxquels obéit l'adjudication des dépens devant les tribunaux judiciaires. Selon un de ces principes, à moins de circonstances spéciales, les frais sont ordinairement accordés à la partie qui obtient gain de cause. En conséquence, la Cour a estimé (au paragraphe 37) que le Tribunal avait commis une erreur en refusant d'accorder les frais à l'État en appliquant la politique générale consistant à inciter les soumissionnaires non retenus à porter plainte devant le Tribunal pour de présumées irrégularités entachant la procédure de passation du marché public.


[7]         Selon l'avocat du procureur général, depuis que notre Cour a rendu l'arrêt Georgian College, le Tribunal a accordé les frais à l'État dans quatre des treize affaires dans lesquelles il a donné gain de cause à l'État. Compte tenu de ces statistiques et du principe général suivant lequel les dépens suivent le sort du principal - principe qui s'applique au Tribunal -, il semble que, pour des raisons qu'il n'a pas explicitées en l'espèce, le Tribunal hésite à accorder les frais à l'État lorsqu'il rejette une plainte.

[8]         Toutefois, faute d'explications de la part du Tribunal, il ne sert à rien de conjecturer sur les raisons de cette apparente hésitation. L'avocat du procureur général n'a pas prétendu que le refus d'attribuer les frais à l'État en l'espèce s'inscrivait dans le cadre d'une pratique constante du Tribunal. Par conséquent, nous devons juger la présente affaire en fonction de ses propres faits, sans négliger pour autant le contexte général. La norme de la décision manifestement déraisonnable est donc celle qui s'applique à l'exercice par le Tribunal de son pouvoir discrétionnaire (arrêt Georgian College, au paragraphe 19).

[9]         La DP lancée par TPSGC en l'espèce concernait la fourniture de services informatiques professionnels au MDN. La soumission d'EDS a été rejetée et le marché a été attribué à d'autres soumissionnaires. EDS a porté plainte devant le Tribunal au sujet de la procédure d'évaluation en faisant valoir trois motifs.


[10]       En premier lieu, en ce qui concerne le volet de la DP concernant les services de soutien généraux à l'étape de l'utilisation (volet 4), TPSGC a, selon EDS, rejeté à tort sa soumission et a retenu à tort la soumission du soumissionnaire choisi. En deuxième lieu, EDS affirmait que des erreurs d'évaluation avaient été commises en ce qui avait trait au soutien technique du serveur et de bases de données à l'étape de l'utilisation (volet 2), de sorte que TPSGC avait rejeté à tort la soumission d'EDS et avait retenu à tort la soumission du soumissionnaire choisi. Troisièmement, EDS soutenait que l'évaluation des soumissions avait été déraisonnable pour ce qui était du volet de la DP se rapportant au soutien technique d'applications logicielles spéciales à l'étape utilisation (volet 3), de sorte que la soumission d'EDS avait été écartée à tort et que celle du soumissionnaire choisi avait été retenue à tort.

[11]       Étant donné que TPSGC avait déclaré qu'il réunirait une nouvelle équipe qui procéderait à une nouvelle évaluation de toutes les propositions pour le volet 4, le Tribunal a décidé de ne pas se prononcer sur ce motif de plainte. Le Tribunal a rejeté les deux autres motifs et a déclaré que la plainte n'était pas fondée étant donné que

TPSGC a tenu son évaluation en conformité avec les exigences de la DP et n'a pas contrevenu à l'une quelconque des dispositions pertinentes des accords commerciaux applicables.

Le Tribunal a par ailleurs fait observer que EDS avait compliqué la tâche des évaluateurs chargés d'évaluer les titres et qualités et l'expérience de son personnel parce qu'elle n'avait pas toujours indiqué clairement la durée passée par chaque candidat proposé pour chacune des tâches requises dans chaque travail. EDS ne conteste pas la décision du Tribunal de rejeter sa plainte.


[12]       L'avocat du procureur général affirme qu'il ressort des motifs de la décision que, malgré la portée et le caractère général des pouvoirs que la Loi confère au Tribunal en matière d'attribution de frais, la façon dont il a exercé ses pouvoirs en l'espèce en refusant d'accorder ses frais à l'État était manifestement déraisonnable. Premièrement, la présumé manque de clarté de la DP en ce qui concerne la présentation de l'expérience et des titres et qualités des personnes-ressources proposées ne découlait pas de la plainte et rien ne permettait de penser qu'il s'agissait là d'un des facteurs qui avaient incité EDS à porter plainte. Deuxièmement, étant donné que le Tribunal avait conclu que cette présumée irrégularité de la DP n'était pas suffisamment grave pour vicier l'évaluation des soumissions, il était illogique de la part du Tribunal d'affirmer que cet élément était suffisant pour refuser ses frais à l'État. Troisièmement, même si la réévaluation des soumissions relativement au volet 4 avait permis de constater qu'une erreur avait été commise, le Tribunal n'avait pas établi de lien entre le présumé manque de clarté de la DP et le volet 4.

[13]       Je souscris pour l'essentiel à ses observations. Je tiens par ailleurs à signaler que les motifs invoqués par le Tribunal pour refuser les frais sont vagues. Le Tribunal n'y précise pas la nature de l'irrégularité constatée dans la DP et il ne laisse pas entendre que TPSGC aurait dû la préciser, de manière à éviter ce présumé problème à l'avenir. Par ailleurs, le fait que TPSGC a décidé de procéder à une réévaluation du volet 4 de la DP ne justifiait pas le refus d'accorder ses frais à l'État. Le Tribunal n'a de toute façon pas invoqué ce facteur dans ses motifs pour justifier sa décision.

[14]       Si le Tribunal veut s'autoriser des irrégularités apparemment négligeables et insignifiantes qu'il décèle dans les documents de passation du marché public pour s'écarter du principe général suivant lequel les dépens suivent le sort du principal, il lui incombe d'exposer avec suffisamment de précisions la nature de ces irrégularités et leur influence sur l'attribution des frais. Faute de conclusion justifiée suivant laquelle les irrégularités ont nui au soumissionnaire dans sa réponse à la DP ou l'ont incité à porter plainte, le fait que TPSGC et MDN sont les auteurs de la DP ne justifie logiquement pas la décision de refuser ses frais à l'État en cas de rejet de la plainte.


[15]      En conséquence, malgré le degré très élevé de retenue dont il y a lieu de faire preuve à l'égard de la façon dont le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens, d'annuler la décision par laquelle le Tribunal a refusé d'attribuer les frais à l'État et de renvoyer l'affaire au Tribunal avec instruction d'accorder à Sa Majesté ses frais raisonnables.

                                                        « John M. Evans »               

Juge

« Je souscris à ces motifs. »

            J. Richard, juge en chef »

« Je souscris à ces motifs.

            Marc Noël, juge »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                      COUR D'APPEL FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-316-03

INTITULÉ :                                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. EDS CANADA LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 23 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                      LES JUGES RICHARD ET NOËL      

DATE DES MOTIFS :                                               Le 24 mars 2004

COMPARUTIONS :

Susanne Pereira                                                             POUR LE DEMANDEUR

Justine Whitehead                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Stikeman Elliott s.r.l.                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)


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