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Date : 20030603

Dossier : A-374-01

Référence : 2003 CAF 243

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            RÉAL FAFARD ET JACQUES BORDUAS,

                                                                                                                                                     Appelants,

                                                                                   et

                   COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA,

                                           VILLE DE SAINT-BASILE-LE-GRAND, ET

                                                           TRANSPORTS CANADA,

                                                                                                                                                          Intimés.

DANS L'AFFAIRE D'UNE demande présentée par Réal Fafard et Jacques Borduas conformément à l'article 103 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, en vue de construire et d'entretenir un passage à niveau privé en travers de l'emprise de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada au point milliaire 58,84 de la subdivision St-Hyacinthe, dans la ville de Saint-Basile-le-Grand, dans la province de Québec.

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 1 avril 2003.

                                           Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juin 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

Y A SOUSCRIT :                                                                                                         LE JUGE NADON

MOTIFS CONCORDANTS :                                                                               LE JUGE PELLETIER


Date : 20030603

Dossier : A-374-01

Référence : 2003 CAF 243

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            RÉAL FAFARD ET JACQUES BORDUAS,

                                                                                                                                                     Appelants,

                                                                                   et

                   COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA,

                                           VILLE DE SAINT-BASILE-LE-GRAND, ET

                                                           TRANSPORTS CANADA,

                                                                                                                                                          Intimés.

DANS L'AFFAIRE D'UNE demande présentée par Réal Fafard et Jacques Borduas conformément à l'article 103 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, en vue de construire et d'entretenir un passage à niveau privé en travers de l'emprise de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada au point milliaire 58,84 de la subdivision St-Hyacinthe, dans la ville de Saint-Basile-le-Grand, dans la province de Québec.

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                 Par sa décision du 12 janvier 2001 (No. 18-R-2001), l'Office des transports du Canada (Office) accueille une demande de passage privé, faite en vertu de l'article 103 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (Loi), pour traverser avec des camions une ligne de chemin de fer du Canadien National afin de permettre aux demandeurs d'accéder à une de leur propriétés qui est contiguë à la voie ferrée. Mais il rejette la demande de répartition des coûts de construction et d'entretien du passage faite en vertu de l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. 1985, ch. 32 (4e suppl.). Il impose plutôt aux demandeurs tous ces coûts, incluant les coûts de la sécurité accessoire, mais nécessaire à l'existence et à l'exercice du passage. Les demandeurs s'attaquent à cet aspect de la décision et nous prient de reconnaître que l'article 16 s'applique dans les circonstances et, conséquemment, d'ordonner à l'Office d'établir les quotes-parts des frais associés à l'installation d'un système de protection au passage qui leur est octroyé.

[2]                 Les articles 101, 102 et 103 de la Loi ainsi que l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire se lisent :







101. (1) Toute entente, ou toute modification apportée à celle-ci, concernant la construction, l'entretien ou la répartition des coûts d'un franchissement routier ou par desserte peut être déposée auprès de l'Office.

(2) L'entente ou la modification ainsi déposée est assimilée à un arrêté de l'Office qui autorise la construction ou l'entretien du franchissement, ou qui répartit les coûts afférents, conformément au document déposé.

(3) L'Office peut, sur demande de la personne qui ne réussit pas à conclure l'entente ou une modification, autoriser la construction d'un franchissement convenable ou de tout ouvrage qui y est lié, ou désigner le responsable de l'entretien du franchissement.

(4) L'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire s'applique s'il n'y a pas d'entente quant à la répartition des coûts de la construction ou de l'entretien du franchissement.

(5) Le présent article ne s'applique pas dans les cas où les articles 102 ou 103 s'appliquent.

                   Passages

102. La compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.

103. (1) Si la compagnie de chemin de fer et le propriétaire d'une terre contiguë au chemin de fer ne s'entendent pas sur la construction d'un passage croisant celui-ci, l'Office peut, sur demande du propriétaire, ordonner à la compagnie de construire un passage convenable s'il juge celui-ci nécessaire à la jouissance, par le propriétaire, de sa terre.

(2) L'Office peut assortir l'arrêté de conditions concernant la construction et l'entretien du passage.

(3) Les coûts de la construction et de l'entretien du passage sont à la charge du propriétaire de la terre.

16. (1) Faute de recours prévu sous le régime de la Loi sur les chemins de fer ou la Loi sur le déplacement des lignes de chemin de fer et les croisements de chemin de fer, le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires une fois terminées peuvent saisir l'Office de leur désaccord sur leurs obligations en ce qui concerne le coût de réalisation des travaux et les frais d'exploitation et d'entretien des installations réalisées.

(2) La saisine s'exerce par avis rédigé en la forme déterminée par règlement de l'Office et accompagné des renseignements qui y sont prévus sur les installations ferroviaires en cause.

(3) À son appréciation, l'Office peut, par avis adressé à toute personne qui l'a saisi ou qui aurait pu le faire, obliger celle-ci à produire, dans le délai qu'il y fixe, les renseignements supplémentaires spécifiés dans l'avis et relatifs aux frais de réalisation véritables ou prévus à l'égard de ces travaux, aux frais d'exploitation et d'entretien des installations réalisées ou aux avantages découlant de cette réalisation.

(4) L'Office détermine la quote-part de chacun à l'égard des frais de réalisation, d'exploitation et d'entretien en tenant compte de la subvention accordée, le cas échéant, au titre des articles 12 ou 13, des avantages respectifs que retirerait des installations la personne qui l'a saisi ou qui aurait pu le faire, et de tout point qu'il juge utile. Les obligations à l'égard de ces frais sont réparties conformément à la décision de l'Office.

(5) L'Office peut, par règlement approuvé par le gouverneur en conseil, déterminer la forme des demandes prévues au présent article et préciser les renseignements devant les accompagner.

(6) Le présent article s'applique notamment au déplacement d'une partie d'une route publique.

(7) Malgré l'article 35 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, le présent article n'a pas pour effet de charger l'Office de l'application, en tout ou en partie, de la présente loi.

101. (1) An agreement, or an amendment to an agreement, relating to the construction, maintenance or apportionment of the costs of a road crossing or a utility crossing may be filed with the Agency.

(2) When the agreement or amendment is filed, it becomes an order of the Agency authorizing the parties to construct or maintain the crossing, or apportioning the costs, as provided in the agreement.

(3) If a person is unsuccessful in negotiating an agreement or amendment mentioned in subsection (1), the Agency may, on application, authorize the construction of a suitable road crossing, utility crossing or related work, or specifying who shall maintain the crossing.

(4) Section 16 of the Railway Safety Act applies if a person is unsuccessful in negotiating an agreement relating to the apportionment of the costs of constructing or maintaining the road crossing or utility crossing.

(5) This section does not apply in any circumstances where section 102 or 103 applies.

            Private Crossings

102. If an owner's land is divided as a result of the construction of a railway line, the railway company shall, at the owner's request, construct a suitable crossing for the owner's enjoyment of the land.

103. (1) If a railway company and an owner of land adjoining the company's railway do not agree on the construction of a crossing across the railway, the Agency, on the application of the owner, may order the company to construct a suitable crossing if the Agency considers it necessary for the owner's enjoyment of the land.

(2) The Agency may include in its order terms and conditions governing the construction and maintenance of the crossing.

(3) The owner of the land shall pay the costs of constructing and maintaining the crossing.

16. (1) Where the proposing party in respect of a proposed railway work and each other person who stands to benefit from the completion of the work cannot agree on the apportionment between them of the liability to meet the construction, alteration, operational or maintenance costs in respect of that work, the proposing party or any of those persons may, if no right of recourse is available under the Railway Act or the Railway Relocation and Crossing Act, refer the matter to the Agency for a determination.

(2) A reference to the Agency under subsection (1) shall be made by notice in a form prescribed by the regulations made under subsection (5), and that notice shall be accompanied by such information relating to the proposed railway work as is prescribed by those regulations.

(3) The Agency may, in its discretion, by notice sent to the person referring a matter or to any person who might have referred a matter, require that person to give the Agency, within such period as it specifies in the notice, such further information relating to actual or anticipated construction, alteration, operational and maintenance costs in respect of the railway work, or benefits arising from the completion of the work, as the Agency specifies in the notice.

(4) Where a matter is referred to the Agency under subsection (1), the Agency shall, having regard to any grant made under section 12 or 13 in respect of that matter, the relative benefits that each person who has, or who might have, referred the matter stands to gain from the work, and to any other factor that it considers relevant, determine the proportion of the liability for construction, alteration, operational and maintenance costs to be borne by each person, and that liability shall be apportioned accordingly.

(5) The Agency may, with the approval of the Governor in Council, make regulations

(a) prescribing the form of the notice for a reference under this section; and

(b) prescribing the information to accompany that notice.

(6) In this section, "railway work" includes the relocation of any portion of a public road.

(7) Notwithstanding this section, this Act shall not be deemed to be administered in whole or in part by the Agency for the purpose of section 35 of the National Transportation Act, 1987.

                                                                                                                                                    (Je souligne)

[3]                 Après analyse du dossier et des prétentions des parties, je suis fondamentalement d'accord avec les motifs et les conclusions de l'Office. J'ajouterais simplement les considérations suivantes.

[4]                 Les articles 102 et 103 de la Loi se retrouvent sous la rubrique "passages" (en anglais, "private crossings") et régissent le cas des passages privés, i.e., de propriétaires qui veulent accéder à leur propriété privé, par opposition à l'article 101 qui est dans la section "Franchissement routier et par desserte" (en anglais, "Road and Utility Crossings") et qui traite de passages à l'usage du public en général : voir Application by Money's Mushrooms Ltd., Décision No. 22-R-2001, 15 janvier 2001, Office des transports du Canada.


[5]                 Aux articles 102 et 103, le législateur a précisé les obligations des deux parties, i.e., la compagnie de chemin de fer et le propriétaire du terrain privé, en cas de passages privés. L'article 102 est mandatoire alors que l'article 103 est permissif, ce qui explique la différence de traitement au niveau des coûts. L'article 102 couvre la situation préjudiciable d'un propriétaire qui voit sa terre divisée en deux par une ligne de chemin de fer. La compagnie de chemin de fer n'a pas le choix : elle doit construire un passage convenable pour le propriétaire de la terre qui, autrement, serait privé de la jouissance d'une partie de celle-ci, et elle doit le faire à ses propres frais. Il s'agit là de l'obligation que le législateur lui a imposée. L'article 103 couvre une situation bien différente. Il traite de la situation d'une personne dont la terre est contiguë à une ligne de chemins de fer et qui veut se voir concéder un passage convenable au travers de la voie ferrée pour accéder à sa terre. Il n'existe pas dans ce cas de droit automatique à un tel passage car souvent cette terre n'est pas enclavée et d'autres moyens d'accès existent. C'est précisément le cas en l'espèce où "plusieurs passages existent dans les environs, dont certains sont publics et munis d'un système de protection automatique" : voir décision de l'Office, page 6. D'ailleurs, les camions des demandeurs utilisent ces passages. Il appartient à l'Office d'en ordonner la construction si les deux parties ne s'entendent pas, et elle ne peut le faire que si le passage est nécessaire pour permettre au propriétaire d'avoir la jouissance de sa terre. Le législateur a choisi de faire supporter tous les coûts de construction et d'entretien du passage au propriétaire du terrain : paragraphe 103(3).


[6]                 Au delà des motifs invoqués à bon droit par l'Office pour conclure que l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire ne s'applique pas à une demande de passage privé faite en vertu de l'article 103 de la Loi, dont notamment le fait que le paragraphe 101(5) le dit clairement, un argument de texte additionnel fondé sur l'article 101 confirme la conclusion à laquelle l'Office en est venu. Le législateur a expressément mentionné au paragraphe 4 de l'article 101 que l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire s'applique lorsque les parties, i.e., promoteurs et bénéficiaires de passages publics, ne peuvent s'entendre sur la répartition des coûts des installations ferroviaires. Si le législateur avait voulu que cet article 16 s'applique dans le cas des demandes faites sous les articles 102 et 103 qui traitent des passages privés, il l'aurait dit comme il l'a fait au paragraphe 101(4) en rapport avec les passages publics. En fait, il a plutôt clairement et spécifiquement dit le contraire au paragraphe 101(5) en ce qui a trait aux passages privés.

[7]                 Le paragraphe 101(5) de la Loi et ce qui'il édicte s'expliquent et se comprennent facilement puisque l'Office n'a ni compétence ni discrétion, lors d'une demande de passage privé faite en vertu de l'article 103, pour répartir les coûts de construction et d'entretien du passage octroyé. De fait, sauf circonstances inusitées (voir la décision no. 93-R-2001, Raymond Leblanc, où l'Office a ordonné que la compagnie de chemins de fer refasse à ses frais le passage privé qu'elle avait détruit sans droit, l'entretien subséquent étant à la charge du propriétaire de la terre contiguë), le législateur a prévu au paragraphe 103(3) que ces coûts sont nécessairement à la charge du propriétaire de la terre contiguë (en anglais : "shall pay the costs"). Il n'y a donc aucune place pour l'application de l'article 16 et une répartition des coûts comme le veulent les demandeurs. En outre, comme la terre est une propriété privée dont l'accès est limité au propriétaire, le seul bénéficiaire du passage privé est le propriétaire de cette terre. La compagnie de chemin de fer ne bénéficie pas du passage privé : elle se le fait imposer. L'article 16 qui prévoit la répartition des coûts entre bénéficiaires n'a donc aucune raison de s'appliquer. C'est ce que reconnaît en toute logique le paragraphe 101(5).


[8]                 Les demandeurs reconnaissent que, dans le cadre d'une demande faite en vertu de l'article 103 de la Loi, l'Office a compétence pour exiger que le passage privé octroyé soit soumis à des mesures de sécurité dont la teneur et les modalités sont déterminées par le ministre des Transports. Le paragraphe 103(2) accorde à l'Office le pouvoir d'assortir la construction d'un passage de conditions concernant la construction. L'étendue et l'exercice de ce pouvoir comprennent, de façon à la fois inhérente et indiscutable, celui de s'assurer que la construction du passage qu'il permet sera assortie de conditions de sécurité. En fait, l'Office ne peut ignorer l'obligation imposée par l'article 5 de la Loi qui la crée et la régit, lequel déclare comme objectif capital la mise en place d'un réseau sûr de services de transport et d'un réseau national des transports qui soit conforme aux normes de sécurité les plus élevées possible dans la pratique : alinéa 5a). En permettant à une personne comme les demandeurs de traverser une voie ferrée avec des camions, l'Office ne peut ignorer la question de sécurité qui se pose en pareil cas. Il ne fait pas de doute qu'il est tenu de rendre des décisions qui ne compromettent pas et ne font pas fi de l'objectif de sécurité dans les transports exprimé dans sa loi constitutive.

[9]                 Dans l'arrêt Toronto (MCU) c. C.N., [1998] 4 C.F. 506 (C.A.F.), notre Cour a non seulement reconnu la compétence de l'Office en matière de sécurité, mais également sa grande expertise dans ce domaine qui fait en sorte que la révision de ses décisions est soumise à la norme du caractère raisonnable. Aux pages 519 et 520, le Cour, sous la plume du juge Strayer, dit :


En l'espèce, nous sommes en présence d'un tribunal spécialisé qui, avec ses prédécesseurs, cumule une centaine d'années d'expérience et qui, doté d'un personnel spécialisé, s'occupe régulièrement de problèmes de sécurité ferroviaire touchant tant les employés des compagnies de chemin de fer que les passagers ou les personnes pour lesquelles la proximité d'un chemin de fer peut présenter un danger. Si l'OTC conclut, comme il l'a de toute évidence fait, qu'en empêchant les intrusions sur l'emprise et sur les voies ferrées, on protège le chemin de fer et on en facilite l'exploitation, il est difficile de voir en quoi cela ne relève pas fondamentalement de son domaine de compétence.

Cette expertise s'étend également à l'attribution de passages publics et privés sécuritaires ainsi qu'à la répartition des coûts selon les prescriptions de la Loi.

[10]            Enfin, la notion de "passage convenable" (en anglais, "suitable crossing") que l'on retrouve à l'article 102 et au paragraphe 103(1) de la Loi, par définition, comporte un élément de sécurité. Un passage convenable est un passage adéquat et approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place. Un passage privé de camions à une traverse de voies ferrées n'est pas un passage adéquat ou convenable au sens de la Loi qui a comme objectif essentiel la sécurité dans les transports si la sécurité des trains circulant à haute vitesse, de leurs passagers et de l'usager du passage est mise en péril chaque fois qu'il en est fait usage. Je suis d'accord avec la prétention de la procureure de l'Office : oui, le passage demandé doit être convenable au passage des camions des demandeurs, mais il doit aussi être convenable au passage des trains.


[11]            En outre, l'interprétation à donner aux termes "passage convenable" (suitable crossing) que l'on retrouve à l'article 103 de la Loi ne saurait être différente de celle qu'il faut donner aux mêmes termes utilisés à l'article 102, étant donné que les articles 102 et 103 se retrouvent sous une même rubrique : voir ce principe d'interprétation appliqué dans l'affaire S.T.B. Holdings Ltd. v. Her Majesty the Queen, 2002 FCA 386, pages 13 à 15, permission d'appeler à la Cour suprême du Canada refusée le 27 mars 2003.

[12]            Les demandeurs soumettent que les mesures de sécurité sont des installations ferroviaires et donc que la compagnie de chemin de fer doit nécessairement supporter une partie des coûts puisqu'elle en bénéficie.

[13]            Premièrement, comme je le mentionnais précédemment, les mesures de sécurité, même si elles sont des installations ferroviaires, font partie de la notion de "passage privé convenable" et ce passage est au seul bénéfice du propriétaire du terrain privé contiguë.


[14]            Deuxièmement, conclure pour ces motifs, comme nous le demande la partie demanderesse, que le coût des mesures de sécurité d'un passage privé convenable accordé en vertu de l'article 103 peut être divisé conformément à l'article 16 ferait en sorte que le coût de telles mesures pourrait être aussi divisé dans le cas d'un passage privé convenable consenti en vertu de l'article 102. Cela aggraverait le préjudice du propriétaire qui, sous l'article 102, voit sa terre divisée en deux, cette aggravation résultant du fait qu'il pourrait dorénavant être requis de payer une partie des coûts alors que, présentement, tous ces coûts sont assumés par la compagnie de chemin de fer. Mais au delà de ce fait, une telle interprétation trahirait l'intention du législateur d'opérer au niveau des coûts et de leur répartition une distinction entre les passages publics et les passages privés d'une part et entre deux sortes de passages privés d'autre part, i.e., ceux de l'article 102 et ceux de l'article 103 de la Loi.

[15]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel sans frais, le seul intimé qui a comparu, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ne les ayant pas demandés.

                                                                                                                                         "Gilles Létourneau"                

                                                                                                                                                                 j.c.a.

"Je suis d'accord

M. Nadon j.c.a."


LE JUGE PELLETIER (Condordants)

[16]            Le 13 avril 2000, les appelants déposent auprès de l 'Office des transports du Canada

("l'Office") une demande en vue de construire un passage à niveau privé en travers de l'emprise de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le "CN"). Les appelants, qui exploitent une entreprise privée de récupération et de compostage destinée à des fins agricoles, désirent ainsi obtenir un accès à leurs terres à partir de la route provinciale. La matière première de l'entreprise est transportée jusqu'au site de compostage par des camions semi-remorque et ce, à raison de dix voyages aller-retour par jour. Ces camions doivent actuellement emprunter un franchissement routier situé dans le village de St. Basile le Grand afin de se rendre sur les terres des appelants. Ces derniers désirent donc maintenant avoir leur passage privé afin d'éviter de devoir circuler dans le village de St. Basile le Grand.


[17]         Par ailleurs, un passage à niveau donnant accès aux terres des appelants et répondant adéquatement à leurs besoins existe déjà, mais celui-ci a été fermé par le CN à la demande du ministère des Transports par souci de la sécurité ferroviaire. En conséquence de cette fermeture et estimant que la réouverture du passage exigerait l'installation d'un quelconque système de sécurité (le "systè me de protection"), les appelants jumellent à leur demande de passage une demande de répartition des coûts du système de protection. La demande de passage est présentée conformément aux termes de l'article 103 de la Loi sur les Transports au Canada, L.C. 1996 c. 10 (la "Loi") tandis que la demande de répartition l'est aux termes de l'article 16 de la Loi sur la Sécuritéferroviaire, L.R. 1985 c. 32 (4ème Supp.), (la "LSF").

[18]         L'Office accorde aux appelants le passage réclamé, précisant cependant que le passage doit disposer d'un "système de protection qui est conforme aux exigences de la Loi sur la Sécurité ferroviaire". De plus, l'Office ordonne que tous les coûts de construction et d'entretien soient assumés par les appelants. L'Office rejette la demande de répartition des coûts du système de protection au motif que l'article 16 de la LSF ne s'applique pas aux travaux prévus à l'article 103 de la Loi. En effet, le renvoi à l'article 16 de la LSF, contenu à l'article 101 de la Loi, n'est effectué que dans le contexte d'un franchissement routier. En l'espèce, puisqu'il ne s'agit pas d'un franchissement routier, l'article 16 de la LSF ne peut recevoir application. Les appelants, déçus de devoir assumer eux-mêmes les coûts de construction et d'entretien, le sont d'autant plus en apprenant que les coûts du système de protection dépassent les 400 000 $.

[19]         Devant cette Cour, les appelants soutiennent que le système de protection ne fait pas partie du passage auquel l'Office leur a donné droit. Selon eux, il s'agit d'une installation ferroviaire au sens de la LSF dont les coûts de construction et d'entretien sont susceptibles de répartition aux termes de l'article 16 de la LSF. En l'espèce, s'agissant d'un cas d'application de l'article 16 de la LSF, il n'est d'aucune pertinence d'invoquer l'article 101 de la Loi même si ce dernier prévoit expressément qu' il est inapplicable dans tous les cas visés aux articles 102 et 103.


[20]        Les intimés, le CN et l'Office, sont du même avis quant à la responsabilité des appelants relativement à tous les coûts rattachés à la construction et à l'entretien du passage, lequel est d'ailleurs réclamé par ces derniers. Ils soulignent que l'Office a la compétence d'ordonner la construction d'un passage convenable, impliquant en conséquence toutes les mesures nécessaires aux fins de rendre le passage sécuritaire. Bien que les intimés reconnaissent que les normes de protection relèvent de la compétence du ministre des Transports, ils allèguent que ceci n'empêche toutefois pas le droit, voire l'obligation de l'Office de préciser, dans son ordonnance, que le passage soit sécuritaire selon les normes établies par le ministre. Dès lors, les coûts du système de protection sont de la responsabilitédes appelants suivant les termes mêmes de l'ordonnance rendue par l'Office.

[21]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Transports au Canada, supra, sont les suivantes:





100. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 101

« _desserte_ » Ligne servant au transport de produits ou d'énergie ou à la fourniture de services, notamment par fil, câble ou canalisation.

« _franchissement par desserte_ » Franchissement par une desserte d'un chemin de fer par passage supérieur ou inférieur, ainsi que tous les éléments structuraux facilitant le franchissement ou nécessaires à la partie visée de la desserte. « _franchissement routier_ » Franchissement par une route d'un chemin de fer par passage supérieur, inf érieur ou à niveau, ainsi que tous les éléments structuraux facilitant le franchissement ou nécessaires à la partie visée de la route.

101. (1) Toute entente, ou toute modification apportée à celle-ci, concernant la construction, l'entretien ou la répartition des coûts d'un franchissement routier ou par desserte peut être déposée auprès de l'Office.

(2) L'entente ou la modification ainsi déposée est assimilée à un arrêté de l'Office qui autorise la construction ou l'entretien du franchissement, ou qui répartit les coûts afférents, conformément au document déposé.

(3) L'Office peut, sur demande de la personne qui ne réussit pas à conclure l'entente ou une modification, autoriser la construction d'un franchissement convenable ou de tout ouvrage qui y est lié, ou désigner le responsable de l'entretien du franchissement.

(4) L'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire s'applique s'il n'y a pas d'entente quant à la répartition des coûts de la construction ou de l'entretien du franchissement.

(5) Le présent article ne s'applique pas dans les cas où les articles 102 ou 103 s'appliquent.

102. La compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.

103. (1) Si la compagnie de chemin de fer et le propriétaire d'une terre contiguë au chemin de fer ne s'entendent pas sur la construction d'un passage croisant celui-ci, l'Office peut, sur demande du propriétaire, ordonner à la compagnie de construire un passage convenable s'il juge celui-ci nécessaire à la jouissance, par le propriétaire, de sa terre.

(2) L'Office peut assortir l'arrêté de conditions concernant la construction et l'entretien du passage.

(3) Les coûts de la construction et de l'entretien du passage sont à la charge du propriétaire de la terre.

100. In this section and section 101,

"utility line" means a wire, cable, pipeline or other like means of enabling the transmission of goods or energy or the provision of services.

"utility crossing" means the part of a utility line that passes over or under a railway line, and includes a structure supporting or protecting that part of the utility line or facilitating the crossing;

"road crossing" means the part of a road that passes across, over or under a railway line, and includes a structure supporting or protecting that part of the road or facilitating the crossing;

101. (1) An agreement, or an amendment to an agreement, relating to the construction, maintenance or apportionment of the costs of a road crossing or a utility crossing may be filed with the Agency.

(2) When the agreement or amendment is filed, it becomes an order of the Agency authorizing the parties to construct or maintain the crossing, or apportioning the costs, as provided in the agreement.

(3) If a person is unsuccessful in negotiating an agreement or amendment mentioned in subsection (1), the Agency may, on application, authorize the construction of a suitable road crossing, utility crossing or related work, or specifying who shall maintain the crossing.

(4) Section 16 of the Railway Safety Act applies if a person is unsuccessful in negotiating an agreement relating to the apportionment of the costs of constructing or maintaining the road crossing or utility crossing.

(5) This section does not apply in any circumstances where section 102 or 103 applies.

102. If an owner's land is divided as a result of the construction of a railway line, the railway company shall, at the owner's request, construct a suitable crossing for the owner's enjoyment of the land.

103. (1) If a railway company and an owner of land adjoining the company's railway do not agree on the construction of a crossing across the railway, the Agency, on the application of the owner, may order the company to construct a suitable crossing if the Agency considers it necessary for the owner's enjoyment of the land.

(2) The Agency may include in its order terms and conditions governing the construction and maintenance of the crossing.

(3) The owner of the land shall pay the costs of constructing and maintaining the crossing.

[22]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Sécuritéferroviaire, supra, sont les suivantes:





7. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir l'établissement de normes concernant la structure ou le comportement d'installations ferroviaires et applicables à la construction ou à la modification de celles-ci.

(2) Le ministre peut, par arrêté, enjoindre à une compagnie de chemin de fer soit d'établir des normes concernant l'un des domaines visés au paragraphe (1), soit de modifier, d'une façon particulière, de telles normes et d'en déposer, pour approbation, le texte auprès de lui, le tout dans un délai déterminé dans l'arrêté.

16. (1) Faute de recours prévu sous le régime de la partie III de la Loi sur les transports au Canada ou de la Loi sur le déplacement des lignes de chemin de fer et les croisements de chemin de fer, le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires peuvent, avant ou après le début des travaux relatifs à la construction ou à la modification de ces installations, saisir l'Office de leur désaccord sur leurs obligations en ce qui concerne le coût de réalisation des travaux et les frais d'exploitation et d'entretien des installations.

(2) La saisine s'exerce par avis rédigé en la forme déterminée par règlement de l'Office et accompagné des renseignements qui y sont prévus sur les installations ferroviaires en cause.

(3) À son appréciation, l'Office peut, par avis adressé à toute personne qui l'a saisi ou qui aurait pu le faire, obliger celle-ci à produire, dans le délai qu'il y fixe, les renseignements supplémentaires spécifiés dans l'avis et relatifs aux frais de réalisation véritables ou prévus à l'égard de ces travaux, aux frais d'exploitation et d'entretien des installations réalisées ou aux avantages découlant de cette réalisation.

(4) L'Office détermine la quote-part de chacun à l'égard des frais de réalisation, d'exploitation e d'entretien en tenant compte de la subvention accordée, le cas échéant, au titre des articles 12 ou 13, des avantages respectifs que retirerait des installations la personne qui l'a saisi ou qui aurait pu le faire, et de tout point qu'il juge utile. Les obligations à l'égard de ces frais sont réparties conformément à la décision de l'Office.

(5) L'Office peut, par règlement approuvé par le gouverneur en conseil, déterminer la forme des demandes prévues au présent article et préciser les renseignements devant les accompagner.

(6) Le présent article s'applique notamment au déplacement d'une partie d'une route publique.

(7) Malgré l'article 37 de la Loi sur les transports au Canada, le présent article n'a pas pour effet de charger l'Office de l'application, en tout ou en partie, de la présente loi.

7. (1) The Governor in Council may make regulations respecting engineering standards governing the construction or alteration of railway works, and such engineering standards may embrace both physical specifications and performance standards.

(2) The Minister may, by order, require a railway company

(a) to formulate engineering standards governing any matters referred to in subsection (1) that are specified in the order or to revise its engineering standards governing those matters; and

(b) within a period specified in the order, to file the formulated or revised standards with the Minister for approval.

16. (1) The proponent of a railway work, and each beneficiary of the work, may refer the apportionment of liability for the construction, alteration, operational or maintenance costs of the work to the Agency for a determination if they cannot agree on the apportionment and if no recourse is available under Part III of the Canada Transportation Act or the Railway Relocation and Crossing Act. The referral may be made either before or after construction or alteration of the work begins.

(2) A reference to the Agency under subsection (1) shall be made by notice in a form prescribed by the regulations made under subsection (5), and that notice shall be accompanied by such information relating to the proposed railway work as is prescribed by those regulations.

(3) The Agency may, in its discretion, by notice sent to the person referring a matter or to any person who might have referred a matter, require that person to give the Agency, within such period as it specifies in the notice, such further information relating to actual or anticipated construction, alteration, operational and maintenance costs in respect of the railway work, or benefits arising from the completion of the work, as the Agency specifies in the notice.

(4) Where a matter is referred to the Agency under subsection (1), the Agency shall, having regard to any grant made under section 12 or 13 in respect of that matter, the relative benefits that each person who has, or who might have, referred the matter stands to gain from the work, and to any other factor that it considers relevant, determine the proportion of the liability for construction, alteration, operational and maintenance costs to be borne by each person, and that liability shall be apportioned accordingly.

(5) The Agency may, with the approval of the Governor in Council, make regulations

(a) prescribing the form of the notice for a reference under this section; and

(b) prescribing the information to accompany that notice.

(6) In this section, "railway work" includes the relocation of any portion of a public road.

(7) Notwithstanding this section, this Act is not deemed to be administered in whole or in part by the Agency for the purpose of section 37 of the Canada Transportation Act.

[23]        Il est utile de cerner la question devant nous. Le paragraphe 103(3) de la Loi précise que les coûts de construction et d'entretien du passage sont à la charge du propriétaire. Conséquemment, une première conclusion s'impose relativement au passage lui-même, à savoir que l'ordonnance rendue par l'Office n'ajoute en rien aux obligations des propriétaires, celles-ci étant déjà fixées imposées par la Loi. La deuxième conclusion que l'on peut tirer du fait que le paragraphe 103(3) traite des coûts de construction, est que l'Office ne pourrait assortir son ordonnance d'une condition afférente aux coûts de construction, puisque le législateur s'en est occupé. En prenant pour acquis que l'article 103 ne traite que du passage, il s'ensuit donc que l'Office ne peut rendre les appelants responsables des coûts de protection aux termes du paragraphe 103(3) que si ce système fait partie intégrante du passage.


[24]        Il n'est pas contesté que le ministre des Transports soit responsable des normes concernant la structure ou le comportement d'installations ferroviaires et applicables à la construction du passage réclamé par les appelants. Bien que ces normes soient promulguées par le gouverneur en conseil, la mise en application de la LSF est toujours de la responsabilité du ministre des Transports. Qu'elles soient qualifiées de normes de construction ou de normes de comportement, il s'ensuit que les circonstances dans lesquelles les systèmes de protection doivent être intégrés à la construction d'un passage ou d'un franchissement routier font partie des normes que doit respecter le constructeur d 'un passage ou d'un franchissement routier. Compte tenu des nombreux passages et franchissements, il serait déraisonnable de penser que la question des systèmes de protection ne fasse pas l'objet de normes applicables à ces installations.

[25]        En conséquence, lorsque l'Office accordait aux appelants le droit à un passage, les normes en vigueur exigeaient un système de protection, compte tenu du fait que c'est justement l'absence d'un tel système qui avait amené le ministre des Transports à demander la fermeture du passage en question. Ainsi, en précisant que le passage devait comporter un système de protection conforme aux exigences du ministre des Transports, l'Office n'ajoutait en rien aux obligations du constructeur et des appelants. Le seul passage que l'Office pouvait accorder aux appelants était un passage qui soit conforme aux normes en vigueur, et c'est justement le coût de ce passage que le paragraphe 103(3) de la Loi imposait à ces derniers. La question de répartition aux termes de l'article 16 de la LSF ne se pose donc pas.

[26]            Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire de décider de la compétence de l'Office à aborder des questions de sécurité.


[27]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel sans frais.

                                                                                                                                     "J.D.Denis Pelletier"                 

                                                                                                                                                                 j.c.a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 A-374-01

INTITULÉ :                                                RÉAL FAFARD ET JACQUES BORDUAS c.

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 1 avril 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE LÉTOURNEAU

Y A SOUSCRIT :                                      LE JUGE NADON

MOTIFS CONCORDANTS :                 LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                              le 3 juin 2003

COMPARUTIONS :

Me André Pretto                                                                          POUR L'APPELANT

Me Michel Huart                                                                         POUR LES INTIMÉS

Compagnie des chemins de fer nationaux

du Canada

Me Claude Delmar

Office des transports du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                                 

3455, rue Durocher, Porte 806                                                     POUR L'APPELANT

Montréal (Québec) H2X 2C9

Compagnie des chemins de fer nationaux    POUR LES INTIMÉS

du Canada

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

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