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Date : 20050415

Dossier : A-236-04

Référence : 2005 CAF 135

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                PANTORAMA INDUSTRIES INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                       Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2005.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20050415

Dossier : A-236-04

Référence : 2005 CAF 135

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                PANTORAMA INDUSTRIES INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

Introduction

[1]                Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a rejeté l'appel interjeté par l'appelante des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la Loi), pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998.


Contexte

[2]                L'appelante vend depuis 1971 des pantalons et des vêtements de loisirs par l'intermédiaire d'un réseau de magasins de détail dans des locaux loués principalement dans des centres commerciaux. À partir de 1979, y compris pendant les quatre années en cause, l'appelante a fait appel aux services de Snowcap Investments Ltd. (Snowcap) pour trouver de nouveaux emplacements pour ses magasins et négocier en son nom les baux et les reconductions de bail.

[3]                 L'appelante était propriétaire de 233 magasins en 1995, de 222 en 1996, de 212 en 1997 et de 199 en 1998, magasins qui étaient tous exploités dans des locaux loués principalement au Québec et en Ontario. Au cours de cette période, elle a ouvert 46 nouveaux magasins et en a fermé environ 80. Elle a aussi reconduit entre 25 et 30 de ses baux chaque année.

[4]                La majorité des nouveaux baux avait une durée de cinq àsept ans et les reconductions étaient d'une durée de un à sept ans, selon le rendement du magasin. Le loyer annuel payé par l'appelante pour l'ensemble de ses magasins s'élevait àenviron 20 millions de dollars.

[5]                L'emplacement des magasins est un élément essentiel des activités de l'appelante, mais comme le développement commercial et les préférences des consommateurs évoluent constamment, l'appelante a décidé, en 1979, de charger Snowcap de cet aspect de ses activités.


[6]                En vertu de l'entente conclue avec Snowcap, l'appelante a convenu de ne retenir les services d'aucune autre société d'experts-conseils en immobilier ou d'aucun autre agent de location pour agir en son nom au même titre, et Snowcap a convenu de ne pas offrir ses services à d'autres entreprises exerçant leurs activités dans le même domaine que l'appelante.

[7]                 Deux catégories d'honoraires étaient prévues par l'entente, soit des honoraires de 2 500 $ qui étaient payables tous les mois (honoraires fixes) et des honoraires qui étaient calculés en fonction de la superficie visée par les nouveaux baux ou de la durée du prolongement des baux à long terme (honoraires variables). Des honoraires variables totalisant 203 639 $, 274 500 $, 202 476 $ et 111 000 $ ont été payés par l'appelante au cours des années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998, respectivement.

[8]                Le vice-président (finances et opérations) de l'appelante a expliqué au cours de son témoignage que Snowcap agissait en qualité de [Traduction] « conseillère en matière de magasins au détail » . Snowcap trouvait des espaces locatifs pour l'appelante et lui fournissait des conseils, des renseignements sur le marché et les taux de location. Lorsque la décision de louer des locaux était prise, Snowcap négociait avec les propriétaires, au nom de l'appelante, la durée des baux et des reconductions.

[9]                Le président de Snowcap a déclaré que son entreprise avait créé, au fil des ans, une clientèle importante (environ 80 clients), ce qui lui permettait de louer jusqu'à 150 000 pieds carrés dans un centre commercial et d'exiger des loyers à de meilleurs taux.


[10]            Il a ajouté qu'il y avait environ 20 propriétaires de grands centres commerciaux au Canada, dont tous étaient connus de Snowcap. À son avis, Snowcap agit à titre de [Traduction] « service immobilier interne » pour ses clients.

[11]            Au fil des ans, l'appelante a déduit les honoraires fixes et les honoraires variables à titre de dépenses courantes dans le calcul de son revenu. À la suite de la vérification la plus récente, le ministre a accepté que les honoraires fixes soient ainsi traités, mais il a estimé que les honoraires variables étaient des paiements à titre de capital qui devaient être amortis sur la durée des baux auxquels ils s'appliquaient. Le ministre a établi en conséquence une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante.

[12]            À cette fin, le ministre a invoqué l'alinéa 18(1)b) de la Loi qui prévoit :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:

[...]

b) une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

18. (1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

[...]

(b) an outlay, loss or replacement of capital, a payment on account of capital or an allowance in respect of depreciation, obsolescence or depletion except as expressly permitted by this Part;

(non souligné dans l'original)


[13]            Il importe de souligner que la question soulevée par l'appel ne consiste pas à rattacher les dépenses aux revenus en vue d'obtenir une meilleure image ou une image plus fidèle du bénéfice de l'appelante (voir Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147). Il s'agit seulement de décider si la déduction des honoraires variables est interdite par l'alinéa 18(1)b) parce qu'il s'agirait de paiements « à titre de capital » . Si ce n'est pas le cas, le ministre ne conteste pas la pratique de l'appelante consistant à déduire ces sommes dans l'année où elles ont été payées.

Motifs du juge de la Cour canadienne de l'impôt

[14]            Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a écrit aux paragraphes 20 et 21 de sa décision :

[20] Lorsqu'il s'agit de déterminer si un paiement est imputable au capital, le critère habituel qui s'applique consiste à savoir si le paiement a été effectué [traduction] « en vue de produire un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de la partie appelante » . (British Columbia Electric Railway Company Limited c. M.N.R., (1958) R.C.S. 133, à la p. 138)

[21] La distinction entre les paiements du contribuable qui sont imputables au capital et ceux qui sont imputables au revenu est également dite correspondre à la distinction [Traduction] « entre l'acquisition des moyens de production et leur usage; entre l'établissement ou l'extension de l'entreprise et son exploitation; entre les instruments de travail et l'exécution régulière des travaux dans lesquels ceux-ci sont utilisés; entre une entreprise et l'effort soutenu de ceux qui en font partie » . (Hallstroms Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634, aux pages 646-647)

[15]            Il a formulé comme suit la « première question » à laquelle il fallait répondre :

Quel était le but des dépenses engagées, dans le contexte d'exploitation de l'entreprise de l'appelante? Était-ce pour obtenir des baux nouveaux et des reconductions, ou bien était-ce plutôt pour recevoir des conseils et des services généraux en matière d'immobilier, notamment la négociation des baux? (motifs, paragraphe 24)


[16]            Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a ensuite conclu que les honoraires fixes payés par l'appelante « formaient la contrepartie des conseils généraux et de l'aide en matière de planification reçus de Snowcap » (motifs, paragraphe 26). Les honoraires variables étaient payés « en ce qui a trait à la négociation de nouveaux baux et aux reconductions [...] » (motifs, paragraphe 28). Comme tel, les honoraires variables « se rapportaient à cette structure commerciale » (motifs, paragraphe 28).

[17]            Les baux ont procuré à l'appelante un « bénéfice durable » (motifs, paragraphe 29). Même si les honoraires étaient récurrents d'une année à l'autre, cela ne changeait rien au fait que « ces dépenses visaient essentiellement à accroître le chiffre d'affaires de l'appelante par la négociation de nouveaux baux et la prorogation de baux rendus à terme [...] » (motifs, paragraphe 30).

Analyse et décision

[18]            À mon humble avis, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis un certain nombre d'erreurs en concluant que les honoraires variables étaient des paiements à titre de capital. Bien qu'il soit possible que les dépenses qui sont assumées chaque année au cours de la vie d'une entreprise établie de longue date constituent des paiements à titre de capital, cela serait plutôt exceptionnel. Lorsque la question est envisagée, comme il se doit, du point de vue de l'entreprise de l'appelante, il semble clair que les honoraires variables n'ont pas été payés en vue [Traduction] « de procurer un bien à [l'appelante], mais de lui permettre de poursuivre ses activités comme elle l'avait fait dans le passé [...] » (voir Mitchell c. B.W. Noble Ltd., [1927] 1 K.B. 719 à la page 737, ainsi que cité dans l'arrêt John-Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, 85 DTC 5373, à la page 5379).


[19]            En tirant sa conclusion, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est fondé sur la décision du juge Archambault dans Rona Inc. c. La Reine, 2003 DTC 979. Dans cette affaire, le juge Archambault devait déterminer si les honoraires professionnels engagés par Rona Inc. dans le cadre d'un programme de croissance ayant pour but d'augmenter le nombre de ses points de vente grâce à de simples acquisitions ou à l'ajout de nouveaux partenaires étaient des paiements à titre de capital. Il a statué que, même si ces dépenses devaient être assumées chaque année, « [l]e fait de s'engager dans une phase planifiée d'agrandissement de la structure commerciale, sur une longue période, par l'addition de nouveaux points de vente n'a pas pour effet de transformer une dépense de capital en une dépense à titre de revenu » (Rona, précitée, paragraphe 38).

[20]            La conclusion du juge de la Cour canadienne de l'impôt, en l'espèce, à savoir que l'appelante s'était engagée dans un projet analogue de croissance (paragraphes 27 et 30) n'est pas établie par la preuve. En effet, la preuve montre que le réseau de locaux loués par l'appelante était solidement établi en 1995 et qu'il en était en fait à un stade de consolidation, c'est-à-dire qu'un plus grand nombre de magasins devaient être fermés plutôt qu'ouverts. Il suffit de rappeler, à cet égard, que l'appelante possédait 233 magasins en 1995 et que ce nombre a diminué chaque année par la suite pour s'établir à 199 à la fin de son année d'imposition de 1998.

[21]            Comme il a été signalé dans l'affaire Canada Starch Co. c. MNR, 68 DTC 5320, page 5323 (dans un passage cité par le juge Archambault dans Rona, précitée, paragraphe 37), les sommes consacrées à la création ou à la croissance d'une structure commerciale sont des paiements à titre de capital puisque ces dépenses donnent lieu à un actif de nature durable. Cependant, une fois qu'une structure est en place, les sommes versées chaque année afin de maintenir la poursuite rentable des activités sont des dépenses à titre de revenu.


[22]            En l'espèce, la nature de ces paiements devient claire lorsqu'on constate qu'ils sont faits depuis 1979 et que rien n'indique que les activités de l'appelante peuvent se poursuivre sans cette dépense annuelle (comparer avec John-Manville, précité, page 5384). Cela indique, sans équivoque à mon avis, que les paiements sont nécessaires pour assurer la poursuite des activités courantes de l'entreprise de l'appelante.

[23]            Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a axé son analyse sur la classification juridique des droits garantis par le paiement des honoraires variables (en l'occurrence les baux individuels) plutôt que sur l'objet des dépenses du point de vue de l'entreprise de l'appelante (voir Hallstroms Pty.,précité, ainsi que cité dans John-Manville, précité, page 5377).

[24]            L'appelante payait les honoraires variables chaque année en vue d'assurer le maintien de la rentabilité de son entreprise, compte tenu des nouveaux besoins et des nouvelles préférences des consommateurs. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a perdu de vue le but que poursuivait l'entreprise en assumant ces dépenses lorsqu'il a conclu que l'appelante développait son entreprise chaque fois qu'elle signait ou reconduisait un bail (comparer avec Algoma Central Railway c. Ministre du Revenu national, 67 DTC 5469, page 5480). L'appelante avait plus de 200 baux au début de la période et les paiements qui ne servaient qu'à maintenir le réseau en place n'ont rien ajouté à son entreprise qu'elle n'avait déjà.


[25]            Enfin, je crois possible d'affirmer sans risque d'erreur que le ministre n'aurait pas établi les cotisations en cause si les services fournis par Snowcap avaient été assurés à l'interne et payés sous forme de salaires, de frais de déplacement, etc. Si c'est le cas, le fait que l'appelante ait décidé de sous-traiter cet aspect de son entreprise ne devrait avoir aucune incidence sur le traitement fiscal de cette dépense (voir International Colin Energy Corporation c. La Reine, 2002 DTC 2185 (C.C.I.), paragraphes 45 et 46).


[26]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision de la Cour canadienne de l'impôt et je renverrais les nouvelles cotisations au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour le motif que la déduction des honoraires variables n'est pas interdite par l'alinéa 18(1)b) de la Loi. L'appelante devrait avoir droit à ses dépens tant devant notre Cour que devant la Cour canadienne de l'impôt.

               « Marc Noël »                      

Juge                             

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, juge »

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-236-04

INTITULÉ :                                                    PANTORAMA INDUSTRIES INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 5 AVRIL 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

DATE DE MOTIFS :                                                 LE 15 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Denis A Lapierre

Konstantinos Voggas

POUR L'APPELANTE

Valérie Tardif

Marielle Thériault

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sweibel Novek

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANTE

John H. Sims, c.r.    

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE



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