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Date : 20000526


Dossier : A-440-99

CORAM      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :

     NOVELL CANADA, LTD.,

     demanderesse,

     et


     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et

     MICROSOFT CORPORATION,

     défendeurs.







AUDIENCE TENUE à Ottawa (Ontario), le mercredi 24 mai 2000

JUGEMENT PRONONCÉ à l'audience à Ottawa (Ontario), le vendredi 26 mai 2000



MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PRONONCÉS PAR      LE JUGE ROTHSTEIN






Date : 20000526


Dossier : A-440-99

CORAM      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :

     NOVELL CANADA, LTD.,

     demanderesse,

     et

             LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et

     MICROSOFT CORPORATION,

     défendeurs.


     MOTIFS DU JUGEMENT

     (Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario),

     le vendredi 26 mai 2000)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]          La Cour est saisie du contrôle judiciaire d'une décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 17 juin 1999. Le Tribunal a alors jugé que la plainte déposée par la demanderesse était fondée et a recommandé que les entités gouvernementales défenderesses versent, à la demanderesse, une indemnisation pour l'avoir privée de la possibilité d'obtenir un contrat de fourniture de licences relatives à un logiciel, contrat qui, selon le Tribunal, aurait dû faire l'objet d'un appel d'offres en régime de concurrence mais ne l'a pas fait.

[2]          La demanderesse veut que la Cour se prononce sur la question de savoir si le Tribunal a refusé d'exercer sa compétence de décider si les entités gouvernementales défenderesses avaient réparti les quantités à acquérir entre plusieurs marchés dans l'intention de se soustraire aux obligations qui leur incombent aux termes de l'Accord de libre-échange nord-américain L.C. 1993 ch. 44, de l'Accord sur les marchés publics conclu dans le cadre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994 ch. 47 et de l'Accord sur le commerce intérieur L.C. 1996 ch. 17.

[3]          Appliquant l'approche fonctionnelle et pragmatique, la Cour est d'avis que la norme de contrôle en l'espèce est le bien-fondé de la décision. En effet, nul ne conteste que le Tribunal a la compétence de décider si les entités gouvernementales défenderesses ont réparti ou non les quantités à acquérir entre plusieurs marchés. La question qui se pose est de savoir si elles l'ont effectivement fait. Le Tribunal doit agir dans les limites de la compétence que lui confère sa loi habilitante. La loi prévoit que les décisions rendues par le Tribunal peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La décision du Tribunal sur la question en litige en l'espèce ne relève pas d'un pouvoir discrétionnaire. Il n'est pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit. La norme de contrôle applicable en l'espèce est le bien-fondé de la décision.

[4]          La demanderesse est l'un des fournisseurs du ministère de la Défense nationale (MDN) en matière de système d'exploitation de réseau. L'autre était Banyan Systems Inc. Le 11 décembre 1998, les entités gouvernementales défenderesses ont annoncé publiquement leur intention d'acheter 325 licences Microsoft Windows NT Server 4.0 et 12 000 licences d'accès client de Microsoft afin, ont-elles prétendu, de procéder à la mise à niveau du système Banyan d'exploitation de réseau. Il ressort de la preuve que Banyan et Microsoft avaient conclu une alliance stratégique prévoyant que les utilisateurs du système Banyan qui désiraient mettre leur version à niveau devaient se servir d'un logiciel Microsoft. Les entités gouvernementales défenderesses ont estimé que l'acquisition en litige était exemptée de l'application des dispositions relatives aux marchés publics contenues dans l'ALÉNA et dans les autres accords commerciaux, qui, en règle générale, exigent que de tels marchés publics fassent l'objet d'un appel d'offres en régime de concurrence. En effet, selon le Ministère, cet achat ne nécessitait pas le lancement de ce type d'appel d'offres du fait qu'il était non économique de procéder d'une telle façon dans ce cas particulier, du fait qu'il y avait des contraintes de temps liées à la conformité à l'an 2000 et du fait que le projet en question était considéré comme une simple mise à niveau du système d'exploitation de réseau Banyan.

[5]          Le 11 février 1999, la demanderesse a déposé une plainte auprès du Tribunal. Bien que le fondement de cette plainte ait été l'absence d'un appel d'offres en régime de concurrence relativement au contrat spécifique visant l'acquisition de licences de serveur et de licences d'accès client de Microsoft, la demanderesse affirme qu'il ne s'agissait pas là de sa seule préoccupation. En effet, même si le contrat en question s'élevait à 360 000 $ environ, elle a réclamé une indemnité de 1 956 000 $ aux entités gouvernementales défenderesses. Selon elle, la preuve indique que ce contrat n'est qu'une partie d'un programme d'achats beaucoup plus vaste, qui suppose le remplacement et la rationalisation des systèmes d'exploitation de réseau Banyan et Novell. Elle affirme que l'acquisition par les entités gouvernementales défenderesses de licences de serveur et de licences d'accès client de Microsoft constituait l'une des étapes d'un projet qui la privera de la possibilité de fournir un nouveau système d'exploitation de réseau au MDN. La demanderesse évalue à 1 956 000 $ la perte de profits attribuable au fait qu'elle sera privée de la possibilité de remplacer l'ensemble du système d'exploitation de réseau de ce ministère.

[6]          Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) prévoit ce qui suit :

30.11(1) Subject to the regulations, a potential supplier may file a complaint with the Tribunal concerning any aspect of a procurement process that relates to a designated contract and request the Tribunal to conduct an inquiry into the complaint.

30.11 (1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d'enquêter sur cette plainte.

Selon l'interprétation que nous lui prêtons, ce paragraphe permet à tout fournisseur potentiel de déposer une plainte concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique. En l'espèce, le contrat spécifique est celui qui porte sur l'acquisition de licences de serveur et de licences d'accès client. L'aspect de la procédure suivie pour le marché public dont la demanderesse se plaint concerne, entre autres, le fractionnement du marché, c'est-à-dire qu'elle soutient que les entités gouvernementales défenderesses ont tenté de se soustraire aux obligations qui leur incombent aux termes de l'ALÉNA et des autres accords commerciaux de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics.

[7]          Aux termes du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (DORS/93-602), le Tribunal doit rendre sa décision selon les conclusions qu'il a tirées au sujet du respect des dispositions relatives aux marchés publics prévues aux accords commerciaux pertinents. L'article 11 du Règlement indique ce qui suit :

         11. Lorsque le Tribunal enquête sur une plainte, il détermine si le marché public a été passé conformément aux exigences de l'ALÉNA, de l'Accord sur le commerce intérieur ou de l'Accord sur les marchés publics, selon le cas.

[8]          Le paragraphe 1001(4) de l'ALÉNA est ainsi rédigé :

Aucune des Parties ne pourra préparer, élaborer ou autrement structurer un projet d'achat dans le but de se soustraire aux obligations du présent chapitre.

Le paragraphe l002(4) mentionne ce qui suit :

En complément du paragraphe 1001(4), une entité ne pourra ni choisir une méthode d'évaluation, ni répartir les quantités à acquérir entre plusieurs marchés, dans l'intention de se soustraire aux obligations du présent chapitre.

L'alinéa 1017(1)a) dispose que :

Afin de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics, chacune des Parties adoptera et maintiendra des procédures de contestation des offres pour les marchés visés par le présent chapitre, en conformité avec les points suivants :
     a)      chacune des Parties permettra aux fournisseurs de présenter des contestations des offres portant sur tout aspect du processus de passation des marchés, lequel, pour l'application du présent article, débutera au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursuivra jusqu'à l'adjudication du marché.

Les dispositions pertinentes de l'Accord sur les marchés publics conclu dans le cadre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce et celles de l'Accord sur le commerce intérieur sont au même effet.

[9]          Il est évident que la demanderesse s'inquiétait du fait qu'en procédant au fractionnement du marché, les entités gouvernementales défenderesses entreprenaient de faire passer le système d'exploitation de réseau du MDN à Microsoft sans lui donner une occasion équitable de soumissionner en vue de la fourniture et de la maintenance d'un nouveau système d'exploitation de réseau pour le Ministère.

[10]          Il faut admettre que les motifs du Tribunal sur la question du fractionnement du marché sont obscurs. En effet, le Tribunal indique d'abord que celle-ci est l'une des « diverses questions secondaires que les parties ont soulevées » . Compte tenu de la plainte que la demanderesse avait déposée auprès du Tribunal, il est difficile de qualifier de « secondaire » la question du fractionnement du marché.

[11]          Le Tribunal affirme ensuite ce qui suit :

Novell a soutenu que l'invitation à soumissionner en question n'est qu'une partie d'un projet global de rationalisation des systèmes d'exploitation entrepris au MDN depuis septembre 1995. À cet égard, le Tribunal précise clairement que seule l'invitation no W8474-9-QQD8/A fait ici l'objet de l'examen du Tribunal. Le bien-fondé des actions de passation de marchés publics passées ou à venir, dont il a été fait mention ci-dessus ou dans les observations des parties versées au dossier de la présente procédure, ne font pas l'objet de l'examen du Tribunal.

Ce paragraphe laisse supposer que le Tribunal entendait limiter son examen au contrat de licences de serveur et de licences d'accès client parce que c'était le seul contrat qui lui était soumis et parce qu'il n'était pas saisi des actions de passation de marchés publics passées ou à venir. Cependant, dans sa plainte et dans sa réponse, la demanderesse a fait allusion aux mesures que le MDN a déjà entreprises en termes de logiciel et de matériel ainsi qu'à d'autres mesures qui, à son avis, seront mises de l'avant, entraînant inévitablement la rationalisation du système d'exploitation de réseau du MDN et son passage à Microsoft. Par conséquent, il est difficile de comprendre comment le Tribunal peut affirmer qu'il n'était saisi que du contrat de licences de serveur et de licences d'accès client et non des actions de passation de marchés publics passées ou à venir.

[12]          Le paragraphe suivant des motifs du Tribunal est tout aussi difficile à comprendre :

En ce qui a trait à la question du « fractionnement du marché » soulevée par Novell, le Tribunal fait observer que les accords commerciaux prévoient que les parties ne peuvent préparer, élaborer ou autrement structurer un marché dans l'intention de se soustraire aux obligations des accords commerciaux. Dans ce contexte, le Tribunal fait observer que l'invitation à soumissionner en question, qu'elle s'inscrive ou non dans le cadre d'un marché plus vaste, est assujettie aux dispositions de l'ALÉNA, de l'AMP et de l'ACI. Le Tribunal est donc d'avis que le MDN et le Ministère ne se soustraient pas aux obligations des accords commerciaux dans la présente affaire.

Le Tribunal reconnaît les obligations de l'ALÉNA et des autres accords commerciaux. Toutefois, il est difficile de voir dans l'extrait « l'invitation à soumissionner en question, qu'elle s'inscrive ou non dans le cadre d'un marché plus vaste [...] » , autre chose qu'un refus de la part du Tribunal de statuer sur la question de savoir si le contrat en litige s'inscrivait ou non dans le cadre d'une procédure plus vaste de passation d'un marché public, ce qui constitue l'une des questions mêmes que la demanderesse a soulevées dans la plainte qu'elle a déposée auprès de ce même Tribunal.

[13]          Le paragraphe qui suit est également ambigu :

De plus, le Tribunal est d'avis que ce que Novell qualifie de marché global, mis en oeuvre de façon fragmentée par le MDN, peut aussi être vu comme le déroulement d'une stratégie de technologie de l'information. Le Tribunal établit la distinction susmentionnée pour souligner qu'il n'y a rien d'incorrect dans le fait d'élaborer une stratégie de technologie de l'information en termes génériques, une stratégie qui n'adopte pas ou n'applique pas de spécifications techniques qui auraient pour objet ou pour effet de créer des entraves inutiles au commerce. Selon le Tribunal, il est utile d'apporter cet éclaircissement, à la lumière de l'exposé de Microsoft selon laquelle les entités, et non le Tribunal, sont les mieux placées pour déterminer leurs besoins. Bien que le Tribunal soit d'accord avec cette opinion, il fait observer que, pour l'application de telles stratégies, les accords commerciaux prescrivent clairement qu'elles doivent en général être mises en oeuvre dans le cadre d'appels d'offres en régime de concurrence. Le Tribunal est d'avis qu'il est donc clair que lorsque des stratégies, comme la stratégie concernant le système d'exploitation de réseau du MDN, sont mises en oeuvre, les marchés publics qui en découlent doivent être passés en conformité avec les dispositions des accords commerciaux pertinents.

Nous avouons notre incapacité à comprendre la différence qui, s'il y en a une dans ces circonstances, existe entre un « marché global, mis en oeuvre de façon fragmentée » et « le déroulement d'une stratégie de technologie de l'information » . L'avocat des entités gouvernementales défenderesses a qualifié le premier de préjudiciable et le second de bénin. Toutefois, si les deux sont identiques, nous n'arrivons pas à voir comment ils peuvent être à la fois préjudiciables et bénins.

[14]          Bien que le Tribunal affirme que la passation d'un marché public dans le cadre de la stratégie concernant le système d'exploitation de réseau du MDN doit s'effectuer conformément à l'ALÉNA et aux autres accords commerciaux, il ne se prononce pas sur la question de savoir si, d'après la preuve présentée par la demanderesse, le Ministère cherchait ou non à empêcher cette dernière de soumissionner à l'occasion de futurs marchés publics relativement au système d'exploitation de réseau du MDN et, dans l'affirmative, si l'indemnité recommandée par le Tribunal pour l'absence d'un appel d'offres en régime de concurrence dans le cas de ce contrat spécifique était juste.

[15]          Comme nous l'avons mentionné précédemment, les motifs du Tribunal sont ambigus. C'est pourquoi nous ne sommes pas convaincus que le Tribunal a exercé la compétence que lui confèrent sa loi et son règlement d'application de se prononcer sur la question de savoir si les entités gouvernementales défenderesses ont procédé au fractionnement du marché et ont ainsi enfreint l'ALÉNA et les autres accords commerciaux, comme le soutient la demanderesse.

[16]          Je serais d'avis d'accueillir l'appel avec dépens et de renvoyer l'affaire au TCCE pour qu'il examine la plainte déposée par la demanderesse et se prononce sur la question de savoir si, en ce qui concerne le contrat spécifique, soit celui qui se rapporte aux licences de serveur et aux licences d'accès client, les entités gouvernementales défenderesses ont procédé au fractionnement du marché, dans l'intention de se soustraire aux obligations de l'ALÉNA et des autres accords commerciaux et, dans l'affirmative, qu'il détermine une réparation convenable.


     « Marshall Rothstein »

     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.





Date : 20000526


Dossier : A-440-99

CORAM      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE McDONALD



ENTRE :

     NOVELL CANADA, LTD.,

     demanderesse,

     et


     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et

     MICROSOFT CORPORATION,

     défendeurs.

     JUGEMENT


     L'appel est accueilli avec dépens et l'affaire est renvoyée au TCCE pour qu'il examine la plainte déposée par la demanderesse et se prononce sur la question de savoir si, en ce qui concerne le contrat spécifique, soit celui qui se rapporte aux licences de serveur et aux licences d'accès client, les entités gouvernementales défenderesses ont procédé au fractionnement du marché, dans l'intention de se soustraire aux obligations de l'ALÉNA et des autres accords commerciaux et, dans l'affirmative, qu'il détermine une réparation convenable.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER :                          A-440-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              NOVELL CANADA, LTD. c. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :              LE 24 ET LE 26 MAI 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Desjardins, Rothstein et McDonald) PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR le juge ROTHSTEIN


ONT COMPARU:

Ronald D. Lunau                          POUR LA DEMANDERESSE

Maryrose Ebos

Geoffrey S. Lester                          POUR LE MINISTRE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling, Strathy & Henderson                  POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE MINISTRE
Sous-procureur général du Canada                  DÉFENDEUR
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