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Date : 20041015

Dossier : A-579-03

Référence : 2004 CAF 346

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                              LES INDUSTRIES MON-TEX LTÉE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

     LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                       Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 31 août 2004

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW


Date: 20041015

Dossier : A-579-03

Référence : 2004 CAF 346

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                              LES INDUSTRIES MON-TEX LTÉE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

     LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté sous le régime de l'article 68 de la Loi sur les douanes, L.R 1985, ch. 1 par Les Industries Mon-Tex Ltée (l'appelante) contre une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) en date du 23 septembre 2000 ([2003] TCCE 81) confirmant la décision du commissaire des Douanes sur le classement de certains produits dans le cadre de l'annexe du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36.


[2]                En vertu de l'article 68 de la Loi sur les douanes, le présent appel est limité à des questions de droit. Il est bien établi que la norme de contrôle judiciaire des décisions de classement tarifaire du TCCE est le caractère raisonnable, ce qui veut dire que ces décisions doivent résister à l'épreuve d'un examen passablement rigoureux; voir Canada (Sous-ministre du Revenu national - M.R.N., Douanes et Accise) c. Schrader Automotive Inc. (1999), 240 N.R. 381 (C.A.), au paragraphe 4; et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.

[3]                La question en litige dans la présente espèce est le classement tarifaire d'ensembles de rideaux de douche qui consistent en un rideau de douche à deux panneaux tissés de fils de polyester (le polyester étant comme on sait une fibre synthétique), deux embrasses en tissu identique à celui du rideau de douche, des crochets de plastique et une doublure en vinyle (les marchandises). Le prix de détail d'un tel ensemble est d'environ 20 dollars.


[4]                Les ensembles de rideaux de douche en question sont constitués par l'assemblage d'articles différents. La doublure en vinyle, considérée séparément, serait classée sous le numéro tarifaire 3924.90.00 ( « autres articles de ménage ou d'économie domestique en matières plastiques » ), tandis que le rideau à deux panneaux en polyester, pris isolément, serait classé sous le numéro tarifaire 6303.92.90 ( « autres rideaux de fibres synthétiques » ). Les parties sont convenues que le classement de ces ensembles constitués par l'assemblage d'articles différents devrait être décidé dans le cadre de la Règle 3 b) des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé, ainsi rédigée :

3. Lorsque des marchandises paraissent devoir être classées sous deux ou plusieurs positions par application de la Règle 2 b) ou dans tout autre cas, le classement s'opère comme suit :

b) Les produits mélangés, les ouvrages composés de matières différentes ou constitués par l'assemblage d'articles différents et les marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail, dont le classement ne peut être effectué en application de la Règle 3 a), sont classés d'après la matière ou l'article qui leur confère leur caractère essentiel lorsqu'il est possible d'opérer cette détermination. [Non souligné dans l'original.]

La question précise dont était saisi le TCCE était celle de savoir si les marchandises devaient être classées sous le numéro tarifaire 6303.92.90 ( « autres rideaux de fibres synthétiques » ), ainsi que l'avait décidé le commissaire, ou sous le numéro tarifaire 3924.90.00 ( « autres articles de ménage ou d'économie domestique en matières plastiques » ), comme le soutenait l'appelante.

[5]                Le Tarif des douanes (article 11) dispose que, pour l'interprétation des positions et sous-positions de son annexe, il doit être tenu compte, entre autres, des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises. Il s'ensuit que la Règle 3 b) des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé, reproduite plus haut, doit être lue en fonction de la Note VIII des Notes explicatives, rédigée comme suit :

VIII) Le facteur qui détermine le caractère essentiel varie suivant le genre de marchandises. Il peut, par exemple, ressortir de la nature de la matière constitutive ou des articles qui les composent, de leur volume, leur quantité, leur poids ou leur valeur, ou de l'importance d'une des matières constitutives en vue de l'utilisation des marchandises.


[6]                Ainsi, le classement des marchandises dépendra de la détermination de leur « caractère essentiel » . Le TCCE a conclu que les aspects décoratifs des marchandises prédominaient et que, par conséquent, leur caractère essentiel résidait dans le rideau de douche à deux panneaux en polyester. Le passage pertinent de sa décision (page 5) étant assez bref, qu'on me permette de le reproduire ici :

Le Tribunal est d'avis que tous les rideaux de douche, qu'il s'agisse de simples feuilles de matériel imperméable ou d'ensembles plus complexes, comme les marchandises en cause, sont conçus pour empêcher l'eau d'aller au-delà de la baignoire ou du bac à douche. Un simple examen des marchandises en cause montre clairement que ce sont les éléments mode et leur nature décorative qui les distinguent des simples doublures de douche en vinyle. Le Tribunal n'a pas été convaincu par les éléments de preuve produits lors de l'audience selon lesquels la nature utilitaire des marchandises en cause a plus d'importance que leur propriété décorative. De l'avis du Tribunal, les éléments de preuve au dossier indiquent plutôt que, dans l'emballage et dans la documentation promotionnelle des marchandises en cause, l'accent est mis sur la conception et les éléments décoratifs. En effet, l'emballage et la documentation promotionnelle mentionnent simplement la doublure de vinyle comme un article qui est « inclus » dans l'emballage alors qu'ils soulignent les aspects décoratifs du rideau de douche extérieur à deux panneaux en polyester avec embrasses assorties. De plus, le poids et la valeur du rideau de douche extérieur à deux panneaux en polyester sont de beaucoup supérieurs à ceux de la doublure en vinyle, qui demeure essentiellement la même quel que soit le prix des différents ensembles qui sont devant le Tribunal dans le présent appel. [Renvois omis.]

Par conséquent, le Tribunal est d'avis que c'est le rideau de douche extérieur à deux panneaux en polyester qui donne à l'ensemble son caractère essentiel. Ainsi, le classement des marchandises en cause est déterminé en conformité avec cet article, qui est une marchandise du numéro tarifaire 6303.92.90.


[7]                M. Kaylor soutient au nom de l'appelante que le TCCE a commis une erreur de droit dans l'interprétation des termes « caractère essentiel » de la Règle 3 b). Il fait valoir que, ayant constaté que les marchandises en cause étaient conçues pour contenir l'eau dans un espace déterminé, à savoir la baignoire ou le bac à douche, le TCCE ne pouvait conclure, comme il l'a fait, que le caractère essentiel de ces marchandises résidait dans leurs éléments décoratifs.

[8]                Cette erreur, selon M. Kaylor, résulte de l'interprétation erronée par le TCCE du terme « essentiel » . M. Kaylor précise sa pensée en faisant valoir que le caractère « essentiel » signifie la « raison d'être » , de sorte que la recherche du caractère essentiel des marchandises doit viser la détermination de leur raison d'être, c'est-à-dire la raison de leur existence, plutôt que de facteurs qui les distinguent d'autres marchandises, en l'occurrence de simples doublures de douche en vinyle. Si le TCCE avait cherché la raison d'être des marchandises, il serait nécessairement arrivé, selon M. Kaylor, à la conclusion que leur caractère essentiel résidait dans leurs éléments destinés à éviter le rejaillissement de l'eau.

[9]                Une question semblable a récemment été examinée par le Tribunal du commerce international des États-Unis (le Tribunal américain du commerce) dans la décision Better Home Plastics Corp. c. United States (20 C.I.T. 221; 916 F. Supp. 1265; 1996 Ct. Intl. Trade LEXIS 42; SLIP OP. 96-35), que l'appelante a soumise à notre attention. Les questions de fait et le droit applicable y étaient pratiquement identiques à ceux de la présente espèce. La question en litige dans cette affaire était le classement d'ensembles de rideaux de douche constitués par un rideau extérieur de tissu, une doublure en plastique magnétique et des crochets de plastique. Le Tribunal américain du commerce a conclu que le caractère essentiel de ces ensembles résidait dans leur capacité à empêcher l'eau de rejaillir.


[10]            Bien qu'il reconnût aux ensembles de rideaux de douche en question des [TRADUCTION] « caractéristiques décoratives attrayantes » , le Tribunal américain du commerce a affirmé sans hésiter que c'était la doublure de plastique qui conférait aux marchandises la propriété indispensable de prévention des rejaillissements d'eau et que ce trait constituait leur caractère essentiel. Les Douanes américaines ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision et, en un jugement unanime (119 F.3d 969; 1997 U.S. App. LEXIS 17629), la Cour d'appel pour le circuit fédéral des États-Unis les a déboutées. La Cour d'appel américaine a formulé les observations suivantes aux pages 971 et 972 de cet arrêt :

[TRADUCTION] Le Tribunal du commerce international a examiné attentivement tous les faits et, après les avoir pesés de manière raisonnée, il a conclu que la preuve et l'argumentation de Better Home Plastics suffisaient à renverser la présomption de bien-fondé. Il a conclu que la fonction indispensable de prévention des rejaillissements d'eau, les fonctions de protection de l'intimité et de décoration de la doublure en plastique et le prix relativement bas des ensembles concouraient à étayer la décision selon laquelle ladite doublure conférait aux ensembles leur caractère essentiel. Contrairement à la thèse des États-Unis, nous ne pensons pas que le Tribunal ait commis une erreur en s'inspirant, pour l'analyse du « caractère essentiel » , du concept de « caractère indispensable » appliqué dans d'autres domaines du droit. La décision du Tribunal n'était pas fondée uniquement sur le caractère indispensable de la fonction de prévention des rejaillissements, ni même n'en dépendait. Elle était fondée en substance sur l'importance des autres fonctions, ainsi que sur le prix de l'ensemble. Nous ne trouvons donc rien à redire à la conclusion finale relative au caractère essentiel qu'a formulée le Tribunal dans l'affaire qui nous occupe. Par conséquent, nous ne voyons pas d'erreur non plus dans le refus du Tribunal de rejeter le critère du caractère essentiel en faveur de la règle par défaut énoncée à l'alinéa 3 c) des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé.


[11]            Le TCCE n'était évidemment pas tenu de suivre la décision Better Home. Cependant, l'approche adoptée par le Tribunal américain du commerce est à mon sens instructive relativement à la détermination qui doit être faite. Plus précisément, cette décision met en lumière le fait que l'objet de l'examen en cause n'est pas de peser simplement les éléments de la Note explicative VIII les uns par rapport aux autres, mais plutôt de déterminer l'essence ou la nature fondamentale des marchandises.

[12]            Les définitions suivantes du terme « essentiel/essential » qu'on trouve dans les dictionnaires nous aideront à mieux comprendre la signification de l'expression « caractère essentiel » . Le New World Dictionary de Webster (2nd College ed.) définit comme suit le mot essential :

1.             of or constituting the intrinsic fundamental nature of something; basic; inherent [an essential difference].

Le Shorter Oxford English Dictionary (Oxford University Press, 5th edition, 2002, page 860) en propose quant à lui la définition suivante :

A. adj.      2. of or pertaining to a thing's essence.

5. constituting or forming part of a thing's essence; fundamental to its composition.

Dans The New Oxford Dictionary of English, Oxford, Clarendon Press, 1998, page 628, on lit à l'article essential :

Fundamental or central to the nature of something or someone.

Enfin, Le Robert Dictionnaire de la langue française (Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992) définit ainsi le mot « essentiel » à la page 144 :

I Adj. A didact. 3. Littér. Qui appartient à l'essence. Les caractères, les attributs essentiels d'un objet. öCaractéristique, constitutif, intrinsèque.

B. Cour. 2. sans compl. (opposé à secondaire). Qui est le plus important öPrincipal. Les traits, les caractères essentiels.


[13]            Toutes ces définitions mettent en évidence le fait que, pour être essentielle, une caractéristique doit se rattacher à l'essence de quelque chose; elle doit être fondamentale. Par conséquent, la mission du TCCE, si je peux ainsi désigner sa tâche, consistait à déterminer la nature fondamentale des marchandises en question.

[14]            En l'occurrence, il y avait deux thèses concurrentes. L'appelante soutenait que le caractère essentiel des marchandises était déterminé par la fonction pratique de la doublure de vinyle, qui empêchait l'eau de rejaillir de la baignoire ou du bac à douche. Le commissaire soutenait de son côté que le caractère essentiel des marchandises était déterminé par la fonction décorative du rideau de polyester.

[15]            Le TCCE a constaté que les marchandises en question étaient conçues pour empêcher l'eau de rejaillir de la baignoire ou du bac à douche. Cette constatation serait compatible avec la conclusion que la raison d'être ou la nature fondamentale des marchandises est d'empêcher le rejaillissement de l'eau. Néanmoins, le TCCE est arrivé à la conclusion opposée, à savoir que le caractère essentiel de ces marchandises était déterminé par leur fonction décorative.


[16]            Il est possible d'imaginer un cas où les éléments décoratifs d'un bien de consommation utile, fût-il aussi peu coûteux que les marchandises qui nous occupent, prédomineraient à tel point qu'il serait raisonnable pour le TCCE de conclure qu'il est principalement décoratif, même s'il se trouve être en outre utile. Si le TCCE croyait que tel était le cas dans la présente espèce, il lui incombait de justifier cette conclusion par une explication convaincante. On eût par exemple aimé savoir pourquoi au juste il estimait que la présente affaire imposait une conclusion différente de celle de la décision Better Homes. Cependant, l'examen attentif du dossier et de l'exposé des motifs du TCCE ne révèle rien sur quoi celui-ci eût pu raisonnablement fonder la conclusion à laquelle il est arrivé. Cela étant, il m'est impossible de conclure au caractère raisonnable de la décision du TCCE.

[17]            J'accueillerais le présent appel avec dépens, j'annulerais la décision du TCCE et, rendant l'ordonnance que celui-ci aurait dû rendre, j'accueillerais l'appel de la détermination du commissaire.

« M. Nadon »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                A-579-03

INTITULÉ :               LES INDUSTRIES MON-TEX LTÉE

c.

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET    DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 31 AOÛT 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor

POUR L'APPELANTE

Jean-Robert Noiseux

Yannick Landry

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lapointe Rosenstein

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                   

POUR L'INTIMÉ

                                                     


Date : 20041015

Dossier : A-579-03

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2004

CORAM :     LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                      LES INDUSTRIES MON-TEX LTÉE

                                                                                            appelante

                                                     et

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                  intimé

                                           JUGEMENT

               Le présent appel est accueilli avec dépens. La décision du Tribunal canadien du commerce extérieur en date du 23 septembre 2000 est annulée, et l'appel de la détermination du commissaires des Douanes interjeté par l'appelante est accueilli.

« Marshall Rothstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


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