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Date : 20031007

Dossier : A-346-02

Référence : 2003 CAF 371

CORAM:        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

EUGENE KAULIUS, STEVEN M. COOK, CHARLES E. BEIL,

CRAIG C. STURROCK, AMALIO DE COTIIS, JOHN N. GREGORY,

347059 B.C. LTD., FRANK MAYER, JOHN R. OWEN,

VERLAAN INVESTMENTS INC., WILLIAM JOHN MILLAR,

NSFC HOLDINGS LTD., TFTI HOLDINGS LIMITED,

DOUGLAS H. MATHEW, IAN H. PITFIELD, LA SUCCESSION DE FEU

LORNE A. GREEN ET INNOCENZO DE COTIIS

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                     Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 septembre 2003

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE ROTHSTEIN


Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                    LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                       LE JUGE SEXTON


Date : 20031007

Dossier : A-346-02

Référence : 2003 CAF 371

CORAM:        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

EUGENE KAULIUS, STEVEN M. COOK, CHARLES E. BEIL,

CRAIG C. STURROCK, AMALIO DE COTIIS, JOHN N. GREGORY,

347059 B.C. LTD., FRANK MAYER, JOHN R. OWEN,

VERLAAN INVESTMENTS INC., WILLIAM JOHN MILLAR,

NSFC HOLDINGS LTD., TFTI HOLDINGS LIMITED,

DOUGLAS H. MATHEW, IAN H. PITFIELD, LA SUCCESSION DE FEU

LORNE A. GREEN ET INNOCENZO DE COTIIS

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 Il s'agit d'un groupement d'appels interjetés à l'encontre de la décision de la Cour de l'impôt (Mathew et al. c. La Reine, 2002 D.T.C. 1637, [2003] 1 C.T.C. 2045) par laquelle le juge Dussault a rejeté les appels des appelants concernant des avis de nouvelle cotisation délivrés par le ministre du Revenu national.


Les faits

[2]                 Les faits sont exposés en détail dans le jugement du juge Dussault, et il suffira de les résumer pour les fins du présent appel. Au plan pratique, les faits entourant le présent appel sont les mêmes que les faits en cause dans OSFC Holdings Ltd. c. La Reine, [2002] 2 C.F. 288, 2001 CAF 260 [OSFC]. Lors de la plaidoirie, les avocats ont convenu que des appelants étaient essentiellement dans la même situation que l'appelante dans OSFC.

[3]                 La Compagnie Standard Trust accordait des prêts garantis par des hypothèques sur des immeubles. Standard est devenue insolvable et, en 1991, la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) a ordonné qu'elle soit liquidée et a nommé un liquidateur à cette fin. En vue d'obtenir la meilleure réalisation possible de la disposition des actifs de Standard, le liquidateur a effectué une série d'opérations qui, par application du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes prévues à l'article 96 de la Loi de l'impôt sur le revenu, ont permis aux appelants de se prévaloir des pertes accumulées du portefeuille de prêts hypothécaires de Standard. Voici le résumé des opérations :

1.         Standard a constitué une filiale en propriété exclusive;

2.          Standard et la filiale ont formé la société de personnes STIL II, dans laquelle Standard détenait une participation de 99 % et la filiale une participation de 1 %;

3.          Standard a transféré le portefeuille à STIL II, comme apport au capital de cette dernière, et a prêté à la filiale suffisamment d'argent pour que celle-ci puisse faire son apport de capital;


4.          en raison du paragraphe 18(13), le coût du portefeuille de prêts hypothécaires pour STIL II, aux fins de l'impôt sur le revenu, correspondait au coût d'origine pour Standard (85 368 872 $), malgré le fait que la valeur marchande en cours (environ 33 262 000 $) était à l'époque bien moindre;

5.          Standard a vendu sa participation de 99 % dans la société de personnes STIL II à OSFC, une société sans lien de dépendance avec Standard;

6.          OSFC a formé la société de personnes SRMP avec un certain nombre d'investisseurs, y compris les appelants en l'espèce;

7.          OSFC a transféré sa participation de 99 % dans la société de personnes STIL II à la société de personnes SRMP, en échange d'une participation de 24 % dans SRMP et d'une autre contrepartie;

8.          pour l'exercice se terminant le 30 septembre 1993, STIL II a enregistré une perte nette, aux fins de l'impôt sur le revenu, de 52 millions de dollars résultant du fait qu'elle a dû vendre des biens hypothéqués à des prix bien moindres que l'investissement initial de Standard et ramener à leur juste valeur marchande les biens restants de cet investissement initial;

9.          par application des règles relatives aux sociétés de personnes prévues à l'article 96, la société de personnes SRMP s'est vu attribuer 99 % de cette perte le 30 septembre 1993. La perte a ensuite été attribuée aux associés de SRMP à la fin de l'exercice de celle-ci, soit le 1er octobre 1993.


[4]                 Les appelants ont déduit leur part de la perte de la société en commandite lors du calcul de leurs revenus imposables en 1993 et 1994. Le ministre n'a pas admis la déduction des pertes, sur le fondement de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la règle générale anti-évitement - RGAÉ). Les appelants ont interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Le juge Dussault a statué, suivant en cela la décision de notre Cour dans OSFC, que les opérations en cause constituaient une série d'opérations d'évitement qui ont donné lieu à un avantage fiscal pour les appelants. Il a également conclu que les opérations entraînaient un abus dans l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ensemble, et a statué que le ministre avait recouru à juste titre à la RGAÉ.

[5]                 Il a rejeté, en outre, les arguments d'ordre constitutionnel des appelants. Il a par conséquent rejeté les appels de ces derniers.

Questions en litige

[6]                 Les appelants concèdent que les opérations en cause étaient bien des opérations d'évitement et que celles-ci leur ont procuré un avantage fiscal.

[7]                 Les appelants soulèvent les trois questions suivantes.

1.         L'analyse dans OSFC portant sur l'abus dans l'application du paragraphe 245(4), sur laquelle le juge Dussault s'est fondé, était-elle valable?

2.         La RGAÉ est-elle inconstitutionnelle en tant que contraire à l'article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867?


3.         La RGAÉ est-elle inconstitutionnelle en tant que contraire à l'article 7 de la Charte des droits et libertés?

Analyse

1re question en litige - L'analyse portant sur l'abus dans l'application du paragraphe 245(4) est-elle valable?

[8]                 Les appelants soutiennent que la Cour devrait renverser sa décision antérieure dans OSFC, pour ce qui est de l'analyse portant sur l'abus dans l'application du paragraphe 245(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[9]                 Voici le texte du paragraphe 245(4) :

(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble -- compte non tenu du présent article -- n'est pas visée par le paragraphe (2).

(4) For greater certainty, subsection 245(2) does not apply to a transaction where it may reasonably be considered that the transaction would not result directly or indirectly in a misuse of the provisions of this Act or an abuse having regard to the provisions of this Act, other than this section, read as a whole.


[10]            La question de savoir quand il convient que la Cour renverse l'une de ses décisions antérieures a récemment été examinée dans Miller c. Canada (Procureur général) (2002), 220 D.L.R. (4th) 149, 2002 CAF 370. On souligne aux paragraphes 8 et 9 de Miller que, bien que la Cour puisse renverser ses propres décisions, elle devrait suivre ses précédents, sauf circonstances exceptionnelles, afin d'assurer la constance et l'uniformité. Le critère utilisé pour renverser la décision d'une autre formation de la Cour, celle-ci a-t-elle déclaré au paragraphe 10, exige que la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n'a pas tenu compte d'une disposition législative applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté.

[11]            Dans OSFC, la Cour a statué que, pour établir s'il y a eu abus dans l'application du paragraphe 245(4), il faut procéder à une analyse en deux étapes. D'une part, il faut cerner la politique générale pertinente qui sous-tend la Loi lue dans son ensemble. D'autre part, il faut évaluer les faits pour établir si les opérations d'évitement constituaient un abus compte tenu de la politique générale en question (paragraphe 67).

[12]            Dans OSFC, la Cour a conclu que la politique générale sous-tendant la Loi de l'impôt sur le revenu interdit le transfert entre contribuables de pertes autres qu'en capital. Il y a toutefois quelques exceptions à cette politique générale. Les personnes qui deviennent des associés d'une société de personnes, par exemple, peuvent se prévaloir des pertes subies par celle-ci pendant l'exercice précédent. À la suite du changement de contrôle d'une société, les pertes des années antérieures sont déductibles dans des circonstances restreintes. La politique générale c'est toutefois que chaque personne a un statut indépendant pour les fins de l'impôt sur le revenu, et que des contribuables sans lien de dépendance ne peuvent se transférer des pertes.


[13]            Dans les circonstances de l'affaire OSFC, les pertes provenaient de Standard. Les opérations d'évitement ont eu pour résultat le transfert de la perte de Standard à un contribuable sans lien de dépendance, OSFC, par application du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes de l'article 96 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La Cour a toutefois conclu que, compte tenu de la RGAÉ, le transfert à OSFC de la perte de Standard, par le mécanisme combiné du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes, a violé la politique générale qui sous-tend la Loi de l'impôt sur le revenu et interdit le transfert de pertes entre contribuables. Ce faisant, le transfert en cause a donné lieu à un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[14]            Dans OSFC, on a invoqué diverses dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pour avancer comme argument additionnel que le législateur fédéral avait établi un régime complet régissant le traitement des pertes. Le législateur aurait ainsi complètement réglé la question de savoir dans quels cas les pertes peuvent ou ne peuvent pas être transférées. On a fait valoir que le paragraphe 18(13), le mécanisme utilisé dans OSFC pour le transfert de pertes, constituait l'une de ces règles. La Cour a reconnu que si, par suite des règles et des exceptions prévues, on ne peut dégager une claire politique générale en sens contraire, l'application des dispositions législatives doit l'emporter (paragraphe 115). La Cour a toutefois conclu qu'était claire la politique sous-tendant la Loi interdisant le transfert de pertes entre contribuables sans lien de dépendance, et qu'on avait violé cette politique en l'espèce.


[15]            Les appelants soutiennent dans le présent appel que, compte tenu de dispositions telles que les alinéas 40(2)g) et 53(1)f) et les paragraphes 85(5.1), 85(4), 93(2), 112(3) à (3.12) et 18(13), la politique sous-tendant la Loi de l'impôt sur le revenu n'interdit pas le transfert de pertes « non matérialisées » ou « en gestation » d'un cédant à un cessionnaire. Les avocats ont expliqué à la Cour que les pertes « non matérialisées » ou « en gestation » étaient des pertes éventuelles existant lorsque le coût d'un bien aux fins de l'impôt sur le revenu est supérieur à sa juste valeur marchande. Elles ne deviennent des pertes « réalisées » pouvant être déduites du revenu que lorsque le bien est vendu ou amorti. Les appelants soutiennent que la plupart des dispositions qu'ils invoquent n'avaient pas été portées à l'attention de la Cour dans OSFC, ce qui l'a menée à conclure, de manière manifestement erronée, que la politique générale sous-tendant la Loi de l'impôt sur le revenu, lue dans son ensemble, interdit le transfert de pertes entre contribuables sans lien de dépendance.

[16]            Quoiqu'il semble que chacune des dispositions invoquées devant notre Cour ne l'a pas été dans OSFC, l'essentiel de l'argument soulevé en l'espèce l'était également dans cette affaire. Or, la Cour a examiné l'argument dans OSFC et l'a alors rejeté.


[17]            Selon leur libellé aux moments pertinents, l'alinéa 53(1)f) et les paragraphes 85(4) et (5.1), tout comme le paragraphe 18(13), reçoivent application lorsque le bien en cause est transféré à certains types de personnes qui ont un lien de dépendance avec le cédant. Le paragraphe 85(5.1) s'applique également aux transferts au membre d'un groupe qui contrôle le cédant ou à une société de personnes dont le cédant est un associé détenant une participation majoritaire. Toutes les dispositions s'appliquent lorsqu'existe un type particulier de relation prévu dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Elles ne s'appliquent pas aux transferts effectués en l'absence d'une telle relation spécifiée. L'alinéa 40(2)g) et les paragraphes 93(2) et 112(3) à (3.12) prévoient un mécanisme pour minimiser les pertes qui restreint même la possibilité de se prévaloir de certaines pertes. Aucune de ces dispositions ne s'écarte de la politique générale sous-tendant la Loi de l'impôt sur le revenu qui interdit le transfert de pertes entre contribuables sans lien de dépendance.

[18]            On n'a pas démontré en l'espèce que la Cour n'avait pas tenu compte dans OSFC d'une disposition législative déterminante. Les appelants ne font qu'invoquer quelques dispositions additionnelles au soutien d'un argument qui avait déjà été avancé. Cela ne suffit pas pour que la Cour envisage de renverser sa décision antérieure.

2e question en litige - La RGAÉ est-elle inconstitutionnelle en tant que contraire à l'article 53 de la Loi constitutionnelle de1867?

[19]            L'article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit ce qui suit :

53. Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.

53. Bills for appropriating any Part of the Public Revenue, or for imposing any Tax or Impost, shall originate in the House of Commons.

[20]            Pour faire valoir leur argument fondé sur la Loi constitutionnelle de 1867, les appelants se fondent sur OECTA c. Ontario (P.G.), [2001] 1 R.C.S. 470, 2001 CSC 15, où l'on a statué que la délégation du pouvoir de taxation est constitutionnelle si elle est faite dans un langage explicite et non ambigu (au paragraphe 74). Les appelants soutiennent que le libellé de la RGAÉ est si imprécis que le ministre se voit conférer un plein pouvoir de taxation, sans qu'ont ait recouru à un langage explicite et non ambigu, en violation de l'article 53.


[21]            Dans OECTA, la question en litige était celle de savoir si était constitutionnelle la délégation au ministre des Finances de l'Ontario du pouvoir de prescrire le taux des impôts scolaires. Avec l'assiette fiscale et l'unité de temps, le taux d'imposition est un élément qui permet de déterminer un impôt (au paragraphe 73). Dans OECTA, la Cour suprême a conclu que la loi autorise expressément le ministre à prescrire le taux d'imposition applicable; en outre, la délégation du pouvoir d'établir le taux se situe dans un cadre législatif détaillé, qui précise la structure de la taxe, l'assiette fiscale et les principes de son imposition.

[22]            Je n'interprète pas la RGAÉ comme autorisant le ministre à décider d'un élément qui permet d'établir l'impôt sur le revenu, tel l'assiette fiscale ou un taux d'imposition, comme c'était le cas dans OECTA. Lorsqu'il a adopté la RGAÉ, le législateur a fourni au ministre une base additionnelle en vue de fixer une nouvelle cotisation pour un contribuable, conformément au cadre détaillé prévu à cette fin à la Loi de l'impôt sur le revenu. Bien que l'article 245 autorise le ministre à établir une nouvelle cotisation en se fondant sur la politique générale de la Loi plutôt que sur des dispositions spécifiques de la Loi autres que l'article 245, cette politique générale émane du législateur et est interprétée par les tribunaux. On n'a délégué au ministre nul pouvoir d'établir des politiques, non plus qu'un nouvel impôt, de sa propre initiative.

3e question en litige - La RGAÉ est-elle inconstitutionnelle en tant que contraire à l'article 7 de la Charte des droits et libertés?

[23]            L'article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[24]            Les appelants soutiennent que, depuis la décision Gosselin c. Québec (P.G.), 2002 CSC 84, de la Cour suprême du Canada, le droit à la liberté et à la sécurité prévu à l'article 7 comprend le droit d'échapper à l'imposition arbitraire et indéterminée.

[25]            Les appelants soutiennent également que l'expression « abus » au paragraphe 245(4) ne peut se voir attribuer un sens « noyau » et, par conséquent, est inconstitutionnelle parce que trop imprécise.


[26]            Dans Gosselin, la Cour a examiné si le versement de prestations d'aide sociale inadéquates pouvait constituer une violation de l'article 7. La juge en chef McLachlin, s'exprimant au nom de la majorité, a signalé que la plupart des décisions relatives à l'article 7 résultaient d'une interaction de l'individu avec l'administration de la justice (au paragraphe 77). Elle a toutefois statué qu'il était inutile de tenter de formuler une définition exhaustive de la notion d'administration de la justice, puisque cette question n'était, de toute évidence, pas en jeu en l'espèce (au paragraphe 79). La juge en chef s'est également refusée à trancher si l'article 7 pouvait ou non s'appliquer dans des situations sans lien aucun avec l'administration de la justice, parce que Mme Gosselin n'avait pas démontré d'atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et que l'affaire ne se prêtait pas à un élargissement de la portée de l'article 7, de manière à imposer à l'État une obligation positive de garantir à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne (aux paragraphes 81 à 83).

[27]            Les arguments des appelants doivent être rejetés pour deux motifs. Premièrement, je ne suis pas convaincu que le rejet d'une déduction fiscale constitue un type d'action de l'État qui appelle la protection de l'article 7. Je reconnais que, dans Gosselin, les juges de la majorité à la Cour suprême ont confirmé que l'article 7 assure une protection à l'égard des actions de l'État liées à l'administration de la justice, et que cette dernière notion n'avait pas été définie de manière exhaustive (aux paragraphes 77 à 79).

[28]            Je ne souscris toutefois pas à la théorie des appelants selon laquelle, par suite de Gosselin, toute action de l'État mettant en cause l'administration de la justice fait entrer en jeu la protection de l'article 7. Bien que, dans Gosselin, la Cour suprême ait pu accroître le nombre de situations où l'atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne pourrait constituer une violation de l'article 7, elle n'a pas mis en question la nécessité de démontrer en premier lieu l'existence d'une telle atteinte (aux paragraphes 75, 77 et 81).

[29]            Je reconnais que le pouvoir d'établir une nouvelle cotisation pour un contribuable met en cause l'administration de la justice. Je ne reconnais toutefois pas qu'établir une nouvelle cotisation donne lieu à une atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne.


[30]            Si un droit entre en jeu lorsqu'on établit de nouvelles cotisations, c'est d'un droit économique qu'il s'agit. S'exprimant au nom de la majorité dans Gosselin, la juge en chef McLachlin a fait observer que, dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 1003, le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la majorité, n'avait pas répondu à la question de savoir si l'article 7 pouvait être invoqué pour protéger les « droits économiques, fondamentaux à [...] la survie [de la personne] » . On ne laisse toutefois pas entendre dans Gosselin que l'article 7 est d'assez large portée pour englober les droits économiques de manière générale ou, plus particulièrement, l'établissement de nouvelles cotisations. Je suis d'avis, par conséquent, que les appelants n'ont pas démontré l'atteinte à un droit quelconque garanti par l'article 7 de la Charte.

[31]            Je ne reconnais pas, en deuxième lieu, que le paragraphe 245(4) est inconstitutionnel pour motif d'imprécision. Comme on l'a déclaré dans Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, la question est celle de savoir si une loi constitue un guide suffisant pour un débat judiciaire et peut donner lieu à une interprétation cohérente par les tribunaux. Dans l'affirmative, la loi contestée n'est pas imprécise (au paragraphe 79).


[32]            Pour ce qui est de l'article 245, la Cour de l'impôt et notre Cour ont souvent eu l'occasion de l'interpréter et de l'appliquer. La Cour, d'ailleurs, a pu interpréter et appliquer le paragraphe 245(4) en regard des faits de l'affaire OSFC qui, au plan pratique, sont les mêmes que les faits d'espèce. Le paragraphe 245(4) ayant été interprété et appliqué par les tribunaux en plusieurs occasions, il peut donner lieu à un débat judiciaire ainsi qu'à une interprétation cohérente des tribunaux. Il n'est donc pas entaché d'imprécision inconstitutionnelle.

Conclusion

[33]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                                                                 _ Marshall Rothstein _            

                                                                                                                                                                 Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         A-346-02

INTITULÉ :                                                     EUGENE KAULIUS ET AL.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 15 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                        LES JUGES LINDEN et SEXTON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 7 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Kim Hansen et

David J. Martin

POUR LES APPELANTS

Luther Chambers c.r. et

Robert Carvalho

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kim Hansen et

David J. Martin

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES APPELANTS                  

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE


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