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Date : 20001102


Dossier :A-429-99

CORAM:      LE JUGE ISAAC

         LE JUGE McDONALD

         MADAME LE JUGE SHARLOW

        

ENTRE :


LE COMMISSAIRE AUX BREVETS,


appelant


- et -


     PFIZER INC.,


intimée.




Audience tenue à Ottawa (Ontario), le jeudi 12 octobre 2000

Jugement rendu à Ottawa, le jeudi 2 novembre 2000

                                    

    



MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ISAAC

AUXQUELS ONT SOUSCRIT LE JUGE McDONALD et MADAME LE JUGE SHARLOW



Date : 20001102


Dossier : A-429-99


CORAM:      LE JUGE ISAAC

         LE JUGE McDONALD

         MADAME LE JUGE SHARLOW

    

ENTRE :

     LE COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     appelant,

     - et -


     PFIZER INC.,

     intimée.



     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ISAAC


[1]      Il s'agit d'un appel d'une ordonnance qu'un juge des requêtes de la Section de première instance a rendue le 10 juin 1999 et par laquelle il a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l'intimée et statué qu'un avis de rétablissement de la demande de brevet de l'intimée portant le numéro de série 2 131 371 devrait être délivré, de sorte que la demande de brevet de l'intimée, qui avait été considérée comme abandonnée en raison du défaut de payer les taxes annuelles, a été rétablie.

Dispositions législatives pertinentes

[2]      Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets1 :

     27.1 (1) Le demandeur est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir sa demande en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.
     73(1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :
         a)      de répondre de bonne foi, dans le cadre d'un examen, à toute demande de l'examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminée par le commissaire;
         b)      de se conformer à l'avis mentionné au paragraphe 27(6);
         c)      de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l'article 27.1;
         d)      de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire;
         e)      de se conformer à l'avis mentionné au paragraphe 35(2);
         f)      de payer les taxes réglementaires mentionnées dans l'avis d'acceptation de la demande de brevet dans les six mois suivant celui-ci.

. . .

     Rétablissement
     (3) Elle peut être rétablie si le demandeur :
         a)      présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;
         b)      prend les mesures qui s'imposaient pour éviter l'abandon;
         c)      paie les taxes réglementaires avant l'expiration de la période réglementaire.

. . .

     Date de dépôt originelle
     (5) La demande rétablie conserve sa date de dépôt.

[3]      L'article 152 des Règles sur les brevets2 est ainsi libellé :

     Pour que la demande considérée comme abandonnée en application de l'article 73 de la Loi soit rétablie, le demandeur, à l'égard de chaque omission mentionnée au paragraphe 73(1) de la Loi ou visée à l'article 151, présente au commissaire une requête à cet effet, prend les mesures qui s'imposaient pour éviter la présomption d'abandon et paie la taxe prévue à l'article 7 de l'annexe II, dans les douze mois suivant la date de prise d'effet de la présomption d'abandon. [non souligné à l'original]

Faits

[4]      L'intimée est titulaire de la demande de brevet portant le numéro de série 2 131 371 ( « demande 371 » ), qui a été déposée le 27 janvier 1993. Une taxe annuelle de 100 $ ( « taxe périodique » ) doit être payée à l'anniversaire de la date de dépôt afin que la demande demeure en vigueur.

[5]      La taxe périodique que l'intimée devait payer à l'égard de la demande 371 était exigible le 27 janvier 1997; l'intimée ayant omis de payer cette taxe, sa demande a été considérée comme abandonnée le 27 janvier 1997. Le 5 mars 1997, le Bureau des brevets a donc fait parvenir un avis d'abandon à l'intimée. Le 10 mars 1997, l'intimée a demandé que des modifications soient apportées à la demande 371.

[6]      Le 5 février 1998, l'intimée a demandé au Bureau des brevets de transférer les taxes annuelles précédemment versées à l'égard des autres demandes de brevet afin de payer la taxe annuelle due le 27 janvier 1997 et la taxe de rétablissement relative à la demande de brevet 371. À cette date, la taxe annuelle due le 27 janvier 1998 était encore impayée.

[7]      Le 24 février 1998, le Bureau des brevets a fait parvenir à l'intimée un avis de rétablissement et un avis d'abandon. Le 2 mars 1998, le Bureau des brevets a fait parvenir un autre avis d'abandon à l'égard de la demande 371. À cette même date, l'intimée a demandé le rétablissement de la demande 371 et tenté de payer la taxe annuelle du 28 janvier 1998 ainsi que la taxe de rétablissement prescrite. Un avis de rétablissement a été délivré une semaine plus tard.

[8]      Le 20 mars 1998, le Bureau des brevets a fait parvenir à l'intimée une lettre indiquant que l'avis de rétablissement daté du 24 février 1998 avait été envoyé par erreur et que l'intimée n'avait pas respecté les exigences relatives au rétablissement de la demande 371. Dans une lettre subséquente datée du 23 mars 1998, le Bureau des brevets a précisé que la lettre de l'intimée en date du 10 mars 1997 ne respectait pas les conditions prescrites pour être considérée comme une demande de rétablissement et que, étant donné [TRADUCTION] « ...qu'aucune demande de rétablissement n'avait été reçue le 27 janvier 1998, ... la demande est maintenant non avenue, puisque le délai prévu pour le rétablissement a expiré » . L'avis de rétablissement a donc été rétracté.

[9]      Le 11 mai 1998, le Bureau des brevets a délivré un autre avis de rétablissement à l'égard de la demande 371.

Motifs du juge des requêtes

[10]      Se fondant sur la décision que le juge Evans (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) avait rendue dans l'affaire Markevich c. Canada3, le juge des requêtes a rejeté l'objection préliminaire de l'appelant selon laquelle les lettres des 20 et 23 mars 1997 ne pouvaient faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[11]      Le juge des requêtes a conclu que, même si les exigences législatives applicables au rétablissement de la demande 371 n'avaient pas été respectées, la demande avait été valablement rétablie par la délivrance de l'avis de rétablissement en date du 24 février 1998, parce que ni la Loi non plus que les Règles n'autorisaient le commissaire aux brevets à retirer ou à annuler un avis de rétablissement.

[12]      Le juge des requêtes a conclu que la lettre de l'intimée en date du 10 mars 1997 ne pouvait être considérée comme une requête en rétablissement au sens du paragraphe 73(3) de la Loi, parce qu'une requête sous-entendait le fait de demander quelque chose de manière explicite. Le juge de première instance a souligné que, dans la lettre du 10 mars 1997, l'intimée a demandé une modification de sa demande de brevet sans faire la moindre allusion au rétablissement.

Position des parties

[13]      L'appelant a soutenu, d'abord, que les avis de rétablissement de la demande de brevet de l'intimée datés des 24 février 1998, 2 mars 1998 et 11 mai 1998 sont nuls.

[14]      En deuxième lieu, l'appelant a souligné qu'une demande de brevet ne peut être rétablie que si toutes les exigences énoncées au paragraphe 73(3) de la Loi ont été respectées. Selon les règles de droit applicables, si les exigences législatives concernant le rétablissement ne sont pas respectées, une demande de brevet ne peut être rétablie. L'appelant a fait valoir que l'abandon et le rétablissement de la demande de brevet découlent tous deux de l'application des règles de droit de la Loi et non de l'exercice d'un pouvoir décisionnel ou discrétionnaire accordé au commissaire aux brevets par la Loi ou par les Règles. Par conséquent, les avis de rétablissement et l'avis d'abandon en question avaient simplement pour effet d'informer l'intimée de l'état de sa demande et ne reposaient sur aucun fondement législatif.

[15]      En troisième lieu, l'appelant a allégué que les trois avis de rétablissement ne peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire et qu'une distinction peut être faite avec l'arrêt Markevich que le juge des requêtes a invoqué en raison des faits examinés dans cette affaire. Selon l'appelant, dans l'affaire Markevitch, le ministre du Revenu national avait décidé de radier la dette fiscale d'un contribuable. L'avocate de l'appelant a fait une comparaison entre l'article 73 de la Loi, qui n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire au commissaire, et d'autres dispositions de cette même Loi, qui confèrent au commissaire des pouvoirs décisionnels ou discrétionnaires évidents et qui prévoient d'autres recours devant la Cour fédérale. Plus précisément, l'appelant a mentionné les articles 19, 19.1, 19.2, 31, 37, 40 et 41 de la Loi.

[16]      L'appelant a souligné qu'étant donné que la délivrance d'un avis de rétablissement n'est nullement justifiée sur le plan législatif, le retrait ou l'annulation de cet avis ne saurait être justifié non plus.

[17]      En quatrième lieu, l'appelant a fait valoir qu'il n'était pas empêché de se fonder sur l'interprétation et l'application en bonne et due forme des règles de droit, en l'occurrence, l'article 73 de la Loi.

[18]      Pour sa part, l'intimée a soutenu que la seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si les lettres de l'appelant en date des 20 et 23 mars 1997 pouvaient faire l'objet d'un contrôle judiciaire, étant donné qu'elles ont pour effet de trancher les droits de l'intimée en question.

[19]      L'intimée a ajouté que la demande 371 a été rétablie en vertu de l'avis de rétablissement daté du 24 février 1998, lequel a été délivré après sa demande de rétablissement en date du 5 février 1998.

[20]      L'intimée a également mentionné qu'indépendamment de la question de savoir si l'avis de rétablissement du 24 février 1998 était défaillant ou non et même de la question de savoir si les exigences législatives avaient été respectées ou non, une fois que le commissaire avait délivré un avis, il ne pouvait le retirer, parce qu'aucune disposition de la Loi ne permet ce retrait. Toujours selon l'intimée, le Bureau des brevets n'est pas autorisé à revenir sur sa décision concernant le rétablissement.

[21]      L'intimée n'était pas d'accord avec la façon dont l'appelant a interprété l'article 73 de la Loi, soutenant que la délivrance d'un avis de rétablissement n'est pas une formalité, parce qu'il est nécessaire qu'une personne du Bureau des brevets décide si les conditions législatives applicables au rétablissement ont été respectées. Cette décision est ensuite communiquée à l'auteur de la demande de brevet sous forme d'avis de rétablissement.

Analyse

[22]      À mon avis, les arguments de l'intimée ne peuvent être retenus.

[23]      Il appert nettement du paragraphe 73(3) de la Loi qu'une demande de brevet abandonnée est rétablie lorsque les trois exigences énoncées à la Loi à cet égard sont respectées et non au moment où le Bureau des brevets délivre un avis de rétablissement. Les trois exigences sont les suivantes (1) une demande de rétablissement doit avoir été présentée; (2) le demandeur doit avoir pris les mesures qui s'imposaient pour éviter l'abandon; (3) la taxe de rétablissement doit avoir été payée. L'article 152 des Règles exige manifestement que la demande de rétablissement d'une demande de brevet soit présentée dans les 12 mois suivant la date de la prise d'effet de la présomption d'abandon. Dans le cas qui nous occupe, cette date était le 27 janvier 1997. Ainsi, la date limite pour la présentation d'une requête en rétablissement était le 27 janvier 1998. L'intimée n'a présenté sa requête que le 5 février 1998, soit une date postérieure à la date limite prescrite par l'article 152 des Règles. Par conséquent, la demande ne pouvait être rétablie en droit.

[24]      La position de l'appelant, selon laquelle la demande de brevet 371 a été abandonnée et ne pouvait être rétablie, est appuyée par la décision que la Cour fédérale a rendue dans l'affaire Granger c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration)4, où une personne qui touchait des prestations d'adaptation s'est fondée sur les renseignements que le commissaire lui avait donnés à tort. Dans cette affaire, l'appelant a soutenu que la Commission était liée par les renseignements qu'elle lui avait donnés et que sa contestation était donc irrecevable. Rejetant cet argument, le juge Pratte s'est exprimé comme suit :

     Le juge est lié par la loi. Il ne peut, même pour des raisons d'équité, refuser de l'appliquer...

. . .

     En l'espèce, le requérant ne prétend pas que la Commission a mal exercé sa discrétion. Car la Loi, ici, n'accorde aucune discrétion à la Commission mais lui impose seulement le devoir de calculer et payer les prestations conformément à la Loi.
     En réalité, le requérant veut obtenir des prestations d'adaptation plus importantes que celles auxquelles la Loi lui donne droit afin d'être indemnisé du dommage lui résultant des représentations inexactes que la Commission lui a faites. Il est possible, encore que le dossier ne le révèle pas de façon certaine, que le requérant ait subi pareil dommage; il m'apparaît certain, cependant, que ni le conseil arbitral ni le juge-arbitre n'avaient la compétence d'en ordonner la réparation 5.

[25]      Saisie de l'appel de la décision rendue par la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada a rejeté à l'unanimité le pourvoi pour les motifs invoqués par le juge Pratte.

[26]      Étant donné que j'en suis arrivé à la conclusion qu'en raison de l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et des Règles, l'ordonnance que le juge des requêtes a rendue ne peut être confirmée, il ne m'apparaît pas nécessaire ou souhaitable d'examiner les autres motifs d'appel qui ont été plaidés devant nous.


[27]      Par ces motifs, j'accueillerais l'appel sans frais, j'annulerais l'ordonnance que le juge des requêtes a rendue le 10 juin 1999 et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

    

                                     « Julius A. Isaac »
                             __________________________________ J.C.A.



« Je souscris aux motifs du juge Isaac

Le juge McDonald, J.C.A. »

« Je souscris aux motifs du juge Isaac

Madame le juge Sharlow, J.C.A. »






Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.



     Date : 20001102

     Dossier : A-429-99


OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 2 NOVEMBRE 2000

CORAM:      LE JUGE ISAAC

         LE JUGE McDONALD

         MADAME LE JUGE SHARLOW


ENTRE :

     LE COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     appelant,

     - et -

     PFIZER INC.,

     intimé.

     JUGEMENT

[1]      L'appel est accueilli sans frais, l'ordonnance rendue par le juge des requêtes en date du 10 juin 1999 est annulée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 « Julius A. Isaac »
                            
                                     J.C.A.

OTTAWA




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.






     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  A-429-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          LE COMMISSAIRE DES BREVETS

                         c.

                         PFIZER INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              12 OCTOBRE 2000

JUGEMENT ET MOTIFS PRONONCÉS PAR LE JUGE ISAAC

AUXQUELS ONT SOUSCRIT LE JUGE McDONALD et MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                  2 NOVEMBRE 2000


ONT COMPARU :

Me Anne M. Turley                  POUR L'APPELANT

Me John Bochnovic                  POUR L'INTIMÉE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  POUR L'APPELANT

Smart and Biggar

Ottawa (Ontario)                  POUR L'INTIMÉE

__________________

1 L.R.C. (1985), ch. P-4 [ci-après « Loi » ].

2 DORS/96-243 [ci-après « Règles » ].

3 [1999] 3 C.F. 28 (C.F. 1re inst.) [ci-après « Markevich » ] (appel à la Cour d'appel en cours).

4 [1986] 3 C.F. 70 (C.A.), appel interjeté devant la Cour suprême du Canada rejeté, [1989] 1 R.C.S. 141.

5 Ibid. par. 9-11.

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