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Date : 20041104

Dossier : A-287-04

Référence : 2004 CAF 373

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                           OLEKSANDR DEMYA SHEREMETOV

                                                                                                                                                  intimé

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 novembre 2004.

                                  Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 4 novembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL


                                                                                                                                 Date : 20041104

                                                                                                                             Dossier : A-287-04

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 373

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                           OLEKSANDR DEMYA SHEREMETOV

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision d'un juge de la Cour fédérale portant sur une question certifiée en application de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Voici la question certifiée :

[traduction]

La Section de l'immigration doit-elle examiner le bien-fondé des arguments du ministre pour décider s'il convient d'accepter le retrait d'une demande pour procéder à une enquête lorsque aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire?


LES FAITS

[2]                L'intimé (M. Sheremetov) est un résident permanent au Canada depuis décembre 1999. En mars 2002, un agent d'immigration a transmis au sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. 12, dans sa version modifiée, un rapport dans lequel il l'informait qu'il estimait que M. Sheremetov avait commis un acte qui constituait l'infraction criminelle de fraude selon le code criminel ukrainien. S'il avait été commis au Canada, l'acte en question aurait constitué une infraction à l'alinéa 362(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, punissable d'un emprisonnement maximal de dix ans. Par conséquent, si l'enquête de la Section de l'immigration débouchait sur une décision défavorable, M. Sheremetov pourrait être expulsé.

[3]                M. Sheremetov a reçu un avis de convocation à une enquête devant avoir lieu le 20 septembre 2002. L'enquête a repris le 6 novembre 2002 et l'appelant (le ministre) ainsi que M. Sheremetov ont tous les deux demandé un ajournement. L'enquête a alors repris le 5 février 2003.

[4]                À l'audience du 5 février 2003, le ministre a retiré sa demande pour procéder à une enquête. La Section de l'immigration a accepté le retrait.


[5]                M. Sheremetov a sollicité un contrôle judiciaire, demandant un bref de mandamus pour enjoindre la Section de l'immigration de contraindre le ministre à procéder à l'enquête sans délai ou une ordonnance d'interdiction enjoignant au ministre de ne prendre aucune autre mesure.

LA DÉCISION SUR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[6]                Le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire a conclu que la Section de l'immigration aurait dû tenir compte du fait que les documents qui sont au coeur des accusations criminelles qui ont été portées en Ukraine n'avaient pas été produits. Si la Section de l'immigration l'avait fait et si elle avait tenu compte du fait qu'aucune limite n'avait été imposée au ministre quant au délai à l'intérieur duquel il pouvait décider de demander le rétablissement de la demande de procéder à une enquête, elle aurait pu ajourner l'enquête et entendre les observations des parties concernant l'établissement d'une nouvelle date. La Section de l'immigration aurait également pu autoriser le retrait de la demande tout en fixant le délai à l'intérieur duquel le ministre pouvait présenter une demande de rétablissement. Il semble que le juge ait été d'avis qu'il y avait eu des délais excessifs qui « [étaient devenus] un abus de procédure et [avaient empiété] sur les droits garantis par la Charte » . Pour ces motifs, il a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l'affaire à la Section de l'immigration pour qu'elle fixe une nouvelle date d'enquête ou pour qu'elle établisse un délai raisonnable à l'intérieur duquel le ministre pourrait demander le rétablissement de sa demande de procéder à une enquête.


LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[7]                Ce qui est en cause, c'est l'interprétation des articles 5 et 6 des Règles de la Section de l'immigration, DORS/2002-229, prises en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[8]                Le paragraphe 5(1) précise qu'il n'y a pas abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire. Dans de telles circonstances, le paragraphe 5(2) prévoit que le ministre peut retirer sa demande en avisant simplement la Section de l'immigration et la personne intéressée. D'un autre côté, dans le cas où des éléments de preuve de fond ont été acceptés dans le cadre de l'affaire, le paragraphe 5(3) prévoit que le ministre, pour retirer sa demande, doit en faire la demande.

[9]                Suivant l'article 6, si le ministre désire rétablir la demande de procéder à une enquête, il doit en faire la demande à la Section de l'immigration. Celle-ci accueille la demande s'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle ou s'il est par ailleurs dans l'intérêt de la justice de le faire.

[10]            Les articles 5 et 6 prévoient ce qui suit :


5. (1) Il y a abus de procédure si le retrait de la demande du ministre de procéder à une enquête aurait vraisemblablement un effet néfaste sur l'intégrité de la Section. Il n'y a pas abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire.

5. (1) Withdrawal of a request for an admissibility hearing is an abuse of process if withdrawal would likely have a negative effect on the integrity of the Division. If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, withdrawal of a request is not an abuse of process.

(2) Dans le cas où aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire, le ministre peut retirer sa demande en avisant la Section soit oralement lors d'une procédure, soit par écrit. S'il le fait par écrit, il transmet une copie de l'avis à l'autre partie.

(2) If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister may withdraw a request by notifying the Division orally at a proceeding or in writing. If the Minister notifies in writing, the Minister must provide a copy of the notice to the other party.

(3) Dans le cas où des éléments de preuve de fond ont été acceptés dans le cadre de l'affaire, le ministre, pour retirer sa demande, en fait la demande par écrit à la Section.

(3) If substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister must make a written application to the Division in order to withdraw a request.

6. (1) Le ministre peut demander par écrit à la Section de rétablir la demande de procéder à une enquête qu'il a faite et ensuite retirée.

6. (1) The Minister may make a written application to the Division to reinstate a request for an admissibility hearing that was withdrawn.

(2) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s'il est par ailleurs dans l'intérêt de la justice de le faire.

(2) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

ANALYSE

[11]            Le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire a reconnu qu'absolument aucun élément de preuve de fond n'avait été accepté dans le cadre de l'affaire. Toutefois, selon le juge, le fait que les documents sur lesquels le ministre s'était appuyé n'aient pas été produits et le fait que le ministre n'ait pas encore demandé le rétablissement de l'affaire malgré qu'une autre année se soit écoulée constituait un abus de procédure. Au paragraphe 17 de ses motifs, il a déclaré :


Les autorités ukrainiennes ont-elles fourni au ministre une copie des documents que M. Sheremetov aurait signés? Dans la négative, elles n'ont aucun recours contre le demandeur. Dans l'affirmative, pourquoi les cacher? S'il avait eu besoin de plus de temps, le ministre aurait pu demander un ajournement. Le ministre n'a toujours pas demandé le rétablissement de la demande de procéder à une enquête, bien qu'une autre année se soit écoulée. Passé un certain point, les délais excessifs deviennent un abus de procédure et empiètent sur les droits garantis par la Charte.

[12]            Bien que je me sois rendu compte des préoccupations du juge au regard de la position de M. Sheremetov, je ne puis pas convenir que la demande de contrôle judiciaire devait âtre accueillie.

[13]            Suivant les Règles, le ministre n'avait qu'à aviser la Section de l'immigration et M. Sheremetov du retrait de sa demande pour procéder à une enquête. En toute déférence, je suis d'avis que l'arbitre n'avait pas compétence pour exercer son pouvoir discrétionnaire ou pour rendre le type d'ordonnances envisagées par le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire. Une fois que le ministre a signifié son avis de retrait, l'affaire est close.

[14]            Le juge semble avoir réduit les procédures prévues aux articles 5 et 6 à une seule procédure. J'estime qu'il a eu tort de faire cela. Ce n'est que lorsque le ministre demande, en vertu de l'article 6, de rétablir sa demande pour procéder à une enquête que la Section de l'immigration acquière la compétence pour trancher la question de savoir s'il est dans l'intérêt de la justice d'accueillir la demande de rétablissement.


[15]            Les Règles ne précisent pas quelles sont les considérations que la Section peut prendre ou ne pas prendre en compte pour rendre sa décision. Par conséquent, bien que le paragraphe 6(2) utilise le mot « must » [dans sa version anglaise], la question de savoir s'il est dans l'intérêt de la justice d'accueillir la demande constitue une décision discrétionnaire de la Section. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, si les arguments sont présentés, la Section tiendra compte de la question de savoir si le rétablissement constituerait un abus de procédure et/ou une violation des droits garantis par la Charte pour cause de délai ou pour toute autre raison.

[16]            Ce n'est que lorsque le ministre fait, en vertu de l'article 6, une demande de rétablissement que la Section peut, si elle décide d'accueillir la demande, imposer un calendrier, non pas lorsque le ministre donne, en vertu de l'article 5, un avis de retrait de sa demande pour procéder à une enquête lorsque aucun élément de preuve n'a été accepté dans le cadre de l'affaire.

[17]            Je reconnais que M. Sheremetov souhaiterait oublier la question de l'enquête. Toutefois, le ministre a retiré sa demande pour procéder à une enquête. Je ne puis voir aucune distinction entre la situation de M. Sheremetov et celle d'une autre personne qui, selon le ministre, peut faire l'objet d'une expulsion sans qu'aucune instance n'ait été introduite devant la Section de l'immigration.


DISPOSITIF

[18]            J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement de la Cour fédérale et je donnerais la réponse suivante à la question certifiée :

La Section de l'immigration ne devrait pas examiner le bien-fondé des arguments du ministre pour décider s'il convient d'accepter le retrait d'une demande pour procéder à une enquête lorsque aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire.

                                                                          _ Marshall Rothstein _              

                                                                                                     Juge                            

« Je souscris aux présents motifs

A. M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

Marc Noël, juge »

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-287-04

INTITULÉ :                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

OLEKSANDR DEMYA SHEREMETOV

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE MERCREDI 3 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                            LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                         LE 4 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stephen Gold                                           POUR L'APPELANT

Oleksandr Sheremetov                             POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                    POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Oleksandr Sheremetov                             POUR SON PROPRE COMPTE

Richmond Hill (Ontario)


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