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Date : 20050202

Dossier : A-204-04

Référence : 2005 CAF 48

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                           MERCK & CO., INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                BRANTFORD CHEMICALS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                                             et

                                            LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                intimés

                                     Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 février 2005.

                           Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 2 février 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                   LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20050202

Dossier : A-204-04

Référence : 2005 CAF 48

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                           MERCK & CO., INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                BRANTFORD CHEMICALS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                                             et

                                            LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                intimés

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                          (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 2 février 2005)

LE JUGE ROTHSTEIN

LES FAITS


[1]                Le 15 septembre 1998, Brantford Chemicals Inc. a sollicité du Commissaire aux brevets, en application des alinéas 65(2)c) et d) de la Loi sur les brevets, L.R., ch. P-4, article 1, la délivrance d'une licence obligatoire du brevet canadien 1,275,349 appartenant à Merck & Co., Inc. en vue de la fabrication et de la vente d'énalapril sodique-iodure de sodium et d'énalapril sodique dérivé de l'énalapril sodique-iodure de sodium. À l'appui de sa demande, elle a invoqué l'abus par Merck des droits exclusifs que lui confère son brevet.

[2]                Le 29 janvier 1999, le Commissaire a rejeté la demande présentée par Brantford. Le 11 février 1999, Brantford a sollicité le réexamen de la décision du 29 janvier 1999. Le 23 février 1999, le Commissaire a rejeté la demande de réexamen.

[3]                Le 28 avril 1999, Brantford a déposé à nouveau une demande. Cette fois-ci, le Commissaire a estimé que Brantford avait établi la preuve pour obtenir réparation et enjoint à celle-ci de signifier à Merck cette nouvelle demande.

[4]                Le 21 mai 2002, Merck a saisi le Commissaire d'une requête en vue de faire déclarer que Brantford ne pouvait déposer une telle demande pour cause de préclusion résultant de l'identité des questions en litige (estoppel per rem judicatam) (voir Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 245, aux pages 253 et 254) et pour cause de dessaisissement (functus officio).

[5]                Le 18 octobre 2002, le Commissaire a rejeté la requête de Merck. Merck a interjeté appel devant la Cour fédérale. Le 2 avril 2004, le juge von Finckenstein a rejeté l'appel de Merck. Le présent appel vise la décision du juge von Finckenstein.


ANALYSE

[6]                Nous considérons qu'il y a lieu de rejeter l'appel, Merck n'ayant pas démontré que les principes de l'autorité de la chose jugée (res judicata) et du dessaisissement sont applicables en l'espèce.

La norme de contrôle

[7]                Pour se prononcer sur la décision du commissaire, le juge von Finckenstein a appliqué la norme de la décision raisonnable simpliciter. Il n'y a pas lieu pour nous de commenter cette décision car même en retenant la norme de contrôle judiciaire la plus sévère, l'appel interjeté par Merck ne saurait être accueilli.

Autorité de la chose jugée

[8]                Pour que s'applique le principe de l'autorité de la chose jugée, il faut que la même question ait déjà été tranchée, que la décision invoquée comme créant la préclusion soit définitive et que les parties ou leurs ayants droit aient été les mêmes dans les deux actions. En l'occurrence, seul nous concerne le caractère définitif ou non de la décision en cause.

[9]                La procédure applicable aux requêtes fondées sur l'article 65 de la Loi sur les brevets, qui retient ici notre attention, est prévue à l'article 68 de la Loi. L'article 68 est rédigé en ces termes :



68. (1) Toute requête présentée au commissaire en vertu de l'article 65 ou 66 :             a) expose complètement la nature de l'intérêt du demandeur, les faits sur lesquels le demandeur fonde sa requête, ainsi que le recours qu'il recherche;

b) est accompagnée de déclarations solennelles attestant l'intérêt du demandeur, ainsi que les faits exposés dans la requête.

(2) Le commissaire prend en considération les faits allégués dans la requête et dans les déclarations, et, s'il est convaincu que le demandeur possède un intérêt légitime et que, de prime abord, la preuve a été établie pour obtenir un recours, il enjoint au demandeur de signifier des copies de la requête et des déclarations au breveté ou à son représentant aux fins de signification, ainsi qu'à toutes autres personnes qui, d'après les registres du Bureau des brevets, sont intéressées dans le brevet, et le demandeur annonce la requête dans la Gazette du Canada et dans la Gazette du Bureau des brevets.

68. (1) Every application presented to the Commissioner under section 65 or 66 shall             (a) set out fully the nature of the applicant's interest, the facts on which the applicant bases his case and the relief that he seeks; and

(b) be accompanied by statutory declarations verifying the applicant's interest and the facts set out in the application.

(2) The Commissioner shall consider the matters alleged in the application and declarations referred to in subsection (1), and, if satisfied that the applicant has a bona fide interest and that a case for relief has been made, he shall direct the applicant to serve copies of the application and declarations on the patentee or his representative for service and on any other persons appearing from the records of the Patent Office to be interested in the patent, and the applicant shall advertise the application in the Canada Gazette and the Canadian Patent Office Record.

[10]            Selon Merck, la requête de Brantford doit exposer de manière complète tous les éléments nécessaires, et la décision par laquelle le Commissaire a refusé d'examiner cette requête est bien une décision définitive. À l'appui de l'argument voulant qu'au regard du paragraphe 68(2), il faille conclure au caractère définitif de la décision, Merck fait valoir que le paragraphe 70(2) de la version antérieure de la Loi, tant en anglais qu'en français, parlait de preuve prima facie, expression qui ne se retrouve pas au paragraphe 68(2) de la présente Loi.


[11]            L'argument ne nous convainc guère. D'abord, contrairement à ce que prévoient les textes d'habilitation de nombreux tribunaux administratifs, on ne trouve, à l'article 68, aucune formulation explicite permettant d'affirmer que les décisions rendues en vertu de cette disposition sont effectivement définitives.

[12]            Deuxièmement, les décisions rendues en vertu de l'article 68 font suite à une requête présentée en l'absence de la partie adverse. La partie qui sollicite la délivrance d'une licence obligatoire doit d'abord convaincre le commissaire du bien-fondé de sa requête. Ce n'est que si le commissaire décide que les éléments produits fondent un recours que les documents prévus seront signifiés au breveté. Ce n'est qu'à ce moment-là que le breveté devient partie à la procédure devant permettre de décider si la demanderesse doit effectivement se voir délivrer une licence obligatoire.

[13]            Troisièmement, la décision « préliminaire » fondée sur le paragraphe 68(2) en faveur d'un demandeur a pour seul effet d'exiger du breveté, si telle est son intention, de s'opposer à la requête. Ce n'est qu'après avoir examiné l'opposition et les arguments présentés tant par le demandeur que par le breveté, que le commissaire décidera ou non d'accorder une licence obligatoire.

[14]            Nous estimons, pour ces divers motifs, que c'est à bon droit que le juge von Finckenstein a conclu que la décision rendue par le commissaire en vertu du paragraphe 68(2) n'avait pas un caractère définitif.


[15]            Cela suffit pour rejeter la thèse de Merck fondée sur l'autorité de la chose jugée. Nous ferons aussi remarquer qu'en ce qui concerne la décision rendue par le Commissaire au titre du paragraphe 68(2), les parties ne sont pas les mêmes. En effet, Merck n'était pas partie à la procédure aboutissant à la décision en cause.

[16]            Merck réplique que dans le cadre de cette procédure fondée sur l'article 68, le Commissaire se substituait à Merck et qu'aux fins de cette procédure le Commissaire et Merck étaient tous deux des ayants droit.

[17]            Force est de dire que l'argument paraît un peu curieux. Étant donné que Merck n'était pas elle-même partie à la procédure en question, la logique de l'argument veut sans doute que le Commissaire, lui, y ait été partie, et que Merck ait été son ayant droit. Or, nous ne voyons pas très bien comment le tribunal administratif pourrait être partie à une décision qu'il a lui-même prise. Or, si le Commissaire n'était pas partie à la procédure fondée sur l'article 68, Merck ne pouvait pas être l'ayant droit d'une partie à cette procédure.

Abus de procédure


[18]            Au cours des plaidoiries, la question de l'abus de procédure a été rapidement évoquée. Nous ne pouvons que remarquer qu'on ne voit guère pourquoi, le cas échéant, le Commissaire ne pourrait pas, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, considérer comme un abus de procédure la demande de licence obligatoire qui lui serait présentée par un demandeur. Or, en l'occurrence, le Commissaire ne s'est pas prononcé en ce sens et la Cour n'a pas à examiner ce point.

Dessaisissement

[19]            L'argument du dessaisissement avancé par Merck dépend, là encore, du caractère définitif de la décision du Commissaire, étant donné que le principe du functus officio ne s'applique qu'aux décisions définitives. Nous avons déjà décidé que la décision en question n'était pas une décision définitive et le principe ne s'applique par conséquent pas.

CONCLUSION

[20]            Pour ces motifs, la Cour rejettera l'appel, adjugeant à Brantford Chemicals Inc. la somme de 10 000 $ qui lui sera versée par Merck & Co. au titre des dépens, la somme comprenant les débours et la TPS.

« Marshall Rothstein »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           A-204-04

INTITULÉ :                                          MERCK & CO., INC.

                                                                                                                                               appelante

et

BRANTFORD CHEMICALS INC.

                                                                                                                                                  intimée

et

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 2 FÉVRIER 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                     (LES JUGES ROTHSTEIN, EVANS et MALONE)

                                                                              

PRONONCÉS À

L'AUDIENCE PAR :                             LE JUGE ROTHSTEIN

COMPARUTIONS:

G. Alexander Macklin, c.r.                      POUR L'APPELANTE

Constance Too                         

H. Radomski                                         POUR L'INTIMÉE (BRANTFORD

N. DeLuca                                            CHEMICALS INC.)

Sans comparution                                 POUR LES INTIMÉS (LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP           POUR L'APPELANTE

Ottawa (Ontario)                                 

Goodmans LLP                                     POUR L'INTIMÉE (BRANTFORD CHEMICALS

Toronto (Ontario)                                 INC.)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LES INTIMÉS (LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et LE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

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