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                                                                                                                     A-704-95

 

 

 

CORAM:        LE JUGE MARCEAU

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

 

 

ENTRE:

 

 

                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                    Requérant

 

 

                                                              - et -

 

 

                                            MICHELINE SAVARIE,

 

                                                                                                                        Intimée

 

 

 

 

 

 

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE MARCEAU

 

 

                        Cette demande de révision judiciaire, portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant en vertu des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage, soulève encore une fois un problème de répartition aux fins des prestations d'une somme que la prestataire a reçue de son employeur au moment de sa cessation d'emploi.  Ce qui la fait sortir de l'ordinaire, c'est qu'elle intéresse une foule de prestataires, sa solution devant s'appliquer à toute une série de cas semblables et que sa considération recoupe plusieurs décisions d'arbitres.  Voici ce dont il s'agit.

 

                        Tous les enseignants à l'emploi des Commissions scolaires catholiques dans la province de Québec ont des conditions d'engagement qui sont déterminées par une convention collective qui contient des dispositions spéciales et inusitées relatives aux congés-maladie.  On y retrouve en effet, notamment, les dispositions que voici:

 

5-10.40     A)    Le cas échéant, la première journée de travail, à compter du début de l'année scolaire 1990-91, la commission crédite à toute enseignante à temps plein et tout enseignant à temps plein à son emploi et couverts par le présent article, six (6) jours de congés-maladie.  Les jours ainsi accordés sont non cumulatifs mais monnayables à la dernière journée de chaque année de travail lorsque non utilisés au cours de l'année en vertu des dispositions du présent article et ce, à raison de 1/200 du traitement applicable à cette date par jour non utilisé, le prorata du 1/200 du traitement s'appliquant pour la fraction de jour non utilisée.

 

Cependant, l'enseignante ou l'enseignant bénéficiant d'un congé sans traitement, d'un congé avec traitement pour études, d'un congé de préretraite ou des prestations prévues au sous-paragraphe 3) du paragraphe A) de la clause 5-10.31 a droit au crédit d'une fraction de six (6) jours de congé de maladie équivalant à la fraction du temps où elle ou il est en service.

 

Toutefois, si l'enseignante ou l'enseignant continue de bénéficier des prestations prévues au sous-paragraphe 2) du paragraphe A) de la clause 5‑10.31 la première journée d'une année de travail, elle ou il a droit, le cas échéant, au crédit d'une fraction de six (6) jours de congé de maladie dans la mesure où elle ou il reprend son service à la commission.

 

...

 

C)     L'enseignante ou l'enseignant qui a treize (13) jours ou moins de congé de maladie accumulés à son crédit au premier juin peut, en avisant par écrit la commission avant cette date, choisir de ne pas monnayer le solde à la dernière journée de l'année de travail des six (6) jours accordés en vertu du paragraphe A) de la présente clause et non utilisés en vertu du présent article.  L'enseignante ou l'enseignant ayant fait ce choix ajoute à la dernière journée de l'année de travail le solde de ces six (6) jours, qui deviennent non monnayables, à ses jours de congé de maladie déjà accumulés.

 

                                                                                                                        [J'ai souligné]

 

 

 

                        Ainsi, les enseignants se voient crédités d'un certain nombre de congés de maladie qui, s'ils n'ont pas été utilisés au cours de l'année, sont monnayables à la dernière journée de chaque année de travail.  Qu'il s'agisse là d'un avantage pécuniaire qui fait partie de la rémunération, c'est évident, et pour l'enseignant dont l'emploi se termine avec la fin de l'année de travail, la somme qu'il reçoit à ce titre est sans doute sujette à répartition, conformément aux articles 57 et 58 du Règlement sur l'assurance-chômage.  Mais quel mode de répartition est-il applicable?

 

                        Pour la Commission, le mode de répartition est celui prévu au paragraphe 58(9) du Règlement, qui édicte ce qui suit:

 

58(9)          Sous réserve des paragraphes (9.1) et (10), toute rémunération payée ou payable à un prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la nature de la rémunération et de la période pour laquelle elle est censée être payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d'emploi, de sorte que le total de la rémunération de cet emploi pour chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égal à la rémunération hebdomadaire normale que le prestataire tirait de l'emploi.

 

 

 

                        On imagine bien que la Commission a eu à s'expliquer sur sa façon de voir à maintes reprises, ces dispositions de la convention collective des enseignants sur les congés de maladie ayant été adoptées il y a longtemps déjà, et plusieurs arbitres ont eu l'occasion d'approuver sa position, étant eux-aussi d'avis qu'était décisif le fait qu'il s'agissait d'une partie de rémunération reçue à la cessation d'emploi.[1]

 

                        Mais voilà que le juge-arbitre qui a rendu la décision dont il est question ici crut devoir décider autrement.  L'argument avancé par le procureur de l'intimée lui parut suffisamment convaincant pour le conduire à prendre partie contre la position de la Commission.  On voit bien l'intérêt spécial que pose le pourvoi dont je parlais au début.

 

 

                                                             *  *  *

 

 

                        Cet argument qui a convaincu le juge-arbitre et que le procureur de l'intimée ne fait que réitérer devant nous pour contester la détermination de la Commission est, en somme, fort simple.

 

                        Dans sa formulation actuelle, adoptée en 1989, le paragraphe 58(9) du Règlement, dit-on, implique selon ses termes mêmes un lien de causalité direct plutôt qu'une pure coïncidence entre la cessation d'emploi et le paiement des congés monnayables.  Ce lien de causalité n'existe pas ici.  Il n'existe pas puisque le paiement est dû, à ce moment où prend fin l'année de travail, à tous les enseignants, les réguliers comme les autres, sans distinction donc entre ceux dont le contrat d'engagement est prévu comme devant se renouveler tacitement et ceux dont le contrat d'engagement se termine là.  On voit bien que la cause du paiement n'est pas la fin du contrat de travail, mais la convention collective dont les modalités fixent le moment où le paiement deviendra exigible à la fin de l'année de travail.  Si, pour certains enseignants, ce moment est le même que celui où prend fin leur engagement, c'est simplement une coïncidence.

 

                        Je crois, avec égards, que l'arbitre a eu tort de se laisser gagner par cet argument qui, à mon avis, repose sur une interprétation erronée de l'expression "en raison de" qu'emploie le paragraphe 58(9) du Règlement.  Il est clair qu'en parlant d'une rémunération payée ou payable "en raison de" la cessation d'emploi, le législateur a entendu exclure un paiement qui serait fait au moment de la cessation d'emploi, par pure coïncidence de temps, comme, par exemple, le salaire pour la dernière période de travail ou, mieux encore, le remboursement au moment du départ de l'employé d'une somme déjà due par l'employeur mais retenue par lui (ce qui était le cas dans l'affaire Canada (Procureur général) v. Kinkead, (1994) 170 N.R. 274).  Mais il est tout aussi clair, à mon sens, que l'expression "en raison de" ne saurait être prise dans le sens strict de "causé par", comme le présuppose l'argument.  La cessation d'emploi — à moins qu'elle ne soit fautive, ce qui n'a rien à voir ici — ne peut, en elle-même, être cause d'une obligation, ne peut, par elle-même, engendrer une obligation dans la personne de l'employeur.  Une paye de vacances ou de congés de maladie monnayable, ou toute autre rémunération de même genre que reçoit un employé au moment où se termine son contrat de travail, se rattache toujours à un droit que lui accorde son contrat ou qui lui résulte d'une disposition légale quelconque.  Les employeurs n'ont pas l'habitude de verser des sommes à leurs employés au moment de leur départ sans y être tenus de quelque façon.

 

                        À mon avis, un paiement est fait "en raison de" la cessation d'emploi au sens du texte lorsqu'il devient dû et exigible au moment où survient la fin de l'emploi, lorsqu'il est, pour ainsi dire, "déclenché" par l'écoulement du temps d'emploi, lorsque l'obligation qu'il vise à satisfaire n'était que virtuelle tant que se poursuivait l'emploi, et ne devait se cristalliser en devenant liquide et exigible qu'au moment seulement où prendrait fin l'emploi.  Ce que l'on veut couvrir, c'est toute partie de rémunération qui devient due et exigible au moment où se termine le contrat de travail et commence l'état de chômage.  Car s'il ne convient pas que les économies de l'employé, les argents qui sont déjà à lui, l'empêchent de bénéficier des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage, en revanche, il semble n'être que normal que la rémunération à laquelle il a droit au moment de son départ soit prise en considération avant qu'il ne soit admissible à recevoir des prestations de chômage.  Ainsi l'interprétation que j'attribue à l'expression "en raison de" après plusieurs arbitres correspond-t-elle à l'intention manifeste du législateur et reste conforme à la décision Kinkead à laquelle prétend se référer l'arbitre, mais en en altérant la portée.

 

                        Je suis donc d'avis que la demande est bien fondée.  La décision du juge-arbitre doit être annulée et l'affaire lui être retournée pour qu'il annule la décision du Conseil arbitral et rétablisse la détermination de la Commission.

 

 

 

                                                                                                         "Louis Marceau"                   

                                                                                                                             j.c.a.

 

 

"J'y souscris.

     Robert Décary, j.c.a."

 

 

"J'y souscris.

     François Chevalier, j.s."

 

 

 


                                                                                                                     A-704-95

 

 

 

CORAM:        LE JUGE MARCEAU

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

 

 

ENTRE:

 

 

                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                    Requérant

 

 

                                                              - et -

 

 

                                            MICHELINE SAVARIE,

 

                                                                                                                        Intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal, Québec, le mercredi 18 septembre 1996.

 

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le vendredi 27 septembre 1996.

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                                            LE JUGE MARCEAU

 

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS:                                   LE JUGE DÉCARY

                                                               LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

 

 

 


                                                                                                                     A-704-95

 

 

OTTAWA, ONTARIO, le vendredi 27 septembre 1996.

 

 

CORAM:        LE JUGE MARCEAU

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

 

 

ENTRE:

 

 

                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                    Requérant

 

 

                                                              - et -

 

 

                                            MICHELINE SAVARIE,

 

                                                                                                                        Intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                   J U G E M E N T

 

 

                        La demande est accueillie; la décision du juge-arbitre est annulée et l'affaire lui est retournée pour qu'il la détermine de nouveau en prenant pour acquis que la décision du Conseil arbitral est mal fondée et que la détermination de la Commission doit être rétablie.

 

 

                                                                                                         "Louis Marceau"                   

                                                                                                                             j.c.a.


 

 

 

        EN LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

 

                                                                     A-704-95

 

 

 

 

 

 

ENTRE:

 

 

  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                    Requérant

 

 

                                      - et -

 

 

                    MICHELINE SAVARIE,

 

                                                                        Intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                   MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]CUB 16943 Briand; CUB 16767 Bélisle; CUB 18440 Pomerleau; CUB 18549 Gendron; et Roger Lavallée c. C.E.I.C., A-691-90 (non rapportée).

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