Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041103

Dossier : A-560-03

Référence : 2004 CAF 370

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                       Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 6 octobre 2004.

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 3 novembre 2004.           

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20041103

Dossier : A-560-03

Référence : 2004 CAF 370

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

I. Introduction


[1]                La question qui est soulevée dans le présent appel est celle de savoir si General Motors du Canada Ltée (General Motors ou GM) a le droit de déduire à titre de dépense pour son année d'imposition 1995 la somme de 13 834 902 $ (le solde relatif aux heures supplémentaires) qu'elle avait accumulée dans son fonds spécial canadien de prévoyance (le fonds de prévoyance). Le solde relatif aux heures supplémentaires découlait d'un protocole d'entente annexé à la convention collective signée par GM en 1993 (le protocole d'entente). Le protocole d'entente stipulait que GM accumulerait dans le fonds de prévoyance un montant de 2 $ par heure supplémentaire effectuée par les employés de l'unité de négociation qui excédait cinq pour cent des heures normales travaillées par chacun des employés visés par la convention collective et calculées sur une moyenne mobile de douze mois.

[2]                Un juge de la Cour canadienne de l'impôt a estimé que General Motors n'avait aucune obligation réelle de verser le solde relatif aux heures supplémentaires à qui que ce soit et que, de surcroît, le fonds lui-même constituait une obligation éventuelle et que la déduction de 1995 n'était donc pas permise par l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) [jugement publié à [2004] 1 C.T.C. 2999, 2003 D.T.C. 1533].

[3]                Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de rejeter l'appel.

II. Faits à l'origine du litige

[4]                Il est essentiel de relater en détail les faits à l'origine du présent appel.


[5]                L'exercice et l'année d'imposition de GM se terminent le 31 décembre de chaque année. Chaque année depuis la constitution du fonds de prévoyance en 1984, GM accumule dans son fonds de prévoyance des sommes calculées en fonction des heures supplémentaires effectuées par ses employés. Ces sommes devaient servir à des fins précises stipulées dans divers protocoles d'entente visant le fonds de prévoyance, y compris le protocole d'entente annexé à la convention collective de 1993 conclu entre General Motors et le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA ou le Syndicat) qui est en litige en l'espèce. Les conventions collectives avaient toutes une durée de trois ans.

[6]                Les articles 1 à 4 du protocole d'entente renferment les dispositions sur lesquelles les parties se sont entendues en ce qui concerne l'obligation et l'utilisation du fonds de prévoyance :

1. Le Fonds spécial canadien de prévoyance sera maintenu pendant la durée de la convention collective cadre de 1993.

2.    Le Fonds spécial canadien de prévoyance sera égal à une accumulation par la compagnie de deux dollars (2 $) par heure supplémentaire travaillée par les employés visés qui excède 5 p. 100 (5 %) des heures normales travaillées par les employés visés et calculée sur une moyenne mobile de douze mois.

3.    Pendant la durée de la convention collective cadre de 1993, le Fonds spécial canadien de prévoyance sera utilisé principalement pour soutenir les Programmes négociés de garderie d'enfants, le Régime d'assurance de protection juridique et pour financer le régime PSC [Régime canadien de prestations supplémentaires de chômage], et, par la suite, uniquement au besoin. Il pourra également être utilisé pour financer les projets conjointement convenus qui seront déterminés par le président du Syndicat national des TCA et le vice-président et directeur général du personnel. À tout moment, le solde du Fonds spécial canadien de prévoyance doit être égal à l'accumulation cumulative calculée à l'article 2 ci-dessus, moins l'utilisation cumulative calculée dans le présent article 3. L'accumulation et l'utilisation cumulatives devront inclure les soldes reportés des conventions antérieures.

4. L'utilisation du Fonds du PSC [le Fonds de prévoyance] pour soutenir le régime PSC sera déterminée uniquement par le montant de la Base de résiliation en unité de crédit (tel que cela est déterminé, de temps à autre, selon le régime PSC afin de déterminer le taux de résiliation des unités de crédit sur le paiement des prestations régulières en vertu du régime PSC [...]


[7]                À l'expiration de chacune des conventions collectives, l'affectation du solde du fonds de prévoyance faisait l'objet de négociations. Ainsi, l'article 5 du protocole d'entente prévoyait :

À la fin de la période de la convention collective cadre de 1993, les parties négocieront l'utilisation de tout montant accumulé qui reste dans le Fonds spécial canadien de prévoyance.

Depuis la création du fonds de prévoyance, le solde du fonds à l'expiration de chacune des conventions collectives est systématiquement reporté sur la nouvelle convention collective.

[8]                À la fin de l'année d'imposition 1995, General Motors n'a distrait aucune somme en vue de l'affecter au fonds de prévoyance. Le solde relatif aux heures supplémentaires a plutôt été inscrit sous la rubrique [traduction] « autres obligations à court terme » dans les états financiers de GM pour l'année en question, états financiers qui, selon ses vérificateurs externes, avaient été établis conformément aux principes comptables généralement reconnus. General Motors affirmait que le qualificatif « éventuel » (en anglais, contingent) qui était associé au fonds de prévoyance (en anglais, contingency fund) visait, non pas la nature de l'obligation, mais seulement l'exigence - ou éventualité - que des heures supplémentaires aient d'abord été effectuées.


[9]                Dans ses rapports internes, General Motors a également considéré le solde relatif aux heures supplémentaires comme des frais de main-d'oeuvre engagés au cours de l'année. GM a notamment fait état des résultats des négociations ayant débouché sur la signature de sa convention collective à son actionnaire, General Motors Corporation. Pour calculer ses prévisions de dépenses, GM a considéré le travail supplémentaire prévu comme des frais de main-d'oeuvre engagés au cours de l'année 1995 et elle a déclaré cette dépense en partant du principe que dès que les heures supplémentaires étaient effectuées et que des sommes s'accumulaient, celles-ci étaient affectées au profit des membres du Syndicat.

[10]            Pour l'année d'imposition 1995, General Motors a réclamé une déduction au titre du solde relatif aux heures supplémentaires conformément aux heures supplémentaires effectuées par les employés de GM. Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie le 22 novembre 2000, le ministre de Revenu national (le ministre) a refusé la déduction de GM au motif qu'il s'agissait d'une obligation éventuelle. La thèse du ministre était et est toujours que les montants accumulés ne sont déductibles que lorsque certains événements prévus par le protocole d'entente pour les années postérieures à 1995 se produisent, entraînant ainsi des versements à des fins admissibles.         

[11]            Le solde relatif aux heures supplémentaires avait été utilisé en entier vers la fin de janvier 1999 pour soutenir le Régime d'assurance de protection juridique, les programmes de garderie d'enfants, le régime canadien de PSC, ainsi que de nouveaux programme négociés comme le Programme de congé d'études et le programme du Comité de révision de la formation GM/TCA, le tout conformément aux articles 3 et 4 du protocole d'entente.


III. Le jugement de première instance

[12]            Le juge de la Cour de l'impôt a attentivement analysé le protocole d'entente. Il a estimé que, comme l'article 2 n'exigeait pas de GM qu'elle prélève des montants sur son fonds de roulement normal ou qu'elle verse quelque somme que ce soit à un fiduciaire, l'article 2 l'obligeait uniquement à effectuer une écriture comptable. Qui plus est, l'article 3 décrivait la façon dont le montant accumulé devait être utilisé et comment le solde du fonds de prévoyance serait calculé à un moment quelconque. Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que l'expression « accumulation cumulative » que l'on trouvait à l'article 3 ne créait aucune obligation. Il a ajouté que les articles 4 et 5 ne créaient pas non plus d'obligation. L'article 5 portait simplement sur l'affectation, après négociations, du solde accumulé dans le fonds de prévoyance à l'expiration de la convention collective de 1993. Citant une définition du mot « obligation » tirée d'un dictionnaire, le juge a conclu qu'aucune obligation réelle n'avait été contractée étant donné qu'on ne pouvait trouver de créancier identifiable ayant une créance légalement recouvrable contre GM pour la totalité ou une partie du solde relatif aux heures supplémentaires au 31 décembre 1995.


[13]            Appliquant le critère dégagé dans l'arrêt Wawang Forest Products Limited et al. c. La Reine, [2001] 2 C.T.C. 233, 2001 D.T.C. 5212 (C.A.F), le juge de la Cour de l'impôt a poursuivi en se demandant si l'une ou l'autre des dispositions relatives au paiement des sommes accumulées dans le fonds de prévoyance créait une obligation dont l'existence dépendait d'un événement qui pouvait se produire ou ne pas se produire. Il a conclu que toutes les dispositions du protocole d'entente créaient une telle obligation. À son avis, l'expression « et, par la suite, uniquement au besoin » , que l'on trouvait à l'article 3 du protocole d'entente renforçait sa conclusion finale suivant laquelle toute obligation faite à GM de payer des sommes sur le fonds de prévoyance constituait une obligation éventuelle.

IV. Norme de contrôle

[14]            La norme de contrôle que notre Cour doit appliquer dans le présent appel a été établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Le présent appel porte sur la question de savoir si une obligation réelle de payer le solde relatif aux heures supplémentaires a été créée à la fin de 1995 et, dans l'affirmative, si l'existence de cette obligation dépend d'événements qui peuvent ou non se produire. Le juge de la Cour de l'impôt devait interpréter le protocole d'entente pour déterminer si une dépense avait été engagée en 1995 ou si l'obligation était une « éventualité » ou « obligation éventuelle » au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. On peut à juste titre qualifier de question mixte de fait et de droit l'interprétation du protocole d'entente et l'application de son interprétation juridique aux faits de l'espèce. Cette question est en principe régie par la norme de l'erreur manifeste et dominante.

[15]            L'alinéa 18(1)e) de la Loi dispose :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

18. (1)    In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of                

e) un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

(e) an amount as, or on account of, a reserve, a contingent liability or amount or a sinking fund except as expressly permitted by this Part;

V. Analyse                                                      

i) Interprétation de la convention collective

[16]            Pour trancher le présent appel, il est nécessaire de discerner l'intention qu'avaient les parties lorsqu'elles ont rédigé le protocole d'entente. Dans l'arrêt Metropolitan Toronto c. C.U.P.E., (1990), 69 D.L.R. (4th) 268, à la page 287, la Cour d'appel de l'Ontario a signalé l'importance que revêt le contexte dans lequel se sont déroulées les négociations préalables à la signature de la convention collective pour interpréter celle-ci :

[traduction] [...] Il est vrai qu'une convention collective est un contrat complexe qui est censé refléter l'issue des négociations sur une foule de questions. Il est également vrai que les parties n'ont pas toujours le temps, la motivation ou les ressources nécessaires pour envisager toutes les répercussions possibles de chaque mot. Il y a donc lieu de faire appel à une certaine créativité et de recourir aux principes de l'arbitrage et de faire preuve de façon générale de réalisme.


[17]            Le contexte des relations de travail ne change cependant rien au principe général d'interprétation selon lequel on doit se fier aux écrits et non à des éléments de preuve extrinsèques pour découvrir l'intention des parties. Ce n'est que lorsque les termes de l'écrit sont ambigus que l'on peut recourir à des éléments de preuve extrinsèques pour faciliter l'interprétation et lever l'ambiguïté (La Reine c. CAE Industries Ltd., (1985), [1986] 1 C.F. 129, à la page 155 (C.A.F.)). Dans le présent appel, on ne peut recourir à des éléments de preuve extrinsèques, sauf si les mots employés aux articles 2 à 5 du protocole d'entente, qui constituent l'essence du « marché » conclu entre les parties, recèlent une ambiguïté.

ii) L'arrêt de principe

[18]            La qualification de l'obligation créée aux termes des articles 2 à 5 en tant qu'obligation inconditionnelle ou obligation éventuelle dépend de l'interprétation qu'il convient de donner aux mots employés par les parties. Dans l'arrêt Wawang, précité, la juge Sharlow, qui écrivait au nom d'une Cour d'appel unanime, définit le critère dans les termes suivants au paragraphe 16 :

[...] la question qu'il faut se poser, pour décider du caractère éventuel ou non d'une obligation juridique à un moment précis, est de savoir si l'obligation juridique existe à ce moment précis ou si elle ne naîtra qu'au moment où surviendra un événement, qui pourrait ne pas se produire.

Ainsi, dans le cas qui nous occupe, la question qu'il faut se poser est celle de savoir si le solde relatif aux heures supplémentaires constituait une obligation inconditionnelle ou une obligation éventuelle une fois les heures supplémentaires effectuées.        

iii) S'agit-il d'une obligation inconditionnelle ou d'une obligation éventuelle?


[19]            Un des éléments clés de la décision du juge de la Cour de l'impôt est sa conclusion que, même si GM était légalement tenue d'accumuler des sommes dans le solde relatif aux heures supplémentaires, elle n'avait pas l'obligation en 1995 de verser quelque partie que ce soit de ce montant. Suivant le juge de la Cour de l'impôt, la seule obligation de GM était d'effectuer une écriture comptable. L'appelante affirme que le juge de la Cour de l'impôt a ainsi commis une erreur de droit en méconnaissant le sens des mots « accumuler » et « fonds » employés à l'article 2 et en faisant fi du droit que la loi reconnaissait au Syndicat de faire respecter les stipulations du protocole d'entente en recourant à l'arbitrage. GM affirme que, si on l'interprète correctement, le libellé de l'article 2 permet de conclure à l'existence d'une obligation inconditionnelle.

[20]            L'appelant fait valoir qu'en droit du travail, le terme « accumuler » crée davantage qu'une simple obligation d'effectuer une écriture comptable. Ainsi, dans leur dictionnaire de droit canadien du travail intitulé Labour Law Terms (Toronto, Lancaster House, 1984, à la page 20)    J. Sack et E. Poskanzer définissent comme suit le mot « accumuler » (to accrue) : [traduction] « acquérir qqch., devenir exécutoire; par ex. : il a accumulé de l'ancienneté jusqu'au moment où il a obtenu une promotion qui l'a soustrait de l'unité de négociation » . De même, le Black's Law Dictionary, 7e éd., à la page 21, propose notamment les acceptions suivantes du verbe « accumuler » (to accrue) « naître en tant que créance ou droit susceptible d'exécution forcée, s'accumuler périodiquement » .

[21]            L'appelante ajoute que le mot « fonds » témoigne de l'intention manifeste des parties d'utiliser les sommes accumulées au profit des syndiqués. À l'appui de cet argument, elle cite The Canadian Law Dictionary (Don Mills (Ontario), Law and Business Publications (Canada) Inc., 1980) qui définit comme suit le mot « fonds » (fund) :


[traduction] Somme d'argent affectée à une fin déterminée. Ce terme comporte plusieurs nuances de sens. Ainsi, on peut l'employer pour désigner les immobilisations, les valeurs réalisables, l'argent en main, les billets, les titres de créance, etc. C'est le contexte qui détermine le sens.

[22]            Pour ce qui est des articles 3 et 4, General Motors affirme que la fréquence des versements n'a aucune incidence sur la question de savoir si elle était légalement tenue de payer les sommes en question. Elle signale que, dans l'arrêt Fédération des Caisses Populaires c. La Reine, [2002] 2 C.T.C. 1, 2002 D.T.C. 7413 (C.A.F.), aux paragraphes 31 à 36, notre Cour a établi une distinction entre les dispositions qui imposent une obligation et celles qui précisent à quel moment et à quelle fréquence les versements doivent être faits. GM explique que le protocole d'entente régissant le fonds de prévoyance se divise par ailleurs en stipulations qui régissent la création de l'obligation légale (article 2) et en stipulations qui régissent la façon dont l'obligation doit être exécutée (articles 3, 4 et 5).

[23]            En conséquence, une fois les heures supplémentaires effectuées, GM avait l'obligation d'utiliser les fonds au profit des syndiqués et c'est à bon droit qu'elle a procédé à la déduction au cours de l'année durant laquelle l'obligation avait été créée plutôt que durant l'année au cours de laquelle elle avait été payée. Suivant General Motors, les dispositions en question ne créent collectivement aucune obligation éventuelle.


[24]            Il est acquis aux débats que, sur le plan comptable, c'est à juste titre que le solde de clôture du fonds de prévoyance a été considéré comme une dépense dans les états financiers vérifiés de GM pour 1995 et qu'il a été inscrit sous la rubrique « autres obligations à court terme » dans les mêmes états financiers. Il ne cependant pas oublier que ce qui est inscrit comme une obligation sur le plan fiscal peut être considéré comme une obligation inconditionnelle sur le plan juridique si l'on ne trouve aucun créancier ayant une créance recouvrable en justice.

[25]            À mon avis, l'exigence imposée à General Motors d'accumuler de l'argent dans le fonds de prévoyance n'a pas créé d'obligation inconditionnelle en 1995. General Motors n'était pas tenue de verser à un fiduciaire deux dollars par heure de travail supplémentaire applicable ou d'autrement réserver, séparer ou retirer des sommes de son fonds de roulement normal. La seule obligation imposée à GM au cours de l'année en question était de tenir un compte courant dans lequel étaient accumulées les sommes précisées à l'article 2. Ce n'est qu'en cas de survenance de diverses éventualités précisées aux articles 3 et 4 que General Motors était légalement tenue de verser une somme d'argent. De même, l'article 5 ne créait aucune obligation inconditionnelle; il stipulait seulement que les parties seraient obligées d'entamer des négociations au sujet de l'affectation des sommes accumulées pouvant rester dans le fonds de prévoyance à l'expiration de la convention collective.


[26]            Dans la présente analyse, qui porte sur l'applicabilité de l'alinéa 18(1)e) de la Loi, la seule question qui se pose est celle de savoir si le protocole d'entente a eu pour effet d'imposer à GM une obligation inconditionnelle ou une dette à la fin de 1995. Certes, le protocole d'entente obligeait GM à accumuler de l'argent dans le fonds de prévoyance et de négocier l'utilisation des sommes qui restaient dans le fonds à l'expiration de la convention collective. Toutefois, comme elle n'a versé aucune somme à un fiduciaire et qu'elle n'a autrement prélevé ou retiré aucune somme de son fonds de roulement normal, General Motors n'a contracté aucune obligation inconditionnelle ou dette identifiable. Il n'y a pas non plus de créancier identifiable ayant une créance légalement recouvrable contre General Motors relativement au solde relatif aux heures supplémentaires, étant donné que le nombre de membres du syndicat fluctuait d'un mois à l'autre. Qui plus est, pour déterminer la nature de l'obligation contractée par GM en 1995, je ne suis pas prêt à spéculer sur la pertinence des droits et des recours que la convention collective de 1993 ouvrait au Syndicat.

[27]            Comme l'existence d'une obligation inconditionnelle dépend de la survenance de diverses éventualités, qui sont précisées aux articles 3 et 4, l'obligation légale imposée à GM en 1995 peut à juste titre être qualifiée d'obligation éventuelle. Pour en arriver à cette conclusion, je suis d'accord, pour l'essentiel, avec la décision du juge de la Cour de l'impôt, qui dit ce qui suit, au paragraphe 25 de ses motifs :

Il n'y avait aucun montant à être payé sur le FSCP au Régime d'assurance de protection juridique ou au régime PSC à moins qu'un seuil-limite précis de financement (pour chacun des régimes) n'ait été atteint. En ce qui concerne les Programmes de garderie d'enfants, l'appelante devait accepter une demande par le TCA avant qu'un montant ne soit payé sur le FSCP. Je n'ai aucune hésitation à conclure que l'obligation de l'appelante de verser un montant sur le FSCP pendant la durée de la convention collective de 1993 constituait une obligation conditionnelle.


[28]            General Motors et le Syndicat auraient pu créer une obligation légale inconditionnelle en prévoyant dans le protocole d'entente des termes exprimant clairement une telle intention. Par exemple, GM aurait pu convenir de verser des sommes d'argent à un fiduciaire ou d'autrement séparer ou retirer des sommes de son fonds de roulement normal. Une dette identifiable et un créancier identifiable auraient ainsi été créés. Dans cet exemple, les sommes prévues seraient déductibles au cours de l'année de leur versement, même si elles n'étaient finalement versées qu'à une date ultérieure non précisée (Fédération des Caisses Populaires, précité, aux paragraphes 31 à 36, et Wawang Forest Products, précité, au paragraphe 9.)

[29]            De fait, les parties ont pris de telles dispositions complémentaires lors de la signature de la convention collective de 1993. Tant en ce qui concerne le Régime d'assurance de protection juridique que le régime canadien de PSC, General Motors a contracté une obligation inconditionnelle lorsqu'elle a accepté de verser des sommes d'argent à un fiduciaire. Il était expressément stipulé que les sommes versées au titre de ces régimes pouvaient légitimement être déduites au cours de l'année où elles avaient été versées. Les dispositions complémentaires qui constituaient et maintenaient le Régime d'assurance de protection juridique et le régime canadien de PSC exigeaient expressément que GM verse des fonds à un fiduciaire et faisaient également état de l'espoir des parties que les sommes versées dans ces régimes soient considérées comme des dépenses d'entreprise légitimes au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (annexe 1, dossier d'appel, vol. 1, pages 137, 139 et 217, 239). Les termes employés pour créer une obligation inconditionnelle dans le cadre de ces régimes peuvent être mis en contraste avec le libellé plus général employé dans le protocole d'entente en ce qui concerne le fonds de prévoyance. Ces différences renforcent la conclusion que GM n'a contracté aucune obligation inconditionnelle en ce qui concerne le fonds de prévoyance en 1995.       


[30]            De plus, la définition du mot « fonds » que General Motors a citée (paragraphe 21 des présents motifs), appuie également la proposition qu'aucune obligation inconditionnelle n'a été créée. La définition du mot « fonds » vise des fonds qui sont effectivement réservés ou affectés à une fin déterminée. Or, cette définition ne permet nullement de penser qu'une simple écriture comptable serait susceptible de créer un « fonds » de la manière suggérée par General Motors.

VI. Conclusion

[31]            En résumé, même en les situant dans un contexte de négociation collective, les articles 2 à 5 ne créent aucune obligation inconditionnelle que General Motors aurait contractée en 1995 en vue de réaliser des revenus. Le solde relatif aux heures supplémentaires ne constitue donc pas une dépense légitime qui pourrait être déduite en vertu de l'alinéa 18(1)e) de la Loi et le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur de droit ou d'erreur manifeste et dominante en concluant que l'obligation était une obligation éventuelle.

[32]            L'appel sera rejeté. L'intimée a droit à ses dépens tant devant notre Cour que devant la Cour canadienne de l'impôt.                        

                                                                                        « B. Malone »                

    Juge

« Je souscris à ces motifs,

Le juge Robert Décary »

« Je souscris à ces motifs,

Le juge Marc Nadon »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-560-03        

INTITULÉ :                                        GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 6 octobre 2004       

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :             LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                       Le 3 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Al Meghji                                              POUR L'APPELANTE

Gerald Grenon

Alexandra Brown                                  POUR L'INTIMÉE

Bobby Sood

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l. POUR L'APPELANTE

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                                  POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.