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     A-130-96

CORAM:              LE JUGE DESJARDINS

                 LE JUGE DÉCARY

                 LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

                    

ENTRE:             

     MICHEL MEUNIER

     Requérant

     ET:

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION      DU CANADA

     ET:

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

     Audience tenue à Montréal,

     les 1er et 4 octobre 1996

     Jugement prononcé à Montréal,

     le vendredi, 4 octobre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY

     A-130-96

CORAM:              L'HONORABLE JUGE DESJARDINS                                  L'HONORABLE JUGE DÉCARY

                     L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

                    

ENTRE:              MICHEL MEUNIER

    

     Requérant

     ET:

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET

     DE L'IMMIGRATION DU CANADA

         -et-

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

    

     Intimés

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal

     le vendredi, 4 octobre 1996)

LE JUGE DÉCARY

     Le requérant était photographe au Journal de Montréal au moment où il fut accusé d'agression sexuelle à l'égard de deux fillettes âgées respectivement de huit et neuf ans. L'employeur, aussitôt informé de l'accusation, décida de suspendre le requérant, sans solde, jusqu'au dénouement de l'affaire. Le requérant fit alors une demande de prestations d'assurance-chômage. La Commission, se disant d'avis qu'il y avait perte d'emploi en raison d'inconduite (paragraphe 28(1) de la Loi sur l'assurance-chômage)1, exclut le requérant du bénéfice des prestations pour une période de douze semaines (paragraphe 30(c) de la Loi, tel qu'il se lisait alors). Le conseil arbitral ("le conseil"), à la majorité, puis le juge-arbitre ont confirmé la décision de la Commission.

     Il est acquis que l'inconduite dont parle le paragraphe 28(1) "n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement"2. Il est acquis, également, qu'il appartient à la Commission de faire la preuve, selon la balance des probabilités, que les conditions d'application de l'article 28 sont remplies3. Il est acquis, enfin, qu'il faut "une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi"4, que la seule affirmation par l'employeur que les agissements reprochés constituent à son avis de l'inconduite ne saurait suffire5 et que "pour qu'un conseil arbitral puisse conclure à l'inconduite d'un employé, il doit avoir devant lui une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d'abord, de savoir comment l'employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible"6 .

     En l'espèce, la seule preuve au dossier qui émane de l'employeur est la lettre de suspension que ce dernier envoyait au requérant au moment où il apprenait que des accusations d'agression sexuelle avaient été portées. Retenons l'extrait suivant:

         Les actes qui vous sont reprochés constituent des fautes lourdes inacceptables de la part d'un employé du Journal de Montréal. Qui plus est, selon certaines informations préliminaires, vous auriez utilisé le nom du Journal de Montréal, directement ou indirectement, lors de la commission de ces actes. (dossier du requérant, p. 21)                    

     L'employeur a refusé de s'expliquer davantage, préférant renvoyer la Commission aux policiers chargés de l'enquête et ne répondant même pas à la question suivante que lui avait posée, par écrit, la Commission: "Était-ce en dehors des heures de travail?" (dossier du requérant, p. 19)

     Dans ses observations à l'intention du conseil, le 7 avril 1992, la Commission s'est exprimée comme suit:

         "Dans les circonstances présentes, il fallait évaluer la valeur des déclarations des parties. L'employeur était considéré comme une entreprise de bonne foi et responsable. Celui-ci ne peut se permettre de poser de telles accusations sans avoir obtenu au préalable des informations sérieuses." (dossier du requérant, p. 31).                    

     Le conseil a tenu une audition le 28 avril 1992. Le dossier n'étant pas complet à son goût, il a ajourné à une date ultérieure, pour les motifs que voici:

         Vu l'impossibilité de questionner l'employeur relativement aux accusations portées contre son ex-employé, le Conseil Arbitral demande à la Commission de poursuivre l'enquête concernant le motif de cessation d'emploi et si possible d'avoir une copie de l'évènement du Poste de Police concernant la plainte dont il est question dans ce dossier. (dossier du requérant, p. 44 - soulignement dans le texte)                    

     En réponse à cette demande de complément d'enquête, la Commission, le 27 mai 1992, fit parvenir au conseil les observations supplémentaires suivantes:

         En premier lieu, nous sommes d'avis que tous les faits disponibles reliés à la cessation d'emploi du prestataire sont présents au dossier (voir entre autres pièces #4, 6 et 8). En effet, les deux parties, prestataire et employeur, ont fourni leur version et leur point de vue et le fait de poursuivre l'enquête n'apportera, à notre avis, rien de nouveau.                    
         Quant au rapport de police, nous soulignons au Conseil Arbitral qu'il n'est pas dans les politiques de la Commission de demander un rapport de police dans les cas d'accusations criminelles puisque la Commission n'a pas à démontrer la culpabilité du prestataire. Son fardeau de preuve se limite à démontrer que l'employeur a agi de bonne foi en congédiant le prestataire en se fondant sur des motifs raisonnables. (dossier du requérant, p. 45 - soulignement dans le texte)                    

     Le 12 novembre 1992, le Conseil arbitral, à la majorité, rendait la décision que voici:

         Le Président et le Représentant des Employeurs sont d'avis que l'accusation publique citée dans le journal fut faite suite à une enquête préliminaire de la part de la CUM qui devait se baser sur des circonstances suffisantes à porter l'accusation. Devant ces faits, l'employeur était alors en mesure d'établir qu'il y avait inconduite de la part de son employé et il a pris les mesures nécessaires pour protéger sa réputation en le suspendant indéfiniment.                    

Le membre dissident était pour sa part d'avis que ni la Commission ni l'employeur n'avaient fait la preuve de l'inconduite du prestataire.

     Le 30 novembre 1995, le juge-arbitre rendit la décision attaquée, dont nous reproduirons l'extrait suivant:

         Il est clair que le dépôt des accusations n'est généralement pas suffisant. Mais en l'espèce, je suis d'avis que toutes les circonstances prises dans leur ensemble étaient tout à fait susceptibles de constituer une inconduite aux termes du paragraphe 28(1) de la Loi. C'était donc au Conseil arbitral qu'il appartenait de décider si en fait il y avait eu inconduite. Rien dans l'article 80 de la Loi ne m'oblige, ni ne m'incite, à intervenir.                    

     Force est de constater qu'essentiellement la seule preuve au dossier de la Commission était la version des faits de l'employeur, et encore cette version était-elle remarquablement vague et spéculative. La Commission, dans ses observations écrites au conseil, a dit accepter d'emblée les explications de l'employeur parce que, selon elle, il ne se pouvait pas que l'employeur, "une entreprise de bonne foi et responsable", ait pu "porter de telles accusations sans avoir obtenu au préalable des informations sérieuses". Non seulement la Commission n'a-t-elle pas cherché à vérifier la nature et le bien-fondé de ces "informations préliminaires" sur lesquelles l'employeur disait se fonder, mais de plus, en dépit de la demande de supplément d'enquête que lui faisait le conseil, a-t-elle jugé inutile de poursuivre l'enquête.

     La Commission, à notre avis, n'a pas fait son devoir. Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite que sanctionne l'article 28 et le lien entre cette inconduite et l'emploi, de faire état du dépôt d'allégations de nature criminelle non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi et de s'en remettre, sans autre vérification, aux spéculations de l'employeur. Les conséquences qui s'attachent à une perte d'emploi en raison d'inconduite sont sérieuses. On ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. Il est certain que la Commission pourra se décharger de son fardeau plus facilement si l'employeur a pris sa décision, par exemple, après la tenue de l'enquête préliminaire et, a fortiori, s'il l'a prise après le procès.

     Nous en arrivons ainsi à la conclusion que la Commission ne s'est pas déchargée, ni devant le conseil arbitral ni devant le juge-arbitre, du fardeau de prouver l'inconduite du requérant au sens de l'article 28 de la Loi.

     La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision attaquée sera annulée et l'affaire sera retournée au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu'il désignera pour qu'il la reconsidère en tenant pour acquis, pour les fins de l'application du paragraphe 28(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, qu'il n'avait pas été démontré que le requérant avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

     Robert Décary

     j.c.a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-130-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:          MICHEL MEUNIER

                                     Requérant

                         ET:

                         COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE                          L'IMMIGRATION DU CANADA

                        

                                                                             ET:

                         PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                     Intimés

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDITION:          les 1er et 4 octobre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES DESJARDINS, DÉCARY ET L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

MOTIFS LUS À L'AUDIENCE PAR:      le juge Décary

EN DATE DU:                  4 octobre 1996

ONT COMPARU:

Me Marie Pépin                  pour le requérant

Me Francisco Couto                  pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

SAUVÉ & ROY                  pour le requérant

Montréal (Québec)

M. George Thomson              pour les intimés

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

        

__________________

     1      Le paragraphe 28(1) se lit ainsi:      "Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification."

     2      P.G. Canada c. Langlois, A-94-95, 21 février 1996, inédit, j. Pratte.

     3      Choinière c. Commission d'emploi et d'immigration Canada, A-471-95, 28 mai 1996, inédit, j.      Marceau.

     4      Choinière, supra.

     5      Fakhari c. P.G. Canada, A-732-95, 16 mai 1996, inédit, j. Robertson.

     6      Joseph c. C.E.I.C., A-636-85, 11 mars 1986, inédit, j. Pratte.

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