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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Volkswagen Canada Inc. c. Access International Automotive Ltd. (C.A.) [2001] 3 C.F. 311

                                                                                                                                                           

Date : 20010321

Dossier : A-403-99

Référence neutre : 2001 CAF 79

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                  ACCESS INTERNATIONAL AUTOMOTIVE LTD.,

                                                                                                                                             appelante,

                                                                          - et -

                                                  VOLKSWAGEN CANADA INC.,

                                                                                                                                                 intimée,

                                                                          - et -

                      VOLKSWAGEN AG, VOLKSWAGEN MEXICO SA et AUDI AG,

                                                                                                                                      tierces parties.

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 13 février 2001.

JUGEMENT prononcé à Ottawa (Ontario), le 21 mars 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20010321

Dossier : A-403-99

Référence neutre : 2001 CAF 79

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                  ACCESS INTERNATIONAL AUTOMOTIVE LTD.,

                                                                                                                                             appelante,

                                                                          - et -

                                                  VOLKSWAGEN CANADA INC.,

                                                                                                                                                 intimée,

                                                                          - et -

                     VOLKSWAGEN AG, VOLKSWAGEN MEXICO SA and AUDI AG,

                                                                                                                                      tierces parties.

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW


[1]         Access International Automotive Ltd. (Access International) se pourvoit en appel de l'ordonnance prononcée par le juge des requêtes (publiée à (1999), 174 F.T.R. 161, [1999] A.C.F. no 1016) qui a rejeté l'appel interjeté d'une ordonnance rendue par un protonotaire (publiée à (1999), 171 F.T.R. 311, [1999] A.C.F. no 529). Le protonotaire avait accueilli une requête présentée par Volkswagen Canada Inc. (Volkswagen Canada) en vue d'obtenir la radiation de certains paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle déposées par Access International.

[2]         La présente instance a été introduite, le 25 février 1998, par le dépôt de la déclaration de Volkswagen Canada. Je résume ici les faits allégués dans cette déclaration.

[3]         Deux sociétés allemandes, Volkswagen AG et Audi AG, et une société mexicaine, Volkswagen Mexico SA fabriquent les automobiles, les pièces et les accessoires Volkswagen et Audi. Volkswagen Canada est une filiale à cent pour cent de Volkswagen AG. Depuis sa constitution en personne morale en 1952, Volkswagen Canada est chargée de la vente et de la réparation des automobiles Volkswagen et Audi au Canada. Il y a des décennies que Volkswagen Canada vend et annonce les automobiles Volkswagen et Audi au Canada et elle a réussi à créer un marché pour cette sorte de véhicules au Canada en s'assurant de la constance de la qualité des automobiles, des pièces et des accessoires qu'elle vend au Canada. Volkswagen Canada est la seule entité qui, au Canada, est autorisée par Volkswagen AG, Audi AG et Volkswagen Mexico SA. à importer des automobiles, des pièces et des accessoires Volkswagen et Audi.


[4]         Access International importe au Canada, en vue de leur revente, des pièces et des accessoires qui portent le logo de Volkswagen (VW) ou celui d'Audi (les quatre anneaux), ou qui sont contenus dans des colis qui portent ces logos. Ces pièces et accessoires proviennent d'une autre source que Volkswagen Canada et ne s'inscrivent donc pas dans les circuits de distribution autorisés au Canada pour ces produits. Access International vend les pièces et accessoires Volkswagen et Audi, ou, commercialement, les met ou offre en vente et les met en circulation dans un but commercial. Toutes ces activités sont exécutées sans le consentement ou l'autorisation de Volkswagen Canada.

[5]         En juin 1996, Volkswagen AG, le premier titulaire du droit d'auteur sur le logo de Volkswagen, a cédé le droit d'auteur canadien à Volkswagen Canada. En juillet 1996, Audi AG, le premier titulaire du droit d'auteur sur le logo d'Audi, a cédé le droit d'auteur canadien à Volkswagen Canada. Volkswagen Canada a enregistré les deux droits d'auteur en qualité de titulaire.

[6]         Vers le 1er août 1996, Volkswagen Canada a informé Access International qu'elle était titulaire du droit d'auteur au Canada sur les logos Volkswagen et Audi, et lui a demandé de cesser de vendre des pièces et des accessoires portant l'un ou l'autre logo, à l'exception des pièces et accessoires achetés à Volkswagen Canada ou à une partie se les ayant procurés auprès de Volkswagen Canada.

[7]         Volkswagen Canada soutient que l'importation et la vente de pièces et accessoires Volkswagen et Audi par Access International depuis le 1er août 1996 constituent une violation de son droit d'auteur. Volkswagen Canada sollicite un certain nombre de réparations, dont une injonction permanente, la remise de tous les éléments matériels contrefaits, des dommages-intérêts et un état comptable des profits.


[8]         Je résume de la manière suivante les faits allégués par Access International dans sa défense et sa demande reconventionnelle. Access International est une société albertaine qui, depuis les vingt dernières années, importe des pièces et des accessoires automobiles en vue de leur revente au Canada. Dans le cadre de son entreprise, elle importe des produits qui portent le logo Volkswagen ou le logo Audi, ou qui sont contenus dans des colis qui portent ces logos. Access International achète ces pièces et accessoires Volkswagen et Audi à des fabricants qui sont autorisés par Volkswagen AG à les produire et à les vendre sur le marché libre. Lorsque Access International en fait l'acquisition, les produits portent déjà les logos ou sont contenus dans des colis qui les portent déjà. Access International soutient qu'une telle importation est légale.

[9]         Access International ajoute que Volkswagen Canada est au courant de ses activités depuis au moins 1986. En 1991, Volkswagen Canada lui a demandé de cesser ses activités commerciales d'importation et de distribution des pièces et accessoires Volkswagen et Audi, mais n'a pas donné suite à cette demande jusqu'à ce qu'elle produise cette nouvelle demande en 1996, après avoir fait l'acquisition du droit d'auteur.

[10]       Access International nie avoir violé tout droit d'auteur de Volkswagen Canada. Elle prétend que Volkswagen Canada, en acquérant le droit d'auteur sur les logos et en essayant ensuite de se servir de ce droit pour empêcher Access International d'importer des pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques, exerce son droit de manière abusive.


[11]       Les actes de procédure d'Access International qui sont visés par la requête en radiation de Volkswagen Canada sont les suivants :

[TRADUCTION]

Défense

2.                   [...] De plus, par ses actions, la demanderesse, et, implicitement, Volkswagen AG, cherche à limiter, restreindre, empêcher ou réduire indûment le commerce de pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques, contrevenant ainsi aux dispositions de la Loi sur la concurrence.

15.               Access répète que la demanderesse est la propriété exclusive de sa société-mère allemande, Volkswagen AG, et que son prétendu droit d'auteur sur le logo VW et le logo de quatre anneaux lui vient directement ou indirectement de Volkswagen AG.

16.               La demanderesse, et, implicitement, Volkswagen AG, cherche à se servir de son droit d'auteur et de son prétendu droit de distribution exclusif, dont Access nie précisément l'existence, pour :

a.         limiter indûment les installations destinées au transport, à la fourniture, à l'entreposage et au commerce de pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques;

b.         restreindre ou affaiblir indûment les échanges et le commerce de pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques; ou

c.         empêcher ou réduire indûment la concurrence dans l'achat, la vente, le transport ou l'approvisionnement de pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques.

17.               Access invoque l'article 32 de la Loi sur la concurrence et déclare que les actions de la demanderesse constituent des actes illégaux destinés uniquement à ébranler l'entreprise d'Access ou à lui nuire.

                                                         Demande reconventionnelle

1.                   [...] Volkswagen Canada Inc., en intentant la présente action contre Access, tente d'utiliser un droit d'auteur nouvellement acquis pour limiter, restreindre, empêcher ou réduire indûment le commerce de pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques. Par ces actions, Volkswagen Canada Inc. contrevient aux dispositions de la Loi sur la concurrence. [...]

7.                   En tentant d'utiliser son droit d'auteur sur le logo VW et celui des quatre anneaux afin d'empêcher Access d'exploiter une entreprise légitime, la demanderesse cherche à se servir de son droit d'auteur d'une manière qui n'est pas envisagée par la Loi sur le droit d'auteur contrevient à la Loi.


PAR CONSÉQUENT, LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE SOLLICITE :

a.          Une injonction permanente prévue à l'alinéa 32(2)b) de la Loi sur la concurrence interdisant à Volkswagen Canada Inc. d'exécuter ou d'exercer l'ensemble ou l'une des conditions ou stipulations d'un accord, arrangement ou permis qui perturberaient ou entraveraient les activités commerciales légales d'Access [...].

[12]       Ces allégations ne peuvent être radiées que s'il est évident et manifeste ou s'il ne fait aucun doute qu'ils ne révèlent aucun fondement valable pour une défense ou une demande reconventionnelle : voir l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. Pour trancher cette question, il faut présumer que les faits allégués dans la défense et demande reconventionnelle sont exacts.

[13]       Tous les paragraphes que Volkswagen Canada cherche à faire radier se rapportent à l'article 32 de la Loi sur la concurrence, dont les extraits pertinents sont ainsi formulés :


32(1) Chaque fois qu'il a été fait usage des droits et privilèges exclusifs conférés par un ou plusieurs brevets d'invention, par une ou plusieurs marques de commerce, par un droit d'auteur ou par une topographie de circuit intégré enregistrée pour :

32(1) In any case where use has been made of the exclusive rights and privileges conferred by one or more patents for invention, by one or more trade-marks, by a copyright or by a registered integrated circuit topography, so as to

                                                ...

                                                ...

d) soit empêcher ou réduire indûment la concurrence dans la production, la fabrication, l'achat, l'échange, la vente, le transport ou la fourniture d'un tel article ou d'une telle denrée,

(d) prevent or lessen, unduly, competition in the production, manufacture, purchase, barter, sale, transportation or supply of any such article or commodity,


la Cour fédérale peut rendre une ou plusieurs des ordonnances visées au paragraphe (2) dans les circonstances qui y sont décrites.

the Federal Court may make one or more of the orders referred to in subsection (2) in the circumstances described in that subsection.(2) La Cour fédérale, sur une plainte exhibée par le procureur général du Canada, peut, en vue d'empêcher tout usage, de la manière définie au paragraphe (1), des droits et privilèges exclusifs conférés par des brevets d'invention, des marques de commerce, des droits d'auteur ou des topographies de circuits intégrés enregistrées touchant ou visant la fabrication, l'emploi ou la vente de tout article ou denrée pouvant faire l'objet d'un échange ou d'un commerce, rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes:

(2) The Federal Court, on an information exhibited by the Attorney General of Canada, may, for the purpose of preventing any use in the manner defined in subsection (1) of the exclusive rights and privileges conferred by any patents for invention, trade-marks, copyrights or registered integrated circuit topographies relating to or affecting the manufacture, use or sale of any article or commodity that may be a subject of trade or commerce, make one or more of the following

                                                ...

                                                ...                             

b) empêcher toute personne d'exécuter ou d'exercer l'ensemble ou l'une des conditions ou stipulations de l'accord, de l'arrangement ou du permis en question; [...]

(b) restraining any person from carrying out or exercising any or all of the terms or provisions of the agreement, arrangement or licence;...


[14]       Le protonotaire a accueilli la requête en radiation des actes de procédure et n'a pas permis de les modifier. Il a fait remarquer que l'article 32 de la Loi sur la concurrence permet à la Cour fédérale d'accorder un recours contre certaines utilisations d'un droit d'auteur, mais seulement si celles-ci ont pour effet de réduire ou d'empêcher indûment la concurrence. Il a conclu que, tant que la Cour fédérale n'a pas constaté l'existence des conséquences indues qui sont précisées, après avoir tenu la procédure décrite, engagée par une plainte exhibée par le procureur général du Canada, l'article 32 ne peut servir de fondement à une défense ou demande reconventionnelle dans le cadre d'une action en violation du droit d'auteur.

[15]       Access International a interjeté appel de la décision du protonotaire. Le juge des requêtes a rejeté cet appel. Access International se pourvoit maintenant en appel de la décision du juge des requêtes.


[16]       Volkswagen Canada invoque la décision prononcée par le juge Addy dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Marzone Chemicals Ltd. (1976), 29 C.P.R. (2d) 253 (C.F. 1re inst.), confirmée par [1977] 2 C.F. 104, 14 N.R. 311, 29 C.P.R. (2d) 255 (C.A.F.). Cette affaire concernait une action en contrefaçon d'un brevet. Dans sa défense, la défenderesse avait allégué que la titulaire du brevet n'avait pas le droit à la réparation demandée parce qu'elle avait participé à un complot en vue de limiter indûment la concurrence dans le produit breveté, et ce, en contravention des alinéas 31(1)a), b) et c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, alors en vigueur. La défenderesse avait aussi présenté une demande reconventionnelle en dommages-intérêts. À cette époque, l'article 31.1 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions permettait à une personne qui avait subi une perte ou un préjudice par suite d'une conduite contraire à l'article 32 de demander une indemnisation.

[17]       La titulaire du brevet avait demandé la radiation des parties de la défense et demande reconventionnelle qui invoquaient l'article 32 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. La requête avait été rejetée. En ce qui concerne la demande reconventionnelle en dommages-intérêts, le juge Addy avait indiqué que l'article 31.1 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions permettait de demander des dommages-intérêts pour une violation de l'article 32, peu importe qu'une instance ait ou non été engagée aux termes de cette disposition ou qu'une déclaration de culpabilité ait ou non été inscrite.


[18]       La présente affaire se distingue d'Eli Lilly parce qu'en l'espèce, il existe, dans la Loi, des préalables susceptibles d'empêcher Access International de demander une réparation pour violation de l'article 32 de la Loi sur la concurrence. La réparation qu'Access International cherche à obtenir dans sa demande reconventionnelle est essentiellement celle qui est prévue à l'alinéa 32(2)b). Or, si la Cour permettait que la demande reconventionnelle reste telle quelle, elle autoriserait par le fait même Access International à profiter d'une réparation d'origine législative sans avoir à satisfaire aux préalables prévus dans la Loi en question. C'est pourquoi, je conviens avec le protonotaire et le juge des requêtes que les paragraphes 3, 4, 5 et 7a) de la demande reconventionnelle devraient être radiés sans autorisation de les modifier. À cet égard, je remarque que la modification projetée enlevait simplement la mention de l'article 32 de la Loi sur la concurrence et qu'il ne s'agissait pas d'une modification de fond.

[19]       En revanche, des considérations différentes s'appliquent à la défense d'Access International. Dans la décision Eli Lilly, le juge Addy a précisé qu'il ne fallait pas radier les allégations visant l'article 32 qui étaient énoncées dans la défense parce qu'il était possible de faire valoir que l'article 31.1 prévoyait un moyen de défense à opposer à une action en contrefaçon. Il a ajouté :

Il y a toutefois une raison plus convaincante, celle que les demanderesses demandent une réparation reconnue en equity et qu'elles doivent se présenter devant la Cour avec des « mains propres » . S'il s'avérait qu'elles ont en fait enfreint la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, comme cela est allégué dans le paragraphe 9 de la défense, la Cour aurait une raison des plus valables pour refuser l'injonction demandée, bien que les allégations puissent ne pas constituer en droit une défense contre la demande.


[20]       Il me semble que le juge Addy n'a pas écarté la possibilité que le défaut de satisfaire à des préalables prévus dans la Loi, même s'il pouvait empêcher d'obtenir une réparation, n'empêchait pas nécessairement d'invoquer un moyen de défense reconnu en equity. Ainsi, on peut se demander si la conduite du titulaire d'un droit d'auteur qui est décrite au paragraphe 32(1) peut ou non servir de fondement à une défense opposée à une demande de réparation reconnue en equity pour violation d'un droit d'auteur.

[21]       Je considère admis que les réparations recherchées par Volkswagen Canada en l'espèce incluent une réparation reconnue en equity et qu'il est loisible à Access International d'alléguer que la Cour devrait refuser une telle réparation à Volkswagen Canada parce qu'elle ne s'est pas présentée devant la Cour avec les « mains propres » . Un moyen de défense fondé sur une conduite répréhensible de l'autre partie peut être invoqué s'il existe un lien suffisant entre l'objet de la demande et la réparation sollicitée. Le juge Schroeder explique ce point de la manière suivante dans l'arrêt City of Toronto c. Polai, [1970] 1 O.R. 483 (C.A.) (confirmé sans discussion de ce point par [1973] R.C.S. 38) :

[TRADUCTION] La maxime selon laquelle « celui qui invoque l'equity doit être sans reproche lui-même » qui a été invoquée surtout dans des affaires opposant des parties privées, commande à celui qui sollicite une réparation reconnue en equity d'établir que sa conduite antérieure dans l'affaire est irréprochable : voir les arrêts Overton v. Banister, (1844), 3 Hare 503, 67 E.R. 479; Nail v. Punter (1832), 5 Sim. 555, 58 E.R. 447; Re Lush's Trust (1869), L.R. 4 Ch. App. 591. Ces affaires illustrent des cas où la Cour a refusé d'accorder une réparation à la partie demanderesse en raison de sa conduite répréhensible dans l'affaire même faisant l'objet d'une poursuite en equity. Toutefois, il ne faut ni interpréter ni appliquer cette maxime trop largement, par exemple contre une partie demanderesse qui n'aurait pas mené une vie exemplaire. Dans l'arrêt Dering v. Earl of Winchelsea (1787), 1 Cox 318, 29 E.R. 1184, le lord Baron en chef Eyre indique aux pages 319 et 320 :


On fait valoir que le responsable de la perte ne devrait pas pouvoir bénéficier d'un recours récursoire mais, on ne m'a cité aucune jurisprudence sur ce point, ni aucun principe applicable à la présente espèce. Ce n'est pas établir un principe que d'affirmer que sa conduite condamnable le prive de tout recours devant la présente Cour. Si cette affirmation peut se fonder sur un principe, il ne peut s'agir que de celui selon lequel celui qui se présente devant une cour d'equity doit avoir une conduite sans reproche; toutefois ce principe ne vise pas la dépravation générale : la conduite répréhensible doit avoir un lien direct et obligatoire avec la réparation d'equity qui est sollicitée; il doit s'agir d'une dépravation tant au sens juridique qu'au sens moral. Moralement, on peut considérer que le compagnon, et peut-être le conseiller, de M. Dering est responsable de la perte, mais du point de vue juridique, c'est M. Dering lui-même qui est responsable de cette perte; s'il a suivi le mauvais exemple de Sir Edward, ce n'est pas une question dont la Cour peut prendre connaissance.

Pour pouvoir invoquer la maxime contre le demandeur, il faut que la conduite qu'on lui reproche soit directement liée à l'affaire même qui fait l'objet de la plainte et non simplement à la moralité générale ou à la conduite générale de la personne qui demande la réparation; ou, comme l'indique la note du sténographe dans la vieille affaire de Jones v. Lenthal (1669) 1 Chan. Cas. 154, 22 E.R. 739 : « [...] le défendeur doit avoir été lui-même victime de l'iniquité » .

[22]       La présente Cour s'est penchée récemment sur deux affaires soulevant l'à-propos d'actes de procédure alléguant une certaine interaction entre une conduite anti-concurrentielle et une demande de réparation pour contrefaçon d'un monopole d'origine législative. La première est celle de Procter & Gamble Co. c. Kimberley-Clark of Canada Ltd. (1990), 29 C.P.R. (3d) 545 (C.A.F.), une action en contrefaçon d'un brevet. La défenderesse cherchait à inclure dans sa défense un paragraphe alléguant que la brevetée s'était elle-même privée de son droit de demander une réparation reconnue en equity parce qu'elle avait vendu ses produits brevetés à des prix déraisonnablement bas ou à des prix inférieurs à leur coût dans le dessein de réduire sensiblement la concurrence et d'éliminer dans une large mesure la défenderesse en tant que concurrente, et ce, en contravention de la Loi sur la concurrence, L.C. 1986, ch. 26. Le juge des requêtes avait permis la modification, mais la présente Cour a infirmé sa décision parce que ces allégations n'avaient aucune pertinence relativement à la défense ou à la demande de la brevetée en vue d'obtenir une réparation reconnue en equity. Le juge Hugessen, se prononçant pour la Cour, a précisé :


Pour que l'equity refuse, en vertu de la doctrine des « mains propres » , une réparation à laquelle une partie aurait autrement droit, il faut que la conduite passée de cette partie soit directement reliée à la cause d'action même invoquée dans la demande, en l'espèce le brevet [voir l'arrêt City of Toronto v. Polai (1969), 8 D.L.R. (3d) 689, [1970] 1 O.R. 483 (C.A.)]. Or, dans la présente affaire, non seulement la pratique alléguée de prix abusivement bas ne peut pas être liée au brevet (quel tort y-a-t-il si le détenteur d'un monopole légal fixe le prix de ses produits à un niveau inférieur à leur coût et à qui ce préjudice est-il causé?), mais cette pratique réduirait en fait la possibilité pour les demanderesses de recouvrer les profits de la défenderesse.

[23]       Il ressortait de ces faits que la propriété du brevet de la demanderesse, le fondement de l'action en contrefaçon, était indépendante de toute pratique de prix abusivement bas susceptible d'avoir été adoptée. Par conséquent, il n'y avait pas de lien entre la conduite prétendument répréhensible et les droits sur lesquels se fondait la demande de réparation d'equity formulée par la demanderesse.


[24]       La deuxième affaire est celle de Visx Inc. c. Nidek Co. (1995), 68 C.P.R. (3d) 272 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1996), 209 N.R. 342, 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.). Encore là, il s'agissait d'une action en contrefaçon de brevets. Ces brevets concernaient des lasers à excimères servant en chirurgie oculaire. La défenderesse avait plaidé, dans sa défense, que les brevets étaient inexécutables et nuls parce que le breveté s'était servi des droits que lui conférait son brevet pour tenter de percevoir des droits et des redevances pour des interventions chirurgicales et pour imposer des conditions de licence oppressives, qui, prétendait-elle, constituaient une limite indue du commerce, contrevenant ainsi à l'article 32 de la Loi sur la concurrence. La demanderesse a voulu faire radier les actes de procédure concernant la Loi sur la concurrence. La défenderesse a fait voir que les actes de procédure ne devaient pas être radiés parce qu'ils constituaient le fondement de l'argumentation selon laquelle, par sa conduite, la demanderesse s'était elle-même privée du droit de demander une réparation reconnue en equity pour contrefaçon de brevet. Le protonotaire a ordonné la radiation des actes de procédure et le juge des requêtes a confirmé cette décision, adoptant en grande partie les mêmes motifs que ceux de l'affaire Procter & Gamble (précitée).

[25]       Les décisions Visx et Procter & Gamble sont deux exemples dans lesquels les violations à la Loi sur la concurrence qui auraient été commises par un breveté n'ont pas soulevé de doutes sur les droits conférés par le brevet. Par conséquent, il n'y avait pas, entre la conduite prétendument illégale et la réparation d'equity recherchée par le breveté, un lien susceptible d'étayer un moyen de défense d'absence de conduite sans reproche.

[26]       Le juge des requêtes a conclu qu'on pouvait en dire autant du présent cas, et donc qu'une défense d'absence de conduite sans reproche n'avait pas de chance d'être accueillie. Je ne saurais partager cette opinion. En l'espèce, Access International veut faire valoir que la cession du droit d'auteur sur le logo VW et celui d'Audi à Volkswagen Canada est une conduite décrite au paragraphe 32(1) de la Loi sur la concurrence, parce que Volkswagen Canada aurait obtenu le droit d'auteur dans le dessein de limiter ou d'empêcher indûment la concurrence en ce qui concerne les pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques. Cette allégation est bien différente des allégations examinées dans les affaires Visx et Procter & Gamble. À mon avis, il serait au moins possible de faire valoir qu'il existe en l'espèce un lien suffisant entre le droit d'auteur et la défense de l'absence de conduite sans reproche qui serait susceptible d'entraîner le refus de la réparation reconnue en equity.


[27]       Je ne vois rien dans l'une ou l'autre des décisions mentionnées ou dans l'article 32 lui-même, qui donne à penser qu'un tel argument n'a aucune chance d'être accueilli.

[28]       Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel, sauf en ce qui concerne la demande reconventionnelle, de sorte que la deuxième phrase du paragraphe 2 et les paragraphes 15, 16 et 17 de la défense ne seront pas radiés des actes de procédure. Comme les parties ont toutes deux eu gain de cause en partie, elles supporteront chacune leurs frais.

« Karen R. Sharlow »

J.C.A.

« Je souscris aux présents motifs. »

Marshall Rothstein, J.C.A.

« Je souscris aux présents motifs. »

Brian Malone, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20010321

Dossier : A-403-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

    DE MADAME LE JUGE SHARLOW

    DE MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                  ACCESS INTERNATIONAL AUTOMOTIVE LTD.,

                                                                                                                                             appelante,

                                                                          - et -

                                                  VOLKSWAGEN CANADA INC.,

                                                                                                                                                 intimée,

                                                                          - et -

                      VOLKSWAGEN AG, VOLKSWAGEN MEXICO SA et AUDI AG,

                                                                                                                                      tierces parties.

                                                                   JUGEMENT

L'appel est accueilli, sauf en ce qui concerne la demande reconventionnelle, de sorte que la deuxième phrase du paragraphe 2 et les paragraphes 15, 16 et 17 de la défense ne sont pas


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radiés des actes de procédure. Comme les parties ont toutes deux eu gain de cause en partie, elles supporteront chacune leurs frais.

           « Marshall Rothstein »            

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE DOSSIER :                                         A-403-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Access International Automotive Ltd.. c. Volkswagen Canada Inc. et Volkswagen AG, Volkswagen Mexico SA et Audi AG

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 13 février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par madame le juge Sharlow en date du 21 mars 2001.

ONT SOUSCRIT AUX MOTIFS :                le juge Rothstein

le juge Malone

ONT COMPARU :

David R. Haigh, c.r.                                                       POUR L'APPELANTE

L.E. Trent Horne                                                           POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Burnet, Duckworth & Palmer                             POUR L'APPELANTE

Calgary (Alberta)

Sim, Hughes, Ashton & McKay                                     POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)

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