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Date : 20041112

Dossier : A-364-04

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 380

                                                                                                                                                           

ENTRE :

                                               TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                                           

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                                           

                                     Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

                               Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                        LE JUGE LINDEN


                                                                                                                                 Date : 20041112

                                                                                                                             Dossier : A-364-04

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 380

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2004

ENTRE :

                       

                                               TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                                           

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                                           

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LINDEN


[1]                La présente demande, formée par Telus Communications Inc. (TCI), fait suite à une ordonnance en date du 23 septembre 2004 par laquelle j'enjoignais au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) de communiquer au greffe et de signifier à TCI deux notes de services datées respectivement du 26 mars 2004 et du 7 avril 2004, sauf revendication de privilège. En exécution de cette ordonnance, le CRTC a communiqué dans son intégralité la note de service du 7 avril 2004, mais n'a communiqué qu'une version expurgée de la note du 26 mars 2004 (la note), faisant valoir le privilège du secret professionnel de l'avocat relativement à la partie retranchée de ce document, soit ses paragraphes 16 à 21. TCI sollicite par la présente demande la communication de l'intégralité de la note au motif que la partie retranchée n'est pas protégée par le secret professionnel de l'avocat.

LES FAITS

[2]                Selon la preuve par affidavit, incontestée, les paragraphes 16 à 21 de la note ont été rédigés par James Wilson, conseiller juridique à la Direction des services juridiques du CRTC. Les conseillers juridiques de ce service comptent parmi leurs tâches ordinaires celles de fournir des avis juridiques au CRTC et d'occuper pour cet organisme dans ses propres procédures et devant les tribunaux judiciaires.

[3]                Le contenu des paragraphes 16 à 21 a été établi par Me Wilson à la demande de Rosemary Bernath et de Brenda Stevens à la suite d'un entretien avec elles. Mmes Bernath et Stevens travaillent toutes deux à la Direction des télécommunications du CRTC. La preuve donne à penser que le Conseil confie à la Direction des télécommunications la tâche d'obtenir des avis juridiques pour son compte et de les lui communiquer sous forme de recommandations. Par conséquent, une partie du travail qu'effectue la Direction des télécommunications pour le Conseil consiste à obtenir des avis juridiques pour lui et à les lui transmettre.


[4]                La note en question, que j'ai lue sous réserve de confidentialité, est adressée au [traduction] « Comité des télécommunications » et le nom de l'expéditeur qui y est inscrit est « Rosemary Bernath » . La note porte la signature de Shirley Soehn, directrice exécutive des Télécommunications. Elle compte 21 paragraphes. La partie retranchée de cette note, composée des paragraphes 16 à 21, porte le titre [TRADUCTION] « Analyse d'état-major et recommandations » , titre qui est souligné. Au coin supérieur gauche du document, le mot [TRADUCTION] « PROTÉGÉ » apparaît en majuscules dans une case surmontée de la mention [TRADUCTION] « Classification de sécurité » .

LE DROIT DU SECRET PROFESSIONNEL DE L'AVOCAT EN RÉSUMÉ

[5]                Le secret professionnel de l'avocat est un élément essentiel du système judiciaire canadien. Tous les clients des gens de loi doivent pouvoir en obtenir des avis complets et francs sans craindre que leurs communications ne soient utilisées contre eux.

Le secret professionnel de l'avocat s'entend du privilège qui existe entre un client et son avocat et qui est fondamental pour le système de justice canadien. Le droit est un écheveau complexe d'intérêts, de rapports et de règles. L'intégrité de l'administration de la justice repose sur le rôle unique de l'avocat qui donne des conseils juridiques à des clients au sein de ce système complexe. La notion selon laquelle une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat pour qu'il soit en mesure de la représenter pleinement est au coeur de ce privilège (R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, au paragraphe 2).

[6]                Monsieur le juge en chef Lamer a résumé comme suit le droit du secret professionnel de l'avocat aux pages 892 et 893 de l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 :


En résumé, le client d'un avocat a droit au respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d'obtenir un avis juridique. Qu'ils soient communiqués à l'avocat lui-même ou à des employés, qu'ils portent sur des matières de nature administrative comme la situation financière ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d'obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité. Ce droit à la confidentialité s'attache à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client-avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel.

[7]                Si, dans l'examen de la question du privilège, on insiste souvent sur la protection des communications du client à l'avocat, il faut ajouter que le secret professionnel de l'avocat protège aussi les communications de ce dernier à son client.

[TRADUCTION] (...) pour qu'un membre du public puisse bénéficier réellement de l'aide juridique à laquelle la loi lui donne droit, il doit pouvoir communiquer en toute liberté avec son conseiller juridique, sans l'entrave que représenterait la possibilité que leurs communications servent de preuve contre lui. La raison de la règle, comme la règle elle-même, s'appliquent aux communications ayant pour but l'obtention de conseils juridiques, aux éléments accessoires susceptibles de révéler le contenu de ces communications, ainsi qu'au contenu même des conseils juridiques (Susan Hosiery Ltd. c. Canada (Minister of National Revenue), [1969] 2 R.C. de l'É. 27, le protonotaire Jackett). [Non souligné dans l'original.]

[8]                Le privilège s'applique non seulement à la communication de conseils juridiques des gens de loi à leurs clients dans les domaines du droit privé ou du droit pénal, mais aussi aux avis juridiques donnés par les avocats salariés, y compris ceux de l'Administration :

[...] il vise tant l'avis donné à un organisme administratif par un avocat salarié que l'avis donné dans le contexte de l'exercice privé du droit. Lorsqu'un avocat salarié donne des conseils que l'on qualifierait de privilégiés, le fait qu'il est un avocat « interne » n'écarte pas l'application du privilège ni n'en modifie la nature (Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004], C.S.C. 31, au paragraphe 21).


[9]                En fait, les tribunaux reconnaissent l'importance du rôle des conseillers juridiques pour les décideurs gouvernementaux :

[TRADUCTION] Les détenteurs de pouvoirs de décision d'origine législative, qui possèdent des connaissances approfondies dans un domaine particulier mais souvent ne sont pas des avocats, ont besoin de conseils juridiques confidentiels touchant l'interprétation de la législation applicable et d'autres questions de droit afin de pouvoir mener plus facilement des discussions franches [Pritchard c. Ontario Human Rights Commission (2003), 63 O.R. (3d) 97, à la page 111].

[10]            Comme les avocats salariés et les avocats de l'Administration remplissent souvent de multiples fonctions pour leur employeur, il est important de voir que seules leurs communications à titre d'avocats peuvent être protégées par le privilège. Les communications ayant d'autres fins, par exemple les conseils donnés en matière d'activité économique et d'action publique, ne sont pas ainsi protégées. (Voir R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565.) Le point de savoir si une communication est protégée par le privilège dans ce contexte doit être examiné au cas par cas. Le secret professionnel de l'avocat s'appliquera ou non à une telle situation [TRADUCTION] « selon la nature de la relation, l'objet de l'avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni » (Minter c. Priest, [1929] 1 K.B. 655 (C.A.), aux pages 668 et 669, cité au paragraphe 50 de R. c. Campbell).

[11]            Les deux parties reconnaissent que les critères applicables à l'établissement de l'existence du privilège sont formulés par Monsieur le juge Dickson dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 837 :

(i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.


[12]            Le privilège, une fois son existence établie, est d'application étendue et même générale. Il protège alors toutes les communications qui entrent dans le champ habituel et ordinaire de la relation professionnelle. De plus, la doctrine du privilège s'applique aux communications aussi bien orales qu'écrites.

UNE COMMUNICATION ENTRE UN AVOCAT ET SON CLIENT

[13]            La preuve, incontestée, établit qu'un avocat salarié, Me Wilson, est l'auteur du texte des paragraphes 16 à 21 de la note en question. Ce texte a été communiqué à la Direction des télécommunications, qui l'a transmis au Conseil en l'incorporant tel quel dans ladite note. Autrement dit, l'avis juridique établi par Me Wilson a été simplement transmis au Conseil par la Direction des télécommunications.

[14]            Il faut ici établir si la Direction des télécommunications devrait être considérée comme un tiers ou s'il ne serait pas plus exact de la définir comme un mandataire du Conseil, étant donné que les avis juridiques donnés par l'intermédiaire d'un mandataire ne relèvent pas des mêmes règles que ceux qui sont communiqués par l'entremise d'un tiers.


[15]            La communication de conseils juridiques à un tiers peut leur faire perdre le bénéfice du secret professionnel de l'avocat. Mais les conseils juridiques communiqués au client par l'intermédiaire d'un mandataire de ce dernier sont normalement considérés comme ayant été communiqués au client lui-même. Dans la décision Susan Hosiery, précitée, les communications entre deux comptables et un avocat ont été déclarées privilégiées au motif que les comptables consultaient l'avocat pour le compte du client.

[16]            De même, dans une affaire plus récente, on a déclaré privilégiés des documents juridiques établis par un comptable au motif qu'ils consistaient [TRADUCTION] « en conseils juridiques transmis au mandant par le mandataire à qui ils avaient été communiqués, en notes prises sur les conseils juridiques donnés oralement et en un exposé de stratégie juridique fondé sur ces conseils » [Alberta (Provincial Treasurer) c. National Bank of Canada (1995), 172 A.R. 282, au paragraphe 113]. Là encore, le juge a conclu que le comptable agissait en qualité de mandataire du client.

[17]            Dans la décision Sunwell Engineering Co. et al. c. Mogilevsky et al. (1986), 9 C.P.R. (3d) 479, deux documents ont été déclarés privilégiés. Le premier était une lettre écrite par un avocat, communiquée à un agent de brevet avant d'être transmise au client. Le deuxième était une lettre de l'agent de brevet au client. Les deux documents ont été déclarés privilégiés au motif que l'agent de brevet était un mandataire du client. Le protonotaire Peppiatt a exposé dans les termes suivants le fondement logique de la règle du mandat :

[traduction](...) les communications faites par un avocat à son client par l'intermédiaire d'un mandataire sont tout aussi privilégiées que si elles étaient directes, malgré le fait que les communications entre le mandataire et le client ne seraient pas protégées.


Je pense que c'est là un principe de bon sens. Il n'y aurait guère d'utilité à ce que le client, afin de faire bénéficier son avocat des connaissances de son comptable, doive d'abord se les faire communiquer par ce dernier, oralement ou par écrit, puis les transmettre à l'avocat, lequel, lorsqu'il jugerait nécessaire de communiquer avec le comptable, devrait communiquer avec son client pour que celui-ci lui transmette ses questions. Tout ce processus non seulement prendrait plus de temps et coûterait plus cher, mais il accroîtrait aussi les risques de malentendu (page 485).

[18]            Ces principes s'appliquent à la présente espèce. La Direction des télécommunications n'est pas un tiers. Le Conseil lui a confié la tâche d'effectuer des consultations juridiques et de transmettre les avis ainsi obtenus aux fonctionnaires compétents. La Direction des télécommunications obtient des avis juridiques pour le compte du Conseil. Il serait inefficace et onéreux pour le Conseil de devoir communiquer séparément avec sa Direction des services juridiques et sa Direction des télécommunications. La Direction des télécommunications est donc assimilable à un mandataire dans ce contexte.

UNE CONSULTATION OU UN AVIS JURIDIQUES

[19]            Les paragraphes en question ont été rédigés par un conseiller juridique en réponse à une demande d'avis juridique formulée par le personnel du Conseil. Ils ont été rédigés par ce conseiller juridique en sa qualité d'avocat et non dans le cadre d'une autre fonction qu'il remplirait dans l'Administration. La demanderesse a fait valoir que certaines parties de ces paragraphes pourraient ne pas constituer des conseils juridiques. L'examen desdits paragraphes me convainc qu'ils contiennent des conseils juridiques et rien d'autre. En fait, ils ne font que reproduire à l'intention du Conseil l'avis juridique de Me Wilson.


[20]            S'il eût peut-être été préférable d'établir une différence plus précise entre l'avis de la Direction des télécommunications et celui de la Direction des services juridiques, cela n'est pas nécessaire. Le fait que la communication de l'avis juridique au client se fasse par l'intermédiaire d'un mandataire ne suffit pas à annuler le privilège. C'est le fond de la situation qui importe, non la forme.

LA NATURE CONFIDENTIELLE

[21]            Je suis convaincu que l'avis juridique en question était considéré comme confidentiel. La mention [traduction] « Protégé » apparaît au haut de la note. Il aurait peut-être été préférable d'inscrire sur le document la mention « Confidentiel » (Confidential), mais la preuve par affidavit me convainc que la mention « Protégé » visait à exprimer l'idée que le contenu en question devait rester confidentiel, ce qu'il est resté depuis lors. Le mot « protégé » (protected) est à mon sens un synonyme des termes « confidentiel » (confidential) ou « personnel » (private) dans cette situation.

CONCLUSION

[22]            Attendu qu'ils ne font que reproduire les conseils juridiques d'un avocat à son client, à qui la Direction des télécommunications les a ainsi transmis d'une manière assimilable à l'action d'un mandataire, les paragraphes 16 à 21 de la note en question sont privilégiés et n'ont pas à être communiqués.


[23]            La demande sera rejetée avec dépens.

                                                                                   « A.M. Linden »                       

       Juge         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-364-04

INTITULÉ :               TELUS COMMUNICATIONS INC.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE LINDEN

DATE DES MOTIFS :                                               Le 12 novembre 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John Lowe

POUR L'APPELANTE/

   DEMANDERESSE

John S. Tyhurst

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones

Calgary

POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa

POUR L'INTIMÉ


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