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Date : 20000620


Dossier : A-836-99


OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 20 JUIN 2000

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :


HYUNDAI MERCHANT MARINE CO. LTD.,



appelante

(défenderesse en première instance),


et



ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD. et

BENGAL SEAFOODS INC.,


intimées

(demanderesses en première instance).



JUGEMENT


     L'appel est accueilli et l'ordonnance prononcée par le juge des requêtes en date du 10 décembre 1999 est annulée. L'ordonnance rendue par le protonotaire en date du 1er novembre 1999 est rétablie, sous réserve du dépôt au dossier de la Cour, par la défenderesse Hyundai, d'une renonciation à invoquer tout moyen de défense fondé sur la prescription en Corée, dans les soixante (60) jours du présent jugement de la Cour. Les dépens de l'appelante lui sont adjugés relativement à la présente instance et à son appel devant la Section de première instance.




                             « Robert Décary »

                                     J.C.A.

Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.





Date : 20000620


Dossier : A-836-99

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :

HYUNDAI MERCHANT MARINE CO. LTD.,



appelante

(défenderesse en première instance),


et



ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD. et

BENGAL SEAFOODS INC.,



intimées

(demanderesses en première instance).





Audition tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 15 juin 2000

    

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 20 juin 2000



MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR      LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE EVANS





Date : 20000620


Dossier : A-836-99

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :

HYUNDAI MERCHANT MARINE CO. LTD.,


appelante

(défenderesse en première instance),


et


ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD. et

BENGAL SEAFOODS INC.,


intimées

(demanderesses en première instance).



MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE SEXTON

[1]      La question soulevée par l'appel est celle de savoir s'il y a lieu de donner effet à une clause incluse dans un connaissement, selon laquelle toute action relative au transport de marchandises effectué en vertu du connaissement doit être intentée en Corée.

[2]      La demanderesse Bengal, une société par actions ontarienne, a acheté une cargaison de poisson de la demanderesse Anraj, une société par actions du Bangladesh. Anraj a pris des arrangements avec la défenderesse Hyundai pour que le poisson soit expédié du Bangladesh à New York, en passant par la France et Singapour. Lorsque le poisson est arrivé à New York, il s'est révélé impropre à la consommation humaine. Les demanderesses ont intenté une action en dommages-intérêts contre Hyundai devant la Cour, en soutenant que Hyundai avait fait preuve de négligence en transportant les marchandises. Hyundai a réussi à faire suspendre l'instance par un protonotaire en s'appuyant sur une clause du connaissement qui désignait la Corée comme ressort compétent. Pour ordonner la suspension, le protonotaire s'est appuyé sur l'opinion suivante exprimée par le juge Brandon dans l'affaire The Eleftheria1 :

[Traduction] Pour exercer mon pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension, j'ai tenu compte de plusieurs facteurs. L'existence d'une clause attributive de compétence inverse le fardeau de la preuve, de sorte qu'il incombe aux demanderesses d'établir une « preuve forte » militant contre l'octroi de la réparation demandée par la défenderesse (voir The Eleftheria, [1969] 1 Lloyd's 237.)

Je reconnais que les demanderesses peuvent subir de graves inconvénients, principalement quant aux coûts, si elles doivent poursuivre leur action en Corée. Toutefois, cet élément ne suffit pas en soi. Je ne crois pas non plus que le système coréen d'administration de la justice priverait les demanderesses d'un procès équitable. En outre, il n'a pas été établi devant moi que le Canada est le pays où se trouve la preuve relative aux questions de fait. Il semble que des témoins provenant d'autres pays, dont le Bangladesh, la France et les États-Unis, pourraient être appelés à témoigner. Par ailleurs, la preuve ne me permet pas de conclure que la défenderesse cherche uniquement à bénéficier d'un avantage sur le plan de la procédure en insistant pour que l'affaire soit entendue en Corée. L'existence d'une clause attributive de compétence est avantageuse pour les deux parties car elle empêche ou restreint, à tout le moins, la multiplication des instances.

[3]      Hyundai a interjeté appel de la décision du protonotaire devant un juge des requêtes, qui n'était pas du même avis que le protonotaire. Le juge des requêtes a statué que le protonotaire n'avait pas appliqué en entier le critère établi dans l'affaire Eleftheria, que le protonotaire avait accordé trop de poids au fait que le Canada n'était pas le pays dans lequel se trouve la preuve relative aux questions de fait et que le protonotaire n'avait pas tenu compte de l'endroit où l'on peut se procurer la preuve facilement et où les frais seraient moindres.

[4]      Le juge Décary de la présente Cour d'appel a bien défini le rôle d'un tribunal d'appel en pareilles circonstances, dans l'affaire Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A.2 :

Une Cour d'appel chargée de contrôler la décision discrétionnaire d'un juge des requêtes dans le cadre d'une demande de suspension des procédures fondée sur une clause attributive de compétence doit confirmer la décision à moins qu'elle soit mal fondée ou manifestement erronée (voir Seapearl, à la page 176, le juge Pratte). Une norme de contrôle semblable doit être appliquée par un juge des requêtes qui siège en appel d'une ordonnance de cette nature rendue par un protonotaire (voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), à la page 454). La présente Cour ne peut donc intervenir que si le juge des requêtes n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence de tels motifs, si sa propre décision était mal fondée ou qu'elle était manifestement erronée.3

[5]      Pour décider si le protonotaire a commis une erreur, la Cour ne doit pas examiner ses motifs à la loupe. À leur lecture, ses motifs, dans leur ensemble, ne révèlent pas qu'il a mal fondé sa décision ni qu'elle est manifestement erronée. Il a correctement appliqué le critère établi dans l'affaire The Eleftheria; ses motifs indiquent qu'il était conscient de chaque aspect de ce critère et qu'il en a tenu compte pour rendre sa décision. En conséquence, le juge des requêtes a commis une erreur en infirmant la décision du protonotaire.

[6]      Je suis d'avis que le juge des requêtes a décrit avec exactitude les facteurs énoncés par le juge Brandon dans l'affaire The Eleftheria, mais qu'il n'a pas tenu compte de sa prémisse essentielle, énoncée dans les termes suivants :

[Traduction] [I]l est essentiel que la cour accorde tout le poids nécessaire à l'avantage prima facie de faire respecter par les demandeurs leur engagement [...] la Cour doit éviter de reconnaître le principe en cause tout juste pour la forme, pour ensuite ne pas y donner effet en raison d'une simple prépondérance des inconvénients.4

[7]      La Cour a retenu ce principe dans l'affaire Le « Seapearl » c. Seven Seas

Corporation5 :

À priori, une requête en sursis d'instance engagée en Cour fédérale, contrairement à l'engagement de soumettre le litige à l'arbitrage ou à une juridiction étrangère, devrait être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements. Pour écarter cette règle, il faut [Traduction] « des motifs impérieux » , c'est-à-dire des motifs permettant de conclure qu'il ne serait ni raisonnable ni juste, dans le cas d'espèce, de forcer la demanderesse à respecter sa promesse et de donner effet au contrat conclu avec la défenderesse. C'est le principe qu'on applique en Angleterre et aux États-Unis; c'est aussi à mon avis le principe que doit appliquer notre juridiction [citant The Eleftheria.].6

[8]      Les facteurs à considérer énoncés par le juge Brandon sont les suivants :


  1. .      Dans quel pays se trouvent les éléments de preuve relatifs aux questions de fait?
     En l'espèce, il semble probable qu'il faille entendre des témoins provenant du Bangladesh, de la France et des États-Unis. Bien qu'il soit possible que certains éléments de preuve puissent être obtenus auprès d'un témoin canadien, il paraît plus vraisemblable que la preuve litigieuse concernant le transport du poisson et les dommages qui lui ont été causés proviendra d'autres endroits.


  1. .      Le droit du tribunal étranger est-il applicable? Si c'est le cas, diffère-t-il du droit canadien sur des points importants?
     Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge des requêtes a statué que « le droit applicable n'est pas le droit coréen. C'est probablement le droit américain qui s'applique. » 7 Bien que je sois d'accord pour dire que l'alinéa 2b) du connaissement démontre que la Carriage of Goods by Sea Act, 1936 des États-Unis s'applique au présent litige, la clause 30 du connaissement dit aussi que les réclamations découlant du connaissement [Traduction] « seront régies exclusivement par les lois de la Corée, sauf stipulation contraire expresse du présent connaissement. » Par conséquent, dans les cas où la Carriage of Goods by Sea Act, 1936 des États-Unis ne s'applique pas, c'est le droit coréen qui s'applique. Ce facteur démontre, comme l'a statué le juge Brandon dans l'affaire The Eleftheria, que [Traduction] « Toutes choses étant égales, il est préférable que le droit d'un tribunal étranger soit décidé par les tribunaux du pays en cause. » 8 J'estime que le juge des requêtes a commis une erreur en affirmant qu'il était clair que le droit coréen ne s'appliquait pas à l'affaire en litige.
     Dans les circonstances visées par l'appel, je ne crois pas que la procédure coréenne diffère de la procédure canadienne sur des points importants. Plus particulièrement, bien qu'il existe des différences entre la procédure canadienne et la procédure coréenne en matière d'enquête préalable, je ne pense pas que ces différences constituent des [Traduction] « lacunes vraiment graves » de la procédure judiciaire coréenne9.

  1. .      Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens et de quelle nature sont-ils?
     Bien que Hyundai ait un bureau au Canada, son siège social est situé en Corée. En l'espèce, une demanderesse est située au Canada et l'autre au Bangladesh. Ce facteur ne révèle aucun motif impérieux de déroger à la clause attributive de compétence.

  1. .      La défenderesse souhaite-t-elle vraiment porter le litige devant un tribunal étranger, ou cherche-t-elle uniquement à bénéficier d'un avantage sur le plan de la procédure?
     Le lord juge Brandon a étoffé ce critère dans un jugement ultérieur, The "El Amria", lorsqu'il a ajouté :
[Traduction] J'examinerai, quatrièmement, la question de savoir si les défendeurs souhaitent vraiment que le procès se déroule en Égypte, ou veulent simplement bénéficier d'avantages sur le plan de la procédure. Ce type d'examen découle des faits en cause dans l'affaire The Fehmarn, où il a été établi que le principal motif pour lequel les défendeurs ouest allemands ont demandé une suspension n'était pas leur désir de porter leur litige devant un tribunal russe, mais plutôt d'éviter de fournir une garantie à l'égard de la réclamation des demandeurs en Angleterre.10
     En l'espèce, aucun élément de preuve ne peut appuyer la conclusion que la principale raison pour laquelle Hyundai demande la suspension de l'instance est son désir de bénéficier d'un avantage sur le plan de la procédure.

  1. .      La demanderesse subirait-elle un préjudice si elle devait porter son litige devant un tribunal étranger?
     Bien que la demanderesse Bengal ait présenté une preuve établissant qu'elle subirait un préjudice si l'instance se déroulait en Corée, du fait des dépenses qui en découleraient, aucune preuve semblable n'a été produite par Anraj. En ce qui concerne Bengal, il faut tenir pour acquis qu'elle était au courant de la clause attributive de compétence. On peut présumer que les parties ont passé leur contrat et fixé les prix d'expédition en sachant que tout litige serait normalement porté devant un tribunal coréen. Quoi qu'il en soit, j'estime qu'il ne serait pas sage de trancher la question de la juridiction compétente en tenant compte uniquement des ressources financières de l'une des parties.
     L'une des raisons pour lesquelles on pourrait prétendre que les demanderesses subiraient un préjudice est l'expiration apparente du délai de prescription de l'action en Corée. Hyundai soutient qu'elle ne devrait pas être tenue de renoncer à invoquer la prescription en Corée; la Cour juge néanmoins opportun d'imposer une condition selon laquelle aucun délai de prescription ne sera invoqué s'il est donné effet à la clause attributive de compétence.

[9]      Je suis d'avis qu'il n'existe pas de motif impérieux de conclure qu'il ne serait ni raisonnable ni juste d'obliger les demanderesses à respecter la clause attributive de compétence.

[10]      Par conséquent, l'appel sera accueilli et l'ordonnance prononcée par le juge des requêtes en date du 10 décembre 1999 sera annulée. L'ordonnance rendue par le protonotaire en date du 1er novembre 1999 sera rétablie, sous réserve du dépôt au dossier de la Cour, par la défenderesse Hyundai, d'une renonciation à invoquer tout moyen de défense fondé sur la prescription en Corée, dans les soixante (60) jours du présent jugement de la Cour. Les dépens de l'appelante lui sont adjugés relativement à la présente instance et à son appel devant la Section de première instance.

                         « J. Edgar Sexton, J.C.A. »

                                    


« Je souscris à ces motifs, Robert Décary, J.C.A. »

« Je souscris à ces motifs, John M. Evans, J.C.A. »



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NUMÉRO DU GREFFE :              A-836-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          HYUNDAI MERCHANT MARINE CO. LTD. c. ANRAJ FISH PRODUCTS INDUSTRIES LTD. ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE JEUDI 15 JUIN 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MESSIEURS LES JUGES DÉCARY, SEXTON ET EVANS

EN DATE DU mardi 20 juin 2000


ONT COMPARU :

Me David G. Colford                              POUR L'APPELANTE
Me George Strathy                              POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BRISSET BISHOP                              POUR L'APPELANTE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

STRATHY & RICHARDSON                      POUR L'INTIMÉE

TORONTO (ONTARIO)

__________________

1[1969] 1 Lloyd's 237 (Adm.).

2[1998] 3 C.F. 418 (C.A.), le juge Décary, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1998] A.C.S.C. no 287.

3Id., aux pages 427 et 428.

4The Eleftheria, précitée, à la page 245.

5[1983] 2 C.F. 161 (C.A.), le juge Pratte.

6Id., aux pages 176 et 177 et à la note 9.

7Anraj Fish Products Industries Ltd. c. Hyundai Merchant Marine Co., [1999] A.C.F. no 1908 (1re inst.), au par. 15.

8The Eleftheria, précitée, à la page 246.

9 The "El Amria" , [1981] 2 Lloyd's Rep. 119 (C.A.) à la page 127 ([Traduction] « Je n'exclurais pas non plus d'emblée la possibilité que, dans des cas tout à fait exceptionnels, parmi lesquels je ne classerais pas la présente affaire, il puisse convenir de tenir compte des lacunes vraiment graves de la procédure du tribunal étranger concernant le règlement du litige particulier en cause, à condition qu'elles soient clairement établies, encore une fois par des aveux ou des éléments de preuve non contredits. » )

10Id., à la page 128.

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