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     A-388-95

CORAM:      LE JUGE HUGESSEN

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Appelant

ET:

     NINAL KADENKO, BORIS FEDOSOV,

     ALEXANDER FEDOSOV ET MILA FEDOSOV

     Intimés

     Audience tenue à Montréal

     le mardi, 15 octobre 1996

     Jugement prononcé à Montréal,

     le mardi, 15 octobre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY

     A-388-95

CORAM:      LE JUGE HUGESSEN

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Appelant

ET:

     NINAL KADENKO, BORIS FEDOSOV,

     ALEXANDER FEDOSOV ET MILA FEDOSOV

     Intimés

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec)

     le mardi, 15 octobre 1996)

LE JUGE DÉCARY

     Le juge des requêtes, siégeant en révision judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié ("la section du statut"), a certifié la question suivante en vertu de l'article 83.1 de la Loi sur l'immigration:

         En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique et dans la mesure où un État possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d'intervenir est-il suffisant pour démontrer que l'État en question est incapable ou refuse de protéger ses ressortissants?         

     Le juge des requêtes avait elle-même, dans ses motifs, laissé entendre que cette question devait recevoir une réponse affirmative et que dès que certains policiers, dans un état démocratique, refusaient d'intervenir, il y avait automatiquement incapacité de l'État.

     Telle que formulée, cette question ne peut à notre avis qu'entraîner une réponse négative. Dès lors, en effet, qu'il est tenu pour acquis que l'État (en l'espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l'institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d'assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.

     Bref, la situation que suppose ici la question nous ramène à ces propos du juge Hugessen dans Minister of Employment and Immigration c. Villafranca1:

         No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation [...]         

     Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui2.

     En l'espèce, la Section du statut a formulé les conclusions de fait et de droit suivantes:3

              Les demandeurs ont témoigné qu'ils ont porté plainte toujours au même poste de police sans que celle-ci n'agisse d'aucune façon.         
              Le fait que leur plainte à un poste de police n'ait pas porté fruit n'est pas suffisant pour conclure que l'État d'Israël ne peut assurer leur protection.         
              La documentation déposée signale que, depuis 1990, près de quatre cent cinquante mille russophones ont été rapatriés en Israël en se prévalant de la loi du retour. De ceux-là, plus de cent cinquante mille (plus de 30%) sont des personnes non juives. Tous les rapatriés de religion juive ou non bénéficient d'une aide financière très adéquate, de conditions spéciales que cela soit face au logement ou aux cours de langue pour une meilleure insertion.         
              Certes, la documentation indique des problèmes de discrimination, d'intégration, d'intolérance, de taux élevé de chômage mais nulle part nous n'avons pu relever des problèmes de persécution au sens de la définition. Ces immigrants sont très souvent spécialisés dans leur domaine de compétence et sont la plupart du temps obligés d'occuper des postes inférieurs, souvent mal payés. L'État, face à cette situation, essaie de les recycler afin qu'ils se trouvent un nouveau champ de spécialité plus approprié à la conjoncture économique. À cet effet, la demanderesse a elle-même, d'ailleurs, indiqué que puisqu'elle ne trouvait pas de travail, elle s'est adressée à un des organismes d'aide aux rapatriés qui lui aurait proposé de suivre des cours professionnels de recyclage.         
              À la lumière de ces preuves, nous avons eu beaucoup de difficultés à comprendre comment les prétentions des demandeurs à la persécution pourraient être objectivement fondées et aussi que le gouvernement ne peut les protéger. Il nous est difficile de croire qu'un pays, après avoir offert une aide aussi appréciable à des gens qui fuyaient leur pays d'origine, puisse vouloir par la suite les persécuter et refuser de les protéger.         
              À cet effet, nous suivons le principe établi par la Cour suprême du Canada dans Ward sur la protection qui a déclaré que les demandeurs doivent faire la preuve d'une façon claire et convaincante que leur pays ne peut les protéger.         

     Cette conclusion de fait trouvait amplement appui dans la preuve, et celle de droit, dans la jurisprudence. En réalité, le juge des requêtes a tout simplement substitué son opinion sur la preuve à celle de la section du statut, ce qui n'est pas son rôle lorsqu'il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire.

     L'appel sera accueilli, la question certifiée recevra une réponse négative, le jugement de la section de première instance sera cassé et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

     Robert Décary

     j.c.a.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     A-388-95

ENTRE:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Appelant

ET:

     NINAL KADENKO, BORIS FEDOSOV,

     ALEXANDER FEDOSOV ET MILA FEDOSOV

     Intimés

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-388-95

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                         DE L'IMMIGRATION

     Appelant

                         ET:

                         NINAL KADENKO, BORIS FEDOSOV,

                         ALEXANDER FEDOSOV ET MILA FEDOSOV

     Intimés

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 15 octobre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES HUGESSEN, DÉCARY ET L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Décary

     En date du:                  15 octobre 1996

COMPARUTIONS:                     

     Me Michèle Joubert          pour la partie appelante

     Me Jacques Beauchemin          pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada                 

     Ottawa, Ontario              pour la partie appelante

     Alarie, Legault, Beauchemin

     Paquin, Jobin & Brisson

     Montréal (Québec)              pour la partie intimée

__________________

     1      (1992), 150 N.R. 232 à la p. 233 (C.A.F.).

     2      voir Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725.

     3      D.A. aux pp. 90-92.

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