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Date : 20010208

A-434-00

                                                                                            Référence neutre : 2001 CAF 8

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

E n t r e :

                               CANADIAN TIRE CORPORATION, LIMITED

                                                                                                                                  appelante

                                                                                               

                                                                    - et -                                

                                                                                                                                               

                                                  P.S. PARTSOURCE INC.

                                                                       

                                                                                                                                      intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario) le jeudi 1er février 2001.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario) le jeudi 8 février 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                           LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20010208

A-434-00

Référence neutre : 2001 CAF 8

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

E n t r e :

                               CANADIAN TIRE CORPORATION, LIMITED

                                                                                                                                  appelante

                                                                                               

                                                                    - et -                                

                                                                                                                                               

                                                  P.S. PARTSOURCE INC.

                                                                       

                                                                                                                                      intimée

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

                                                                       

LE JUGE MALONE

LES FAITS

[1]         La Cour statue sur l'appel d'une ordonnance par laquelle un juge de la Section de première instance a rejeté l'appel d'une ordonnance rendue par le protonotaire. Le protonotaire avait rejeté la requête présentée par l'appelante, Canadian Tire Corporation Limited (CTC), en vue de faire retrancher un paragraphe d'un affidavit souscrit au nom de l'intimée, P.S. Partsource Inc. (Partsource), au motif qu'il ne reposait pas sur des faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle.


[2]         L'affidavit avait été déposé dans le cadre d'une instance introduite par Partsource en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce en vue de faire radier certaines des marques de commerce de CTC. Aux termes du paragraphe 59(3) de la Loi sur les marques de commerce, sauf ordonnance contraire de la Cour, l'affaire est instruite sur le fondement des éléments de preuve produits sous forme d'affidavits. Cette instance est définitive, par opposition à une instance interlocutoire, étant donné que l'ordonnance que le tribunal rendra éventuellement tranchera les droits matériels des parties.

[3]         Voici le texte du paragraphe 9 de l'affidavit souscrit le 11 avril 2000 par Philip Bish :

[TRADUCTION]

Dans les quelques semaines qui ont suivi l'annonce faite par la défenderesse à l'automne 1999, la demanderesse a reçu à ce propos un minimum de 60 à 70 demandes de renseignements de la part de ses clients. Il s'agissait de clients qui croyaient à tort que les nouvelles activités annoncées par Canadian Tire Corporation faisaient partie des activités de la demanderesse, ou qu'elle y était associée. Par exemple, certains clients ont demandé quelles pièces ils pourraient maintenant se procurer dans les nouveaux magasins. Certains ont dit avoir vu l'annonce, avoir cherché Partsource dans l'annuaire de téléphone et nous avoir appelé pour obtenir des renseignements au sujet des pièces qu'ils pourraient se procurer.           

[4]         Par avis de requête, CTC a demandé le prononcé d'une ordonnance retranchant le paragraphe 9 de l'affidavit souscrit par M. Bish au motif qu'il n'était pas fondé sur des faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle, contrairement au paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998). Le paragraphe 81(1) dispose :


81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

[5]         Le protonotaire n'a pas motivé sa décision de rejeter la requête de CTC. Le juge des requêtes a rejeté l'appel interjeté de la décision du protonotaire pour les motifs suivants :

[8]            En premier lieu, il n'est pas dit que le paragraphe en l'espèce contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant; les déclarations qui s'y trouvent peuvent constituer ou pas du ouï-dire. Cela dépend du but dans lequel elles sont présentées. Si elles sont présentées simplement pour prouver que les déclarations ont été faites, le ouï-dire n'est pas en cause.

[9]            En second lieu, décider maintenant de l'admissibilité empêche le juge présidant l'instruction d'examiner le paragraphe 9 dans l'ensemble de son contexte et de voir si la nouvelle conception de la preuve par ouï-dire fondée sur des principes s'applique et quel poids doit être donné à cette preuve. Le juge Gibson a adopté cette position dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1997), 75 C.P.R. (3d) 312, et j'y souscris.

[10]          En troisième lieu, c'est un principe reconnu qu'un tribunal ne prendra généralement pas de décision a priori sur la question de l'admissibilité; il faut un cas évident, ce qui n'est pas la situation en l'espèce.

ANALYSE


[6]         L'article 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) exige que, sauf dans le cas des requêtes, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Ce principe fait écho au principe général interdisant le ouï-dire. L'obligation faite au déclarant d'être personnellement au courant des faits signifie que le déclarant doit avoir une connaissance personnelle des faits allégués et qu'il ne doit pas avoir obtenu cette connaissance d'autres personnes. Elle signifie aussi qu'il ne peut relater des déclarations faites par des tiers hors la présence du tribunal.

[7]         Suivant le paragraphe 9, « la demanderesse a reçu un minimum de 60 à 70 demandes de renseignements [...] » . La demanderesse en question est Partsource Corporation Limited. M. Bish ne dit pas qu'il a lui-même reçu les appels, bien qu'il parle de lui-même à la première personne ailleurs dans son affidavit. À leur face même, les faits relatés au paragraphe 9 ne sont pas des faits dont M. Bish affirme avoir une connaissance de première main.

[8]         L'avocat de Partsource soutient que c'est peut-être M. Bish qui a reçu les appels. Si c'est le cas, pourquoi ne l'a-t-il pas dit ? Le mieux qu'on puisse dire en faveur de Partsource, c'est que la question de savoir qui a reçu les appels n'est pas claire. Partsource ne peut profiter d'une ambiguïté qu'elle a elle-même créée. Telle qu'elle est libellée au paragraphe 9, la déclaration de M. Bish constitue du ouï-dire présenté dans le cadre d'une instance à caractère définitif et elle va par conséquent à l'encontre de l'article 81.


[9]         Le premier motif qu'a invoqué le juge des requêtes pour rejeter la requête présentée par CTC était que les déclarations contenues dans ce paragraphe étaient peut-être présentées simplement pour démontrer que des appels téléphoniques avaient été faits. En conséquence, même si le paragraphe 9 ne visait qu'à prouver que des déclarations avaient été faites, et non à établir la véracité de ces déclarations, il constituerait quand même du ouï-dire, compte tenu des circonstances de l'espèce, étant donné qu'il n'a pas été clairement démontré que le déclarant avait personnellement reçu les appels téléphoniques.

[10]       Toutefois, les faits relatés au paragraphe 9 n'ont pas été soumis uniquement pour prouver que des déclarations avaient été faites. Le déclarant y relate brièvement la nature des propos des clients qui ont appelé. Il s'agit de toute évidence d'une tentative visant à démontrer la confusion créée dans l'esprit des clients qui ont appelé. Cette preuve constitue manifestement du ouï-dire.

[11]       Quant au deuxième motif, le juge des requêtes a laissé au juge présidant l'instruction le soin de trancher la question de savoir si la nouvelle conception « fondée sur des principes » qui permet d'admettre la preuve par ouï-dire pouvait justifier une exception à l'article 81. Dans les arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, la Cour suprême du Canada a reconnu que la preuve par ouï-dire peut être admise si l'on démontre que la preuve est fiable et que son admission est nécessaire.


[12]      Avant d'aborder la question de savoir s'il était préférable de laisser au juge présidant l'instruction le soin de trancher cette question, je tiens à faire remarquer que, tel qu'il est libellé, le paragraphe 81(1) n'admet aucune exception à la règle exigeant que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf dans le cas des requêtes. Néanmoins, selon une jurisprudence plus ancienne, une preuve par ouï-dire peut être admise suivant la conception « fondée sur des principes » (voir l'arrêt Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.)).

[13]       Le paragraphe 81(1) fait partie des règles régissant la procédure à suivre devant la Cour. Il a été édicté en application de l'alinéa 46(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, qui dispose notamment ce qui suit :

46. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil et, en outre, du paragraphe (4), le comité peut, par règles ou ordonnances générales_ :

a) réglementer la pratique et la procédure à la Section de première instance et à la Cour d'appel, et notamment_ :

46. (1) Subject to the approval of the Governor in Council and subject also to subsection (4), the rules committee may make general rules and orders

(a) for regulating the practice and procedure in the Trial Division and in the Court of Appeal, [...]


En tant que règle de pratique et de procédure, le paragraphe 81(1) illustre le principe général interdisant le ouï-dire. Il n'a toutefois pas pour effet de supplanter les exceptions séculaires au principe interdisant le ouï-dire qui sont reconnues en common law, ni l'exception plus récente fondée sur la fiabilité et la nécessité[1]. En tout état de cause, l'article 55 des Règles permet à la Cour de dispenser une partie de l'observation de toute règle : L'article 55 est ainsi libellé :

55. Dans des circonstances particulières, la Cour peut, sur requête, dispenser de l'observation d'une disposition des présentes règles.

55. In special circumstances, on motion, the Court may dispense with compliance with any of these Rules.

Dans certaines circonstances, la partie qui désire introduire une preuve par ouï-dire en invoquant une exception à l'article 81 des Règles peut envisager la possibilité de présenter une requête en vertu de l'article 55 des Règles pour faire trancher la question avant le procès.


[14]       Compte tenu des circonstances de la présente espèce, si Partsource avait l'intention d'invoquer des exceptions à la règle interdisant le ouï-dire, c'était à elle qu'il incombait, en réponse à la requête en radiation, de soumettre des éléments de preuve ou des arguments au protonotaire ou au juge en ce qui concerne l'admissibilité. C'était au protonotaire ou au juge qu'il appartenait de procéder à sa propre analyse au sujet de la fiabilité ou de la nécessité de cette preuve. Comme Partsource a adopté le point de vue selon lequel la preuve en question ne constituait pas du ouï-dire, aucun élément de preuve ou argument n'a été soumis pour justifier l'admissibilité pour des raisons de fiabilité ou de nécessité. Il est d'ailleurs difficile de concevoir pour quelle raison il serait nécessaire de s'en remettre à une preuve par affidavit dans les circonstances de l'espèce et pour quelle raison cette preuve devrait être considérée comme fiable. En tout état de cause, comme aucun élément de preuve ou argument de la sorte n'a été présenté, la question de l'admissibilité de cette preuve pour des raisons de fiabilité ou de nécessité n'a pas été soulevée et le juge des requêtes n'aurait pas dû en tenir compte pour justifier sa décision de renvoyer la question au juge présidant l'instruction.

[15]       En laissant au juge présidant l'instruction le soin de trancher la question, le juge des requêtes nie à CTC son droit de connaître les éléments de preuve qu'elle doit réfuter tant que le juge qui préside l'instruction n'aura pas rendu sa décision au sujet de l'admissibilité. CTC ne peut cependant être certaine que le juge qui préside l'instruction écartera le paragraphe 9. Elle se voit donc forcée de contre-interroger le déclarant au sujet du paragraphe 9.


[16]       CTC ne peut efficacement contre-interroger le déclarant au sujet de déclarations relatées provenant de personnes qui ne sont pas identifiées. Malgré le fait que ce soit à Partsource qu'il incombe de démontrer qu'elle a droit à la réparation qu'elle sollicite, pour pouvoir répondre à l'allégation contenue au paragraphe 9 de l'affidavit de Bish, CTC serait obligée d'essayer, en contre-interrogeant le déclarant au sujet de son affidavit, de découvrir l'identité des clients auxquels il est fait allusion et, en supposant qu'elle réussisse à les identifier, de les interroger ou d'enquêter pour vérifier la véracité des déclarations qui leur sont attribuées. On inverserait ainsi le fardeau de la preuve dans la requête en radiation, ce qui causerait de toute évidence un préjudice à CTC.

[17]       Le troisième motif invoqué par le juge des requêtes pour justifier son rejet de la requête en radiation est que le tribunal ne prend généralement pas de décision a priori sur l'admissibilité à moins qu'il ne s'agisse d'un cas évident. Ainsi que je l'ai déjà dit, il s'agit en l'espèce d'un cas évident. Le libellé du paragraphe 9 démontre à sa face même que la preuve en question constitue du ouï-dire. Cette preuve est en effet de toute évidence présentée en vue d'établir la véracité du contenu de la déclaration. Rien ne permet par ailleurs de penser que l'exception relative à la fiabilité et à la nécessité s'applique. Il y a lieu en l'espèce de radier le paragraphe fautif avant l'audition.


[18]       Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

[19]       L'appel sera accueilli avec dépens et le paragraphe 9 de l'affidavit de Bish sera radié.

                                                                                                                              (B. Malone)                 

                                                                                                                                      J.C.A.                  

« Je suis du même avis.

Le juge en chef J. Richard »

« Je suis du même avis.

Le juge Marshall Rothstein »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20010208

No du greffe : A-434-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 FÉVRIER 2001

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

E n t r e :

                               CANADIAN TIRE CORPORATION, LIMITED

                                                                                                                                  appelante

                                                                                               

                                                                    - et -                                

                                                                                                                                   

                                                  P.S. PARTSOURCE INC.

                                                                                                                                      intimée

                                                             JUGEMENT

L'appel est accueilli avec dépens et le paragraphe 9 de l'affidavit souscrit par Phillip Bish le 11 avril 2000 est radié.

                                                                                                                           « J. Richard »                

                                                                                                                              Juge en chef                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                                       

                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                A-434-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : CANADIAN TIRE CORPORATION, LIMITED c.

P.S. PARTSOURCE, INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 1er février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Malone le 8 février 2001

avec l'appui du juge en chef Richard et du juge Rothstein

ONT COMPARU :

Me John S. McKeown                                                   POUR L'APPELANTE

Me Christine Pallotta                                                      POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Cassels Brock & Blackwell L.L.P.                                 POUR L'APPELANTE

Toronto (Ontario)

Oyen Wiggs Green & Mutula                                         POUR L'INTIMÉE

Vancouver (Colombie-Britannique)



[1]            On ne sait pas avec certitude si l'exception au principe interdisant le ouï-dire, qui est fondée sur la fiabilité et la nécessité, est devenue le seul critère d'admissibilité ou si elle ne constitue qu'une exception de plus à la longue liste d'exceptions qui ont jusqu'ici été reconues en common law (Voir Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd., 1999), par. 6.64).

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