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Date : 20041125

Dossier : A-119-04

Référence : 2004 CAF 398

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                   

PFIZER CANADA INC.

ET PFIZER INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

APOTEX INC.

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

                                 Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 novembre 2004.

                                 Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 25 novembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON


Date : 20041125

Dossier : A-119-04

Référence : 2004 CAF 398

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                   

PFIZER CANADA INC.

ET PFIZER INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

APOTEX INC.

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS


[1]                Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision de Madame la juge Snider de la Cour fédérale dans l'affaire Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé 2003 CF 1428. Dans cette décision, la juge a rejeté une demande d'ordonnance présentée par Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. (Pfizer) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité autorisant Apotex Inc. à vendre ses comprimés d'Apo-azithromycine avant l'expiration des lettres patentes canadiennes de Pfizer portant le n ° 1,314,876 (le brevet 876).

[2]                Le brevet 876 concerne l'azithromycine dihydrate cristalline, contenue dans des comprimés commercialisés par Pfizer sous le nom de Zithromax, un antibiotique. Dans l'avis d'allégation déposé au moment où elle a soumis sa Présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en vue d'obtenir un avis de conformité pour ses comprimés d'azithromycine, Apotex a déclaré que les comprimés ne contreferaient pas le brevet 876 pour la raison suivante :

[traduction] Nos comprimés contiendront de l'azithromycine, mais ne contiendront pas d'azithromycine dihydrate cristalline.

En fait, Apotex a également déclaré dans sa PADN, et a dit par la suite à Pfizer, que ses comprimés contenaient de l'isopropanolate d'azithromycine monohydrate (IPA monohydraté).

[3]                La juge Snider a conclu que Pfizer n'avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, qu'en raison de la fabrication de l'IPA monohydraté ou de sa conversion en dihydrate, l'avis d'allégation d'Apotex n'était pas justifié. En d'autres termes, Pfizer n'avait pas établi que les comprimés qu'Apotex vendraient contenaient du dihydrate.

[4]                Pfizer a dirigé ses attaques sur deux aspects de la décision : le refus de la juge de tirer une inférence défavorable du défaut d'Apotex de produire des échantillons de comprimés d'IPA monohydraté en sa possession et sa conclusion portant que l'avis d'allégation d'Apotex ne comportait pas un énoncé complet du droit et des faits fondant l'allégation portant que la vente de ses comprimés ne contreferait pas le brevet 876.


1.         La question de l'inférence défavorable

[5]                Pfizer affirme qu'il lui incombait d'établir selon la prépondérance de la preuve que la vente des comprimés d'Apotex contreferait le brevet 876, mais que la juge Snider a commis une erreur de droit en refusant de tirer une inférence défavorable du refus d'Apotex de produire les comprimés qu'elle avait en sa possession. L'avocat a fait valoir que c'est à ses propres risques qu'Apotex n'a pas fourni de comprimés, même si elle n'était pas tenue de les produire en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, du fait qu'elle n'en avait pas fourni au ministre au moment de sa demande d'avis de conformité.

[6]                L'argumentation avancée était que, comme le fait central du litige est le contenu des comprimés, fait qu'Apotex était mieux placée que Pfizer pour établir, le défaut d'Apotex de produire des échantillons de comprimés d'Apo-azithromycine en sa possession justifiait de déduire que les comprimés, au moment de leur vente, contiendraient le dihydrate contrefaisant. Selon la théorie de Pfizer, même si les comprimés d'azithromycine d'Apotex contiennent du monohydrate à l'étape initiale de fabrication, la forme monohydratée étant instable, elle absorbera l'humidité de l'air et sera vraisemblablement convertie en dihydrate au cours de l'entreposage, ce qui constituera une atteinte au brevet 876.


[7]                La meilleure façon d'examiner la question est d'étudier en premier lieu les motifs de la juge Snider. La juge s'est fondée sur la jurisprudence pour étayer sa position qu'on peut tirer une inférence défavorable du défaut d'une partie de produire un élément de preuve relatif à un fait qu'elle est mieux placée que l'autre pour établir, dans le cas où l'élément de preuve visé relève tout particulièrement des connaissances de cette partie et où l'autre partie n'a pas les moyens de l'établir. Or l'avocat de Pfizer ne dit pas que cette formulation du critère est une erreur en droit.

[8]                Par conséquent, s'il y a erreur, elle résiderait dans l'application que fait la juge du critère aux faits. Comme il s'agit d'une question mixte de droit et de fait et non d'une « pure question de droit » , elle doit faire l'objet d'un contrôle exclusivement selon l'erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. En outre, l'application d'une règle juridique concernant la preuve de faits et les inférences factuelles semble manifestement se situer à l'extrémité « faits » du continuum du droit et des faits, et à ce titre, une cour d'appel doit faire très justement preuve de retenue.

[9]                La juge des requêtes a conclu, sur la base des faits dont elle était saisie, que l'inférence ne jouait pas du fait que Pfizer était en mesure de trouver le contenu des comprimés. Elle s'est appuyée sur le fait qu'en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, Apotex avait dû communiquer à Pfizer les renseignements qui figuraient dans sa PADN : le procédé de fabrication en vrac de l'IPA monohydraté, les ingrédients des comprimés et le procédé de fabrication des comprimés.


[10]            De plus, un employé d'Apotex avait fait un échantillon de l'IPA monohydraté selon les instructions déposées avec la PADN. Cet échantillon, qui ne faisait pas partie du produit en vrac qui avait servi à fabriquer les comprimés des essais cliniques, a été analysé par des experts engagés par Apotex, qui n'ont trouvé aucune trace de dihydrate. Une partie de l'échantillon avait aussi été donnée à Pfizer. Rien n'établit si les experts de Pfizer l'ont analysée ou en ont fabriqué des comprimés, même si l'un de ces experts a déclaré qu'il serait facile de fabriquer des comprimés.

[11]            Considérés dans leur ensemble, ces éléments de preuve ne permettent pas de dire, à mon avis, que la juge Snider a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que Pfizer avait les moyens de trouver le contenu des comprimés. Il est vrai que les comprimés fabriqués par Pfizer à partir de l'IPA monohydraté en vrac fourni par Apotex n'étaient pas exactement ceux qu'Apotex aurait vendus si elle avait obtenu un avis de conformité. Cependant, comme je l'explique ci-dessous, ce n'était pas le cas non plus des comprimés qu'Apotex avait en sa possession.

[12]            Comme la juge Snider pouvait à bon droit conclure sur la base de la preuve dont elle était saisie que Pfizer avait les moyens de trouver le contenu des comprimés d'azithromycine d'Apotex, il n'est pas strictement nécessaire d'examiner si le contenu des comprimés relevait tout particulièrement des connaissances d'Apotex. Toutefois, comme la question a été débattue à l'audience d'appel, il est indiqué d'en parler.


[13]            Apotex affirme qu'elle avait fabriqué 20 000 comprimés en vue des essais cliniques, dont la plus grande partie était encore en sa possession, mais elle a fait valoir que la production d'un échantillon de ces comprimés, en supposant même qu'on trouve qu'il contenait du dihydrate, n'établirait pas nécessairement que la vente de l'Apo-azithromycine contreferait le brevet 876.

[14]            Malgré le nombre apparemment grand des comprimés fabriqués, Apotex dit que comme elle les avait fabriqués pour les essais cliniques, et non en vue de la vente, les comprimés n'avaient pas nécessairement été manipulés et entreposés avec le soin requis pour empêcher la conversion du monohydrate en dihydrate. Par contre, les comprimés fabriqués en vue de la vente recevraient la manipulation soigneuse nécessaire pour éviter la contrefaçon reliée à la conversion en dihydrate.

[15]            En outre, a-t-on dit, la durée de conservation des comprimés destinés aux essais cliniques arrivait à expiration en novembre 2002, avant le prononcé des motifs du jugement de la juge Snider. Toutefois, Pfizer avait demandé les comprimés dans une lettre du 3 décembre 2001 et, avant novembre 2002, avait sans succès demandé par requête leur production.

[16]            Je ne sais pas, et je n'ai pas besoin de décider, si tous les éléments de preuve mentionnés ci-dessus au sujet des comprimés auraient suffi à faire jouer la présomption issue de l'inférence défavorable, si la juge Snider n'avait pu conclure à bon droit que Pfizer avait les moyens de découvrir si les comprimés fabriqués avec l'IPA monohydraté en vrac contenaient du dihydrate, avant ou après leur conversion.


[17]            L'avocat de Pfizer a soutenu que la juge Snider avait commis une erreur de droit en identifiant mal la question. Selon son argumentation, la juge a été erronément conduite à penser que la question principale était de savoir si l'expert de Pfizer avait établi la contrefaçon en montrant que l'échantillon tiré de l'IPA monohydraté en vrac qu'il avait fabriqué selon les instructions fournies par Apotex contenait du dihydrate. La véritable question était, naturellement, de savoir ce que contenaient les comprimés.

[18]            Avec égards, il ne m'apparaît pas possible d'interpréter les motifs de la juge de cette manière. À mon avis, la juge comprenait très clairement le fait clé en l'espèce. Selon moi, la juge Snider a considéré qu'il était pertinent de savoir si l'on pouvait fabriquer de l'IPA monohydraté en suivant les instructions d'Apotex pour déterminer si les instructions de fabrication disponibles représentaient un équivalent adéquat à l'analyse directe des comprimés pour en découvrir le contenu.

[19]            L'avocat a également soutenu que, dans tous les cas où la question soulevée porte sur le contenu d'un comprimé, les comprimés sont la seule preuve du contenu. Par conséquent, la disponibilité d'instructions de fabrication de l'IPA monohydraté en vrac et la possession d'un échantillon d'IPA monohydraté en vrac fabriqué selon la PADN à l'aide d'instructions de fabrication de comprimés faciles à suivre n'étaient pas des équivalents adéquats aux comprimés eux-mêmes, quand il en existait. À mon avis, cet argument ne peut être retenu.


[20]            Premièrement, la juge Snider a constaté (au paragraphe 29) que, sans égard au fait que les comprimés soient ou non la meilleure preuve du contenu des comprimés que vendrait Apotex si elle obtenait un avis de conformité, ils n'étaient pas la seule preuve. Je ne puis dire que cette conclusion est entachée d'une erreur manifeste et dominante.

[21]            Deuxièmement, l'avocat a soutenu qu'en droit, le refus d'Apotex de produire les comprimés qu'elle avait en sa possession suffisait en soi à faire jouer la présomption liée à l'inférence défavorable du fait que le contenu des comprimés était la question centrale de la procédure. À mon avis, la jurisprudence n'étaie pas pareille proposition. Le droit applicable à l'inférence défavorable est celui que la juge Snider énonce et s'applique dans le contexte de la procédure en interdiction d'avis de conformité. Tirer une inférence défavorable dépend largement des faits particuliers de l'avis de conformité dans chaque affaire, comme c'est le cas dans d'autres types de litige.


[22]            Il y a effectivement de bonnes raisons de ne pas accepter l'argument de l'avocat qui soutient qu'il devrait être plus facile, en droit, de tirer une inférence défavorable du refus de produire des drogues dans les cas d'avis de conformité où leur contenu est en cause. Parmi ces raisons, mentionnons : le caractère sommaire de la procédure en interdiction et l'absence d'enquête préalable; l'absence d'obligation pour les demandeurs qui soumettent une PADN de fournir au ministre des échantillons de la drogue et, par conséquent, de les fournir au demandeur dans la procédure en interdiction en vertu du paragraphe 6(7); le fait que le rejet de la demande d'ordonnance d'interdiction ne prive le demandeur que de l'avantage de la suspension légale de la mise sur le marché d'un produit potentiellement contrefaisant et n'empêche pas une action ultérieure en contrefaçon, menée au complet avec enquête préalable.

[23]            Quoi qu'il en soit, l'issue de la présente affaire repose fermement sur les éléments de preuve particuliers dont a été saisie la juge des requêtes et sur les conclusions de fait qu'elle a tirées de la preuve. Je n'ai certes pas l'intention de décourager les juges de tirer une inférence défavorable, en se fondant sur des faits appropriés, de la non-production de drogues dans les cas où leur contenu est visé dans une procédure d'avis de conformité. Si le refus de produire les drogues ou d'autres stratagèmes sont des problèmes récurrents dans ce genre de procédure (et ce n'est certainement pas la première affaire dans laquelle la question est soulevée et fait l'objet d'observations), la meilleure manière d'y remédier est la modification du Règlement. Dans l'intervalle, il revient aux tribunaux de s'employer à protéger la procédure judiciaire contre les abus.

2.          La suffisance de l'avis d'allégation

[24]            L'avocat a soutenu que la juge avait commis une erreur en concluant que l'avis d'allégation d'Apotex satisfaisait aux prescriptions de l'alinéa 5(3)a) du Règlement demandant de fournir « un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquelles elle se fonde » . Le fondement de sa conclusion était, pour reprendre le critère exposé dans l'arrêt SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.), que l'avis d'allégation était « suffisant pour informer pleinement les appelantes des raisons pour lesquelles les intimés ont allégué qu'il n'y aurait pas de contrefaçon du brevet si l'avis de conformité était délivré » .


[25]            L'avocat de Pfizer a admis que la juge Snider avait correctement formulé le critère juridique servant à déterminer le caractère adéquat d'un avis d'allégation : le litige porte sur l'application du critère aux faits. Encore une fois, il s'agit d'une question mixte de fait et de droit et, à défaut de proposition juridique générale qu'on puisse dégager, la Cour ne peut intervenir à l'égard de la conclusion de la juge que l'avis d'allégation était suffisamment détaillé pour satisfaire à l'alinéa 5(3)a), que si cette conclusion était entachée d'une erreur manifeste et dominante. Je ne suis pas persuadé que c'est le cas.

[26]            La juge Snider pouvait conclure que la déclaration d'Apotex dans l'avis d'allégation portant que ses comprimés contenaient [traduction] « de l'azithromycine » , qui n'était pas l'objet du brevet, mais ne contenaient pas « d'azithromycine dihydrate cristalline » , suffisait à prévenir Pfizer du fondement de l'allégation, à savoir qu'il n'y aurait pas de contrefaçon parce que les comprimés d'azithromycine d'Apotex ne contiendraient pas de dihydrate, même si Apotex n'ajoutait pas qu'ils contiendraient du monohydrate.

[27]            Cette conclusion est également étayée par l'arrêt SmithKline Beecham Pharma, précité, où la Cour a jugé, au sujet de faits très semblables, que l'avis d'allégation était suffisant.

[28]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

« John M. Evans »

                                                                                                     Juge                               


« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs

A. J. Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

_______________________

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-119-04

INTITULÉ :                                        PFIZER CANADA INC.

et PFIZER INC.                       

appelantes

et

APOTEX INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 24 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                       LE 25 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Sheila R. Block

Andrew Shaughnessy

Andrew Bernstein                                  POUR LES APPELANTES

Harry Radomski

Andrew Brodkin                                    POUR L'INTIMÉE, APOTEX INC.

Aucune comparution                              POUR L'INTIMÉ, LE MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TORYS LLP

Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)                                  POUR LES APPELANTES

GOODMANS LLP

Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)                                  POUR L'INTIMÉE, APOTEX INC.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR L'INTIMÉ, LE MINISTRE DE LA SANTÉ


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