Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     A-831-95

CORAM:              LE JUGE MARCEAU

                 LE JUGE DÉCARY

                 LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

                    

ENTRE:                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     NORMAND CHARBONNEAU

     Intimé

     _______________________________

     A-832-95

ENTRE:                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     NORMAND CHARBONNEAU

     Intimé

     Audiences tenues à Montréal,

     les 19 et 20 septembre 1996

     Jugement prononcé à Montréal,

     le vendredi, 20 septembre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY

     A-831-95

MONTRÉAL, QUÉBEC, CE 20e JOUR DE SEPTEMBRE 1996

CORAM:              L'HONORABLE JUGE MARCEAU

                     L'HONORABLE JUGE DÉCARY

                     L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

                    

ENTRE:      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     NORMAND CHARBONNEAU

     Intimé

     _________________________________

     A-832-95

ENTRE:      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     NORMAND CHARBONNEAU

     Intimé

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal

     le vendredi, 20 septembre 1996.)

LE JUGE DÉCARY

     Contrat de travail ou contrat d'entreprise? Telle est, une fois de plus, la question qui se pose dans ce dossier où il s'agit de déterminer si l'intimé, propriétaire et opérateur d'une débusqueuse, exerçait un emploi assurable aux fins de l'application de l'alinéa 3(1)a de la Loi sur l'assurance-chômage.

     Deux observations préliminaires s'imposent.

     Les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. 1, à savoir d'une part le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et d'autre part l'intégration, ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utiles de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail (art. 2085 du Code civil du Québec) ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 dudit Code). En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

     Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier: à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives,

le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

     Lorsque le juge de la Cour canadienne de l'impôt a accueilli en l'espèce les appels de l'intimé et conclu que le contrat en était un de travail, il est tombé selon nous dans le piège d'une analyse par trop mathématique des critères de Wiebe Door , ce qui l'a amené à s'écarter à tort de la solution retenue par cette Cour dans Procureur général du Canada c. Rousselle et al 2 et maintenue dans Procureur général du Canada c. Vaillancourt 3.

     Le payeur, ici, était une entreprise d'exploitation forestière. Il confiait à des équipes formées de deux personnes - un abatteur, qui coupait les arbres et un opérateur de débusqueuse, qui les ramassait et les transportait au bord d'un chemin forestier - le travail d'abattre et ramener du bois. L'intimé était propriétaire de la débusqueuse, une pièce de machinerie lourde évaluée à quelque 15 000$ dont il assumait les coûts d'entretien et de réparation. Il avait lui-même recruté l'abatteur avec lequel il formait équipe. Lui-même et l'abatteur étaient payés au volume, en fonction du nombre de mètres cubes de bois abattu, et aucun volume n'était prescrit par le contrat; ce volume était mesuré aux deux semaines par un "mesureur" à l'emploi du payeur.

     Au moment de la signature du contrat, l'intimé se voyait remettre "une liste et condition des jours fériés", laquelle, selon la preuve, était basée sur les normes provinciales de travail. Il se voyait remettre, aussi, un document contenant les "règlements internes des travailleurs en forêt", lesquels, selon le témoignage d'un représentant du payeur, reflétaient les exigences du ministère québécois des Ressources naturelles. En annexe à ce règlement, se trouvaient des "règles générales", c'est-à-dire une liste de détails techniques relatifs à la coupe des arbres, ainsi que les "normes minimales de protection des forêts contre le feu" imposées par la Société de conservation de l'Outaouais.

     L'intimé travaillait quelque trente-deux heures par semaine et sa période quotidienne de travail se situait généralement, mais pas nécessairement, à l'intérieur de la période proposée dans les règlements internes, soit entre 7h30 et 16 heures. Un contremaître à l'emploi du payeur s'assurait aux deux jours que l'équipe de l'intimé abattait bien les arbres précédemment identifiés par le payeur.

Le mode de paiement était le suivant: le quart de la somme due à l'équipe était payé à l'intimé, le quart, à l'abatteur et la moitié à l'intimé pour l'utilisation de la débusqueuse. Trois chèques étaient donc émis aux quinze jours par le payeur. Le coût du transport de la débusqueuse, en début et fin de saison, était assumé par l'intimé; en cas de changement de territoire en cours de saison, il l'était par le payeur.

     Quand on regarde le portrait d'ensemble, il est bien évident qu'il s'agit à prime abord d'un contrat d'entreprise. La propriété de la débusqueuse, le choix du coéquipier, le paiement en fonction d'un volume non défini, l'autonomie de l'équipe sont des éléments déterminants qui, dans le contexte, ne peuvent être associés qu'à un contrat d'entreprise.

     La surveillance des travaux aux deux jours et le mesurage du volume aux quinze jours ne créent pas en l'espèce de lien de subordination et sont tout à fait compatibles avec les exigences d'un contrat d'entreprise. Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

     Il en va de même des normes imposées en matière d'heures et de jours de travail, de jours fériés, de mode d'opération et de sécurité. Les normes sont communes à tous les travailleurs en forêt publique dont les activités sont "encadrées" par le ministère des Ressources naturelles. Elles s'appliquent peu importe que le travailleur soit un simple employé ou un entrepreneur.

     Un élément retenu par le juge, qui l'amenait à conclure que "les chances de bénéfice et les risques de perte ne pouvaient exister" pendant le contrat était le fait que l'intimé était payé à salaire, au taux horaire de deux dollars et demi. C'est là une erreur de fait majeure. L'intimé était en effet payé en fonction de son volume de production et il eût suffi que sa débusqueuse tombe en panne pour qu'il se retrouvât devant rien.

     La procureure de l'intimé a avancé une hypothèse que semble avoir retenue le juge, à savoir: il y aurait eu, en l'espèce, formation de deux contrats distincts, l'un de travail, l'autre de louage de la débusqueuse, de sorte que le fait que l'intimé soit propriétaire de la débusqueuse et en assume les coûts d'entretien et de réparation ne devrait pas être pris en considération dans l'analyse du contrat de travail proprement dit. Cette hypothèse d'un double contrat, si tant est qu'elle ait les effets juridiques escomptés par l'intimé, ne s'appuie sur aucune preuve en l'espèce et ne pouvait à coup sûr être considérée et a fortiori retenue par le juge.

     Les constatations que nous venons de faire, cette Cour les avait déjà faites, à quelques nuances près, dans Rousselle. Il est vrai qu'il s'agissait alors d'un contrat de convenance, mais la Cour ne pouvait pas s'arrêter à ce seul aspect

et se devait, ce qu'elle fit, d'examiner en détails les relations entre les parties. L'intimé ne nous a pas convaincus qu'il était permis, en l'espèce, d'écarter la conclusion de cette Cour dans Rousselle.

     La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Cour canadienne de l'impôt sera annulée et l'affaire lui sera renvoyée pour qu'elle la décide à nouveau en tenant pour acquis que l'intimé n'exerçait pas un emploi assurable.

     signé: Robert Décary

     j.c.a.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-831-95

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

    

                         ET:

                         NORMAND CHARBONNEAU

    

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDITION:          les 19 et 20 septembre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES MARCEAU, DÉCARY ET L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Décary

     En date du:                  20 septembre 1996

COMPARUTIONS:                     

     Me Claude Provencher                  pour la partie requérante

     Me Diane Rainville                      pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     George Thomson

     Sous-procureur général du Canada

     Montréal (Québec)                      pour la partie requérante

     CAMPEAU, OUELLET & ASSOCIÉS

     Montréal (Québec)                      pour la partie intimée

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-832-95

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

    

                         ET:

                         NORMAND CHARBONNEAU

    

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDITION:          les 19 et 20 septembre 1996

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES MARCEAU, DÉCARY ET L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Décary

     En date du:                  20 septembre 1996

COMPARUTIONS:                     

     Me Claude Provencher                  pour la partie requérante

     Me Diane Rainville                      pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     George Thomson

     Sous-procureur général du Canada

     Montréal (Québec)                      pour la partie requérante

     CAMPEAU, OUELLET & ASSOCIÉS

     Montréal (Québec)                      pour la partie intimée

__________________

     1 [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.)

     2 (1990) 124 N.R. 339, C.A.F.

     3 inédit, A-639-91, 14 mai 1992, C.A.F.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.