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Date : 20040520

Dossier : A-455-03

Référence : 2004 CAF 201

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                          CIT FINANCIAL LTD.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 mai 2004

                                       Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 20 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20040520

Dossier : A-455-03

Référence : 2004 CAF 201

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                          CIT FINANCIAL LTD.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

I. Introduction


[1]                Le présent appel a trait à la juste valeur marchande d'un logiciel acquis par Commcorp Financial Services Inc. (Commcorp), le prédécesseur de l'appelante, en vertu d'un contrat de cession-bail. Par toute une suite d'opérations auxquelles ont participé des sociétés intermédiaires, le logiciel a été acheté à son propriétaire original, BHP New Zealand Steel Ltd. (BHP), et lui a ensuite été cédé à bail. La juste valeur marchande du logiciel est nécessaire pour déterminer le coût en capital de celui-ci et, ensuite, la déduction pour amortissement (DPA) à laquelle Commcorp a droit. Le juge de la Cour de l'impôt a décidé que la juste valeur marchande du logiciel était d'environ 20 millions de dollars inférieure au montant déduit par l'appelante. Cette dernière a interjeté appel de cette décision.

[2]                L'intimée prétendait devant la Cour de l'impôt que la règle générale anti-évitement (RGAE) prévue à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), s'appliquait de manière à interdire totalement la DPA demandée par l'appelante. Le juge de la Cour de l'impôt a statué que la RGAE ne s'appliquait pas de manière à empêcher la DPA en totalité. L'intimée a déposé un appel incident relativement à cette décision, mais s'est désistée tout juste avant l'audition de l'appel.

[3]                Les faits sont exposés en entier dans la décision du juge de la Cour de l'impôt, publiée à 2003 D.T.C. 1138.

II. Contexte

[4]                Règle générale, le « coût » d'un bien devant servir à déterminer la DPA est simplement le montant d'argent que le contribuable a payé pour l'acquérir, soit 33 091 255 $ en l'espèce. L'alinéa 20(1)a) est la disposition de base de la LIR qui permet à un contribuable de déduire le coût en capital conformément au règlement dans le calcul du revenu qu'il tire d'un bien ou d'une entreprise :



20. (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

20. (1) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), (b) and (h), in computing a taxpayer's income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:

a) la partie du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant au titre de ce coût ainsi supporté que le règlement autorise;

(a) such part of the capital cost to the taxpayer of property, or such amount in respect of the capital cost to the taxpayer of property, if any, as is allowed by the regulation;


[5]                Toutefois, l'appelante ayant reconnu que Commcorp a acquis le logiciel dans le cadre d'une opération avec lien de dépendance, une disposition anti-évitement particulière limite le coût en capital du logiciel à sa juste valeur marchande. L'alinéa 69(1)a) de la LIR prévoit :


69. (1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi :

69. (1) Except as expressly otherwise provided in this Act,

a) le contribuable qui a acquis un bien auprès d'une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance pour une somme supérieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de son acquisition est réputé l'avoir acquis pour une somme égale à cette juste valeur marchande;

(a) where a taxpayer has acquired anything from a person with whom the taxpayer was not dealing at arm's length at an amount in excess of the fair market value thereof at the time the taxpayer so acquired it, the taxpayer shall be deemed to have acquired it at that fair market value;


Par conséquent, il ne faut pas seulement examiner ce que les ententes formelles prévoient au sujet du prix payé par Commcorp pour le logiciel, mais déterminer le coût de celui-ci en fonction de sa juste valeur marchande.


[6]                L'appelante prétend que la juste valeur marchande du logiciel au moment de son acquisition par Commcorp était d'environ 33 millions de dollars. Elle a produit au procès deux rapports d'expert portant sur la juste valeur marchande au soutien de sa prétention. Le premier rapport, que j'appellerai le rapport de MACC, a été rédigé avant les opérations en cause en l'espèce. Il avait pour but de déterminer le prix auquel le logiciel allait être acheté et finalement cédé à bail en vertu du contrat de cession-bail. Les auteurs de ce rapport ont utilisé la méthode d'évaluation au coût de remplacement pour établir la juste valeur marchande du logiciel.

[7]                Le deuxième rapport, que j'appellerai le rapport de KPMG, a été rédigé aux fins du procès après l'achat et la cession à bail. La juste valeur marchande qui y est établie est fondée sur la valeur actuelle des paiements de location auxquels Commcorp avait droit en vertu du bail. Selon cette méthode fondée sur les flux de trésorerie, la valeur du logiciel a été estimée à 33 millions de dollars environ.

[8]                Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté les deux rapports d'expert. En ce qui concerne le rapport de MACC, le juge a reconnu que la méthode fondée sur le coût de remplacement était la méthode qu'il convenait d'utiliser pour estimer la valeur du logiciel, mais il a rejeté les conclusions du rapport concernant cette valeur et a relevé de nombreuses erreurs dans celui-ci. Selon lui, la méthode du coût de remplacement était la meilleure à utiliser pour évaluer le logiciel en l'espèce parce que celui-ci avait été conçu spécialement pour une aciérie particulière et n'aurait probablement pas autant de valeur pour une autre société de fabrication d'acier ou ne serait probablement pas acheté et vendu sur le marché ouvert. Le juge a écrit au paragraphe 36 :


[traduction] ... malgré l'utilité qu'il peut avoir pour BHP, il ne pourrait pas être facilement adapté à une autre entreprise [...] En d'autres termes, il serait plus facile et moins dispendieux aux yeux d'une société voulant installer un système informatique de gestion de son aciérie de concevoir son propre système plutôt que payer 33 000 000 $ ou un autre montant pour le système de BHP et essayer ensuite de l'adapter à ses besoins.

En concluant que le coût de remplacement de 33 millions de dollars indiqué dans le rapport de MACC était trop élevé, le juge de la Cour de l'impôt a fait remarquer notamment que BHP avait déclaré aux autorités de l'Inland Revenue de la Nouvelle-Zélande qu'il lui en avait coûté 7 405 823 $ pour mettre le logiciel au point. Utilisant la méthode du coût de remplacement et se fondant en partie sur l'opinion de l'expert de la Couronne, le juge de la Cour de l'impôt a fixé à 13 100 000 $ la juste valeur marchande du logiciel.

[9]                Le juge de la Cour de l'impôt a aussi rejeté la juste valeur marchande établie dans le rapport de KPMG parce que ce rapport estimait la valeur des paiements de location au lieu de la valeur du logiciel lui-même. Selon lui, la valeur des paiements de location ne reflétait pas, dans les circonstances de l'espèce, la juste valeur marchande du logiciel parce que les paiements de location faisaient partie d'une série d'opérations circulaires dont la valeur était basée à l'origine sur la valeur considérablement gonflée qui était indiquée dans le rapport de MACC.


[10]            L'appelante ne conteste pas le coût de remplacement du logiciel établi par le juge de la Cour de l'impôt. Elle conteste par contre le fait que le juge a utilisé la méthode du coût de remplacement pour estimer la valeur du logiciel au lieu de la méthode de la comptabilité de trésorerie ou la méthode fondée sur les gains utilisée dans le rapport de KPMG. Elle prétend en particulier que la valeur du logiciel équivaut à la valeur actuelle du revenu tiré du bail, soit environ 33 millions de dollars. Elle prétend également que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en introduisant la notion de caractère factice lorsqu'il a appliqué l'alinéa 69(1)a) de la LIR. Selon l'appelante, les effets juridiques d'une opération doivent être respectés, sauf s'il s'agit d'une opération fictive; en l'espèce, le logiciel faisait l'objet d'un bail, ce qui permettait à Commcorp de recevoir un revenu de location dont la valeur actuelle était d'environ 33 millions de dollars.

III. Analyse

[11]            L'appelante prétendait que le juge de la Cour de l'impôt devait tenir compte du fait que le logiciel faisait l'objet du bail lorsqu'il en a déterminé la juste valeur marchande et que le bail et le logiciel ne pouvaient pas être séparés aux fins de la détermination de la juste valeur marchande. À mon avis cependant, cet argument est vicié à la base, et le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a déterminé que la valeur actuelle du revenu tiré du bail ne reflétait pas la juste valeur marchande du logiciel dans les circonstances de l'espèce.

[12]            En premier lieu, le juge de la Cour de l'impôt était clairement au courant du fait que le logiciel faisait l'objet du bail au moment de son acquisition par Commcorp et que le bail était une opération réelle sur le plan juridique et non une opération fictive. Il a néanmoins considéré à juste titre que la LIR l'obligeait à déterminer la juste valeur marchande du logiciel et non du bail. Bien que, dans certaines circonstances, le revenu tiré d'un bail puisse être utile pour déterminer la valeur du bien qui fait l'objet de celui-ci, le juge de la Cour de l'impôt a conclu, comme il était en droit de le faire, que ce n'était pas le cas en l'espèce.


[13]            Il ressort clairement de la jurisprudence que la détermination de la juste valeur marchande est une question de fait et non de droit. Voir, par exemple, Gold Court Selection Trust Limited c. Humphrey (Inspector of Taxes), [1948] A.C. 459, page 473. Par conséquent, selon l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, la norme de contrôle qui s'applique aux conclusions de fait consiste à se demander si le juge a commis une erreur manifeste ou dominante. De nombreuses décisions indiquent que le juge du procès peut se faire sa propre opinion au sujet de la valeur (Connor c. La Reine, 79 DTC 5256 (CAF), et R. c. Whent, 2000 DTC 6001 (CAF)). À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis une erreur manifeste ou dominante en l'espèce. Au contraire, je conviens que, dans les circonstances de l'espèce, le revenu de location ne reflétait pas la juste valeur marchande du logiciel parce que les parties avaient déterminé au préalable le montant des paiements de location en se fondant sur la juste valeur marchande indiquée dans le rapport de MACC, qui, selon le juge de la Cour de l'impôt, était d'environ 20 millions de dollars trop élevée. L'avocat de l'appelante a d'ailleurs reconnu expressément au procès que les parties s'étaient fondées sur le rapport de MACC pour déterminer le montant des paiements de location :

[traduction] Lorsque le bail a été conclu entre 583 et Eagle, les sociétés savaient que le logiciel avait une valeur de 33 millions de dollars [selon le rapport de MACC]. Elles ont supposé que le logiciel avait une telle valeur. On présume qu'elles ont indiqué, lors de la conclusion du bail, ce qui donnerait un rendement de 33 millions de dollars. Et le bail a probablement été rédigé de manière à donner un rendement de 33 millions de dollars.


Comme la valeur du bail dépendait entièrement de la valeur incorrecte indiquée dans le rapport de MACC, dans la mesure où le logiciel y était surévalué, la valeur du revenu de location ne donne pas non plus un portrait fidèle de la valeur du logiciel. Par conséquent, le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de rejeter la méthode fondée sur les flux de trésorerie utilisée dans le rapport de KPMG.

[14]            Je ne pense pas que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en établissant la juste valeur marchande du logiciel. Le juge a tenu compte des rapports des experts, en acceptant des parties et en rejetant d'autres. Le raisonnement qu'il a employé pour arriver à une juste valeur marchande fondée sur le coût de remplacement est solide.

[15]            L'appel devrait donc être rejeté avec dépens.

                                                                              _ J. Edgar Sexton _               

                                                                                                     Juge                           

« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   A-455-03

INTITULÉ :                                  CIT FINANCIAL LTD.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 MAI 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                    LE JUGE DÉCARY

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                 LE 20 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Warren J. A. Mitchell                      POUR L'APPELANTE

Paul Tamaki

David Davies

Alexandra Brown                            POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons                                 POUR L'APPELANTE

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                            POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


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