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Date : 20050513

Dossier : A-118-04

Référence : 2005 CAF 178

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                            MARIANE MANOLI

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                          COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

                                                                                                                                     Défenderesse

                                      Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 mai 2005.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 mai 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER


Date : 20050513

Dossier : A-118-04

Référence : 2005 CAF 178

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                            MARIANE MANOLI

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                          COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                La diminution des prestations d'assurance-emploi d'une femme enceinte, en raison d'un arrêt de travail causé par un retrait préventif en vertu d'une loi provinciale, porte-t-elle atteinte à son droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte) ?


[2]                Voilà le texte intégral de la question qui nous est soumise par la demanderesse qui prétend que le paragraphe 12(2) du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, 28 juin 1996 (Règlement), tel que modifié par DORS/97-31, 19 décembre 1996, Gazette du Canada, Partie II, vol. 131, page 212, produit à son égard un effet discriminatoire et est donc contraire à la Charte. Ce paragraphe, et plus particulièrement le sous-alinéa (ii) se lisent :

12. (2) Pour l'application du paragraphe 14(4) de la Loi, les semaines réglementaires sont les semaines suivantes pour lesquelles le prestataire n'a pas de rémunération assurable :

a) toute semaine pour laquelle le prestataire a reçu ou recevra :

(i) soit l'indemnité prévue pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, autre qu'une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d'une réclamation,

(ii) soit une rémunération dans le cadre d'un régime d'assurance-salaire, en raison d'une maladie, d'une blessure, d'une mise en quarantaine, d'une grossesse ou des soins à donner à un ou plusieurs enfants visés au paragraphe 23(1) de la Loi,

[...]

12. (2) For the purposes of subsection 14(4) of the Act, a prescribed week is a week in which the claimant has no insurable earnings and is

(a) a week in respect of which a claimant has received or will receive

(i) workers' compensation payments, other than alump sum or pension paid in full and final settlement of a claim made for workers' compensation payments.

(ii) under a wage-loss indemnity plan, any earnings by reason of illness, injury, quarantine, pregnancy or care of a child or children referred to in subsection 23(1) of the Act,

[...]

                                                                                                                                          (je souligne)

[3]                Plus précisément, le débat porte sur les mots soulignés, lesquels furent ajoutés le 19 décembre 1996 au détriment de la demanderesse, selon ce qu'allègue cette dernière, puisqu'ils ont eu pour effet de diminuer le montant des prestations auquel elle aurait normalement eu droit.


[4]                Le paragraphe 12(2) fut édicté pour la mise en oeuvre du paragraphe 14(4) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi). Je reproduis la partie pertinente du paragraphe 14(4) en en soulignant les mots qui retiendront mon attention dans l'étude des prétentions des parties et de la décision du juge-arbitre dont on demande la révision judiciaire :

14. (4) La période de base d'un prestataire correspond à la période d'au plus vingt-six semaines consécutives, au cours de sa période de référence - compte non tenu des semaines reliées à un emploi sur le marché du travail, au sens prévu par règlement -, se terminant :

[...]

14. (4) The rate calculation period is the period of not more than 26 consecutive weeks in the claimant's qualifying period ending with the later of

[...]

A prescribed week relating to employment in the labour force shall not be taken into account when determining what weeks are within the rate calculation period.

                                                                                                                                          (je souligne)

Le remède demandé par la demanderesse

[5]                La demanderesse demande à cette Cour de déclarer inopérants les mots « pour lesquelles le prestataire n'a pas de rémunération assurable » que l'on retrouve au paragraphe 12(2) du Règlement, ce qui aurait pour effet d'augmenter son taux de prestations.

[6]                Ceci m'amène à énoncer brièvement les faits et les circonstances à l'origine de la contestation fondée sur l'article 15 de la Charte. J'y inclurai également un bref résumé des procédures entreprises par la demanderesse qui font qu'elle se pourvoit en révision judiciaire.


Faits, circonstances et procédure

[7]                La demanderesse est physiothérapeute de formation. Elle occupait simultanément deux emplois à temps partiel dans sa période de référence prévue à l'article 8 de la Loi, soit dans les cinquante-deux semaines précédant le début de sa période de prestations. Elle travaillait dans deux Centres hospitaliers : Ste-Justine et Catherine Booth.

[8]                Enceinte, la demanderesse s'est prévalue de son droit à un retrait préventif au centre de Ste-Justine sans qu'elle n'ait pu exercer à cet endroit des tâches alternatives adaptées à sa condition. Le droit au retrait fut exercé du 14 décembre 2000 au 30 juin 2001.

[9]                Par contre, la demanderesse a continué à travailler au centre Catherine Booth pendant son retrait préventif au centre de Ste-Justine. Ce travail au centre Catherine Booth, que je qualifierai, pour fins de rédaction des présents motifs, de deuxième emploi par rapport à celui du centre de Ste-Justine, s'est terminé le 29 juin 2001 alors que la demanderesse a pris son congé de maternité. Le 30 juin 2001, les indemnités que la demanderesse recevait en raison de son retrait préventif ont cessé.

[10]            Le 5 juillet 2001, la demanderesse a formulé une demande de prestations. Une période fut établie à son profit à compter du 1 juillet 2001.


[11]            Une période de prestations établie, il fallait déterminer le taux de ces prestations. Se fondant sur l'article 14 de la Loi, la Commission de l'assurance-emploi (Commission) a tenu compte de la rémunération assurable gagnée par la demanderesse au cours de la période de base de 26 semaines consécutives. Cette période s'échelonnait du 31 décembre 2000 au 30 juin 2001. Ce n'est que par hasard qu'elle correspondait à la période du deuxième emploi conservé par la demanderesse suite à son retrait préventif de son premier emploi.

[12]            Comme la rémunération assurable gagnée au cours de cette période s'élevait à 15 505 $, le taux hebdomadaire de prestations fut établi à 328 $. Ce taux se situait en dessous du taux maximum de 413 $ auquel la demanderesse prétendait et prétend toujours avoir droit.

[13]            Car la demanderesse soumet que la Commission aurait dû, pour la détermination du taux, exclure de la période de base les semaines pour lesquelles elle recevait une indemnité en raison de son retrait préventif, tout comme si la mention « pour lesquelles le prestataire n'a pas de rémunération assurable » , que l'on retrouve au paragraphe 12(2) du Règlement, n'existait pas. Le taux de ses prestations étant alors calculé à partir de la période où elle touchait deux revenus, elle aurait alors eu droit au taux hebdomadaire maximum.


[14]            Dans une décision qui, à toute fin pratique, n'est pas motivée, le conseil arbitral a fait droit aux prétentions de la demanderesse. La conclusion du conseil arbitral fut renversée en appel par le juge-arbitre. D'où la demande de contrôle judiciaire qui nous est soumise par la demanderesse.

La décision du juge-arbitre

[15]            Le juge-arbitre a conclu qu'en l'absence d'une contestation victorieuse de la constitutionnalité du paragraphe 12(2) du Règlement, le sort de l'appel était régi par les principes dégagés par cette Cour dans l'affaire Canada (Procureure générale) c. Dupéré, 2001 CAF 83. Concrètement, cela signifiait que l'appel de la Commission portant sur le calcul du taux de prestations devait être accueilli et la décision du conseil arbitral rescindée.

[16]            Le juge-arbitre s'est ensuite livré à une analyse de la question constitutionnelle au regard du droit à l'égalité de l'article 15 de la Charte. Il s'est dit d'avis que la jurisprudence développée dans les affaires Canada (Procureur général) c. Lesiuk, 2003 CAF 3; Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; et Krock c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 188 était incontournable. Au paragraphe 139 de sa décision CUB 59588 il écrit :

La prestataire n'a pas démontré que le Règlement attaqué portait atteinte à son droit à l'égalité ou avait pour but de la stigmatiser par inadvertance ou de ne pas reconnaître les difficultés temporaires qu'elle éprouvait. La discrimination n'est pas fondée en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.

Il a donc également rejeté l'appel quant à la question constitutionnelle.


Analyse de la décision du juge-arbitre

[17]            Avec respect, je suis d'accord avec le juge-arbitre que les affaires Lesiuk, Granovsky et Krock, (supra), font obstacle aux prétentions de la demanderesse. Je n'ai pas l'intention de reprendre en détail l'analyse qu'il en a lui-même faite. Mais je me dois d'énoncer certaines de ses conclusions que j'endosse.

[18]            Je suis d'accord avec le juge-arbitre que le paragraphe 12(2) du Règlement ne crée pas d'inégalités ou de distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles de la demanderesse.

[19]            Il m'apparaît aussi évident, comme ce fut le cas pour le juge-arbitre, que le fait de ne pas toucher le maximum des prestations hebdomadaires, particulièrement dans les circonstances de la présente affaire, ne saurait porter atteinte à la liberté et à la dignité humaines et favoriser l'existence d'une société où des êtres humains ne sont pas reconnus comme des membres égaux de la société canadienne. L'atteinte à la dignité et à la liberté humaines est l'un des critères déterminants retenus par la Cour suprême du Canada pour pouvoir conclure à de la discrimination sous l'article 15 de la Charte : voir Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 51. Il convient de se pencher plus à fond sur les circonstances qui font que la demanderesse reçoit 80 % (79.24) plutôt que 100 % des prestations.


[20]            La différence de 20 % ne provient pas du sexe et de l'état de grossesse de la demanderesse car un travailleur de sexe masculin qui, dans les mêmes circonstances que la demanderesse, se serait prévalu d'un droit de retrait préventif à cause de la salubrité de son lieu de travail aurait touché le même montant de prestations. Elle résulte, d'abord, du fait que la demanderesse occupait un deuxième emploi assurable et a continué à exercer ce deuxième emploi alors qu'elle recevait des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) pour son premier emploi. Or, le taux de prestations hebdomadaires d'un prestataire est fonction de sa rémunération hebdomadaire assurable, et ce quelque soit son sexe, sa race, sa nationalité, sa religion, sa couleur, son origine ethnique et son âge. Le taux de ces prestations et la base de calcul de ce taux sont les mêmes pour tous les prestataires, soit 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable : voir le paragraphe 14(1) de la Loi.

[21]            En outre, cette différence de 20 % que subit la demanderesse provient du fait que son deuxième emploi assurable qu'elle a exercé était moins rémunéré que celui duquel elle s'est retirée et, donc, pas suffisamment rémunérateur pour lui permettre d'atteindre le taux maximum des prestations hebdomadaires. La demanderesse reconnaît que cette différence n'existerait pas si son deuxième emploi avait généré une rémunération assurable plus élevée.


[22]            Nous sommes donc en présence d'une conjoncture bien spéciale et bien spécifique qui est la même pour tout travailleur qui se retrouve dans les conditions suivantes. Pour que les paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement résultent en l'établissement d'un taux de prestations inférieur au taux maximum auquel le travailleur pourrait avoir droit si ce n'était du paragraphe 12(2) du Règlement, il faut :

a)         que le travailleur occupe deux emplois;

b)         qu'il quitte l'un des deux emplois pour, par exemple, des raisons d'accident de travail, maladie professionnelle, retrait préventif pour cause de menace à la santé ou grossesse, etc., et touche, pour cet emploi quitté, des prestations d'un régime d'assurance ou des indemnités;

c)         qu'il puisse malgré tout continuer à exercer son deuxième emploi;

d)         que ce deuxième emploi ne génère pas à lui seul une rémunération assurable suffisante pour permettre au travailleur d'atteindre le taux maximum de prestations; et

e)         que ce deuxième emploi ait été exercé pour une période de 26 semaines consécutives au cours de la période de référence, faisant ainsi en sorte qu'il est impossible de remonter dans le temps à des semaines plus rémunératrices du premier emploi et de les prendre en compte dans le calcul du taux de prestations.


Car si la période d'occupation du deuxième emploi est de courte durée ou inférieure à 26 semaines, des semaines de rémunération assurable du premier emploi pourront alors être comptabilisées avec celles du deuxième emploi, jusqu'à concurrence d'au plus 26 semaines consécutives, pour déterminer le taux de prestations.

[23]            On voit donc que, dans une situation comme celle où la demanderesse s'est retrouvée avec deux emplois, le taux de prestations hebdomadaires d'un prestataire peut différer en fonction des variables déjà exprimées, notamment la durée du second emploi et le montant de la rémunération assurable reçue de cet emploi ainsi que du premier emploi. Il peut ne résulter aucune différence entre le taux de prestations hebdomadaires maximum et le taux de prestations hebdomadaires établi pour le prestataire. Toutefois, dans les cas où ces variables pourront produire une différence, celle-ci sera fluctuante, pouvant varier de quelques dollars à 85 $ comme dans le cas de la demanderesse.

[24]            Avec respect, je ne crois pas que l'on puisse conclure à partir des circonstances particulières et spéciales dans lesquelles s'est retrouvée la demanderesse, que « la disposition contestée perpétue l'idée selon laquelle certaines personnes sont moins capables ou moins dignes de reconnaissance ou de valeurs en tant qu'êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne » : voir Canada (Procureur général) c. Lesiuk, supra, paragraphe 40, citant Law, supra, au paragraphe 99 et Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769, au paragraphe 42.


[25]            En fait, la demanderesse recherche une déclaration d'invalidité d'une partie d'une disposition réglementaire parce que le législateur n'aurait pas prévu dans la constellation de l'assurance-emploi un alignement des astres tel celui dans lequel la demanderesse se retrouve. Mais qu'a donc fait le législateur en édictant les paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement ?

[26]            En adoptant ces deux paragraphes, le législateur a voulu deux choses. Premièrement, il désirait apporter et, de fait, il a apporté une mesure de protection aux travailleurs qui pouvaient être pénalisés par un retrait forcé du travail, contraints que ces travailleurs seraient de s'en remettre à des prestations de régimes d'assurance généralement moins élevées que la rémunération assurable. Je dis généralement car certaines conventions collectives du secteur public prévoient que l'employeur couvre le manque à gagner entre la rémunération hebdomadaire de l'employé et les prestations reçues du régime d'assurance. Je reviendrai plus en détail sur la nature et la portée de cette protection.

[27]            Deuxièmement, le législateur s'est montré soucieux d'introduire cette mesure de protection sans compromettre l'intégrité du système contributif d'assurance-emploi; un des fondements de cette intégrité est la rémunération assurable à partir de laquelle le taux de prestation des bénéfices est calculé. C'est ce même fondement que l'on retrouve aux paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement.


[28]            Le paragraphe 14(4) de la Loi est la résultante d'une modification à la Loi antérieure. L'objet de cette modification est, dans toutes les industries où l'emploi et les salaires sont irréguliers, de remplacer la période fixe servant au calcul du taux des prestations par une période plus souple, permettant ainsi aux travailleurs de maximiser leurs prestations. En excluant certaines semaines d'arrêt de travail du calcul de la rémunération moyenne pour la période de base, les travailleurs évitent que leurs prestations soient réduites. Le coût additionnel de système généré par cet amendement était estimé en 1996 à 246 millions de dollars : voir la déclaration de M. Robert D. Nault (secrétaire parlementaire du ministre du Développement des ressources humaines), Débat parlementaire du 2 mai 1996, Débats de la Chambre des communes, vol. 134, à la page 2220. Il s'agit donc essentiellement et indubitablement d'une mesure bénéfique pour les travailleurs puisqu'en excluant certaines semaines d'arrêt de travail, il est possible de remonter dans le temps et, à l'intérieur de la période de référence de 52 semaines, d'aller chercher des semaines de rémunération assurable au lieu de semaines d'arrêt de travail et ce jusqu'à concurrence d'une période d'au plus 26 semaines consécutives.

[29]            Dans une formulation biscornue et ambiguë, la version française du paragraphe 14(4) de la Loi exclut du calcul de la période de base d'un prestataire, au sens prévu par règlement, « les semaines reliées à un emploi sur le marché du travail » . Le paragraphe 12(2) du Règlement vient compléter la Loi et identifier ces semaines qui peuvent être ignorées dans le décompte des 26 semaines qui doivent être incluses dans la période de base pour fin de calcul du taux de prestations.


[30]            J'ouvre une parenthèse pour signaler que, dans la version française du paragraphe 12(2) du Règlement, apparaît pour la première fois, et s'avère déroutant, le concept de semaines réglementaires ( « prescribed weeks » en anglais) alors que ce concept ne se retrouve pas dans le paragraphe 14(4) de la Loi. Par contre, le texte anglais est beaucoup plus limpide et conséquent puisque, tant dans le paragraphe 14(4) de la Loi que 12(2) du Règlement, le législateur utilise le concept de « prescribed weeks » . Au surplus, l'interdiction de tenir compte de ces semaines est formulée d'une manière beaucoup plus claire dans la version anglaise du paragraphe 14(4) de la Loi qu'elle ne l'est dans la version française.

[31]            En somme, l'effet combiné des paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement est d'assouplir, au profit des prestataires, la méthode de calcul du taux de prestations en excluant dudit calcul les semaines où une travailleuse a reçu, en raison d'une grossesse, une rémunération dans le cadre d'un régime d'assurance-salaire, pourvu que, durant ces semaines, elle n'ait pas reçu de rémunération assurable d'un autre emploi. En d'autres termes, ces deux dispositions accordent une protection et un avantage à ces personnes, dont les besoins sont plus grands, qui n'ont pu exercer un emploi assurable pour les motifs énoncés dans ces dispositions.


[32]            Dans l'affaire Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 2 C.F. 189 (C.A.F.), aux pages 229 et 230, j'ai évoqué l'idée qu'une mesure législative corrective d'une situation désavantageuse vécue jadis par un groupe, en l'occurrence ici les travailleurs contraints de ne plus exercer un emploi assurable dans les conditions énumérées aux paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement, n'a pas à être parfaite pour rencontrer les exigences de l'article 15 de la Charte. À la page 230, j'écrivais :

L'article 15 n'exige pas, sous peine d'inconstitutionnalité, qu'une mesure de redressement ou d'atténuation d'un préjudice antérieur soit efficace à 100 %, sans faille et sans effet secondaire. Imposer une telle obligation de résultat aurait un effet paralysant sur toute initiative envisagée ou prise pour corriger les effets préjudiciables d'une politique passée.

[33]            Dans l'affaire Law, supra, au paragraphe 72, le juge Iacobucci s'est aussi penché sur la question. Il y écrit pour la Cour :

Un objet ou un effet apportant une amélioration qui est compatible avec l'objet du par. 15(1) de la Charte ne violera vraisemblablement pas la dignité humaine de personnes plus favorisées si l'exclusion de ces personnes concorde largement avec les besoins plus grands ou la situation différente du groupe défavorisé visé par les dispositions législatives.

[34]            Cette conclusion du juge Iacobucci fut reprise par la majorité de la Cour suprême dans l'affaire Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429 où était en cause la validité constitutionnelle d'un règlement prescrivant une réduction du montant des prestations d'aide sociale versées aux personnes de moins de 30 ans qui ne participaient pas à des programmes de formation ou de stages en milieu de travail. Au paragraphe 55, la juge en chef McLachlin écrit :


[...] il est possible de conclure qu'une disposition contestée ne viole pas [le par. 15(1) de] la Charte canadienne même en l'absence de correspondance parfaite entre un régime de prestations et les besoins ou la situation du groupe demandeur. On peut éprouver de la sympathie pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, n'ont peut-être pas pu participer aux programmes. Cependant, le fait qu'un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné. Comme l'a souligné le juge Iacobucci dans Law, précité, au par. 105, nous ne devrions pas exiger « qu'une loi doit[ve] toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au par. 15(1) de la Charte » . L'élaboration d'un régime d'aide sociale destiné à répondre aux besoins des jeunes adultes est un problème complexe, auquel il n'existe pas de solution parfaite. Quelles que soient les mesures adoptées par le gouvernement, il existera toujours un certain nombre de personnes auxquelles un autre ensemble de mesures aurait mieux convenu. Le fait que certaines personnes soient victimes des lacunes d'un programme ne prouve pas que la mesure législative en cause ne tient pas compte de l'ensemble des besoins et de la situation du groupe de personnes touché, ni que la distinction établie par cette mesure crée une discrimination réelle au sens du par. 15(1).

[35]            La mesure bénéfique édictée par les paragraphes 14(4) de la Loi et 12(2) du Règlement, comme nous l'avons vu précédemment, n'est pas limitée dans son champ d'application aux seules personnes contraintes de ne plus exercer un emploi assurable par suite de leur grossesse. Elle s'ajoute cependant à d'autres mesures de même nature adoptées au bénéfice de ces personnes : possibilité pour celle qui fait l'objet d'un retrait préventif de prolonger sa période de référence (alinéa 8(2)a) de la Loi), conditions requises plus avantageuses pour faire établir une période de prestations (articles 6, 7(4.1), 8, 10 et 153.1 de la Loi et article 14 du Règlement), conditions d'admissibilité moins contraignantes que celles appliquées aux autres prestataires (articles 22, 34 et 36 de la Loi), paiement de prestations hors Canada (article 55 du Règlement).

[36]            Avec respect, pour les raisons exprimées, je ne peux conclure que le paragraphe 12(2) du Règlement est discriminatoire au sens de l'article 15 de la Charte et accéder à la requête de la demanderesse de déclarer inopérants les mots « pour lesquelles le prestataire n'a pas de rémunération assurable » .


[37]            Aussi sympathique que puisse être la revendication de la demanderesse, je suis tenu de l'examiner en fonction de la Loi, de la Charte et de la jurisprudence qui gouverne l'interprétation et l'application de l'une et de l'autre. En conséquence, je rejetterais avec dépens la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord

Robert Décary j.c.a. »

« Je suis d'accord

J.D.Denis Pelletier j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              A-118-04

INTITULÉ :                                             MARIANE MANOLI c. COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 3 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                 LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                               LE JUGE DÉCARY

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                            le 13 mai 2005

COMPARUTIONS :

Me Dominique-Anne Roy

Me Michel Gilbert

POUR LA DEMANDERESSE             

Me Pauline Leroux

Me Carole Bureau

POUR LA DÉFENDERESSE              

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grondin Poudrier Bernier

Québec (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE


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